Présidence de M. Raymond FORNI, Président

Le Général de brigade Maurice Lallement est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, le Général de brigade Maurice Lallement prête serment.

M. le Président : Mes chers collègues, nous recevons le général de brigade Maurice Lallement, actuellement chef du service des opérations et de l’emploi à la direction générale de la gendarmerie nationale.

A ce titre, mon général, vous avez participé au processus de décision conduisant à la création du GPS. Par ailleurs, vous avez de janvier 1995 à octobre 1996, exercé les fonctions de commandant de la légion de gendarmerie de Corse. Votre audition présente donc un double intérêt pour notre commission qui souhaite recueillir des informations sur le fonctionnement de la gendarmerie en Corse et sur les relations de la gendarmerie avec les forces de police et les autorités judiciaires.

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Monsieur le Président, mesdames et messieurs les députés, avant mon intervention proprement dite, je crois utile de préciser ce que recouvre la fonction de chef du service des opérations et de l’emploi au sein de la direction générale, puisqu’il s’agit d’un terme peu usité et connu. Je suis directement rattaché au directeur général et mon service est chargé de définir la doctrine générale d’emploi de la gendarmerie et de veiller à son application. A ce titre, je suis chargé de définir les concepts, les modes d’action de la gendarmerie, de proposer la politique à mener en matière d’effectifs et d’organisation, de participer à l’élaboration des textes à portée générale et je suis, coordonne et planifie l’activité des unités, notamment de la gendarmerie mobile et du groupement de sécurité et d’intervention qui est mise en œuvre sous mon autorité directe par délégation du directeur général. C’est donc dans le cadre de ces attributions que j’ai été conduit, à compter du 1er mai 1998, à suivre les activités de la légion de gendarmerie départementale de Corse, en liaison avec la circonscription de gendarmerie de Marseille chargée de son contrôle.

Comme vous l’avez rappelé, j’ai été commandant de la légion de gendarmerie de Corse en 1995 et 1996, avant de prendre le commandement de la circonscription de gendarmerie d’Orléans qui regroupe les régions Centre, Poitou-Charentes et Limousin. Je dois préciser que je suis marié à une Corse de la Castagniccia et que je rentre de vacances en Corse, ainsi que les journalistes l’ont précisé.

Monsieur le Président, je relaterai très brièvement les conditions de fonctionnement des unités de gendarmerie en Corse. Je les aborderai à partir des missions qui leur sont confiées : tout d’abord, les missions dans le cadre de la prévention, relevant de la police administrative et de l’ordre public, puis, dans le cadre de la répression, relevant de la police judiciaire.

Pour ce qui concerne la police administrative sur l’île de Corse, ces missions sont identiques à celles que nous conduisons sur le continent, puisque nous faisons de la prévention au moyen de patrouilles de surveillance générale et par le biais de contacts directs avec la population, qui permettent d’avoir du renseignement afin d’évaluer en permanence la situation sur l’île. Dans le cadre de cette police administrative, d’autres missions sont accomplies, telles que la police de la route, la police municipale ou autres.

Le deuxième aspect de cette police administrative, placée sous l’autorité du ou des préfets, est celui de l’ordre public.

Avant l’assassinat du préfet Erignac, quatre escadrons de gendarmerie mobile étaient déplacés sur l’île ; après son assassinat, leur nombre est passé à six, pour monter à neuf au mois de mars en raison des turbulences dues aux élections à l’assemblée territoriale. Depuis le mois de juin, nous sommes revenus à six escadrons de gendarmerie mobile sur l’île pour des missions diverses que nous pourrons évoquer lors des questions.

Le deuxième volet, la police judiciaire, est effectué par les différentes unités de l’île sous l’autorité des magistrats avec un compte rendu de tous les aspects relatifs à l’ordre public à l’autorité administrative, étant bien entendu qu’il existe une séparation entre la police judiciaire et la police administrative, ce qui parfois peut causer des difficultés, car cette séparation n’est pas toujours aussi nette qu’on le souhaiterait et que, par voie de conséquence, on informe simultanément les deux autorités.

