Les sévices infligés aux prisonniers irakiens témoignent d’une attitude déshonorante et indigne. Ces actes minent le système de valeurs de nos démocraties. Je ne sais toujours pas s’ils sont le fait de quelques soldats sadiques ou s’il s’agit d’un système organisé. Les États-Unis ont réagi comme la démocratie qu’ils sont. Ils ont dit les choses et les ont traitées. S’il s’agit d’un système organisé, tous les responsables et coresponsables devront être sanctionnés.
Pour sortir du « trou noir » irakien, qui risque d’emporter toute la région, la France doit aider la communauté internationale à retrouver ses repères et ses principes : il faut que ce soit les Nations Unies qui organisent un transfert de pouvoir effectif à un gouvernement irakien qui ne soit pas un trompe l’œil. Il faut restaurer la confiance entre alliés en agissant de manière concertée et transparente, c’est l’enjeu des négociations en cours à l’ONU. Les Américains doivent répondre à cet appel. Il faut aussi renforcer le dialogue avec le monde arabe.
La France n’enverra pas de militaires en Irak car la solution à cette crise n’est pas militaire, mais nous sommes prêts à aider à la reconstruction politique et économique du pays. Il faut respecter la date du 30 juin et faire en sorte que le futur gouvernement irakien soit réellement souverain. Nous sommes attentifs à la définition de ses compétences et il faudra organiser une table ronde pour s’assurer de sa représentativité. La résolution de l’ONU viendra après pour valider ce processus. Le nouveau gouvernement irakien sera au minimum consulté avant chaque intervention des forces internationales issues de la Coalition et il aura un contrôle total des forces irakiennes. Le gouvernement irakien élu en janvier 2005 devra pouvoir dire s’il souhaite ou non le maintien des troupes états-uniennes.
Nous devons travailler à la réunification de la communauté internationale et nous travaillons à une nouvelle résolution qui ira dans ce sens, mais j’aimerais bien que les Américains comprennent que, lorsque nous nous exprimons, ce n’est pas pour ou contre eux. Nous sommes définitivement amis et alliés, et nous le rappellerons avec beaucoup de gratitude et de force le 6 juin. La nouvelle résolution sur l’Irak doit viser un triple objectif : affirmer le retour de la souveraineté et des responsabilités aux Irakiens, marquer clairement l’autorité retrouvée des Nations unies et engager en Irak même un processus de reconstruction politique et économique qui soit vraiment crédible pour convaincre la population irakienne d’y adhérer.
Nous émettons des réserves sur les sanctions contre la Syrie. Si nous sommes favorables à une réforme du monde arabe, cela ne peut se faire qu’en tenant compte de la culture et de l’histoire de ces pays, pas en plaquant un modèle.
La France, comme la communauté internationale, a immédiatement condamné l’attaque israélienne contre Rafah. Le retrait annoncé de Gaza est une bonne chose s’il s’inscrit dans la « feuille de route » et fait l’objet d’une concertation appropriée avec les Palestiniens et le quartet. À quoi cela servirait-il de se retirer de Gaza si l’on détruit ce territoire avant ? La France est favorable à l’envoi d’une force d’interposition internationale.

Source
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.

« Le gouvernement irakien devra être réellement souverain », par Michel Barnier, Le Figaro, 26 mai 2004. Ce texte est adapté d’une interview.