Le Président Edouard Balladur s’est interrogé sur l’existence d’un changement dans les opérations militaires. Peut-on estimer comme l’un des experts entendu par la Commission que la fin des hostilités est relativement proche ? Il s’est demandé comment se présentent les discussions sur l’après-guerre. Constate-t-on une évolution des positions des uns et des autres ?
M. Dominique de Villepin, Ministre des Affaires étrangères s’est efforcé de clarifier la position du Gouvernement qui n’a pas voulu l’actuel conflit en Irak, et souhaite qu’il soit aussi bref et peu meurtrier que possible. La condamnation du régime dictatorial de Saddam Hussein est totale et la France se situe clairement du côté de ses alliés et des démocraties.
Il a estimé que la prolongation des opérations militaires aurait un impact politique important. Actuellement, les opérations américano-britanniques observent une phase de consolidation. La capacité de résistance du régime, et son emprise sur l’armée et la population, plus forte que prévue, ont conduit au ralentissement de la progression, à la nécessité pour les coalisés d’attendre des renforts (la quatrième division d’infanterie américaine). Les forces engagées éprouvent le besoin d’être relayées. En revanche, les opérations aériennes se poursuivent pour affaiblir les forces et le régime irakien. La supériorité militaire américaine ne fait aucun doute. Cependant, même si la progression et le terrain conquis en douze jours sont considérables, il est difficile de se prononcer sur la durée prévisible du conflit.
Les réactions restent fortes dans les pays Arabes et musulmans : des manifestations regroupent des centaines de milliers de personnes, l’affrontement prend une dimension religieuse dans les esprits. Certains régimes, soumis à la pression des opinions publiques, haussent le ton vis-à-vis des Etats-Unis. Aux Etats-Unis même, une controverse est apparue au Pentagone entre les civils, autour de M. Rumsfeld, et certains militaires. La controverse porte sur les moyens accordés à l’offensive américaine et non sur la stratégie elle-même, qui reste le contrôle de Bagdad et des villes principales d’Irak.
Sur le plan diplomatique, le Conseil de sécurité a adopté à l’unanimité le 28 mars la résolution 1472 qui adapte le programme « pétrole contre nourriture ». Ce programme doit reprendre ses activités au plus vite ; la résolution donne en outre au Secrétaire général des Nations unies, pendant 45 jours, les pouvoirs nécessaires pour mettre en œuvre les contrats existant et permet la conclusion de nouveaux contrats. La communauté internationale a appelé à une mobilisation en faveur de l’aide humanitaire. La France apportera dix millions d’Euros au soutien des ONG, du CICR et des agences des Nations unies. Elle soutient les efforts décidés au plan européen, soit 21 millions d’Euros au titre d’ECHO et 75 millions sur la réserve d’urgence.
Il a estimé très positif que le Conseil de sécurité ait retrouvé son unité pour adopter rapidement cette résolution. Néanmoins, des tensions pourraient se manifester à nouveau aux Nations unies. Ainsi, les pays Arabes soumis à la pression de leur opinion publique envisagent une nouvelle initiative à l’ONU, demandant la cessation immédiate des hostilités. Une telle démarche risquerait de conduire à une nouvelle confrontation et à de nouvelles divisions de la communauté internationale.
La question du rôle des Nations unies dans la période qui suivra le conflit donne également lieu à des positions divergentes : les Britanniques souhaitent donner rapidement un rôle important aux Nations unies dans le processus de transition, alors que les Américains préféreraient reporter la présence des Nations unies à la fin de la période d’occupation, lorsqu’un nouveau pouvoir politique irakien aura été mis en place. Il s’agit donc de rapprocher ces points de vue.
La France souhaite que les Nations unies se voient confier un rôle central dans le processus de transition en Irak. Elle cherche à donner de nouvelles perspectives aux différentes parties en présence tout en étant fidèle à ses principes. Il s’agit d’abord du respect de la légalité internationale et de la responsabilité collective. Il s’agit également des principes d’unité et d’intégrité territoriale de l’Irak, qui constituent dès aujourd’hui un cadre s’imposant aux forces anglo-américaines, mais aussi aux pays voisins que le Gouvernement a appelé à la retenue. Quant au principe de la souveraineté de l’Irak, il doit rester l’objectif premier de toute action internationale dans ce pays. Les Irakiens, qui n’ont connu que la guerre et l’oppression depuis plus de vingt ans, doivent pouvoir vivre durablement en paix, avec eux-mêmes et avec leurs voisins.
Il reste à trancher les principes et les mécanismes de l’intervention des Nations unies, ce qui fera l’objet de réunions demain à Bruxelles entre l’Union européenne et l’OTAN au niveau du Conseil Atlantique, et ce qui permettra de préciser le rôle de l’OTAN dans le futur Irak.
Le Président Edouard Balladur a dit avoir le sentiment que les divergences sur le rôle que l’ONU doit jouer après le conflit étaient moins grandes que celles qui sont apparues avant et pendant celui-ci.
