Procès-verbal de la séance du 4 juin 2003

Présidence de M. Xavier de Roux, vice-président

Le témoin est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, le témoin prête serment.

M. le Président : Vous avez été directeur de cabinet du président d’Holco en 2001 et 2002, ce qui vous a conduit à vivre de l’intérieur l’ensemble de ce qu’il est convenu d’appeler l’aventure d’Air Lib.

Nous souhaiterions que vous nous indiquiez ce qu’a été votre rôle et ce que vous avez su de cette affaire pendant l’exercice de vos fonctions. Ensuite, nous vous poserons quelques questions.

M. Pascal PERRI : Je me suis demandé si notre réunion d’aujourd’hui aurait bien lieu puisqu’à la lecture du Règlement de l’Assemblée nationale, il apparaît que les travaux de la commission doivent s’interrompre lorsqu’une procédure judiciaire est engagée. Est-ce exact ?

M. le Président : Aujourd’hui, aucune procédure ne nous a été notifiée.

M. Pascal PERRI : Il s’agit donc probablement d’une procédure plutôt à caractère fiscal puisque l’ensemble des opérateurs du groupe Holco, dirigeants, avocats et administrateurs, ont fait l’objet d’une perquisition fiscale hier matin. Je me demandais si cela pouvait avoir une incidence sur la réunion d’aujourd’hui. Elle n’en a pas, et c’est parfait.

M. le Président : La Chancellerie est parfaitement au courant de nos travaux. La procédure est que la Chancellerie notifiera, le cas échéant, au Président de l’Assemblée nationale l’ouverture d’une information judiciaire, ce qui n’est, à cette heure et aujourd’hui, pas le cas.

M. Pascal PERRI : Très bien.

Vous souhaitez donc que je vous expose mon point de vue sur les causes de la disparition d’Air Lib et l’utilisation de l’argent public.

M. le Président : Exactement !

M. Pascal PERRI : Je crois que les causes de la disparition d’Air Lib sont de trois ordres.

Le premier élément est incontestablement le fait que nous avons repris - mes propos porteront sur la période suivant le 1er septembre 2001, date de mon arrivée - deux entreprises qui étaient en situation de coma dépassé. Un peu plus de 6 milliards de francs de déficit d’exploitation en un an ; c’était vraiment une très mauvaise performance économique. Les anciens actionnaires, qu’il s’agisse de Swissair, l’opérateur qui avait la responsabilité opérationnelle de l’entreprise, ou de l’actionnaire majoritaire, le groupe Marine Wendel, portent à mon sens une très lourde responsabilité dans la situation de ces deux entreprises telles que nous l’avons trouvée en août - septembre 2001.

Dans ces entreprises -c’est important pour un transporteur aérien-, les travaux de maintenance n’étaient plus faits, le programme d’hiver qui démarre au mois d’octobre n’était pas déposé dans les ordinateurs. Tout semblait montrer que l’on s’était arrangé pour tirer un rideau définitif sur les entreprises AOM et Air Liberté.

Evidemment, nous avons repris ces entreprises dans ce contexte. Lorsque nous sommes arrivés, il y avait 5 % de passagers dans les avions.

Le premier travail a été de redonner confiance, un tant soit peu, de convaincre les différents opérateurs du marché, les agents de voyage, les consommateurs que le projet que nous portions était susceptible de s’imposer sur le marché.

De façon connexe, la défaillance de Swissair a été la première grande cause des difficultés de cette entreprise. Pour ma part, j’ai fait réaliser une étude complète par l’institut TNS Média Intelligence, fusion de deux entreprises connues dans le domaine des études d’opinion, la SOFRES et Taylor, une entreprise britannique. Je l’ai fait réaliser, puisqu’en plus de mes fonctions en tant que directeur de cabinet auprès de M. Corbet, j’étais avant toute chose le porte-parole de la compagnie. Bien sûr, la résonance médiatique faite autour de l’entreprise m’intéressait au premier chef.

Cette analyse a été réalisée sur une période de cinq mois, du 1er juillet au 30 novembre 2001. Après étude des articles publiés dans la presse pendant toute cette période, des reportages à la radio et à la télévision, l’objectif était de mesurer l’impact de la défaillance de Swissair, autrement dit, ce que cela a coûté à l’entreprise en termes commercial et de crédibilité. Je tiens cette étude à votre disposition. Elle montre que les appréciations négatives du public sont liées de façon récurrente d’abord à l’image négative de Swissair et ensuite, à sa défaillance.

Y a-t-il là un vrai lien avec les difficultés de l’entreprise ? Je le crois parce qu’une entreprise de transport aérien se caractérise par un fort volume et de petites marges. L’entreprise est en contact direct avec le public. Auriez-vous pris vous-même les avions d’Air Lib en écoutant chaque matin à la radio que la défaillance de Swissair pouvait avoir des incidences définitives sur la vie de la nouvelle entreprise Air Lib ? Auriez-vous pris le risque de réserver sur Air Lib pour l’été prochain un voyage aux Antilles ? Cette défaillance très largement et lourdement médiatisée a été, à mon sens, extrêmement lourde à porter pour l’entreprise.

De plus, elle a privé Air Lib d’une contribution de 60 millions d’euros. Quand on fait les comptes, et il faut les faire selon un calendrier glissant, au moment où ces 60 millions d’euros auraient dû être versés, ils étaient suffisant à l’entreprise pour honorer ses engagements, suffisants pour reconstruire sa réputation sur le marché et poursuivre son offensive commerciale de reconquête.

M. le Président : Vous estimez le besoin de fonds propres d’Air Lib à 60 millions d’euros à cette époque ?

M. Pascal PERRI : Je pense que les 60 millions d’euros nous auraient permis de faire face à nos engagements.

La question des fonds propres est plus large. Je ne suis pas financier, mais je comprends ce dont il s’agit. Il est évident que ce manque à gagner, ces 60 millions de trésorerie que l’entreprise a perdus ont eu des conséquences en série. Après la diffusion des informations parues dans la presse en octobre sur la défaillance de Swissair, après les déclarations de M. Corti, qui, parmi les établissements bancaires ou financiers de la place, aurait eu le culot de prêter le moindre centime à Air Lib ?

Rappelons que, de surcroît, nous sommes en situation post-traumatique. Le transport aérien a été très durement impacté par le 11 septembre.

Deuxième croc en jambe, deux ou trois semaines plus tard, nous apprenons que celui qui avait ruiné Swissair - 6 milliards de francs de déficit d’exploitation en un an - est défaillant.

Naturellement, c’étaient deux très mauvaises informations pour l’image d’Air Lib. Je pense que c’est la première grande cause des difficultés rencontrées par l’entreprise.

La deuxième cause est la campagne menée contre Air Lib au moment de l’alternance. J’ai eu l’occasion de rencontrer M. Dominique Bussereau bien avant son arrivée rue du Bac, comme secrétaire d’Etat chargé des transports. J’avais eu avec lui des conversations privées au congrès de l’UMP à Toulouse où j’avais été invité à présenter un exposé sur les enjeux du transport aérien pour l’outre-mer. Ensuite, lors d’entretiens personnels à l’Assemblée nationale, j’avais compris que M. Bussereau nourrissait à l’égard de la compagnie et de ses dirigeants un très fort ressentiment. Je ne sais pas d’ailleurs pas pourquoi. Il faut constater que dès son arrivée au secrétariat d’Etat, nous avons eu droit, là encore en termes d’image -je souhaite vous parler de sujets que je maîtrise parfaitement- à une série de déclarations qui ont ébranlé probablement les consommateurs et qui ont jeté le discrédit sur la compagnie. Comment fallait-il comprendre ses déclarations sur la fin de la récré, sur la fin du Père Noël, sur ses chantages permanents à la licence ? J’observe que nos vraies difficultés ont commencé au moment où nous lancions sur le marché, notamment le produit Air Lib Express qui rencontrait un incontestable succès commercial. Les déclarations se sont multipliées pour aboutir à une série d’ultimatum, de dates butoirs : sept dates butoirs au cours des quatre derniers mois de la vie d’Air Lib. Il était difficile de faire remonter du monde dans nos avions dans un contexte aussi défavorable.

