Suite du débat sur la question de la violation des droits de l’homme dans tous les pays

M. MALIK OZDEN (Centre Europe-Tiers monde, CETIM) a déclaré que les États-Unis, qui se proclament champions de la démocratie, des libertés individuelles et des droits humains, ne cessent de surprendre par les actions illégales du gouvernement de Georges W.Bush. En effet, depuis les attentats du 11 septembre 2001, qui sont à déplorer et ont été déplorés par tous, les États-Unis sont en marge de la légalité à travers les actes suivants : agression de l’Afghanistan sous couvert de la légitime défense ; violation des droits de la défense, du principe de la présomption d’innocence et des conventions de Genève concernant les prisonniers présumés talibans et incarcérés à Guantanamo (les autorités des États-Unis s’apprêtent à appliquer le décret du 13 novembre 2001 signé par le Président Bush permettant la création d’une juridiction militaire d’exception, contre six détenus qui seront traduits devant une commission militaire) ; violation des droits des migrants sous couvert de la lutte contre le terrorisme ; agression contre l’Irak au motif fallacieux d’une menace constituée par la détention d’armes de destruction massive ; la poursuite et le durcissement de l’embargo illégal contre Cuba ; impunité, devant la Cour pénale internationale (CPI), des ressortissants des États-Unis agissant dans le cadre des opérations des Nations Unies ; le chantage et la répression contre les États qui ont refusé de signer un accord bilatéral de non-extradition des ressortissants américains devant la CPI. Force est de constater que la majeure partie de ces actes, bien qu’ils contreviennent à la Charte des Nations Unies et au droit international, ont été « légalisés » par le Conseil de sécurité, a souligné le représentant du CETIM.

MME VERENA THEPHSOUVANH (Parti radical transnational) a appelé l’attention sur la négation de la liberté de la presse, les arrestations arbitraires, la torture, et la persécution des minorités ethniques et religieuses en République démocratique populaire lao. Dans ce régime totalitaire où le parti unique, au pouvoir depuis bientôt 28 ans, contrôle d’une main de fer tous les médias, toute opposition est interdite, a-t-elle poursuivi. Elle a rappelé que le Laos, signataire du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et du Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels, n’a soumis aucun rapport depuis 1984. Elle a ajouté que, selon le ministère de l’information du Laos, un projet de loi en préparation demandera aux médias de « respecter la politique du parti ». Par ailleurs, en juin 2003, deux journalistes européens qui effectuaient un reportage sur l’ethnie hmong ont été condamnés à 15 ans de prison après un simulacre de procès puis expulsés du pays. Mme Thephsouvanh s’est dite très préoccupée par le sort des cinq leaders de la manifestation pacifique pour les droits de l’homme de 1999 qui ont été arrêtés. La représentante a aussi dénoncé la répression des minorités religieuses qui s’est intensifiée ces deux dernières années, mentionnant en particulier les persécutions infligées aux chrétiens et les quelque 200 églises détruites. La représentante a souligné que les minorités religieuses sont principalement aussi des minorités ethniques et s’est inquiétée des agressions qui frappent les Hmongs, habitants des montagnes. Ainsi, dans la « zone spéciale » de Saysomboune, des villages hmongs sont brûlés et rasés par les autorités de l’État. Au vu de ces exactions graves, la représentante a invité la Sous-Commission à envoyer d’urgence une mission au Laos pour enquêter sur la situation dans le pays. Elle a invité la Sous-Commission à demander la libération des cinq leaders étudiants du Mouvement du 26 octobre 1999 et d’intervenir auprès du Gouvernement en faveur de la minorité hmong de Saysomboune. Elle lui a demandé d’intervenir auprès du Gouvernement pour que cesse toute répression des minorités religieuses.

