Au sommet de Londres du 2 novembre 2010, la France a décidé de faire Défense commune avec les Britanniques, qui dépendent des Etats-Unis.

Ce sont la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis qui ont proposé au Conseil de sécurité des Nations Unies le texte adopté en tant que résolution 1973, instituant une zone d’exclusion aérienne au dessus de la Libye.

Cette initiative doit se comprendre de deux manières :
Premièrement, Barack Obama ne souhaitait pas endosser vis-à-vis de son opinion publique intérieure une troisième guerre dans le monde musulman, après celles dans lesquelles son pays est embourbé, en Afghanistan et en Irak. Washington a donc préféré déléguer cette opération à ses alliés.
Deuxièmement, Nicolas Sarkozy—qui représente les intérêts états-uniens partisans de la « relation spéciale » entre Londres et Washington— s’est efforcé prioritairement depuis le début de son mandat de rapprocher les défenses françaises et britanniques. Il y est parvenu avec les accords de défense du 2 novembre 2010 et trouve dans la crise libyenne l’occasion d’une action commune [1].

Avec le retour dans le commandement intégré de l’OTAN, voté le 17 mars 2009 et acté au sommet de Strasbourg-Kehl, les 3-4 avril 2009, Nicolas Sarkozy a renoncé au principe d’une défense française indépendante.
Avec le Traité de Lisbonne, dont il revendique être l’un des principaux artisans, il avait déjà contraint l’Union européenne à renoncer à toute défense indépendante et à s’en remettre définitivement à l’OTAN.
Sa politique marque le triomphe, avec un demi-siècle de retard, du principe de la CED, jadis combattu par les gaullistes et les communistes.

Sous le prétexte de réaliser des économies d’échelle en période de crise, David Cameron et Nicolas Sarkozy ont liquidé les derniers acquis du front nationaliste gaullo-communiste et signé deux traités.
Le premier prévoit une coopération accrue ainsi que le partage et la mutualisation de matériels et d’équipements, dont les porte-avions. Surtout, il institue une force expéditionnaire interarmées conjointe, mais non permanente, composée de 3 000 à 3 500 hommes, susceptible d’être déployée, avec préavis, pour des opérations militaires bilatérales de l’OTAN, de l’Union européenne ou des Nations Unies.
Le second initie des projets industriels et de recherche-développement. Surtout, il prévoit la mise en commun de technologies en matière d’essais nucléaires en laboratoire. Ce qui implique que la force de dissuasion nucléaire française ne sera plus indépendante —tandis que la force de dissuasion britannique est sous contrôle états-unien—.

Pour concrétiser la force expéditionnaire franco-britannique, les ministres compétents des deux pays, Liam Fox et Alain Juppé (ministre de la Défense du 14 novembre 2010 au 27 février 2011) ont planifié un vaste exercice aérien commun qui devait se dérouler du 21 au 25 mars 2011, sous la dénomination Southern Mistral.

L’étrange logo du commandement des opérations aériennes. Le rétiaire ne protège pas l’oiseau de la liberté, mais le fait prisonnier dans son filet.

Il devait comporter « des missions aériennes de type COMAO (Composite Air Operations) et un raid spécifique (Southern Storm) en vue de délivrer une frappe conventionnelle à très longue distance. Plus de 500 personnes seront mobilisées pour cet exercice bilatéral », indique le site internet dédié édité par le Commandement de la Défense aérienne et des Opérations aériennes, « Southern Mistral ».

« Six avions Tornado GR4, un ravitailleur Vickers VC-10 et un Boeing E3D seront mobilisés aux cotés des Mirage 2000D, 2000N et 2000C de l’Armée de l’air française qui engagera une trentaine d’aéronefs incluant hélicoptères, Boeings ravitailleurs et avions radar Awacs (…)
Simultanément, le Commando Parachutiste Air 20 (CPA20) accueillera à Dijon un de ses homologues britanniques, le RAF Regiment et s’entrainera à la mission de protection des bases aériennes en théâtre opérationnel telle qu’elle est aujourd’hui pratiquée en Afghanistan.
Par ailleurs, des membres du RAF Regiment seront entraînés à la pratique des mesures de sécurité aérienne à partir d’hélicoptères. Ces procédures particulières sont appliquées au quotidien par les hélicoptères "sûreté aérienne" de l’armée de l’air afin de pouvoir intervenir contre les aéronefs se déplaçant à faible vitesse
 », poursuit le communiqué officiel.

