Présidence de M. Bernard PLASAIT

M. Bernard Plasait, président -. Nous allons maintenant entendre M. Claude Naour, secrétaire général du SN-FO-PJJ, et M. Guy Joguet, secrétaire national.

(Le président lit la note sur le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment.)

M. Claude Naour - Si des éducateurs moins expérimentés sont affectés dans des centres difficiles, c’est-à-dire des CPI ou des CER, c’est, selon Force ouvrière, parce que les plus anciens sont particulièrement sensibles à la dégradation des conditions de travail. Il s’agit d’un problème dont la profession tout entière devrait se saisir. Les éducateurs les plus jeunes n’ont pas une situation familiale bien établie et son plus malléables pour l’administration. Ils n’ont pas le choix de leur affectation.

Nous sommes opposés aux CER en raison de l’éclatement des normes horaires. Les personnels travaillent trois mois d’affilée sous le prétexte de continuité éducative. Or ces cycles de trois mois de travail, trois mois de congé, ne correspondent pas aux attentes d’un salarié de la fonction publique. Les anciens ne veulent pas travailler ainsi.

Par ailleurs, on assiste à une féminisation importante, y compris dans ces structures où les jeunes sont en grande difficulté.

S’agissant des CPI, la notion de placement immédiat correspond à une préoccupation d’ordre public plus qu’à la construction d’un projet pédagogique pour les mineurs. Quel éducateur expérimenté peut accepter la mise à l’écart du jeune plutôt que son insertion sociale et professionnelle ? En ce qui concerne le recrutement, nous souhaitons des concours nationaux et égalitaires, ouverts à tous et accordant un statut.

J’en viens aux services éducatifs auprès du tribunal, les SEAT. L’arrêté de 1987 a créé un SEAT dans chaque tribunal pour enfants. La réforme actuelle, en supprimant les SEAT dans les petits tribunaux, constitue une régression. La protection judiciaire de la jeunesse, les magistrats et les mineurs ont besoin d’un service éducatif existant réellement en tant que service au sein de chaque tribunal pour enfants. Le SEAT, s’il a un véritable directeur, est un facteur de reconnaissance de la PJJ, de lisibilité de son travail et de cohérence de son intervention.

M. Guy Joguet - En ce qui concerne les SEAT, mon appréciation est un peu différente : sous couvert de restructuration, il s’agit en fait de leur disparition.

Selon la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, les onze plus importants doivent rester, mais ce n’est pas ce qui se passe en réalité. A Lyon, par exemple, où nous sommes en restructuration, notre directeur départemental nous a expliqué que les SEAT ne conserveraient que certaines missions. L’exécution des décisions judiciaires, les condamnations et les peines seront territorialisées.

Il existait un arrêté stipulant qu’un SEAT devait être créé au sein de chaque tribunal pour enfants et nous nous sommes aperçus que l’administration ne l’avait pas appliqué. Il n’y avait donc pas égalité sur tout le territoire.

S’agissant des mesures éducatives pénales qui seront maintenant prises en charge par des éducateurs dans les CAE, notre point de vue est le suivant. A l’heure où l’insécurité et la délinquance sont mises en avant, on ne peut pas admettre que la prise en charge de certains mineurs en milieu ouvert à partir du tribunal soit abandonnée. Les jeunes venant dans un tribunal, même si cela se dégrade, ont le sentiment d’être dans un lieu particulier, ils ne sont pas dans un service au pied d’une tour. Ils ressentent la symbolique du lieu.

Par ailleurs, la Cour des comptes, établissant des comparaisons avec d’autres services, a officiellement affirmé que les principaux SEAT, notamment celui de Lyon, étaient rentables, s’agissant des permanences le week-end, de l’accueil, etc.

Nous sommes opposés à cette disparition qui est tout à fait regrettable. Le SEAT était un outil qui pouvait êtreamélioré, mais la direction de la PJJ en a décidé autrement.