En ce qui concerne la coordination entre services sur l’île, on peut distinguer deux périodes. Avant l’assassinat du préfet Erignac, le préfet adjoint pour la sécurité était chargé de coordonner l’ensemble des services de sécurité sur l’île, lui-même étant placé sous l’autorité de chacun des deux préfets. En matière de police judiciaire, le procureur général joue le rôle classique de correspondant du commandant de légion, les commandants de groupement étant en liaison avec les procureurs de la République, et les enquêteurs et directeurs d’enquête, étant en relation avec les juges d’instruction saisis des différents dossiers.

Je reviens tout de suite aux interlocuteurs du commandant de légion puisque c’est ce qui a posé problème dans le cadre du dossier qui nous intéresse. Sur l’île, jusqu’au 6 février 1998 et je dirais même jusqu’au mois de juin 1998, le commandant de légion avait deux interlocuteurs privilégiés : le préfet adjoint pour la sécurité et le procureur général.

Une configuration nouvelle est née à partir du schéma mis en place par le préfet Bonnet. Le commandant de légion était alors en prise directe sur le préfet de région qui, lui, avait une vision beaucoup plus globale de sa fonction au niveau de la sécurité.

Je voyais personnellement très peu le préfet sur les questions d’ordre public et de sécurité, qu’il s’agisse du préfet Coëffé dans un premier temps ou du préfet Erignac ensuite. Ils étaient chacun en retrait par rapport à leur préfet adjoint pour la sécurité qui, lui, était chargé de traiter directement les dossiers de sécurité. Le préfet de région s’impliquait simplement pour les visites ministérielles, afin d’établir une synthèse à destination du gouvernement.

Mes autres interlocuteurs étaient le chef du SRPJ sur l’île, le délégué militaire départemental (DMD) du ministère de la Défense, le directeur régional des renseignements généraux, le directeur régional des douanes. Hors l’île, le commandant de circonscription de gendarmerie de Marseille avait un simple rôle de contrôle hiérarchique direct du commandant de légion.

La direction générale était en relation avec le commandant de légion à travers le chef du service opération-emploi, pour tout ce qui concerne l’envoi des forces de gendarmerie mobile sur l’île - c’est donc dans mes attributions actuelles - ou l’envoi de forces du type GSIGN (Groupement de sécurité et d’intervention de la gendarmerie nationale), GIGN pour les interventions, groupe d’observation et de renseignement pour les équipes de recherche de renseignements et d’intervention, voire l’escadron parachutiste d’intervention pour certaines protections de personnalités qui nous étaient demandées par le ministre de l’Intérieur.

Le major général et le directeur général étaient susceptibles d’entendre le commandement de la légion de Corse en fonction des événements pour s’enquérir de la situation globale sur l’île et surtout du moral des gendarmes sur place, et pour traiter les questions préoccupantes. C’est dans ce cadre que je me suis rendu sur l’île en compagnie du directeur général au mois de janvier 1999, pour rendre visite aux personnels des brigades de Moltifao et Propriano, qui avaient subi des attentats, afin de marquer le soutien du directeur général aux personnels en poste sur l’île.

J’aborderai maintenant la réorganisation opérée à la suite de l’affaire des paillotes. Comme vous le savez, le GPS a été créé par décision du 2 juin 1998. Il s’agissait en fait d’une transformation, celle de l’escadron d’Ajaccio en unité beaucoup plus opérationnelle. Elle avait déjà été envisagée par le colonel Quentel, mon successeur et prédécesseur du colonel Mazères, parce que l’escadron 31-6 d’Ajaccio qui avait été créé en 1972 n’était plus très utilisé sur l’île pour des raisons qui nous semblaient évidentes : il était basé sur l’île et il n’était pas souhaitable de l’employer directement sur son territoire. C’est d’ailleurs généralement le cas en métropole : on n’emploie pas un escadron de gendarmerie mobile chez lui, parce que cela pourrait avoir des conséquences sur les familles, et on envoie plutôt un escadron de l’extérieur, sauf en sécurité publique générale quand il vient en renfort direct des populations. En maintien de l’ordre pur, on n’emploie pas un escadron sur son territoire d’implantation.