La troisième raison est aussi simplement la culture de ces entreprises. Nous sommes tous le produit individuel et collectif de notre histoire. AOM et Air Liberté, c’était plus de 150 accords collectifs qui se superposaient. Un véritable millefeuille social ! Nous avons trouvé en face de nous des interlocuteurs syndicaux parfois très minoritaires, mais néanmoins très bavards. A mon sens, ils ont aussi brouillé l’image de l’entreprise.

Vous avez vraisemblablement reçu certains d’entre eux. Dans une entreprise comme dans une société, il y a des règles : la règle de la démocratie, la règle du vote. Je n’ai pas fait voter les salariés, j’ai simplement constaté que la CFDT qui était ultra majoritaire au comité d’entreprise n’était pratiquement jamais entendue, peut-être parce qu’elle défendait les projets économiques et industriels de la direction sans vraiment faire de la cogestion. En revanche, je lisais beaucoup dans la presse les déclarations d’un certain nombre de petits syndicats -il n’y a aucun mépris dans ce que je dis-, de petits responsables syndicaux dont certains ont été probablement reçus par vous, qui ne représentaient qu’eux-mêmes et qui jetaient la suspicion et sur les dirigeants de l’entreprise et sur la stratégie de l’entreprise.

Et pourtant, les chiffres sont têtus. Au mois d’août de l’année dernière, nous étions à 3 millions d’euros de l’équilibre, ce qui est plutôt bien pour une entreprise qui revient d’un coma dépassé. Air Lib Express avait de bons résultats. Nous cherchions à consolider notre position sur l’outre-mer, sur l’Algérie. Nous lisions jour après jour dans la presse des déclarations de responsables de syndicats de pilotes, de syndicats généralistes qui jetaient la suspicion sur les dirigeants de l’entreprise et sur la politique menée.

Pour être sensible à toutes ces questions liées à l’information et à l’image, je sais combien il y est difficile de faire face dans une activité qui est en prise directe avec le public.

Il n’y a évidemment aucune comparaison possible, mais qu’arrive-t-il aujourd’hui au président du CSA ? Les gens l’ont jeté en pâture. Je suis certain qu’il ne s’est jamais rien passé dans sa vie, mais sa vie est à jamais marquée par ce qui a été dit ou écrit. Nous vivons dans une société où l’image commande. En ce qui nous concerne, nous avons dû faire face à ce type de procès médiatique pendant des mois et des mois.

Nous avons vérifié que l’impact de cette communication négative au cours des derniers mois de l’entreprise lui a coûté une moins-value en termes de trésorerie estimée à 50 millions d’euros.

M. le Président : Vous dites que lorsque l’entreprise a été reprise, elle avait 6 milliards de déficit.

M. Pascal PERRI : Je n’ai pas dit cela. J’ai dit que le déficit d’exploitation d’AOM - Air Liberté sur une année avait été de 6 milliards. Nous étions dans le cadre d’une procédure collective, le plan de cession avait remis les compteurs à zéro.

M. le Président : Je veux dire que vous aviez l’exemple d’un déficit massif de l’entreprise qui, auparavant, l’avait conduite au tribunal de commerce. A votre avis, quels étaient les moyens financiers à mettre en oeuvre à ce moment-là pour reprendre l’entreprise ? Autrement dit, l’entreprise était-elle reprenable ?

M. Pascal PERRI : Je pense que l’entreprise était reprenable si les Suisses avaient effectivement tenu leurs engagements jusqu’au bout.

M. le Président : Ils ont tenu une partie de leurs engagements.

M. Pascal PERRI : Mais il a manqué beaucoup de ces engagements et la rupture d’engagement, la défaillance est intervenue très rapidement.

M. le Président : Cela veut dire que le montant des fonds nécessaires à la reprise d’Air Lib, c’était la contribution versée par Swissair !?

M. Pascal PERRI : Si les Suisses avaient tenu leurs engagements jusqu’à leur terme, nous aurions été dans une position vraisemblablement plus confortable pour consolider un tour de table avec d’autres actionnaires. Il me semble que la défaillance des Suisses, en plus des conséquences du 11 septembre, a découragé tous ceux qui pouvaient s’intéresser à ce dossier.

Une fois encore, je ne gérais pas les finances de l’entreprise, mais il me semble que c’est cette défaillance qui est à l’origine d’une vraie perte de chance pour l’entreprise Air Lib.

M. le Président : Autrement dit, le plan de reprise reposait à l’origine sur l’indemnité Swissair ?

M. Pascal PERRI : Sur la contribution volontaire des Suisses. C’est ce que j’ai compris en lisant les éléments du plan de cession. En effet, la contribution de Swissair était un élément essentiel. J’ai toujours entendu dire par Jean-Charles Corbet qu’il ne se serait jamais lancé dans cette aventure s’il n’avait pas eu la certitude de cet apport.

M. le Président : Lui-même n’avait pas d’apport à réaliser.

M. Pascal PERRI : Non, et ce n’était pas l’objet de sa démarche.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous expliquer à la commission dans quelles conditions vous avez été recruté par M. Corbet ? Quelles étaient vos motivations, quel était votre passé ? Pour quelles raisons êtes-vous intervenu plus tardivement que les autres membres de l’équipe Corbet, les futurs dirigeants d’Holco ?

M. Pascal PERRI : Je ne peux pas répondre au dernier volet de votre question. Je pense que M. Corbet a dû constituer une équipe opérationnelle après avoir obtenu la reprise devant le tribunal de commerce.

M. le Rapporteur : Avant.

M. Pascal PERRI : Oui, avant la décision de la fin du mois de juillet.

Mes fonctions étaient celles de directeur de la communication, porte-parole de l’entreprise. Dans une entreprise de 2500 personnes, c’est-à-dire une très grosse PME, on fait beaucoup de choses. Je gérais aussi directement le développement de l’entreprise en Algérie et la relation avec les élus des départements d’outre-mer.

Dans quelles conditions ai-je été amené à intervenir ? J’ai été présenté à M. Corbet par l’un de ses amis que j’avais moi-même rencontré dans le cadre de relations strictement personnelles. J’ai manifesté de l’intérêt pour ce dossier parce qu’il me paraissait fortement emblématique. Le transport aérien est une activité intéressante. J’ai moi-même publié un ouvrage sur l’économie du transport aérien en 1994. La vocation d’Air Lib était de se développer sur l’outre-mer pour le long-courrier. Or, j’avais été pendant quelques années journaliste et rédacteur en chef de RFO, la télévision française de l’outre-mer. Je connaissais les élus et les régions. Je dirais qu’il y avait une proximité, un intérêt qui était lié aussi à des questions de géographie personnelle. Voilà les raisons pour lesquelles je suis intervenu dans ce dossier et pourquoi j’y ai consacré mon énergie.

M. le Rapporteur : A l’époque où vous êtes recruté, vous étiez encore journaliste à RFO ?

M. Pascal PERRI : Non.

M. le Rapporteur : Quelle était votre carrière ? Que faisiez-vous ?

M. Pascal PERRI : J’ai quitté RFO en 1997 pour des raisons strictement familiales, afin de venir en aide à un membre de ma famille qui était dirigeant d’entreprise et qui avait connu de graves ennuis de santé. Cette personne a dû abandonner la direction de son entreprise. J’étais à l’époque le seul susceptible de la reprendre. Ce que j’ai fait. C’était une entreprise assez importante dans l’Est de la France, qui rencontrait elle-même des difficultés. Je l’ai donc restructurée et revendue ensuite.

Nous en sommes arrivés à l’été 2001, période à laquelle je suis intervenu dans le dossier Air Lib. J’avais donc une petite expérience de la gestion d’entreprise, même si je suis beaucoup plus juriste et géographe qu’économiste.

M. le Rapporteur : Avant, vous étiez journaliste ...

M. Pascal PERRI : J’ai été journaliste jusqu’en fin 1996, début 1997.

M. le Rapporteur : Vous n’avez pas répondu à la question sur vos motivations. Vous avez dit que vous aviez publié un livre sur l’économie du transport aérien, que vous aviez travaillé sur le secteur etc.