M. Claude Naour - En ce qui concerne les 35 heures, elles n’ont pas été souhaitées par la grande majorité des personnels dans la mesure où elles n’étaient pas accompagnées des créations d’emplois nécessaires. Actuellement, elles ne peuvent être vécues que comme une remise en cause des acquis, surtout en termes de congés. On ressent comme une volonté de compliquer les relations de travail à travers un contrôle pointilliste des faits et gestes de chaque agent par la charte du travail. D’ailleurs, notre syndicat appelle les personnels à ne pas la contre-signer. Les 35 heures sont très mal vécues sur le terrain quels que soient les services, certains travaillent plus, d’autres moins, il n’y a pas d’équité.

S’agissant des mesures ordonnées, pour nous, seul le magistrat est ordonnateur et est à même d’établir une priorité dans le traitement des mesures qu’il prend. Ce n’est pas à l’éducateur de décider quelles mesures doivent être prises en priorité. Le rôle de l’administration n’est-il pas d’exécuter l’ensemble des mesures ordonnées ? La « mise sous le coude » de certains dossiers peut être assimilée à une ingérence de l’exécutif sur le judiciaire. Toutes les mesures doivent être vues en fonction de ce que dit le magistrat.

M. Guy Joguet - J’ajoute que la mise en attente de mesures prises au nom du peuple français est un déni de justice. Dans notre organisation, nous nous battons pour que la mission première de la protection judiciaire de la jeunesse, c’est-à-dire l’exécution des décisions judiciaires, soit réaffirmée. Le fait de mettre des mesures en attente est absolument inadmissible. Cette situation est dommageable pour ceux qui ont commis les délits et pour ceux qui les ont subis. Par ailleurs, les magistrats, qui ont tout loisir de contrecarrer cet arbitraire administratif, ne le font pas toujours malheureusement.

M. Claude Naour - Sur la question de savoir si nous sommes favorables aux centres éducatifs fermés, nous estimons que la mise à l’écart de la jeunesse en prison ou dans des structures fermées ne saurait être une solution aux problèmes d’emploi et de formation car elles sont à la base de la destruction du système éducatif. La PJJ ne saurait assurer des mesures carcérales. En revanche, elle peut s’inscrire dans la construction d’un projet éducatif d’insertion pour le mineur après son incarcération.

Les centres fermés ont historiquement fait faillite. Nous préconisons de reconstruire de véritables centres de formation professionnelle, débouchant sur l’apprentissage de vrais métiers.

La protection judiciaire de la jeunesse disposait d’un potentiel important de formations professionnelles, par exemple des ateliers qui permettaient aux jeunes de retrouver un équilibre. Or, depuis quelques années, on voit disparaître ces structures au profit de stages d’insertion qui ne débouchent sur rien.

Je viens de la région nantaise où il y a des ateliers de formation professionnelle. Il s’agit peut-être des derniers. Ils permettent à des jeunes, qui nous sont envoyés par les juges, de suivre une formation débouchant sur un CAP de coiffure, de métallerie ou de soudure. Nous travaillons en partenariat avec l’AFPA et ces adolescents trouvent rapidement une embauche. Si l’on donne aux jeunes un métier, si on sait les occuper et si les centres de jour jouent vraiment leur rôle, cela peut déboucher sur une insertion et un équilibre social normal.

A Saint-Nazaire, une vingtaine de jeunes qui sont passés par nos ateliers travaillent sur les chantiers navals. « Si nous n’avions pas eu cette formation », nous ont dit certains d’entre eux, « nous serions peut-être dans la rue ».

Il existe des secteurs où l’on manque de bras. Tous les jeunes n’obtiendront peut-être pas un CAP, mais ils auront au moins la possibilité d’apprendre un début de métier. Ils viendront tous les jours sur un lieu de travail et ce sera une resocialisation.

M. Guy Joguet - Le rôle de l’éducateur doit être identique à ce qu’il était hier et rester identique demain. L’éducateur à la protection judiciaire de la jeunesse est un fonctionnaire d’Etat qui dépend du ministère de la justice. Ces éléments sont liés. Ce n’est pas un éducateur de prévention. Le statut de la fonction publique d’Etat lui donne une neutralité et une indépendance qui font sa spécificité.

Conformément à l’ordonnance du 2 février 1945, l’engagement de la procédure pénale exige un délit, un mineur, un juge, un éducateur, donc une action éducative. Elle se résume à cela. Si elle n’est pas toujours appliquée, c’est un autre problème. L’éducateur de la PJJ, fonctionnaire d’Etat relevant du ministère de la justice, ne peut pas banaliser l’acte commis. Il faut conserver les quatre éléments majeurs : un délit, un mineur, un juge, un éducateur, donc une action éducative.