Il nous a donc semblé utile, compte tenu des demandes formulées par les autorités, c’est-à-dire dans le cadre de l’intervention, de la protection des personnalités et du renseignement, de créer et de renforcer cette unité pour lui donner des capacités d’intervention, et en faire un peloton de protection de personnalités, d’observation et de renseignement, le tout étant placé sous l’autorité d’un capitaine, qui a été Ambrosse, lui-même sous l’autorité directe du commandant de légion d’Ajaccio.

On demande souvent pourquoi ce GPS était sous l’autorité directe du commandant de légion. Lorsque j’étais commandant de légion de Corse, l’escadron 31-6 était sous l’autorité directe du commandant de légion de gendarmerie mobile de Marseille. Je l’avais donc pour emploi, mais n’étais pas son chef direct. Cela posait des problèmes. On comprend bien que ces personnels, avec un capitaine qui ne pouvait pas les contrôler dans les meilleures conditions, profitaient d’une situation qui leur était favorable. De ce point de vue, le GPS était certainement mieux contrôlé sous l’autorité du capitaine Ambrosse, puis du colonel Mazères. Cela étant, nous ne pouvions pas prévoir les dérapages individuels dans les conditions où ils se sont produits.

M. le Président : Quelles étaient les relations entre les services de gendarmerie et les services de police ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Elles étaient de type classique, comme sur le continent : les deux commandants de groupement ont comme alter ego les deux directeurs départementaux de la sécurité publique avec lesquels ils travaillaient dans les meilleures conditions possibles. Je n’ai jamais ressenti de tension à ce niveau-là. J’ai connu trois directeurs de SRPJ - je dis " je " parce qu’en tant que commandant de légion, j’étais en prise directe sur eux : le commissaire divisionnaire Mireille Ballestrazzi avec laquelle nous avons travaillé en parfaite intelligence, Marc Pasotti qui a eu des ennuis internes, hélas, en raison de la fuite d’un procès-verbal d’audition de François Santoni, et le commissaire Dragacci, que j’ai parfaitement bien connu, avec lequel j’ai travaillé trois mois, mais que j’avais connu précédemment comme directeur de cabinet du préfet Lacave.

Nous avions des relations tout à fait normales, sans véritable dysfonctionnement. J’en veux pour preuve l’évolution des prises d’otages dans les banques. A une époque, je ne sais si vous vous en souvenez, nous avons eu des prises d’otages sur la famille des directeurs de banque. On prenait la famille que l’on isolait dans le maquis, on allait chercher le directeur de banque et on lui disait que s’il ne donnait pas l’argent, sa famille connaîtrait quelques avatars. Nous avons réussi à mettre en place des cellules de crise communes avec le SRPJ, ce qui nous a permis d’éradiquer le phénomène, puisque nous avons eu cinq succès consécutifs avec Mireille Ballestrazzi. Cela s’est fort bien passé. Il y avait une réelle volonté sous l’autorité à la fois du préfet adjoint pour la sécurité et du procureur général - à l’époque, il s’agissait de M. Raysseguier.

M. le Président : Cette volonté de coopération qui existait lorsque vous étiez sur place, s’est-elle poursuivie au-delà, notamment lorsqu’a été créé le GPS ou lorsqu’est arrivé en Corse le préfet Bonnet ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : J’ai le sentiment qu’avec mon successeur, le colonel Quentel, il y a eu continuité. Pour la suite, il nous faut évoquer les conditions d’emploi à la suite de l’assassinat du préfet Erignac. Nous étions là dans un schéma totalement nouveau et voulu par l’autorité administrative. Le préfet avait pris les choses en main, avec des hommes qu’il souhaitait nouveaux et à lui, pour assurer la mise en œuvre de la politique plus volontariste qu’il voulait.

Le GPS n’a été opérationnel ou plus exactement " mis sur pied " que le 1er octobre. Durant tout l’été, nous avons eu des aller-retours entre le continent et la Corse ; quarante-cinq sous-officiers de l’escadron 31-6 qui avaient souhaité ne pas poursuivre au sein du GPS sont rentrés sur le continent et une cinquantaine de personnels du continent ont été affectés au sein du GPS. Le 1er octobre, nous avions donc quatre-vingt-quinze personnes, dont un groupe de soutien, soit soixante-quinze opérationnels. Il y avait un problème d’équipement puisqu’il s’agissait d’une unité nouvelle qui n’avait pas été prévue dans le cadre des discussions budgétaires. Nous avons donc, sous mon autorité, mené six réunions à la direction générale pour envisager la montée en puissance de leur équipement, qui devait se faire sur 1999, 2000 et 2001. Il s’agissait donc d’un plan sur trois ans, validé par le directeur général, qui s’exécutait parallèlement à la formation des personnels parce qu’il fallait former ces sous-officiers, soit à la protection de personnalités, soit à l’intervention, soit au renseignement-observation, trois métiers fort différents.