M. LAZARO PARY (Mouvement indien « Tupaj Amaru ») a rappelé que chaque jour, des dizaines d’Iraquiens sont victimes de la puissance occupante alors que les forces israéliennes se livrent pour leur part, en toute impunité, à des attaques et des crimes contre le peuple palestinien. Quant à elle, l’Administration de Washington - appuyée par son allié inconditionnel britannique et avec la complicité de l’Espagne, de l’Australie, de la Bulgarie et de la Pologne, et sans le consentement préalable du Conseil de sécurité - a déchaîné la guerre d’agression contre l’Iraq sous prétexte d’armes de destruction massive qui restent à ce jour introuvables. L’ancien inspecteur en désarmement Scott Ritter, répondant dans le journal suisse Le Temps à une question demandant pourquoi les Américains n’avaient toujours pas trouvé ces armes, a répondu : « Tout simplement parce qu’il est impossible de trouver quelque chose qui n’existe pas », « on ne détruit pas des armes de destruction massive sans laisser de traces ». La guerre contre l’Iraq pâtit d’un manque de légitimité internationale et n’a aucun fondement juridique ni aucune justification morale. L’offensive anglo-américaine révèle la véritable architecture sur laquelle repose l’ordre juridique international issu de la seconde Guerre mondiale, les prérogatives du Conseil de sécurité ayant été usurpées pour transformer les Nations Unies en simple institution humanitaire dépourvue du rôle politique qu’elle devrait jouer. La résolution 1483 du Conseil de sécurité confère les pleins pouvoirs aux puissances occupantes en Iraq et reconnaît l’occupation étrangère d’un pays indépendant et l’appropriation illégale de ses ressources naturelles ; en un mot, cette résolution légitime ce qui est illégitime et elle est en claire contradiction avec la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale en date du 14 décembre 1960 , qui exige la fin du colonialisme.

M. KULBHUSHAN WARIKOO (Fondation de recherches et d’études culturelles himalayennes) a appelé l’attention sur la question de la sécurité en Afghanistan, qui ne serait réglée qu’avec le démantèlement des réseaux d’Al Quaeda et des Taliban qui subsistent dans diverses parties du monde. Il a ensuite appelé l’attention sur les conséquences dévastatrices du terrorisme au Jammu-et-Cachemire. Il a dénoncé les mesures d’intimidation de la population civile, l’introduction d’un islam fondamentaliste dans la région, le nettoyage ethnique qui frappe les minorités hindoues. Il s’est inquiété entre autres du déplacement de quelques 400 000 Pandits cachemiriens terrorisés par les terroristes du djihad. Il a rappelé que les terroristes bafouent les droits fondamentaux de la population du Jammu-et-Cachemire et a insisté sur le fait que plus de 220 millions de roupies avaient été extorqués par les terroristes. Il a affirmé que les journalistes étaient également persécutés et a cité le nom de plusieurs journalistes qui ont été victimes d’attaques sanglantes. Il a appelé à la restauration de la démocratie au Jammu-et-Cachemire, au retour de la liberté de religion et à la réhabilitation des victimes du terrorisme.

M. SAEED MOHAMED AL-FAIHANI (Bahreïn) a relevé que la division qui s’est instaurée depuis les années 40 du siècle dernier entre droits civils et politiques d’une part et droits économiques, sociaux et culturels de l’autre se retrouve au sein des organisations non gouvernementales dont certaines, parmi les plus importantes, ont concentré jusqu’à très récemment l’essentiel de leurs efforts sur certains droits, en particulier les droits civils et politiques. La Sous-Commission devrait donc se pencher sur ce phénomène et présenter ses recommandations afin que la Commission des droits de l’homme soit en mesure de traiter les violations croissantes des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui se produisent de par le monde. Bahreïn est d’avis que les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels sont interdépendants et indivisibles. En fait, la démocratie ne saurait être atteinte sans progrès économique et social ni sans amélioration du niveau de vie de la population. À cet égard, il convient de relever que Bahreïn a connu ces dernières années des progrès graduels et sensibles dans les domaines politique, civil, économique, social et culturel, en particulier pour ce qui est, de la séparation des pouvoirs et de la liberté de la presse. Bahreïn est fier de n’avoir aucun prisonnier politique dans ses prisons, a insisté le représentant. Il a souligné que son pays assure la gratuité de l’éducation primaire et accorde des services de santé gratuits à tous les citoyens sans distinction.

M. IMTIAZ HUSSAIN (Pakistan) a regretté que certains mouvements de libération soient dénoncés comme terroristes alors que le terrorisme d’État se pratique sans que ses auteurs soient tenus pour responsables au plan international. Il a jugé déplorable que les événements tragiques du 11 septembre 2001 servent d’excuse à certains pour intensifier la répression et porter atteinte à la liberté d’opinion. Il a ensuite présenté les initiatives prises par son pays pour relever les défis nouveaux qui émergent dans le domaine des droits de l’homme. Revenant ensuite sur la déclaration prononcée lundi 28 juillet 2003 par le Haut Commissaire aux droits de l’homme par intérim, notamment sur les notions de prévention et de protection, il a fait part des graves préoccupations du Gouvernement pakistanais face au sort des peuples qui vivent sous occupation étrangère. Il a rappelé que l’occupation constitue une grave violation des droits de l’homme et s’est indigné des atrocités commises par les forces d’occupation sous prétexte d’assurer la sécurité et de lutter contre le terrorisme. Il a souligné que le dialogue est la seule voie pacifique pour résoudre les conflits et a exprimé la détermination de son gouvernement à résoudre toute dispute avec son voisin par cette voie.