M. Paul Quilès a demandé si la mise en œuvre de la résolution 1472 prévoyant la reprise du programme pétrole contre nourriture ne nécessitait pas une trêve permettant d’acheminer l’aide humanitaire et les médicaments auprès des populations. La réunion sur la PESD entre la France, l’Allemagne, la Belgique et le Luxembourg prévue pour le 29 avril prochain ne risque-t-elle pas d’inaugurer la mise en place d’un noyau dur laissant de côté la majorité des pays de l’Union européenne ? Faisant référence aux déplacements de parlementaires organisés par l’UMP dans les quatorze pays de l’Union afin qu’ils rencontrent leurs homologues, il s’est demandé s’il fallait voir dans cette décision d’un parti politique l’expression de la diplomatie parlementaire. La récente acquisition de FiatAvio par le groupe américain Carlyle, dont la famille Bush est actionnaire, inaugure mal de la mise en place de l’Europe de la défense : la SNECMA n’aurait-elle pas pu surenchérir afin de maintenir cette société dans le giron européen ?
Le Président Edouard Balladur a répondu que la décision de l’UMP d’organiser des rencontres avec des parlementaires des pays de l’Union européenne partageant des convictions proches des siennes et dont les formations sont, pour la plupart, membres du groupe du Parti Populaire Européen (PPE) au Parlement européen, ne concernait pas la Commission des Affaires étrangères, mais relevait d’une décision interne au groupe UMP.
M. Paul Quilès a souhaité que la Commission fasse preuve de davantage d’initiative en la matière, afin d’éviter de donner le sentiment que la diplomatie de parti pourrait tenir lieu de diplomatie parlementaire.
M. Didier Julia a fait observer qu’aucune ville irakienne n’était tombée à ce jour, malgré le déséquilibre des forces en présence. Sauf à envoyer la bombe atomique sur Bagdad, la prise des villes va passer par l’écrasement des populations civiles et une telle stratégie aboutira à conforter le régime irakien. Afin de mettre en œuvre la résolution 1472 et de permettre aux organisations humanitaires d’agir, l’ONU ne pourrait-elle pas créer un corridor humanitaire de Damas à Bagdad permettant d’acheminer les médicaments actuellement soumis à un embargo pour des raisons militaires ? L’unité de l’Irak sera mise à mal à l’issue du conflit si le futur gouvernement est installé par les Etats-Unis ou par l’ONU : il faut donc susciter des personnalités de l’intérieur de l’Irak, faute de quoi un régime fondamentaliste pourrait voir le jour.
M. Jacques Myard a souhaité savoir dans quel cadre s’effectuait la visite de M. Colin Powell à Bruxelles. Que va-t-il pouvoir y proposer ? Une évacuation des troupes américaines et britanniques est-elle envisageable ? A-t-on des indices sur la possibilité d’une action contre la Syrie ?
M. Bruno Bourg Broc a demandé si l’aide humanitaire pouvait être acheminée et distribuée sur le terrain et si un plan d`accueil de réfugiés irakiens était prévu.
M. Jean-Claude Guibal a interrogé le Ministre pour savoir s’il était avéré que les tribus présentes en Iran et en Syrie étaient mobilisées et prêtes à intervenir dans le conflit.
M. Jean-Jacques Guillet a considéré que la France avait acquis par sa position au sein du Conseil de sécurité une grande autorité morale. Ne risque-t-on pas de la perdre en voulant conserver à tout prix le lien transatlantique après le conflit ?
M. Gilbert Gantier s’est demandé comment interpréter le fait que Saddam Hussein n’ait pas lu sa dernière déclaration.
Le Ministre des Affaires étrangères a répondu aux différentes intervenants.
Sur les problèmes humanitaires, la résolution 1472 rappelle la responsabilité des belligérants ce qui est un principe de base du droit humanitaire. Chacun est placé devant ses responsabilités. Se pose alors la question de l’acheminement de l’aide, problème lié d’ailleurs à la stratégie anglo-américaine de ces derniers jours. Beaucoup avaient parié sur une pause mais en réalité il y a une intensification des bombardements pour pilonner la garde républicaine aux abords de Bagdad. Une trêve serait comprise comme un répit accordé au régime, ce qui est irrecevable pour les Américains ou les Britanniques. Des corridors humanitaires pourraient permettre l’acheminement des produits de première urgence mais la plupart des villes, à part Um Kasr, ne sont pas encore sous contrôle. Les Américains et les Britanniques cherchent un équilibre entre le maximum de précision militaire et le respect de population civile. L’approvisionnement en eau de Bassora est pris en compte mais se heurte à des nécessités pratiques. Forcer le passage est difficile, tout dépend de la durée du conflit et du siège des villes.