M. Pascal PERRI : Cela fait beaucoup : le transport aérien, l’outre-mer, une entreprise en difficulté, une entreprise " en retournement " comme l’on dit aujourd’hui. Je sortais de ce secteur des entreprises en retournement. Je trouve que cela fait au moins trois bonnes raisons de m’intéresser à Air Lib.

M. le Président : Vous avez dit tout à l’heure que vous n’étiez pas un économiste, mais vous aviez vraiment une expérience des entreprises en difficulté ?

M. Pascal PERRI : Une expérience modeste. Je connais le code des procédures collectives qui est aujourd’hui dans le code de commerce. J’ai fait des études de droit. Mais peut-on prétendre que l’on est spécialiste des entreprises en difficulté tant les difficultés des entreprises sont multiples de façon générale ?

M. le Président : Je n’ai pas dit " spécialiste ", j’ai dit que vous aviez une expérience.

M. Pascal PERRI : Une petite expérience à défaut d’une expertise.

M. le Rapporteur : Vous ne connaissiez pas M. Corbet ?

M. Pascal PERRI : Non, je ne connaissais pas M. Corbet.

M. le Rapporteur : Quand vous arrivez, on est en septembre 2001. Avez-vous hésité à accepter ce poste ou avez-vous dit oui tout de suite ?

M. Pascal PERRI : Tout de suite.

M. le Rapporteur : Quand vous êtes arrivé, vous vous étiez un peu renseigné sur la viabilité de l’entreprise, sur l’importance des risques ?

M. Pascal PERRI : Oui, bien sûr.

M. le Rapporteur : Vous aviez conscience qu’il y avait des risques importants ?

M. Pascal PERRI : Qu’il y avait des risques importants ? Bien sûr ! Je me rappelle de la lecture des gazettes à l’époque. Il fallait être sourd et aveugle pour ne pas savoir que le retournement de la future Air Lib, ex-AOM - Air Liberté serait une entreprise difficile. Sur un marché difficile dans un contexte international qui était moyen, on ignorait tout de ce qui allait se passer en septembre.

M. le Rapporteur : Quand êtes-vous arrivé ?

M. Pascal PERRI : Le 1er septembre.

M. le Rapporteur : Les contacts ont été très rapides ?

M. Pascal PERRI : Assez rapides. C’est vrai.

M. le Rapporteur : Vous nous avez dit que vous aviez trois fonctions : directeur de la communication, responsable des opérations vers l’Algérie et responsable des relations avec les élus des DOM. Cela fait un mélange. Vous étiez davantage qu’un directeur de la communication.

M. Pascal PERRI : On pourrait dire que j’étais directeur de la communication et des relations extérieures.

M. le Rapporteur : Sur l’Algérie, aviez-vous une mission spéciale concrètement ?

M. Pascal PERRI : Non, ma mission était de m’assurer que l’ensemble des formalités administratives sur place, liées à l’ouverture de la ligne, étaient correctement accomplies. C’était aussi de nouer des relations avec les responsables politiques du transport algérien, des contacts réguliers et fructueux d’ailleurs avec l’ambassadeur de France et ses services sur place, de m’assurer que nous pourrions ouvrir la ligne comme nous l’avions prévu, c’est-à-dire en nous faisant représenter dans une agence du centre-ville d’Alger et en m’assurant que les travaux de mise en oeuvre de cette agence étaient correctement effectués.

Mon rôle était encore de veiller à ce que la résonance médiatique soit favorable et que l’arrivée d’Air Lib soit connue du public algérien, qui souffrait à l’époque d’une assez lourde sous capacité sur la ligne entre Alger et Paris et sur la ligne entre Oran et Paris.

J’assurais donc ce travail d’environnement.

M. le Rapporteur : C’était très différent des fonctions de directeur de la communication !

M. Pascal PERRI : Non, s’adresser aux journalistes, faire en sorte que la compagnie soit connue, que ses tarifs soient connus, que ses projets sur place soient connus, c’est dans les attributions d’un directeur de la communication un peu moderne, peut-être aux fonctions un peu étendues. Il me semble que c’était dans le périmètre de mes fonctions.

De la même façon, aller outre-mer pour faire valoir l’alternative Air Lib, m’assurer que le public des Antilles et de la Réunion soit pleinement informé de notre politique tarifaire, de nos projets de développement, veiller à entretenir des relations normales avec les présidents de région ou de conseil général était - me semble-t-il - dans les compétences d’un directeur de la communication et des relations extérieures, si cela peut avoir une relation avec le sujet qui nous intéresse.

M. le Rapporteur : Il semble qu’à un moment, il y ait eu des négociations pour essayer de faire monter les DOM - TOM au capital d’Air Lib. Plusieurs schémas ont été envisagés.

M. Pascal PERRI : C’est exact.

M. le Rapporteur : On a trouvé dans un certain nombre de documents, y compris ceux de Matignon, cette idée qu’il fallait faire monter au capital des collectivités territoriales des DOM ou des TOM. 

Vous occupiez-vous de ce genre d’affaires ?

M. Pascal PERRI : J’étais en contact avec Paul Vergès, Jean-Luc Poudroux à la Réunion, avec Mme Michaud-Chevry en Guadeloupe. Je les rencontrais assez régulièrement dans leur région ou à Paris. Nous discutions de questions liées de façon générale à la desserte, à la mobilité. Le président Vergès, Mme Michaud-Chevry, M. Poudroux et d’autres étaient sensibles au fait qu’une entreprise comme la nôtre cherche à se développer, à devenir la compagnie d’outre-mer, tant il est vrai que ce métier, la desserte de l’outre-mer, est un métier dans le métier avec des particularités sur lesquelles on pourra revenir si vous le souhaitez. Par conséquent, nous discutions de la montée des régions au capital. C’était très symbolique, 10 à 15 millions de francs pour chaque région, c’est-à-dire plus un signe politique qu’une décision véritablement économique. On ne leur demandait pas d’assumer quelque responsabilité de gestion que ce soit. Je crois me rappeler que les élus des Antilles gardent un douloureux souvenir de l’affaire Air Martinique qui leur avait coûté très cher et pour laquelle ils étaient sortis de leurs compétences véritables. Il ne s’agissait pas de leur demander de venir gérer l’entreprise avec nous, mais simplement d’adresser un signe aux consommateurs des départements d’outre-mer pour leur dire que ces régions, leurs élus soutenaient la politique menée par Air Lib aux Antilles et à la Réunion.

M. le Rapporteur : Pourquoi aucun de ces contacts n’a-t-il débouché ?

M. Pascal PERRI : Nous avons eu des lettres d’engagement de principe assez précises. Puis, il est vrai qu’il y a eu une volte-face.

J’ai rencontré Mme Michaud-Chevry le 13 juillet 2002 au soir à la réception du ministère de l’outre-mer. Elle m’a expliqué qu’on lui avait fait savoir que le soutien à Air Lib n’était peut-être plus autant d’actualité qu’il ne l’avait été avant la réélection du Président de la République.

S’agissant de l’outre-mer, je ne peux pas faire l’impasse sur les relations que nous entretenions avec Mme Girardin, à l’époque où elle était conseillée du Président de la République pour l’outre-mer avant de devenir ministre. J’ai lu et entendu beaucoup de choses sur le sujet. J’ai entendu dire des choses un peu caricaturales, que grosso modo, l’ancien gouvernement avait soutenu de façon extrêmement forte le dossier Air Lib en allant parfois au-delà de ce qui était raisonnable. Je dois vous dire que sans Mme Girardin et sans le Président de la République, Air Lib n’aurait sans doute pas survécu à l’hiver 2001. Je me rappelle avoir rencontré Mme Girardin à plusieurs reprises à l’Elysée. Je me rappelle de ses déclarations que j’ai pris le soin de noter. Nous avions quelques difficultés à l’époque avec Air France, dans le cadre de la mise en oeuvre d’un programme de code share. Mme Girardin m’avait déclaré le 12 octobre qu’Air France semblait poser moins de problèmes depuis que le Président de la République s’était engagé. Le 19 du même mois, elle avait dit que le Président de la République souhaitait trouver une solution globale et demandait à M. Christnacht, le conseiller du Premier ministre à l’époque, d’organiser les choses au niveau interministériel.