M. EMMANUEL DECAUX, expert de la Sous-Commission, a rappelé que le droit international vaut pour tous et que nul ne saurait impunément échapper à la loi commune, en raison même du poids de l’exemple et de la force des précédents. La lutte contre le terrorisme, aussi légitime qu’elle soit, ne saurait échapper aux principes du droit international, sur le plan externe, comme aux impératifs de l’État de droit, sur le plan interne, a-t-il souligné. Il a affirmé que le droit international a connu cette année un grand progrès, avec la création de la Cour pénale internationale. À cet égard, M. Decaux a déclaré que l’une des priorités de la communauté internationale devrait être la ratification du Statut de Rome par tous les États, à commencer par l’ensemble des membres permanents du Conseil de sécurité. « Pas plus que l’an dernier, l’impunité de principe accordée par le Conseil de sécurité en vertu de la résolution 1487 n’est acceptable », a-t-il souligné. Les premières élections montrent assez que la nouvelle Cour mérite toute confiance pour mener sa mission avec indépendance et impartialité, a insisté M. Decaux. Il a affirmé qu’il est dramatique de sembler opposer opérations de maintien de la paix et justice pénale internationale, alors que la paix et la justice sont inséparables dans le mandat de la Charte des Nations Unies.

M. Decaux a par ailleurs affirmé que l’on ne peut aujourd’hui que se réjouir de la chute de la dictature iraquienne. Il a rappelé que la Sous-Commission avait pour sa part souligné la responsabilité première de Saddam Hussein dans le maintien des sanctions contre l’Iraq. Pendant toute la crise récente, a-t-il poursuivi, les débats passionnés du Conseil de sécurité ont tourné autour d’armes de destruction massive qui restent introuvables et non autour des violations massives des droits de l’homme commises par le régime depuis des années. C’est paradoxalement parce que le Haut Commissaire aux droits de l’homme a été choisi comme représentant personnel du Secrétaire général que les droits de l’homme sont revenus au premier plan, a relevé M. Decaux. Le défi reste entier : pas plus que la paix ne se résumait au statu quo, la libération du peuple iraquien ne saurait se résumer à un protectorat étranger, a-t-il souligné. Il a fait observer que la victoire des États-Unis ne sera un succès durable que si la paix progresse enfin dans toute la région et a relevé que si la « feuille de route » tracée par le Président Bush pour la paix au Moyen-Orient permet de relancer un dialogue israélo-palestinien si nécessaire, la construction d’un nouveau « mur de la honte », loin de garantir une sécurité illusoire contre le terrorisme, ne peut que contribuer à accentuer le sentiment d’injustice et de désespoir des populations arabes chassées de leurs terres. « Seule la fin des provocations et des violences, de part et d’autre, pourra, sous la pression de la communauté internationale tout entière, donner enfin une chance, aussi mince soit-elle, à la paix », a estimé M. Decaux.

L’attention concentrée sur les crises internationales ne doit pas nous empêcher de prendre en considération les violations des droits de l’homme commises sous le couvert de l’autarcie nucléaire ou de la neutralité perpétuelle, a poursuivi l’expert. De la Corée du Nord au Turkménistan, les séquelles du stalinisme n’ont pas fini de provoquer des tragédies en vase clos, a-t-il ajouté. Évoquant la situation du Turkménistan, il a souligné que depuis la vague de procès staliniens marqués par des aveux publics et des dénonciations racistes, une chape de silence s’est abattue sur le pays, malgré des contacts diplomatiques au plus haut niveau. Nul ne sait encore si l’ancien président du parlement, M. Tagandurdy Hallyew, est encore en vie, pas plus que n’est connu le sort de l’ancien ministre des affaires étrangères M. Boris Chikmuradov. Au-delà des cas individuels, se sont les minorités ethniques, y compris les doubles nationaux russes, qui sont aujourd’hui menacées, a souligné l’expert. La mort lente imposée aux détenus turkmènes est la pire des tortures, a-t-il ajouté. « N’y ajoutons pas la complicité du silence », a-t-il conclu.