Le rapport du colonel Giorgis du mois de décembre que vous avez dû lire, portait simplement sur les conditions de mise en œuvre du GPS. Le capitaine Ambrosse m’avait fait excellente impression lors de ces venues à la direction générale. C’est un garçon extrêmement calme, et les garçons du GIGN qui avaient travaillé avec lui me disaient que ses demandes étaient certes élevées, parce qu’il avait une volonté de bien équiper son personnel, mais tout à fait convenables.

Je considère donc qu’au mois d’avril 1999, le GPS n’était qu’une unité qui avait un bon potentiel opérationnel eu égard à la sélection que nous avions opérée des personnels. Ceux-ci étaient techniquement moyens, mais avaient été physiquement sélectionnés. Ils étaient volontaires et pleinement disponibles, mais l’on n’avait pas atteint le plein rendement. Pour avoir une unité opérationnelle telle qu’on la voulait, il fallait au minimum deux ans, sinon trois. Au regard de ce qui ressortait de tous les messages et des comptes rendus, il n’y a pas eu de heurts entre le GPS et les autres forces de police sur l’île.

M. le Président : Ne sentiez-vous pas que la création même de cette structure risquait de dessaisir quelque peu la direction générale de la gendarmerie, puisque le GPS répondait à une intention particulière, et était voulu par le préfet de région, M. Bonnet ? N’avez-vous pas eu le sentiment, vous qui étiez chargé des opérations et de l’emploi des personnels, que la création de ce groupe avait pour effet à la fois de marginaliser les structures habituelles de la gendarmerie, c’est-à-dire les brigades, et éventuellement de couper les services de gendarmerie des autres services chargés de la police sur l’île ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Je ne crois pas.

M. le Président : C’est pourtant ce qui s’est révélé à l’usage.

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Certes, encore que le GPS n’était pas sous l’autorité de la direction générale, cette dernière n’ayant pas de vocation opérationnelle. Je suis responsable des opérations, mais au niveau de la gendarmerie mobile en parfaite coordination avec la cellule du ministère de l’Intérieur qui gère l’ensemble des forces de la réserve gouvernementale.

M. le Président : Vous avez bien une responsabilité à l’intérieur de la gendarmerie ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Oui.

M. le Président : Sur le GPS notamment.

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Non, pas sur le GPS.

M. le Président : Quant à son utilisation !

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Non, pas du tout. Il y a totale délégation. Quand on remet son commandement à un commandant de légion, on lui dit : " Officiers, sous-officiers, vous obéirez au colonel Mazères, vous exécuterez tout ce qu’il vous demandera pour le bien du service et le succès des armes de la France ". Il a donc une responsabilité propre, en plus, de par le Président de la République.

M. le Président : D’accord, mais ce n’est pas un groupe qui fonctionne sui generis. Il est tout de même lié à la structure de la gendarmerie nationale.

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Je suis d’accord : il respecte les règles de la gendarmerie nationale. En ce qui concerne les protections de personnalités, on sait ce que cela veut dire, on sait où la mission commence et où elle finit. Le GPS est sous le contrôle du général Parayre, qui lui-même n’a pas vu de dérive. Moi, je n’ai aucun pouvoir de contrôle sur le GPS, sinon, je serais un voyageur de commerce, un jour le GPS en Corse, un autre jour une autre unité dans tel ou tel autre département. Ce sont les commandants de circonscription qui sont habilités au premier niveau. La direction générale est une administration centrale, nous ne sommes pas un organe de commandement. Nous donnons des directives.