Puis, il y a eu un conseil des ministres le 5 décembre au cours duquel le Président de la République s’est adressé au Premier ministre dans le petit entretien qu’ils avaient avant le conseil. Je le sais parce que M. Jospin me l’a dit et que Mme Girardin me l’a confirmé. Le président s’était adressé à Lionel Jospin en lui disant qu’il souhaitait que le problème d’Air Lib soit réglé, que la question de la desserte aérienne vers l’outre-mer lui tenait absolument à coeur. Le Président de la République, au cours du conseil qui a suivi, a repris le même discours pour demander que tout soit mis en oeuvre pour sauver la compagnie.

C’est vrai que l’ancien gouvernement s’est mobilisé en faveur d’Air Lib. Ce n’est un secret pour personne. Mais je dirais que cela a été le cas de tout le monde, y compris du premier responsable de l’Etat, le Président de la République.

Nos relations avec Mme Girardin -j’en reviens au point qui concernait mon intervention sur l’outre-mer- ont toujours été d’excellente qualité. Nous avions des contacts relativement réguliers.

Il y avait un peu partout un intérêt à ce qu’Air Lib devienne effectivement la compagnie d’outre-mer, non pas contre Air France, mais au côté d’Air France. Chacun faisait l’analyse que Air France privatisée aurait probablement d’autres ambitions que de desservir l’outre-mer. Chacun sait qu’une entreprise privée n’a plus les mêmes contraintes en matière d’aménagement du territoire ou en matière de service public. Chacun se disait donc qu’il fallait un pôle aérien solide et le nom d’Air Lib revenait très souvent. Les relations avec les élus d’outre-mer ont été des relations constantes. On peut regretter qu’elles n’aient pas abouti à la mise en oeuvre des accords de principe qui avaient été trouvés.

M. le Président : Quel était le résultat d’exploitation des lignes d’outre-mer à l’époque ?

M. Pascal PERRI : Il était moyen. Nous avions un résultat d’exploitation honorable sur la Réunion et qui l’était beaucoup moins sur les Antilles.

Il y avait deux raisons : le code share signé avec Air France profitait d’abord à Air France. C’est la règle d’un code share. Le partage de code, c’est un accord par lequel chacun s’engage à vendre l’autre, à charge pour le passager de choisir sa compagnie s’il le peut. Mais la règle commerciale bien comprise est que l’on cherche d’abord à remplir ses avions avant de remplir ceux du partenaire.

En ce sens, Air France est une machine de guerre commerciale dont les moyens sont très supérieurs à ceux d’Air Lib. Donc, le code share a beaucoup plus profité à Air France qu’il n’a profité à Air Lib.

La deuxième raison est que le trafic vers l’outre-mer est un vrai métier dans le métier. C’est du long-courrier avec des exigences particulières en matière de fréquence et de capacité. C’est un trafic qui se caractérise par un prix moyen coupon très faible. Sur Paris - Fort de France, il est de l’ordre de 3 000 francs. Sur Paris - New York, soit la même distance, il est au moins du double. De plus, on subit une très grande saisonnalité de la demande, des périodes de très forte affluence, puis des périodes de sous affluence. Troisième et dernier élément essentiel : l’absence de clientèle à haute contribution. Il y a à la Réunion - c’est l’une des raisons de nos performances correctes à la Réunion - une clientèle affaire qui n’existe pas pour les Antilles. Il n’y a pas pour les Antilles de classe affaire, de clientèle à haute contribution qui vienne rééquilibrer le compte d’exploitation. Lorsque l’on procède à une comptabilité analytique ligne par ligne, les éléments de fréquentation le montrent très clairement.

M. le Rapporteur : La commission voudrait aussi vous poser des questions concernant le rôle exact qu’a joué M. Christian Paris. Nous avons eu ici une série de déclarations de gens disant qu’il avait eu un rôle d’influence, qu’il avait un bureau à côté de celui du président.

Pourriez-vous nous dire comment vous l’avez vécu, vu de votre côté ?

M. Pascal PERRI : D’abord, j’avais un bureau en face de celui du président. Je peux vous assurer que M. Paris n’avait pas de bureau entre le mien et celui du président. A ma connaissance, il n’a jamais eu de bureau dans cette entreprise.

Les relations entre Christian Paris, Jean-Charles Corbet et François Bachelet étaient des relations de personnes qui ont travaillé longtemps dans la même entreprise. M. Paris, si j’ai bonne mémoire, est un ancien de l’ENAC où il a fait ses études avec Jean-Charles Corbet. Je crois qu’ils ont des souvenirs sportifs communs. Quand on a vingt ans, ...

M. le Rapporteur : C’était le rugby.

M. Pascal PERRI : ... cela forge des relations personnelles solides. Ils avaient des relations amicales. M. Paris n’a pas exercé d’influence particulière à mon sens sur Jean-Charles Corbet, pas plus qu’il n’en a eu sur les choix de l’entreprise. M. Paris était là de temps à autres dans le cadre de relations strictement personnelles.

Il a pu donner un coup de main au début de l’entreprise - je l’ai croisé un peu plus souvent qu’après - parce qu’il lui arrivait de donner quelques conseils à François Bachelet en termes de communication. M. Bachelet n’était pas un très grand communicateur, en tout cas, ce n’était pas sa culture, même s’il l’a fait très bien par la suite. Il souhaitait donc avoir l’avis de quelqu’un dont c’était un peu la sensibilité. L’influence de M. Paris s’est limitée à ces conseils. Je vous le dis pour l’avoir vécu de l’intérieur.

M. le Rapporteur : M. Paris nous a déclaré ici qu’il assurait bénévolement un rôle d’aide, notamment en matière de communication.

M. Pascal PERRI : C’est exact.

M. le Rapporteur : Comme vous étiez directeur de la communication, cela ne passait peut-être pas par vous, c’étaient peut-être des contacts directs avec le président du directoire ou du conseil de surveillance. Vous le voyiez assez peu quant à vous ?

M. Pascal PERRI : Ses conseils ont probablement été plus importants au tout début. Puis sa présence quantitative a décru au fil du temps. Mais il nous arrivait de parler de communication, comme il m’arrivait d’en parler avec mes collègues d’Air France ou d’autres entreprises que j’étais amené à rencontrer. Ce n’est pas ce qui fait l’influence sur la vie d’une entreprise et ce n’est pas non plus ce qui fait l’influence sur ses choix stratégiques.

Pour répondre à votre question, monsieur le rapporteur, nous avions des conversations civiles et urbaines sur la façon de communiquer des uns et des autres, sur les moyens à mettre en oeuvre pour que les messages soient mieux compris. Mais cela s’arrêtait là.

M. le Rapporteur : L’avez-vous vu participer à des négociations avec les syndicats ?

M. Pascal PERRI : Jamais, à titre personnel.

M. le Rapporteur : Vous êtes resté une vingtaine de mois ? Etes-vous resté dans la société ?

M. Pascal PERRI : Je suis salarié d’Holco.

M. le Rapporteur : Vous l’êtes toujours. Que faites-vous actuellement ?

M. Pascal PERRI : Aujourd’hui, je m’efforce de sauver ce qui peut l’être. Il reste dans le périmètre d’Holco deux ou trois entreprises qui ont une vie après la disparition d’Air Lib. Il y a celle pour lesquelles la disparition d’Air Lib a eu un effet mécanique immédiat comme les filiales de maintenance, de restauration. D’autres avaient un compte clients plus diversifié. Logitair, dont je suis le président, est installée à Nîmes. Elle emploie une centaine de salariés, elle est spécialisée dans la gestion des recettes commerciales. Cette entreprise est également le fournisseur d’autres compagnies aériennes, Air Littoral, Air Gabon, Corsair, d’autres compagnies africaines, des petites compagnies françaises. Je travaille aujourd’hui à diversifier ses produits et son compte clients.