M. JOSÉ BENGOA, expert de la Sous-Commission, a rappelé qu’il ne s’était pas exprimé sur ce point depuis que la Commission des droits de l’homme avait établi un monopole de l’évaluation et du suivi de la situation des droits de l’homme dans divers pays. Depuis, la Sous-Commission s’est vue interdire le droit de citer les pays dans ses résolutions. Il a pourtant rappelé que certaines résolutions de la Sous-Commission, à ce titre, avaient porté leurs fruits à l’extérieur de cette enceinte et a illustré son propos en citant la résolution sur les défenseurs des droits de l’homme, qui avait permis la libération de certains militants des droits de l’homme, ce qui atteste de l’efficacité des actions de la Sous-Commission. Depuis que la Sous-Commission a été privée de certains de ses moyens d’action, a-t-il poursuivi, elle s’est concentrée sur la réalisation des droits économiques et sociaux et sur les objectifs à long terme. Cela étant, il est regrettable que la Sous-Commission se soit vue privée des moyens d’agir sur des situations spécifiques.

Revenant sur la déclaration d’ouverture du Haut Commissaire aux droits de l’homme par intérim, M. Bertrand Ramcharan, le 28 juillet, qui avait suggéré à la Sous-Commission d’examiner le suivi des procédures spéciales en vue de faire des recommandations à la Commission des droits de l’homme, M. Bengoa s’est félicité de cette proposition particulièrement intéressante. Ainsi, la Sous-Commission pourrait se prononcer sur le fonctionnement des mécanismes des droits de l’homme, y compris des groupes de travail, des rapporteurs spéciaux thématiques et de pays, et des comités établis en vertu des traités. Elle pourrait également émettre un avis sur la documentation qui est soumise à la Commission des droits de l’homme. C’est un défi intéressant à relever, a-t-il estimé, ajoutant toutefois que cela place la Sous-Commission à la limite de son mandat, puisqu’elle aurait alors à se prononcer aussi sur les rapports de pays.

M. Bengoa a indiqué qu’il avait réfléchi à trois projets de résolution au titre de la questions des violations des droits de l’homme et des libertés fondamentales (point 2). Il s’agit par exemple d’établir un rapport sur les rapports soumis par les rapporteurs spéciaux sur des situations spécifiques à certains pays et par les rapporteurs thématiques, qui présenterait des recommandations. En deuxième lieu, la Sous-Commission pourrait entreprendre une étude des résultats des groupes de travail et des autres mécanismes de protection des droits de l’homme en vue de faire des recommandations à la Commission. En troisième lieu, elle pourrait mener une étude du fonctionnement des mécanismes de prévention des violations des droits de l’homme et des mécanismes de suivi. Ces études permettraient en outre de préciser le mandat de la Sous-Commission qui serait alors chargée de faire des recommandations sur le fonctionnement des mécanismes des droits de l’homme. Ainsi ce point de l’ordre du jour permettrait à la Sous-Commission de remplir un rôle d’analyse, a-t-il estimé.

M. ASBJØRN EIDE, expert de la Sous-Commission, a rappelé le rôle important qu’a joué la Sous-Commission à maintes occasions, notamment dans le contexte de l’apartheid. Nombre de mécanismes spéciaux et de procédures thématiques proviennent d’initiatives lancées par la Sous-Commission, a-t-il souligné. Depuis deux décennies, la Sous-Commission a en outre joué un rôle d’enceinte au sein de laquelle peuvent s’exprimer les organisations non gouvernementales. Mais, comme l’a dit M. Bengoa, la Sous-Commission se voit entravée dans son action par son « organe-mère », la Commission des droits de l’homme. Il est toutefois un rôle que la Sous-Commission peut encore jouer, c’est celui d’étudier les constatations des procédures spéciales pour voir comment améliorer leur efficacité, a estimé M. Eide.