Voilà plus de vingt ans que je travaille au SEAT de Lyon. J’ai constaté, y compris dans les dernières années, que 50 % des mineurs qui me sont confiés par des magistrats n’ont pas récidivé au bout d’une année. La moitié des 50 % restants, soit 25 % du total, récidivent jusqu’à 18 ans. Ils savent qu’après cet âge —on le leur a bien expliqué, car cela fait partie de notre mission- ils n’auront plus affaire à la même juridiction. Ces deux catégories représentent 75 à 80 % des jeunes qui me sont confiés. Sur les 20 à 25 % restants, certains relèvent de la psychiatrie bien que leurs troubles ne soient pas assez lourds pour justifier un internement. Ce chiffre est en augmentation. Ces jeunes représentent un danger pour eux-mêmes et pour la société. Enfin, 5 à 12 % des jeunes récidivent. Cette catégorie est en légère augmentation. Globalement, ces chiffres ont peu évolué, mais les mineurs délinquants sont de plus en plus jeunes.

En ce qui concerne le fonctionnement de la PJJ, nos préoccupations sont multiples. Comme la disparition pure et simple des SEAT semble l’indiquer, les mesures éducatives au pénal pourraient être territorialisées et prises plus près des élus que du ministère de la justice. C’est un choix politique.

Une telle disposition ne va pas dans le bon sens. Nous voulons rester un service public, déconcentré mais national, relevant du ministère de la justice, et dont la seule mission est l’exécution des décisions judiciaires. Nous souhaitons donc un recentrage de notre action sur la délinquance des mineurs. La protection, mission certes intéressante, peut être confiée à des personnes extérieures à la PJJ.

Comme semble le prouver le nombre des mesures en attente, notre administration essaie de devenir un contre-pouvoir à ce qu’elle appelle le pouvoir judiciaire. Mais elle se trompe, car il s’agit de l’autorité judiciaire. Elle prend un pouvoir administratif absolument inadmissible par rapport aux décisions judiciaires, et je ne parle pas des personnels. Nous n’allons pas dans le bon sens, je le répète. Les choses étaient simples. On les complique sans que je comprenne pourquoi. Le même constat vaut pour l’application des 35 heures.

M. le président - Pourquoi avez-vous tant insisté sur le fait que vous n’étiez pas des éducateurs de prévention ? Pourriez-vous préciser la façon dont vous concevez votre rôle ?

M. Guy Joguet - Nous intervenons lorsqu’un mineur a commis un délit et qu’il a été présenté à un juge, conformément à l’ordonnance du 2 février 1945. L’éducateur, dans le cadre de la liberté surveillée préjudicielle, est soit un bénévole, soit un délégué permanent à la liberté surveillée intervenant dans le cadre du service public de la PJJ. C’est la loi et elle est incontournable tant qu’elle n’est pas réformée. Nous souhaitons la conserver.

L’éducateur fait toujours référence au délit commis par le mineur. Il en discute avec lui, non pas dans le détail mais par rapport à son comportement et aux victimes. Nous n’avons pas le même travail d’éducation et de rééducation que les éducateurs de prévention. Notre action fait suite à un délit. C’est très important. Je comprends certes les souhaits des parties civiles, mais tel est le cadre de notre action.

M. le président - Je vous comprends mieux. Avez-vous le sentiment, dans la philosophie de l’ordonnance de 1945, que les jeunes sont bien suivis depuis les premiers signes, que l’on pourrait presque déceler en maternelle, jusqu’à l’âge de la majorité ? N’y a-t-il pas entre les différents acteurs -et votre rôle est éminent- des ruptures et des discontinuités préjudiciables à l’efficacité des dispositions que prend la République pour traiter ce problème ?

M. Guy Joguet - Votre question est très importante. Je ne peux pas vous répondre avec certitude. Les éducateurs du ministère de la justice chargés des mineurs délinquants interviennent en bout de chaîne. C’est là que réside leur spécificité.