Cette entreprise est spécialiste de la reconnaissance informatique. Quand on émet un ticket, cela entraîne une recette, mais il faut savoir qui a émis le billet, dans quelles conditions, en faveur de qui et recouper l’ensemble des informations. Vous avez sans doute reçu les uns et les autres dans vos boîtes aux lettres des publicités de la grande distribution avec des bons gratuits. Lorsque ces bons sont tirés en faveur du consommateur, il faut un payeur, une reconnaissance informatique. Je m’efforce de redéployer cette entreprise sur ce secteur.

M. le Rapporteur : Vous avez vécu près de deux ans avec M. Corbet. Quelle appréciation portez-vous sur ses qualités de manager ?

M. Pascal PERRI : Je porte une appréciation qui est aussi le résultat de ma propre expérience. Qu’est-ce qu’un bon manager, un bon chef d’entreprise ? C’est quelqu’un qui se pose des questions simples : quel est mon marché, quelle est la place de mon entreprise sur ce marché ?

Jean-Charles Corbet, à la différence de beaucoup d’autres qui, pourtant, étaient capés des meilleures écoles de commerce de France et d’Europe, a fait mieux que tous ces responsables qui se sont entêtés pendant des années à vouloir copier le modèle dominant. Jean-Charles Corbet, à ma connaissance, est le premier, et le seul, qui ait compris que la vocation d’Air Lib dans le ciel français était d’incarner autre chose qu’une copie du modèle dominant, qu’une copie d’Air France.

Si ce n’étaient les difficultés que nous avons rencontrées, je suis certain que nous aurions gagné. Je suis certain d’ailleurs que le marché le montrera finalement et qu’il y a en France comme en Europe une place pour des entreprises qui proposeront un produit comparable à celui que nous avions lancé.

Pour répondre à votre question, je dirai qu’un chef d’entreprise, c’est 50 % de bons sens, 30 % de négociation et 20 % de connaissances techniques. Pour les connaissances techniques, ce n’est pas très compliqué. Je suis juriste moi-même, j’ai vécu dans des entreprises. Faire fonctionner un compte d’exploitation, des hauts et des bas de bilan, la croissance externe, interne etc., tout cela n’est pas compliqué.

M. le Président : Puisque vous jonglez avec tout cela, à partir de quand estimez-vous qu’Air Lib était en cessation de paiement ?

M. Pascal PERRI : Air Lib n’a jamais été en cessation de paiement au sens où on peut l’entendre. La situation n’a jamais été irrémédiablement compromise, puisque c’est le terme qui convient en substance. Les crises de trésorerie jalonnent la vie des entreprises.

M. le Président : On nous a dit ici que les taxes d’aéroport n’étaient pas payées, que les charges sociales n’étaient pas payées. Bref, qu’un ensemble de choses qu’une entreprise normalement constituée paye, n’étaient plus payées. A partir de quand ce n’était plus payé ?

M. Pascal PERRI : Si mes souvenirs sont bons, Air Lib a cessé de payer une partie de ses charges au mois d’avril 2002, a repris ses paiements quelques mois plus tard et les a de nouveau interrompus. Tout ceci était lié à la mise en place d’un GIE fiscal et participait d’un ensemble. Je ne suis pas capable de rentrer plus dans le détail.

M. le Rapporteur : Pour votre information, les charges sociales patronales n’ont plus été payées à partir d’octobre 2001, et la reprise dont vous faites état n’a duré qu’un mois, de mémoire, au mois d’août. A partir de septembre, de nouveau, on n’a plus payé. Et là, il ne s’agissait plus seulement des charges patronales, mais aussi de l’URSSAF...

M. Pascal PERRI : La faute à qui, monsieur le Rapporteur ? La défaillance de Swissair me semble en être le responsable direct.

M. le Président : Je voudrais simplement savoir à partir de quand vous estimez - quelles que soient les causes qui peuvent être très nombreuses - que l’entreprise était en cessation de paiement.

M. Pascal PERRI : Mon souvenir était que l’entreprise avait cessé un certain nombre de paiements à partir du mois d’avril. Si ce n’est pas le cas, je le note.

M. le Rapporteur : Revenons aux qualités de manager de M. Corbet dont vous avez dit que sa première qualité - mais est-ce une qualité ? - est qu’il a refusé le modèle dominant.

M. Pascal PERRI : Non. Vous avez sensiblement traduit mon propos.

Mon propos était de dire que pour rentrer sur un marché comme celui du transport aérien et venir concurrencer le modèle dominant avec des produits identiques, il faut une mise de fonds immense. C’est ce que l’on appelle l’effet de taille. Air Lib n’avait pas l’effet de taille pour lutter contre Air France et ne pouvait imposer dans le ciel français qu’un contre modèle. Ce contre modèle n’était pas un modèle contraire, mais un modèle différent.

A mon sens, le lancement d’Air Lib Express était une bonne décision de chef d’entreprise car, au côté d’Air France, il y a de la place pour un produit différent, complémentaire et simplifié. Le succès d’autres compagnies qui proposent des produits de cette nature le démontre.

C’est ce que M. Corbet avait logiquement conclu des expériences qui ont précédé Air Lib.

M. le Rapporteur : On a dit qu’Air Lib Express n’était pas un low cost, mais que c’était un low fare avec plutôt des hight costs.

M. Pascal PERRI : Pas tout à fait. Des middle costs qui tendaient à devenir des low costs.

M. le Rapporteur : Oui, mais qui ne le sont jamais devenus.

M. Pascal PERRI : Bien sûr, on avait besoin de temps pour cela. On ne peut pas reprocher à un mort d’avoir été malade. C’est vrai qu’aujourd’hui, il est très facile de dire que ... l’on ne l’a pas fait. On ne l’a pas fait parce qu’Air Lib Express a été lancé le 31 mars 2002. Cela représente quelques mois d’exploitation, de grands succès commerciaux à l’été, un automne qui a été relativement difficile en termes de communication.

Sept dates butoirs en quatre mois, des déclarations successives de la tutelle, déclarations agressives qui montrent une volonté de se passer de cette entreprise, sous cette forme en tout cas, tout cela n’incite pas les gens à monter dans les avions.

Mais les avions étaient pleins.

M. le Rapporteur : Quelles étaient d’après vous les autres qualités de manager de M. Corbet ou ses non qualités de manager ?

M. Pascal PERRI : Ses qualités de manager étaient à mon sens - je vais me répéter - d’avoir compris qu’elle était la place de son entreprise sur son marché. Il a probablement rencontré des difficultés à le faire comprendre à un certain nombre d’interlocuteurs à l’intérieur de l’entreprise, notamment certains interlocuteurs syndicaux, mais l’actualité est là pour vous montrer que dans ce pays, dans certaines circonstances, on a les deux pieds sur le frein et que l’on n’a pas très envie de changer sa façon d’être, sa façon de faire et son statut.

Pourtant, pour devenir une entreprise compétitive au côté d’Air France, il fallait être capable de travailler différemment. Mais de là à dire, comme certains l’ont dit, que c’était la casse des statuts, que l’on mettait en cause les conditions de sécurité en vol, il y a un pas que je ne franchis pas.

On demandait simplement à un certain nombre de navigants de voler un peu plus, de voler 750 ou 800 heures par an contre 650 à 700, sans toucher à leur rémunération. On demandait aux hôtesses et aux stewarts, aux personnels navigants commerciaux, une approche un peu différente de leur métier.

Peut-être aurions-nous dû aller plus vite et plus loin. Nécessairement, la direction d’Air Lib a commis des erreurs. Je ne cherche pas à vous dire le contraire, même si je crois que la grande part des raisons de cet échec est externe et qu’il y a eu un véritable acharnement.

Au fond, pour me résumer, je crois que cela aurait fait tache dans le paysage qu’un ancien commandant de bord syndicaliste à Air France fasse mieux que le patron des patrons !

Cela vous fait peut-être rire, monsieur le président, mais je l’ai ressenti comme cela.