L’expert a par ailleurs fait observer que le monde libre n’est pas aussi libre qu’on le croit généralement. Outre le traitement des prisonniers à Guantanamo, il s’est inquiété du nombre croissant d’incarcérations dans le monde dit libre. Il semble qu’il y ait plus de prisonniers aux États-Unis (deux millions au total) que dans tout autre pays, y compris la Chine, a précisé M. Eide. Il s’est par ailleurs inquiété du nombre d’enfants vivant dans la pauvreté extrême aux États-Unis, non pas parce que ce pays serait pauvre mais parce qu’il ne tient pas suffisamment compte des droits économiques, sociaux et culturels. M. Eide a rappelé que les États-Unis n’ont toujours pas ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant. Il a par ailleurs dénoncé les efforts déployés dans certains pays afin d’assurer l’impunité de politiciens corrompus.

M. Eide a déclaré que les événements récents - 11 septembre 2001, guerre contre l’Iraq - empêchent de voir clairement où va le monde. Il convient donc plus que jamais, dans un tel contexte, de s’assurer du respect des règles de droit international, a souligné l’expert.

M. Soli Jehangir Sorabjee, expert de la Sous-Commission, a estimé que les événements de cette année qui ont ébranlé la crédibilité des Nations Unies donnaient à cette question du rôle et du mandat de la Sous-Commission un caractère d’urgence. Il importe qu’elle puisse se prononcer sur les sujets qui la préoccupent même si elle doit pour cela redéfinir les termes de son mandat, a-t-il estimé.

MME FRANÇOISE JANE HAMPSON, experte de la Sous-Commission, a rappelé que les droits de l’homme relèvent essentiellement d’une question de sécurité : sécurité de la vie, sécurité alimentaire, sécurité physique (contre la torture), sécurité sociale, sécurité de l’identité. Chaque jour, des violations flagrantes de toutes ces sécurités sont perpétrées. Mme Hampson a notamment mentionné les situations existantes au Libéria, en République démocratique du Congo, en Colombie, dans le Nord de l’Ouganda et en Aceh en Indonésie. En République démocratique du Congo, les pygmées souffrent de la situation qui s’installe en Ituri, a-t-elle souligné, attirant l’attention sur le paradoxe qui veut que, dans un monde qui voit souvent des interventions qui ne sont pas désirées par les populations locales, là où les populations demandent une telle intervention, comme en République démocratique du Congo et au Libéria, celle-ci reste tardive et est loin d’être suffisante.

Mme Hampson a souligné que lorsque l’on aborde les mesures antiterroristes, il faut réfléchir à leur contenu et à la manière dont elles sont appliquées et ont été adoptées. Certains États ont adopté des lois spéciales pour contrer le terrorisme, a rappelé Mme Hampson. Mais parfois, ce que l’on entend par terrorisme reste flou et il arrive que la législation autorise la détention arbitraire ou le gel abusif d’avoirs. Le Kenya et Hong-Kong ont tenté de se doter de législations antiterroristes qui ont été rejetées par les populations locales, a fait observer Mme Hampson. Ailleurs, les nouvelles lois se sont heurtées à peu de résistance, que ce soit aux États-Unis, au Royaume-Uni ou en Indonésie, par exemple. Mme Hampson a également attiré l’attention sur les personnes disparues dans des rafles de présumés suspects de terrorisme en Ingouchie et en Tchétchénie. En vertu de la loi Patriote II actuellement à l’état de projet aux États-Unis, les détenus ne seraient même plus en mesure de faire savoir à un avocat ou à un proche qu’ils sont détenus, a averti Mme Hampson. Toute détention qui ne serait pas officiellement confirmée devrait être traitée comme une disparition, a-t-elle estimé. Elle a en outre fait observer qu’au Royaume-Uni, un certain nombre de personnes suspectées d’implication dans des activités terroristes sont détenues qui n’auraient pas pu être détenues si elles avaient été britanniques. Les conditions de détention à Guantanamo sont inhumaines, a par ailleurs rappelé l’experte, soulignant que si les personnes détenues sur cette base venaient à être jugées, ce qui est loin d’être acquis, elles le seraient par une commission militaire n’offrant pas les garanties offertes à tout citoyen jugé aux États-Unis et violeraient les éléments non-dérogeables du droit à un procès équitable.