Cet exercice devait être dirigé par les généraux Desclaux et de Longvilliers (France), l’air marshall Garwood et l’air commodore Maas (Royaume-Uni).

Hasard ou préméditation ? Quoi qu’il en soit, c’est une opération réelle et non un exercice qui a été lancée le 19 mars 2011 en application de la résolution 1973 du Conseil de sécurité. Seuls la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis y ont participé le premier jour. En attendant la participation d’autres Etats membres de l’OTAN et la constitution d’un commandement de coalition, toutes les opérations —y compris françaises— sont coordonnées depuis l’AfriCom, basé à Stuttgart (Allemagne) par le général états-unien Carter Ham. Les forces navales —y compris les bâtiments italiens et canadiens qui rejoignent la zone— et le commandement tactique sont placés sous l’autorité de l’amiral états-unien Samuel J. Locklear, embarqué sur l’USS Mount Whitney. Tout cela conformément à la planification préalable de l’OTAN [2].On est donc bien loin du bla-bla officiel sur l’initiative française, mais dans la logique décrite plus haut de vassalisation des forces.

Le volet français de l’opération a été dénommé Harmattan, mot qui désigne ce « Mistral du Sud » qui balaye l’Afrique occidentale.

Le volet britannique s’appelle Operation Ellamy.

Mais le volet US est dénommée Odyssey Dawn, afin que chacun comprenne qu’il marque l’aube d’une odyssée états-unienne en Afrique [3]. Il importe ici de noter que, contrairement aux discours lénifiants et mensongers des leaders atlantistes, la résolution 1973 est rédigée en termes si flous qu’elle peut autoriser le débarquement de troupes coloniales en Libye. En effet, l’interdiction de « déploiement d’une force d’occupation étrangère sous quelque forme que ce soit et sur n’importe quelle partie du territoire libyen » ne s’applique pas à la création de la zone d’exclusion aérienne, mais uniquement aux opérations de protection civile (§ 4). Ce point a été soulevé par les ambassadeurs de Russie et de Chine au Conseil de sécurité et n’a pas trouvé de réponse, en conséquence de quoi, ils se sont abstenus durant le vote [4]

Lors du point de presse du Pentagone, le 19 mars, le vice-amiral Gortney a expliqué que les tirs de missiles US visaient à façonner le théâtre d’opération dans lequel les alliés devraient combattre.

Pour ce premier jour de l’Harmattan, les forces françaises ont déployé les appareils qui devaient être utilisés dans l’exercice Southern Mistral ainsi que deux frégates anti-aériennes et de défense aérienne (le Jean Bart et le Forbin) positionnées au large de la Libye. Elles auraient détruit quatre blindés. De leur côté, les forces anglo-saxonnes ont utilisé un sous-marin britannique de la classe Trafalgar et onze bâtiments états-uniens —dont deux destroyers (le Stout et le Barry) et trois sous-marins (le Providence, le Florida, et le Scranton)— pour tirer 110 missiles guidés Tomahawk.

Cette opération militaire pourrait durer si les forces libyennes opposent une résistance. Quoi qu’il en soit, la logique adoptée devrait conduire à la situation qui avait prévalu en Irak entre Tempête du désert et Iraqi Freedom : une partition de facto du pays entre loyalistes et rebelles.

[2« Press conference by Anders Fogh Rasmussen on Libya », Réseau Voltaire, 10 mars 2011.

[3Sur la manipulation de la crise libyenne et les intentions US en Afrique, lire : « Proche-Orient : la contre-révolution d’Obama », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 16 mars 2011.

[4« Résolution 1973 » (avec le texte des débats), Réseau Voltaire, 17 mars 2011.