M. le Président : Cela ne me fait pas rire du tout. Vous dites que vous avez l’expérience des sociétés en difficulté.

M. Pascal PERRI : Une petite expérience.

M. le Président : Vous avez dit que vous aviez une expérience de la gestion dans des affaires. Vous l’avez dit tout à l’heure.

Vous dites qu’au 1er avril, vous êtes en cessation de paiement et que vous ne pouvez plus payer. Je vous demande d’où allaient venir les concours financiers permettant de mettre en oeuvre les plans.

M. Pascal PERRI : D’un GIE fiscal.

M. le Président : Le GIE fiscal n’apporte pas des fonds à l’entreprise.

M. Pascal PERRI : Bien sûr que si !

M. le Président : Le GIE fiscal, c’était pour remplacer un certain nombre d’avions.

M. Pascal PERRI : Non, le GIE fiscal est un double produit. C’est un produit opérationnel et fiscal, comme son nom l’indique.

M. le Président : A partir de quoi un GIE fiscal devait-il se monter ?

M. Pascal PERRI : A partir de deux avions qui avaient été prépayés par les anciens actionnaires à hauteur de 27 millions de dollars chacun. La moindre des choses aurait été que ces 54 millions de dollars profitent à cette entreprise qui payait les pots cassés et qui venait nettoyer les écuries de ses prédécesseurs. Soyons concrets !

M. le Président : Vous dites qu’Air Lib devait être sauvée par le concours financier qu’aurait dû apporter un GIE fiscal. C’est ce que vous avez dit. Ce GIE fiscal se faisait autour de deux avions. Combien aurait-il dû rapporter à l’entreprise ?

M. Pascal PERRI : Un peu plus de 50 millions d’euros.

M. le Président : Quels étaient les résultats d’exploitation ?

M. Pascal PERRI : Vous faites le compte : les 60 millions d’euros que les Suisses et leurs associés n’ont pas payé plus les 50 millions d’euros, on n’est pas très loin des 120 millions d’euros d’engagements externes de l’entreprise.

M. le Rapporteur : A votre avis, pourquoi n’a-t-on jamais trouvé d’investisseur, que ce soit dans le premier ou dans le second GIE fiscal ? Vous nous parlez du premier GIE sur les deux A300.

M. Pascal PERRI : A ma connaissance, il y avait des investisseurs.

M. le Rapporteur : Pourquoi ne sont-ils pas venus ?

M. Pascal PERRI : Parce que les avions ont disparu, si j’ai bien suivi le feuilleton.

M. le Rapporteur : Pourquoi ont-ils disparu ?

M. Pascal PERRI : Parce que M. Flosse les a repris pour Air Tahiti Nui.

M. le Rapporteur : Oui, mais il n’en était pas le propriétaire. Le propriétaire était Airbus.

M. Pascal PERRI : Bien sûr, mais Airbus a choisi de les vendre à M. Flosse. On ne va pas se cacher derrière notre petit doigt : M. Flosse que j’ai eu l’occasion de rencontrer à de nombreuses reprises ne se cache pas d’avoir des relations personnelles et chaleureuses - dit-il d’ailleurs - avec le Président de la République. Tout est possible.

M. le Rapporteur : Vous pensez que c’est le Président de la République qui vend les avions de la France en passant des coups de téléphone ?

M. Pascal PERRI : Je sais que c’est le Premier ministre qui va les vendre en Inde !

M. le Rapporteur : Vous ne pensez pas que quand le Premier ministre, quel qu’il soit, va signer, tout cela est bouclé ?

M. Pascal PERRI : Je n’en suis pas certain. Je pense que leur intervention en amont n’est jamais négligeable. Je pense que le commerce international est tout sauf un fleuve tranquille.

M. le Rapporteur : Nous avons auditionné les propriétaires des avions pour leur demander leur version des faits.

M. Pascal PERRI : Ils vous l’ont donnée et je vous donne la mienne.

M. le Rapporteur : Pourriez-vous nous dire comment vous étiez rémunéré quand vous êtes arrivé à la compagnie ?

M. Pascal PERRI : J’ai été rémunéré ... vous voulez que je vous donne mes salaires ?

M. le Rapporteur : Tout à fait.

M. Pascal PERRI : Pendant les premiers mois, j’ai reçu une rémunération de l’ordre de 50 000 francs par mois ; quelques mois plus tard - je ne peux pas vous dire quand précisément - mon salaire a augmenté pour arriver au niveau actuel de l’ordre de 50 000 francs net.

M. le Rapporteur : Vous êtes passé du brut à du net.

M. Pascal PERRI : Oui. Considérant que les journées étaient longues, que l’engagement était important et qu’il comportait des incidences sur la vie personnelle.

M. le Rapporteur : Pour un directeur de la communication d’une société comme Air Lib, est-ce dans le marché ?

M. Pascal PERRI : C’est dans la fourchette basse du marché.

M. Pascal PERRI : Il semblerait que vous ayez touché une prime de 50 648 euros en 2002, en plus de cette rémunération. Pouvez-vous expliquer à la commission quel en était le fondement ?

M. Pascal PERRI : Un travail, un engagement personnel en temps, en énergie. C’était le fait, précisément de compenser un salaire plutôt moyen et moyen bas, pour une fonction comme celle-ci.

Si vous me reposiez la question, je vous répondrais que j’ai déclaré à l’administration fiscale environ 140 000 euros l’an dernier, ce qui doit correspondre à un peu moins d’un million de francs, c’est-à-dire de l’ordre de 70 à 80 000 francs par mois, ce qui, salaire plus prime, fait à peu près la même somme.

M. le Rapporteur : Là, vous pensez que l’on est toujours dans la fourchette basse.

M. Pascal PERRI : Non, on est là dans une fourchette raisonnable et correcte. J’ai eu depuis des propositions de travail à des postes similaires pour des montants légèrement supérieurs.

M. le Rapporteur : Avez-vous été au courant des discussions sur la rémunération de la CIBC ? Cela vous dit-il quelque chose ?

M. Pascal PERRI : Oui, cela me dit quelque chose parce qu’il faudrait vraiment se boucher les oreilles pour ne pas en entendre parler.

Bien sûr, j’ai entendu parler de ce sujet. J’ai moi-même été interrogé par des journalistes à de nombreuses reprises. Je n’ai pas négocié ces honoraires de la CIBC. Je connais, en revanche, un tout petit peu le monde des affaires. J’ai quelques amis qui y gravitent. Pas très loin de chez vous, monsieur le Rapporteur, dans la Marne, les entreprises de champagne sont de taille mondiale pour les trois ou quatre plus grandes, et mènent des opérations de croissance externe avec des banques d’affaires et des cabinets spécialisés. Je connais grosso modo le prix de ces prestations. Je dirais que celui de la CIBC - si c’est bien ce que je crois deviner dans votre question -ne me paraît pas scandaleux, même si je considère à titre personnel que c’est beaucoup d’argent.

M. le Rapporteur : Avez-vous été amené à vous occuper de cette affaire dans vos fonctions ou pas du tout ?

M. Pascal PERRI : Non, j’ai été amené à en parler. Nous sommes là dans un domaine qui est aussi un domaine d’affichage médiatique. Le salaire moyen en France est de 1200 euros, soit 8 500 à 9 000 francs. Aller leur dire qu’une entreprise en difficulté - on n’est pas responsable de ces maladies, on les assume - a payé de l’ordre de 50 millions de francs d’honoraires à une banque d’affaire, a un impact. Cela paraît énorme bien sûr. Mais que dire par exemple du cas de la Banque Lazard qui, en ce moment, est en train de négocier avec l’autorité monétaire internationale le rééchelonnement de la dette de l’Argentine et qui prendra 3 ou 4 % sur ce qu’elle va négocier. On est là sur des volumes immenses. Tout cela a un effet de résonance médiatique.

M. le Rapporteur : Avez-vous lu le contrat signé le 11 juillet 2001 ?

M. Pascal PERRI : Non. Je ne l’ai pas lu.

M. le Rapporteur : Mais vous l’avez défendu devant la presse !?

M. Pascal PERRI : J’ai défendu le principe que payer des honoraires à une banque d’affaires était d’un usage courant dans les affaires.