Aucune personne ne doit être extradée vers un pays où elle encourt un risque d’être détenue dans des conditions inhumaines, d’être détenue sans procès équitable ou d’être condamnée à la peine capitale, a rappelé l’experte. À cet égard, elle a rappelé que les Philippines, l’Indonésie, le Yémen, le Pakistan, l’Afghanistan, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Bosnie-Herzégovine et bien d’autres pays figurent au nombre de ceux qui ont transféré ou envisagent de transférer des ressortissants ou des non-ressortissants à la juridiction des États-Unis. Mme Hampson a fait observer que l’Union européenne et les États-Unis négocient des mesures de coopération judiciaire qui s’inscrivaient spécifiquement, à l’origine, dans le contexte du terrorisme mais qui sont désormais simplement baptisées « coopération dans le contexte d’activités criminelles ». Ces mesures sont en train d’être négociées et adoptées dans le secret et ne seront rendues publiques que lorsqu’elles constitueront un fait accompli, a déclaré Mme Hampson.

L’experte a par ailleurs relevé que les autorités russes n’ont toujours pas rendu public le nom des produits utilisés lors de l’assaut donné à un théâtre de Moscou, ce qui empêche les médecins de traiter les victimes de manière adéquate. La question est de savoir ce que peut faire la Sous-Commission face à toutes ces questions. À cet égard, Mme Hampson a affirmé que le Haut-Commissaire adjoint aux droits de l’homme, M. Bertrand Ramcharan a avancé un certain nombre de propositions valables. La prix de la liberté, c’est la vigilance permanente ; or la Sous-Commission n’est actuellement pas vigilante, a conclu Mme Hampson.

MME BARBARA FREY, experte de la Sous-Commission, suppléante de M. David Weissbrodt, a donné lecture d’un texte préparé par M. Weissbrodt sur la question de la prévention de la torture. Elle a tout d’abord rappelé le cadre juridique existant et précisé que les instruments internationaux interdisant la torture bénéficient presque tous de la ratification universelle. Elle a ensuite mentionné la création du Comité contre la torture puis la nomination d’un Rapporteur spécial sur cette question et enfin l’adoption du Protocole facultatif à la Convention contre la torture, qui établira un mécanisme de prévention.

Malgré cet important appareil juridique, a-t-elle poursuivi, la torture continue d’être pratiquée dans une centaine de pays, a souligné Mme Frey. Elle a fait valoir que, pour parvenir à l’éradication de la torture, la communauté internationale doit veiller à l’application du droit international interdisant la torture. Elle a estimé que l’engagement des Nations Unies n’était pas suffisant face au défi à relever, car la responsabilité de prévenir la torture repose sur le Comité contre la torture, qui ne se réunit que deux fois par an pendant deux semaines, et sur le Rapporteur spécial, le seul d’ailleurs qui ne dispose pas d’un personnel suffisant. Il faudrait que le Rapporteur spécial sur la torture dispose d’une structure plus solide, comprenant, par exemple, au moins cinq personnes. Il importe que la communauté internationale établisse des institutions plus solides, d’autant plus que la lutte contre le terrorisme a accru le risque de recours à la torture dans le monde entier, a-t-elle déclaré. Elle a illustré son propos en prenant l’exemple des conditions d’interrogatoire subies par les détenus soupçonnés de terrorisme par les autorités des États-Unis. Elle a précisé que des méthodes similaires à celles utilisées par les États-Unis avaient été jugées contraires au droit international par le Comité contre la torture. Dans ce contexte, elle s’est félicitée de la déclaration faite par le Président Bush, le 26 juin dernier à l’occasion de la Journée des Nations Unies contre la torture, qui a affirmé que les États-Unis étaient déterminés à montrer l’exemple dans la lutte pour l’élimination de la torture. Soulignant l’importance de l’exemple, elle a estimé que si une grande puissance se permettait d’ignorer la Charte des Nations Unies, elle prenait le risque de porter atteinte aux droits qu’elle prétend défendre. Les droits de l’homme sont fondés sur le droit international, qui s’impose à tous les États, a-t-elle rappelé.

Mme Frey a jugé regrettable que la guerre contre le terrorisme ait été utilisée par certains États pur justifier le recours à la torture contre leurs opposants, comme par exemple au Zimbabwe, où 1046 cas de torture ont été dénombrés en 2002. Elle a ensuite dénoncé les arrestations de musulmans pacifiques dans le cadre de la campagne menée contre le groupe armé connu sous le nom de Mouvement islamique d’Ouzbékistan (IMU). Elle a cité l’exemple de la législation antiterroriste adoptée par la Chine à la suite des événements du 11 septembre 2001 et qui a entraîné un accroissement de la torture, notamment contre les membres de Falun Gong et les Ouighours. Elle a ensuite appelé l’attention sur les mécanismes gouvernementaux et non gouvernementaux d’assistance aux victimes de la torture et s’est félicitée du rôle joué par le Fonds de contributions volontaires pour les victimes de la torture pour venir en aide à ces centres de réhabilitation. En conclusion, Mme Frey elle a insisté sur le fait qu’il ne fallait surtout pas baisser les bras, mais renforcer le cadre juridique et les structures permettant de lutter contre la torture.

