Les attentats du 11 septembre ont permis aux États-Unis de réorganiser la coopération judiciaire entre les deux continents sur la base de 16 propositions faites par le gouvernement américain à la Commission européenne le 16 octobre 2001. Ces mesures permettaient aux autorités policières et aux magistrats de chaque État membre de négocier directement ave les autorités judiciaires américaines sans passer par les procédures nationales. Washington sollicitait également un " accès rapide " aux dossiers financiers et bancaires " critiques " et exigeait qu’Europol leur transmette directement ses renseignements sur les personnes liées au terrorisme et à la criminalité organisée.
Cela fait déjà de nombreuses années que la police fédérale américaine a la possibilité d’organiser directement les politiques européennes dans la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme via la collaboration entre les polices. Depuis 1993, à l’initiative du FBI, l’Ukusa (l’alliance des structures d’écoutes états-unienne, britannique, australienne et néo-zélandaise) et la plupart des polices de l’Union européenne se retrouvent une fois par an pour parler de leurs besoins en matière d’interception des communications. La plupart du temps, ce groupe parvient à faire évoluer leurs législations nationales dans ces matières par des accords internationaux. La coopération policière s’opère dans l’Union européenne via le groupe de Trevi, groupe auquel le FBI s’est très vite intégré et sur lequel les Américains firent pression dès 1991 pour développer des systèmes d’interception de communication. Ces demandes seront progressivement satisfaites.
Dans le domaine judiciaire, les États-Unis veulent être traités comme un membre de l’Union européenne sur les questions d’extradition et d’entraide judiciaire mutuelle. Le contrôle de l’appareil judiciaire était le seul point où se manifestait encore la souveraineté des pays européens mais les choses ont changé depuis le 25 juin 2003 et la signature d’un accord à Washington. Cet accord a été critiqué par le Parlement européen qui a pointé le fait que la peine de mort et les mesures prises aux États-Unis depuis le 11 septembre devait théoriquement interdire l’extradition. Rien n’y a fait et la signature de cet accord est une reconnaissance tacite des législations spéciales mises en place par le Patriot Act. Désormais rien n’empêche les ressortissants européens extradés d’être jugés par les commissions spéciales avec peu de possibilités de se défendre.
On ignore quelles sont les modalités exactes de cet accord dont les discussions sont encore largement secrètes mais tout semble avoir été prévu pour que les États-Unis puissent faire pression et obtenir satisfaction rapidement pour leur demande. La deuxième partie de l’accord se penche sur les échanges d’informations bancaires et la surveillance des communautés. Comme les États-Unis n’ont pas de législation de protection des données personnelles, rien ne prouve que les informations obtenues ne peuvent pas être transmises à des entreprises privées. Les échanges d’informations incluront par ailleurs quasiment toutes les informations personnelles, notamment la race, les opinions politiques, les croyances religieuses, la vie sexuelle, etc. Tout ceci n’aura pas forcément un objectif pénal puisque la prévention des délits permet des échanges sans qu’il y ait délit préalable.
Cet accord a été négocié en toute autonomie par l’Office européen de la police, conformément à ce que prévoît la Convention Europol de 1995, sans avoir besoin de l’avis du Parlement européen, sans vérification par la Cour de justice européenne ni ratification des Parlements nationaux. Ce sont désormais les États-Unis qui peuvent construire le nouvel ordre juridique mondial.

Source
Le Monde (France)

« Europe-Etats-Unis : un rapport impérial », par Jean-Claude Paye, Le Monde, 24 février 2004.