M. le Rapporteur : Mais vous avez regardé les quatre composantes des honoraires tels que prévus au contrat ?

M. Pascal PERRI : Je ne les connais pas de mémoire, mais je l’ai vraisemblablement lu. Je ne dirais pas le contraire.

M. le Rapporteur : Etes-vous au courant de l’affaire concernant le paiement d’un cabinet situé, semble-t-il, en Suisse par la filiale Mermoz à la hauteur de 9,14 millions d’euros ?

M. Pascal PERRI : Non.

M. le Rapporteur : Vous n’en avez jamais entendu parler ?

M. Pascal PERRI : J’en ai entendu parler, mais je n’ai fait qu’en entendre parler. Je ne sais pas précisément de quoi il s’agit.

M. le Rapporteur : Avez-vous entendu parlé du contrat avec Aurel-Leven ?

M. Pascal PERRI : Oui, j’en ai entendu parler, et si j’ai bonne mémoire, il s’agissait de mobiliser des fonds au moment de la reprise. Je sais que ces fonds n’ont pas été utilisés. Je crois me rappeler que dans le contexte, cela aurait été une faute de gestion de les mobiliser car il y avait d’autres solutions disponibles au moment où ils allaient être mobilisés.

M. le Rapporteur : Vous voulez parler des fonds d’Etat ?

M. Pascal PERRI : Non, je voulais parler du premier versement de Swissair.

M. le Rapporteur : Ce n’est pas tout à fait à ce moment-là. Si vous avez lu le contrat Aurel Leven, vous savez que le non tirage des fonds au-delà du 1er septembre 2001 entraînait l’annulation du contrat. Il a donc servi pour la présentation devant le tribunal de commerce. Après, il y a eu un contentieux sur le paiement de plus de 3 millions d’euros qui étaient prévus au contrat pour indemniser l’entreprise Aurel-Leven et les personnes qu’ils avaient réunies en cas de non utilisation des 80 millions de francs. Je ferme la parenthèse.

M. Pascal PERRI : Oui. Je ne vois pas en quoi c’est contradictoire avec ce que je viens de vous indiquer. J’ai entendu dire que cet argent aurait pu être mobilisé au tout début de la vie de la nouvelle entreprise. Cela n’a pas été le cas car il y a eu un premier versement de Swissair. Je ne vois pas le rapport avec l’argent de l’Etat.

M. le Rapporteur : Cela n’a rien à voir puisqu’à partir du 1er septembre, il ne pouvait plus être tiré.

M. Pascal PERRI : Cela n’a effectivement rien à voir ! Nous sommes d’accord.

M. le Rapporteur : Pour ce qui me concerne, monsieur le Président, j’en ai terminé.

Mme Odile Saugues : Monsieur Perri, vous nous avez dit quels étaient vos contacts avec Mme Girardin au moment où elle était conseillère du Président Chirac. Puisque l’outre-mer était l’un des intérêts principaux d’Air Lib, avez-vous eu connaissance du projet Dexair. C’est une question que j’ai posée à d’autres personnes auditionnées.

Que souhaitez-vous nous en dire ?

M. Pascal PERRI : J’ai eu connaissance du projet Dexair qui a été révélé par la presse en plein été, au moment de la forte saison à la Réunion, dans un journal qui s’est spécialisé dans les annonces spectaculaires.

C’est la une du journal de l’île de la Réunion, notablement connu sur place. Nous sommes le 8 août 2002, et ce journal, comme vous le voyez en une, annonce la mort d’Air Lib. Difficile, là encore, de remplir des avions. Ce journal écrit : " Air Lib devrait être rayée du ciel dès le mois prochain, remplacée par Dexair Airlines. Les promoteurs de ce projet ont reçu des soutiens au plus haut niveau de l’Etat ".

Vous lisez plus loin que précisément, les promoteurs de ce projet conservent le mystère, mais qu’ils savent frapper aux bonnes portes. Outre Brigitte Girardin, ils ont rencontré les conseillers de l’Elysée. Mme Girardin était à l’époque ministre, et non plus conseillère à l’Elysée. Ils ont rencontré les conseillers à l’Elysée. J’imagine qu’il s’agit de M. Château, M. Dupré-Latour, M. Dominique Bussereau, secrétaire d’Etat aux transports, celui-là même qui avait expédié en 25 minutes Jean-Charles Corbet, PDG d’Air Lib.

Ce projet est porté par un dénommé B., poursuivi par la justice, mis en examen dans le cas de la faillite de l’entreprise Bel Air, entreprise de charter. Il est poursuivi pour détournement d’actif, pour abus de biens sociaux. On nous dit dans la presse qu’il a les portes ouvertes dans les plus grands palais de la République, ce que je me refuse à croire personnellement.

M. le Président : En effet, ce n’est pas ce que l’on nous a dit.

M. Pascal PERRI : Je me refuse à le croire. Je sais que ce monsieur est mis en examen. Ce que je peux dire en revanche, c’est que sa compagnie Dexair n’a jamais vu le jour à ma connaissance.

M. le Président : Jamais.

M. Pascal PERRI : Mais ce type de manipulation de l’information a eu évidemment un effet sur les performances économiques et commerciales de l’entreprise Air Lib. Nous avons vécu un feuilleton à rebondissements.

J’imagine que la fin rêvée par le scénariste serait de voir un jour Jean-Charles Corbet entre deux gendarmes à la sortie de son domicile ou d’un tribunal. On s’en approche d’ailleurs, quand on voit comment les choses se précisent, les perquisitions fiscales au domicile des uns et des autres. Il y a un véritable acharnement.

Moi, je me dis que les causes de la défaillance de cette entreprise sont clairement identifiées et identifiables. Je ne dis pas que nous n’avons pas commis des erreurs de management - c’est le terme que vous avez employé, monsieur le rapporteur -, mais ouvrons les yeux : défaillance de Swissair, impunité des prédécesseurs, campagne médiatique !

Je veux bien laisser à votre commission ces deux documents sur six mois de communications négatives qui ont coûté 50 millions d’euros à l’entreprise.

Mme Odile Saugues : Qui pouvait avoir intérêt à mettre en avant ce montage de Dexair qui a nui, d’après vos déclarations, à ce qu’Air Lib mettait sur pied ?

M. Pascal PERRI : A qui profite le crime ?

Mme Odile Saugues : En quelque sorte.

M. Pascal PERRI : Le crime ne nous a pas profité. On a disparu. Aujourd’hui, c’est une partie de billard à quatre bandes.

Quel était l’objet ? L’objet était de faire disparaître Air Lib du paysage. Pourquoi cela ? J’ai eu l’occasion de discuter à plusieurs reprises avec ma collègue française d’EasyJet. J’ai même participé à un débat sur France Inter avec elle. On a pu se dire un certain nombre de choses. L’enjeu était de vendre à EasyJet 120 Airbus. Cette jeune femme ne se cachait pas des projets de son entreprise.

Les avions, les 120 Airbus contre les créneaux d’Air Lib. C’est un plan qui supposait la disparition d’Air Lib. On est quand même dans une situation de paradoxe.

M. le Président : EasyJet a-t-il reçu les créneaux d’Air Lib ?

M. Pascal PERRI : EasyJet ne les a pas encore eus, mais j’y viens. Une partie en tout cas !

Aujourd’hui, on est quand même dans une situation un peu cocasse. L’Etat, qui est l’autorité de tutelle, va privatiser Air France qui était notre principal concurrent, l’entreprise dominante du marché.

L’Etat, principal actionnaire du principal concurrent, est aussi votre juge. C’est lui qui vous coupe la licence et vous fait disparaître.

Aujourd’hui, très clairement, à qui profite notre disparition ?

M. le Président : Je voudrais que l’on soit précis. Vous dites que vous êtes juriste.

M. Pascal PERRI : Cela n’a rien à voir avec le droit !

M. le Président : Vous n’ignorez pas que pour maintenir une licence, il faut une certaine respectabilité financière. J’emploie le mot respectabilité à bon escient.