M. PAULO SÉRGIO PINHEIRO, expert de la Sous-Commission, a rappelé que si la Sous-Commission est censée ne pas traiter de situations géographiques, cela ne signifie pas que l’examen de la question de la violation des droits de l’homme dans tous les pays doit se résumer à un simple rituel. La Sous-Commission ne peut donc pas continuer sous ce point de l’ordre du jour à se livrer à un rituel de palabres vides de sens. Il faut qu’elle trouve le moyen de traiter plus efficacement des questions relevant de ce point de l’ordre du jour. Certaines questions, comme les mesures antiterroristes prises par les États ou la question de la torture, sont en effet très importantes. La Sous-Commission doit discuter de chaque point de l’ordre du jour de manière approfondie, a insisté M. Pinheiro. Des experts en provenance des différents pays pourraient judicieusement être invités à venir s’exprimer devant la Sous-Commission, a-t-il proposé. Il a rappelé que le Haut Commissaire adjoint aux droits de l’homme, M. Bertrand Ramcharan, a lui-même rappelé que certaines questions méritent un examen attentif. Indéniablement, les mesures prises par les États pour lutter contre le terrorisme figurent au nombre de ces questions.

M. YOZO YOKOTA, expert de la Sous-Commission, a rappelé qu’il avait mentionné la disparition de jeunes Japonaises il y a quelques années et a précisé qu’il était apparu que ces disparitions étaient le fait d’agents nord-coréens infiltrés au Japon. Il a notamment mentionné le cas de Yokomi Yokota, enlevée au Japon et détenue en Corée du Nord où elle a été contrainte d’épouser un Nord-Coréen et a fini par se suicider, incapable de résister plus longtemps aux pressions physiques et morales. M. Yokota a reconnu qu’aucune preuve n’impliquait les autorités nord-coréennes, mais que celles-ci avaient finalement admis les faits au cours d’entretiens ministériels. Depuis, a-t-il poursuivi, certaines de ces jeunes femmes ont pu retourner au Japon. Il s’est s’indigné des violations des droits de ces jeunes femmes, consacrés par des instruments internationaux auxquels la République populaire démocratique de Corée est partie telle que la Convention relative aux droits de l’enfant. M. Yokota a estimé que les autorités nord-coréennes devaient traduire les responsables de ces enlèvements en justice. Il s’est félicité que le Groupe de travail sur les disparitions forcées se soit saisi de cette question.

Revenant ensuite sur les questions posées à la Sous-Commission par le Haut Commissaire aux droits de l’homme par intérim dans son allocution d’ouverture, M. Yokota a insisté sur l’importance de l’éducation dans le domaine des droits de l’homme, reconnaissant que c’était la seule garantie de l’édification de sociétés respectueuses des droits de l’homme. Il a estimé que l’éducation dans le domaine des droits de l’homme devait commencer dans les foyers. Il a souligné l’importance particulière qu’elle revêt pour les forces de police et les administrateurs de la justice. À cet égard, il a fait connaître le plan d’action adopté par le Japon dans le cadre de la Décennie sur l’éducation dans le domaine des droits de l’homme. Toutefois, le Japon comme tant d’autres pays doit poursuivre ses efforts, a-t-il observé. Estimant que beaucoup restait à faire sur ce plan, M. Yokota s’est déclaré favorable à la proclamation d’une deuxième décennie sur l’éducation dans le domaine des droits de l’homme. Il a également suggéré que la Sous-Commission se réserve la possibilité d’examiner, à sa prochaine session, les résultats de la Décennie qui s’achève.

