La monstruosité des attentats de Madrid a enclenché dans une mécanique infernale les rouages du terrorisme, du gouvernement et de l’information. Cette machine à broyer la vérité était mue par la plus redoutable des énergies : le temps réel et la volonté du public de connaître la vérité dans l’instant. La démocratie politique et médiatique se livre alors au jeu des supputations et certains vont y laisser la dignité de leur pays, de leur peuple, de leur cause et de leur fonction. La tentation du vote à venir a été trop forte pour les pouvoirs publics, on a menti, manipulé et perdu.
Le terrorisme joue avec les médias, c’est bien connu, et les médias sont consubstantiels de la démocratie. Seuls les enquêteurs disposent des éléments qui permettent de mettre à nu les frappes, ses auteurs, ses motivations par-delà l’émotion et le deuil. Au milieu des années 80, en pleine vague d’attentats, Bernard Gérard, directeur de la DST, réunissait des journalistes de radios, de la presse écrite et télévisuelle pour les tenir informer des derniers éléments de l’enquête. Cela nous permettait de partager librement nos différentes pistes et nous apprenions ce qu’il fallait dire ou non pour ne pas aider les poseurs de bombe.
L’affaire AZF et celle des « serviteurs d’Allah » démontrent qu’il est temps d’entamer un débat entre presse et pouvoirs publics afin de mettre en place une procédure originale où chacun reste à sa place, mais cherche à répondre au souci commun pour savoir d’où vient la terreur.

Source
Libération (France)
Libération a suivi un long chemin de sa création autour du philosophe Jean-Paul Sartre à son rachat par le financier Edouard de Rothschild. Diffusion : 150 000 exemplaires.

« Madrid, le signal de l’urgence », par Hervé Brusini, Libération, 19 mars 2004.