M. Robert PANDRAUD : C’est un état-major ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Même pas, monsieur le ministre, parce qu’à la limite, un état-major a parfois des pouvoirs de commandement en tant que tels. C’est la raison pour laquelle je reste sur ce terme d’administration centrale, parce que l’administration centrale est vraiment hors du pouvoir opérationnel propre. Le seul pouvoir opérationnel propre que nous ayons - c’est ma responsabilité et je la revendique - porte sur le GIGN. Chaque fois que le GIGN intervient sur le territoire national par délégation du directeur général, je lui donne le feu vert, jour et nuit, c’est-à-dire que je l’engage. Il en est de même pour le groupe d’observation et de renseignement, pour le GSIGN, ou pour ce qui est de la protection de personnalités demandée par le ministère de l’Intérieur. C’est le seul moment où je suis engagé d’un point de vue opérationnel à titre personnel.

M. le Rapporteur : Sur cette question, on a le sentiment que le GPS est un projet assez ancien de la gendarmerie, qu’il était dans les cartons depuis un certain temps et que, finalement, il y a eu une opportunité pour créer cette unité. On a du mal à comprendre que la gendarmerie, au niveau de son instance de direction ne se soit pas impliquée dans la création et dans le suivi de cette unité tout à fait exceptionnelle, calquée sur les GPM des territoires d’outre-mer.

Par ailleurs, vous nous dites que c’est vous qui décidiez des actions qui pouvaient être menées par le GIGN qui intervenait assez fréquemment en Corse, et que le GPS était directement sous contrôle du préfet....

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Non, de Mazères.

M. le Rapporteur : Oui, mais si j’ai bien compris, le colonel Mazères était lui sous contrôle opérationnel du préfet. Autrement, je ne vois pas qui commandait le colonel Mazères.

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Qui commandait le colonel Mazères ? Le préfet, que demande-t-il au colonel Mazères ? Il lui donne des missions dans le cadre de l’ordre public, de la police administrative et le colonel Mazères est sous son autorité, en fonction des dispositifs que celui-ci lui demande de mettre en œuvre. Mais il n’est pas le chef du colonel Mazères au sens hiérarchique du terme.

M. le Président : Mais, mon général, ils se voyaient tous les soirs. D’après ce que l’on nous a dit, il y avait une réunion d’une cellule particulière qui rassemblait autour de M. Bonnet, le colonel Mazères, mais également Cavallier, et d’autres qui venaient se joindre éventuellement à cette discussion, comme Pardini, le directeur de cabinet du préfet. Des comptes rendus de ces réunions vous étaient-ils adressés ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Non, le commandant de légion exécute... Le préfet est le patron de la police administrative.

M. le Président : Nous sommes bien d’accord, mais comment exercez-vous votre autorité de contrôle ? Sinon, à quoi sert la direction générale ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : La direction générale n’a pas un pouvoir de contrôle au sens où vous l’entendez. Le seul pouvoir de contrôle qui existe est celui de Marseille, du général Parayre.

M. le Président : Mais Parayre rend compte à la direction générale ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Oui, bien sûr,

M. le Président : Je l’espère, sinon à quoi servent les généraux dans l’armée ?

M. Yves FROMION : Propos subversifs !

M. le Président : Subversifs à peine, plutôt provocateurs.

Général de brigade Maurice LALLEMENT : C’était un fonctionnement très particulier. Le préfet, autorité administrative, décide du fonctionnement sur l’île, puisqu’en plus, il a eu une autorité étendue en matière d’ordre public à partir du mois de juin 1998. D’ailleurs, il avait souhaité avoir une autorité plus forte que le préfet de Haute-Corse. Le colonel Mazères n’avait aucun problème, dans la mesure où on lui demandait de remplir des missions qui concernaient ses troupes. Cela suivait : il n’avait pas à nous rendre compte.

Rendez-vous compte, monsieur le Président, que si nous devions contrôler les 90 départements et l’outre-mer dans les conditions où vous le dites, ce ne serait pas possible. Simplement, que fait-on actuellement ? Chaque département, lorsqu’il s’y produit quelque chose d’exceptionnel, rend compte de l’événement et le traite. Mais il le traite, soit sous l’autorité du préfet, soit sous l’autorité des magistrats. Moi, je n’ai aucun pouvoir dans ce domaine.