La réunion de Bruxelles du 29 avril est le fruit d’initiatives prises au cours des derniers mois par les Français, les Allemands, les Belges et les Luxembourgeois. Le processus qui sortira de cette réunion sera ouvert aux autres membres de l’Union. Il faut avancer dans le domaine de la défense alors qu’on est confronté à la crise irakienne. Actuellement la nécessité de progresser en matière de défense européenne est largement partagée au sein de l’Union européenne. Le rachat de Carlyle, l’attitude de la Pologne en matière d’acquisition d’avions de combat, montrent qu’il faut construire l’Europe de la défense. Les réunions de Bruxelles comme l’opération conjointe en Macédoine que la France a sauvée sont utiles. D’autres initiatives suivront, comme la reprise de l’action de l’OTAN en Bosnie.
S’agissant de l’issue rapide de la guerre, le Ministre a estimé qu’il ne fallait pas négliger dans l’attitude irakienne l’emprise du parti Baas sur la population. Quelle est la part du patriotisme ? Quelle est celle du contrôle par le régime d’une population piégée dans les villes ? La guerre peut avoir un impact sur la reconstitution du nationalisme irakien. Les atrocités qui ont été vues vont certainement jouer un rôle en Irak et dans le monde arabe. M. Dominique de Villepin s’est inquiété de la jonction possible entre ce nationalisme arabe et l’islamisme radical. Ce risque, parmi d’autres, justifiait les inquiétudes de la France devant un emploi prématuré de la force dans cette région du monde. La légitimité d’une action dans le cadre de l’ONU aurait permis d’atténuer les risques d’incompréhension et de malentendus.
Il a jugé que l’établissement de corridors humanitaires risquait d’être en porte-à-faux avec la programmation américaine. Il fallait éviter une confrontation aux Nations unies sur ce point sans pour autant refuser d’aborder ce problème.
Sur les risques d’installation d’un gouvernement non légitime en Irak, il a fait valoir que toute légitimité ne pouvait venir que de l’intérieur. Or, actuellement, les noms avancés ça et là font tous l’objet de critiques.
Quand la guerre s’arrêtera-t-elle ? Quand le processus de sécurisation sera-t-il achevé ? Allons-nous être confrontés à une insécurité et un terrorisme latents en Irak ? Jusqu’où une présence étrangère peut-elle être acceptée ? Il est encore prématuré de se prononcer.
Pour ce qui est de la venue de M. Colin Powell à Bruxelles, plusieurs rencontres s’y tiendront : celle de la Troïka, un déjeuner informel entre l’Union européenne et l’OTAN et un conseil atlantique au niveau ministériel. S’y ajoutent des entretiens bilatéraux au cours desquels le Ministre a déclaré qu’il rencontrerait M. Colin Powell et plusieurs de ses collègues européens.
Sur la vision de l’après Saddam Hussein il a déclaré se méfier des schémas préétablis. Après la guerre, la sécurité sera essentielle. Il faudra apprécier quels seront le rôle et l’organisation des forces sur le terrain en sachant que les Américains ne veulent pas partager de responsabilités quand ils ont des troupes au sol. Faut-il envisager une responsabilité de l’ONU ? Selon lui, il faut distinguer la phase de guerre et de sécurisation de celle de la reconstruction politique et administrative, pendant laquelle l’ONU sera incontournable parce qu’elle est légitime et acceptée par les populations arabes. On ne sait quand cela interviendra. Pour l’instant, les Américains ont une conception très rigide de la situation.
La France souhaite avoir une approche constructive. Il fallait aller jusqu’au bout de la logique du Conseil de sécurité, c’était une question de principe. Il a jugé que le danger le plus grand résidait dans la fracture du monde et l’existence d’un choc des cultures et des civilisations. La France peut permettre d’éviter cela et servir de trait d’union. L’Europe a également une vocation particulière car ses membres sont d’accord sur l’après Saddam Hussein.
Le Ministre a estimé que l’attitude française à propos du désarmement en Irak restait justifiée. On ne peut plaquer une vérité sur cette région malgré elle ; le processus d’inspection aurait eu une vertu pédagogique s’il avait été mené à son terme.
L’ordre étant maintenu par la férule de Saddam Hussein, son départ éventuel pose le problème du maintien de l’unité d’un pays divisé en plusieurs communautés antagonistes.
Il n’y a pas pour le moment de plan d’accueil de réfugiés irakiens, car à l’heure actuelle aucun afflux de réfugiés de grande ampleur n’a été constaté.
Le Président Edouard Balladur a remercié le Ministre pour son intervention et il a émis le souhait que les rendez-vous à venir permettent de renforcer la cohésion de l’Europe et de dissiper certains malentendus avec nos partenaires.
Le Ministre des Affaires étrangères a déclaré qu’il s’y emploiera, le 16 avril prochain à l’occasion de la signature du traité d’adhésion à l’Union des nouveaux Etats membres et lors de la rencontre informelle entre les Ministres des Affaires étrangères prévue au début du mois de mai prochain (Gymnich).
Source : Assemblée nationale (France)
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