Le travail réalisé en amont est conséquent et nous en tenons bien évidemment compte. Il faut veiller à la continuité du suivi. Toutefois, je le répète, nous intervenons malheureusement en bout de chaîne, après qu’un acte de délinquance, quel qu’il soit, a été commis.

Par ailleurs, l’absence d’action n’est pas toujours négative et des interventions suivies ne sont pas toujours positives. Je vous réponds en quelque sorte par la négative. Chaque cas est particulier. Le travail en amont est nécessaire. Après l’acte de délinquance, on retrouve la formule : un délit, un juge, un éducateur, donc une action éducative conduite avec les acteurs qui sont intervenus avant nous. Mais cette démarche n’est pas aussi schématique que la société le voudrait.

M. le président - Ma dernière question sera un peu brutale, et je vous prie de m’en excuser. Quel bilan dressez-vous de l’action de la PJJ sur les cinquante dernières années ? Des évolutions importantes se sont-elles produites ? D’autres sont-elles nécessaires ? Quels sont le principal succès et le principal échec de ce dispositif ?

M. Guy Joguet - L’un des succès indéniables de la protection judiciaire de la jeunesse est dû à l’action des anciens services de la liberté surveillée, conduite dans une autre période et dans un contexte différent. Je pense aux mesures de liberté surveillée préjudicielle avec incident à la liberté surveillée. Je ne ferai pas de commentaires sur la suppression de ce système à laquelle nous n’étions pas favorables. Peut-être faut-il créer des centres éducatifs fermés ? Je l’ignore. Il revient à chacun de prendre ses responsabilités.

Des incidents à la liberté surveillée, en dix ans, je n’en ai fait qu’un. Il a porté ses fruits. Ce jeune, je le vois toujours. Nous sommes presque devenus amis. C’est une parenthèse.

Le droit commun de la formation professionnelle n’est pas adapté aux mineurs délinquants en grandes difficultés. Ces jeunes ont aujourd’hui du mal à obtenir un diplôme et à réussir dans un travail. Nous les y aidons. C’est une des grandes réussites de la PJJ, qui est une exception française. La protection judiciaire de la jeunesse est une bonne institution, comme c’est sans doute le cas de nombreuses exceptions.

En revanche, nous ne parlons pas des personnels, bien que nous soyons là pour défendre leurs intérêts. Même si nous continuons à dépendre du ministère de la justice, on se tromperait, me semble-t-il, en nous confiant d’autres tâches, le fichage par exemple. On obtiendrait peut-être des résultats immédiats. Mais sans un travail à long terme sur la rééducation, qui exige beaucoup de personnels - et cela peut être discuté - je suis convaincu que nous ne réussirons pas. C’est mon avis de professionnel. C’est la raison pour laquelle je reste éducateur à la PJJ alors que j’aurais pu exercer un travail mieux rémunéré.

M. Claude Naour - Permettez-moi d’ajouter un mot sur la formation professionnelle, puisque c’est un secteur dans lequel j’ai beaucoup travaillé.

Dans ce domaine, la PJJ a suivi l’évolution. Voilà une quinzaine d’années, les jeunes passaient surtout des CAP. Des centres de formation étaient implantés sur tout le territoire. Progressivement, le niveau scolaire a baissé et la PJJ a suivi. Elle s’est mise à la portée des jeunes. Aujourd’hui, nous sommes arrivés tellement bas qu’il faudrait relever le niveau, redonner confiance aux jeunes, leur permettre d’exercer une activité professionnelle.

En travaillant dans un atelier, ils prennent confiance en eux-mêmes, car ils agissent et prouvent quelque chose. D’autant que, il ne faut pas l’oublier, ils sont souvent les seuls dans leur famille à se lever le matin. Faire venir un jeune tous les matins à l’école ou au travail, c’est un acquis important, c’est un point de départ.

Il faut resocialiser ces jeunes, les « apprivoiser », si vous me permettez cette expression, pour pouvoir obtenir des résultats à long terme. Je dis bien à long terme, car eux voudraient que tout arrive tout de suite. Le travail, c’est immédiatement, sans même avoir de formation. Il faut les amener à prendre conscience qu’ils doivent suivre une formation, quel que soit le métier qu’ils souhaitent exercer, et que cela demande du temps.

M. le président - Je vous remercie.


Source : Sénat français