MME FLORIZELLE O’CONNOR, experte de la Sous-Commission, a relevé que les interventions faites ce matin par certains membres de la Sous-Commission font écho au sentiment ressenti dans le monde entier quant à la pertinence de la réunion de la Sous-Commission, ainsi qu’au sentiment selon lequel il y aurait une justice et des droits de l’homme à deux vitesses, pour les riches d’une part et pour les pauvres de l’autre. Il semble qu’il y ait même une série de valeurs pour les riches et une autre pour les pauvres, a-t-elle insisté. La Sous-Commission parle d’indépendance, de droit de l’homme, de droit à l’éducation, par exemple, mais on peut s’interroger sur la réalité de ces droits à la lumière de certaines conditions qui accompagnent certains accords commerciaux, a poursuivi Mme O’Connor. Certains pays se prétendant champions en matière de droits de l’homme entendent mener le reste du monde dans ce domaine alors que les mesures qu’ils prennent ne manquent pas de nous interpeler, a ajouté l’experte. Dans un tel contexte, il semble difficile d’empêcher d’autres pays de prendre des mesures similaires, a-t-elle souligné.

M. Soo Gil Park a souligné le rôle pionnier des Nations Unies dans l’élaboration d’un cadre juridique international relatif aux droits de l’homme. Toutefois, il a regretté que ce rôle ait été mis en cause depuis les événements tragiques du 11 septembre 2001. Il a notamment regretté l’érosion des droits civils et politiques dans certains pays sous couvert de lutte contre le terrorisme et s’est inquiété du signal envoyé par la guerre en Iraq sans l’aval des Nations Unies. Répondant aux questions sur le rôle de la Sous-Commission posées par le Haut Commissaire aux droits de l’homme par intérim, M. Park a appelé l’attention sur les situations dramatiques qui sévissent actuellement au Libéria et en République démocratique du Congo moins de dix ans après le terrible génocide au Rwanda. Dans un tel contexte, il a souligné l’importance de traduire en justice les responsables des violations des droits de l’homme et de mettre fin à l’impunité. M. Park a ensuite appelé l’attention sur l’extrême pauvreté, obstacle majeur à la réalisation des droits économiques et sociaux, et s’est inquiété de la lenteur des négociations commerciales. Il a estimé qu’il était d’une importance capitale d’assister les pays en développement dans leur lutte contre la pauvreté et que la communauté internationale s’engage en faveur de la réalisation des objectifs de développement énoncés dans la Déclaration du millénaire.

Outre la crise iraquienne, M. Park a appelé l’attention sur la situation en Corée du Nord où la population fuit en masse vers les pays limitrophes pour échapper à des conditions de vie intolérables. Il a dénoncé la situation de ces personnes qui vivent dans la clandestinité en Chine sans bénéficier du statut de réfugiés ni de l’aide du Haut Commissariat pour les réfugiés. Il a déclaré qu’il était fondamental que le Haut Commissariat puisse avoir accès à ces personnes qui, si elles rentrent chez elles, subiront des persécutions. Il a rappelé que la Convention sur les réfugiés reconnaissait à chacun le droit de se protéger des persécutions et interdisait de renvoyer des réfugiés dans un pays où ils risquent de subir des persécutions. M. Park a estimé que le régime qui sévit en Corée du Nord ne devrait en aucun cas priver ceux qui fuient ce régime du statut de réfugié. En dernier lieu, M. Park s’est demandé si l’ère des droits de l’homme qui avait semblé s’ouvrir à la fin de la Guerre froide n’était pas déjà en train de s’achever. Pour remédier à cette tendance, il a recommandé à la communauté internationale de veiller à l’application du cadre juridique relatif aux droits de l’homme.

M. Park a ensuite appuyé les remarques faites par M. Yokota au sujet de l’éducation dans le domaine des droits de l’homme ainsi que les observations de Mme O’Connor sur l’importance des droits économiques et culturels. Il s’est également déclaré favorable à la proposition de Mme Hampson selon laquelle un groupe de travail intersessions de la Sous-Commission pourrait examiner les mesures antiterroristes prises par les États et formuler des principes directeurs à cet égard.

Droit de réponse

Le représentant de la Bolivie, en réponse à la déclaration faite hier après-midi par une organisation non gouvernementale qui a mentionné son pays, a rappelé que le Gouvernement bolivien consacre tous les efforts possibles à l’objectif consistant sortir la population bolivienne de la pauvreté, en particulier pour ce qui est de la population rurale. Toute une stratégie nationale en matière de droits de l’homme est actuellement au stade de l’examen législatif, a-t-il indiqué. Rappelant qu’une situation de trouble social a entraîné la mort de plusieurs personnes, il a assuré que le Gouvernement s’efforce de poursuivre les responsables des faits. Le représentant a rappelé que plusieurs nationalités et ethnies coexistent aujourd’hui en Bolivie.

Source : ONU