M. Pascal PERRI : Pourquoi maintenir la licence d’Air Littoral dans ces conditions ?

M. le Président : Moi, je vous parle de ....

M. Pascal PERRI : ... qui est dans une situation beaucoup plus compliquée que la nôtre.

M. le Président : Je vous parle d’Air Lib, je ne connais pas les comptes d’Air Littoral. Je vous dis simplement....

M. Pascal PERRI : Air Littoral ne paie plus ses charges depuis très longtemps.

M. le Président : C’est possible. Je n’ai aucune idée de ce que fait Air Littoral.

M. Pascal PERRI : Peut-être siégerez-vous dans une commission....

M. le Président : Nous sommes là pour essayer d’être précis et pour essayer de comprendre.

M. Pascal PERRI : Moi aussi.

M. le Président : On peut faire des romans tout le temps.

J’observe que vous aurez gardé la licence très longtemps, malgré une situation d’insolvabilité. On peut même se poser la question de savoir s’il n’y avait pas une certaine imprudence de l’Etat à avoir maintenu aussi longtemps cette licence.

M. Pascal PERRI : L’imprudence de l’Etat provient surtout de l’absence de notification à Bruxelles des prêts que nous avons reçus. Voilà de l’imprudence politique.

Il s’agissait de sauver la deuxième entreprise française de transports aériens en sachant que le gap n’était pas si important que cela. Remettons tout cela en perspective. Je laisse de côté le dossier EasyJet qui n’est pas au coeur de vos préoccupations. Qu’est-ce que représentent 120 millions d’euros d’engagement externe dans des circonstances tragiques par rapport aux quelque 900 millions d’euros de déficit d’exploitation d’AOM et Air Liberté gérées par les Suisses ? Tout est relatif. Vous voyez ce que je veux dire.

M. le Rapporteur : On s’égare complètement.

M. le Président : L’argent de Swissair n’était pas de l’argent de l’Etat français.

M. Pascal PERRI : Mais c’est de l’argent que ses propriétaires ne reverront jamais. C’est une certitude.

M. le Rapporteur : La commission a été un peu étonnée de constater que M. Corbet ne dit pas la même chose que le président Spinetta sur les relations entre Air France et Air Lib. Nous voudrions donc savoir, puisque vous étiez chargé de la communication - encore que la communication n’est pas forcément toujours la réalité - comment vous avez perçu, depuis votre arrivée jusqu’à la fin, les relations Air Lib-Air France.

M. Pascal PERRI : Manifestement, c’étaient de bonnes relations de bonne compréhension, de dialogue. Je crois que les relations ne se sont pas détériorées entre les deux hommes au moment où M. Corbet a décidé de présenter un plan de cession d’AOM-Air Liberté, au moment où il a pris la direction de cette entreprise. J’ai même plutôt l’impression - sans avoir jamais participé à leurs entretiens -, j’ai eu le sentiment d’après les échos que j’en avais, que de part et d’autre, ces relations étaient relativement serrées.

M. le Rapporteur : Vous pensez qu’au démarrage au moins, Air France a plutôt aidé votre président ?

M. Pascal PERRI : Oui, c’est incontestable. Une partie des programmes d’Air Lib ont été faits...

M. le Rapporteur : Vous nous le confirmez. Y a-t-il d’autres points sur lesquels il y a eu des aides d’Air France ?

M. Pascal PERRI : Vous abordez un sujet un peu difficile. Je ne voudrais pas que vous pensiez que je me soustrais à vos questions. Entre la veille concurrentielle et les relations intelligentes avec son concurrent, il y a une frontière très étroite. Je ressens qu’Air France a bénéficié de la présence d’Air Lib.

M. le Rapporteur : Sous quelle forme ?

M. Pascal PERRI : Air Lib a été, d’une certaine façon, une sentinelle dans le ciel français qui a retardé l’arrivée d’entreprises anglo-saxonnes qui venaient se battre avec des règles sociales très défavorables, très dégradées par rapport aux nôtres. Il y avait là un vrai décalage auquel Air France n’était pas prêt vraisemblablement. Je connais un peu cette entreprise pour avoir écrit un livre il y a quelques années. Les choses ont beaucoup évolué depuis.

Je crois qu’Air France a bien sûr bénéficié de la présence d’Air Lib. C’est incontestable.

M. le Rapporteur : Pensez-vous que vous étiez en service commandé, à travers ce que vous avez vu ?

M. Pascal PERRI : C’est très difficile à dire. Je pense que le service commandé n’est pas un service écrit.

M. le Rapporteur : D’accord, mais implicitement !

M. Pascal PERRI : Oui, vraisemblablement.

M. le Rapporteur : Sans aucun accord...

M. Pascal PERRI : Sans aucun accord écrit en tout cas. Je le saurais.

M. le Rapporteur : Voilà. On vous donnait des coups de main.

M. Pascal PERRI : Je pense que Renault et Peugeot ont des politiques communes à l’export. Les uns et les autres peuvent mettre leurs moyens en commun pour aller se défendre sur le marché américain ou sur les marchés du sud-est asiatique. Je pense qu’Air France, le ciel français, Air Lib, c’était un seul et même dossier.

M. le Rapporteur : Vous ne pensez pas que dans un deuxième temps, les relations se sont dégradées ?

M. Pascal PERRI : Si.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez vécu ces dégradations et quelles en sont les causes ?

M. Pascal PERRI : Les causes sont le succès d’Air Lib Express. Très clairement. A mon sens ! Je l’ai observé. Il me semble qu’il y a un lien de causalité évident.

M. le Rapporteur : Mais ce n’est pas Air France qui a dénoncé l’accord de code share.

M. Pascal PERRI : Si, c’est Air France qui a dénoncé l’accord de code share.

M. le Rapporteur : Unilatéralement ou après négociation ?

M. Pascal PERRI : Oui.

M. le Rapporteur : Vous étiez pour continuer ?

M. Pascal PERRI : A titre personnel ? J’étais contre la présence d’Air Lib à Roissy. J’étais donc défavorable au code share.

M. le Rapporteur : Le président Spinetta nous a affirmé le contraire.

M. Pascal PERRI : Que vous a-t-il affirmé ?

M. le Rapporteur : Il nous a affirmé que c’est vous qui aviez dénoncé l’accord.

M. Pascal PERRI : Non, non. Soyons sérieux ! Air France a dénoncé de fait le code share en ne le renouvelant pas.

M. le Rapporteur : Selon sa version, cela venait de vous.

M. Pascal PERRI : Si je peux me permettre, je peux vous donner quelques éléments là-dessus.

M. le Rapporteur : Nous sommes là pour vous écouter. Quelle est votre version ?

M. Pascal PERRI : Nous avons fait le compte de notre présence à Roissy après quelques mois. Elle nous coûtait plus qu’elle ne nous rapportait pour les raisons que j’évoquais tout à l’heure. Le code share est un instrument dans lequel on règle les curseurs entre les partenaires, mais la règle est de remplir d’abord ses avions. Air France remplissait d’abord les siens. C’est de bonne guerre. On ne va pas faire un procès pour cela. Simplement, notre présence à Roissy, du fait de cette politique commerciale, était devenue plus une charge qu’une source de revenus.

L’idée était de dire à Air France que nous étions à Roissy pour alimenter leur hub, leur réseau intérieur. Les gens qui reviennent de la Réunion, des Antilles et qui veulent aller à Marseille, Toulouse, Perpignan etc. utilisent les avions Air France. C’était donc tout bénéfice pour Air France. Nous demandions donc de revoir les conditions de mise en oeuvre de l’accord. Air France n’a pas souhaité le faire, mais c’était une façon de dire non.

M. le Rapporteur : D’accord, mais juridiquement, c’est bien vous qui êtes à l’origine de la fin de cet accord ; Air France n’ayant pas accepté les modification que vous proposiez.

M. Pascal PERRI : A ma connaissance, le code share n’a pas été renouvelé par Air France. Si l’on veut être strictement formaliste, je crois que c’est cela.

M. le Président : Je pense que l’on peut rester sur ce point. Nous vous remercions pour votre contribution.

M. Pascal PERRI : Je vous remercie de m’avoir reçu.


Source : Assemblée nationale (France)