M. le Président : Certes, mais à partir du moment où il y a eu l’affaire des paillotes, il semblerait que le compte rendu des événements vous ait été fait directement. Cela est remonté à la direction générale de la gendarmerie nationale. Par ailleurs, M. Bonnet a demandé que certains officiers soient désignés. Cavallier n’a pas été choisi par la direction générale de la gendarmerie nationale, Mazères n’a pas été choisi par la direction générale...

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Si, bien sûr. Autant Cavallier a été effectivement amené dans les cantines du préfet, contre tout système habituel, sur lequel je n’ai pas à me prononcer puisque je n’étais pas à la direction générale à ce moment-là, autant Mazères, dans le cadre de son cursus, répondait à un certain nombre de critères qui faisaient qu’il pouvait être nommé commandant de légion.

Il se trouvait que la Corse était disponible, le service des ressources humaines l’a proposée au directeur général qui a soumis cette proposition au cabinet du ministre, qui l’a validée. Les décisions relatives aux commandements de légion nécessitent obligatoirement l’estampillage du cabinet du ministre. C’était normal dans la mesure où ce garçon avait commandé, dans d’excellentes conditions semble-t-il, le groupement de la Seine-et-Marne, qu’il avait été sous-directeur ou adjoint au sous-directeur des télécoms et de l’informatique et qu’on ne lui demandait pas de faire des exploits en Corse. On lui demandait simplement de faire appliquer les lois et règlements de la République sous l’autorité du préfet ou des magistrats. On ne lui demandait pas de résoudre l’assassinat du préfet Erignac. On lui demandait simplement d’agir en parfaite coordination avec le SRPJ d’Ajaccio dans le cadre de l’enquête de Pietrosella, puisque la gendarmerie et le SRPJ étaient chargés de cette enquête conjointement. Il avait donc un rôle en tant qu’officier de police judiciaire, puisqu’il était habilité, sur la Corse, sous l’autorité du procureur général.

Je n’ai pas à porter de jugement sur le préfet Bonnet. Je dirai que chaque préfet a un mode de fonctionnement particulier qui tient à sa personnalité.

M. le Président : Comment expliquez-vous à partir de ce montage qui peut paraître cohérent quand on vous entend, cette dérive progressive qui a conduit aux actes que l’on sait, s’ils sont prouvés et établis évidemment ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Je n’ai pas d’explication. Je vais vous dire, monsieur le Président, je considère que c’est une aberration chromosomique. En un siècle, on n’a pas vu de commandant de légion déraper de cette façon. Vous pouvez faire toute l’histoire de la gendarmerie ! En général, quand on arrive au niveau de commandant de légion, on est plus prudent, plus sage, on a le recul. C’est plutôt le commandant de groupement qui " ferraille " avec le préfet. Quand je dis " ferraille " cela signifie qu’ils sont parfois plus ou moins durs de tempérament, ils font appliquer les règles de façon plus ou moins souples...

D’une façon générale, les deux commandants de groupement vont au feu, le commandant de légion qui a un recul suffisant aide ses commandants de groupement à y voir un peu clair dans cette île, ce qui n’est pas toujours évident. Il faut avoir ce minimum de recul, éventuellement avec le soutien du général de Marseille, qui est le plus souvent un grand sage qui termine sa carrière et nous aide à y voir plus clair.

De même que le préfet rend compte directement aux autorités centrales - je l’ai vécu en 1995-1996 - de tout événement un peu extraordinaire, et Dieu sait si l’extraordinaire est vite atteint en Corse, il est logique que le commandant de légion informe rapidement la direction générale pour que le cabinet de la Défense soit informé parallèlement au cabinet du ministre de l’Intérieur et que chacun puisse confronter les deux visions qu’il peut éventuellement y avoir.

M. le Président : L’aberration dont vous parlez, qui touche une personne, peut avoir une explication biologique. Mais quand elle touche plusieurs personnes en même temps - Mazères, Cavallier, Ambrosse et les exécutants - cela fait quand même beaucoup d’aberrations, d’autant que mises bout à bout, elles conduisent à un comportement de la gendarmerie qui paraît anormal par rapport à la règle que l’on a l’habitude de rencontrer dans vos troupes. Comment peut-on en arriver là ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Il y a une enquête de police judiciaire sur ce point.

M. le Président : Ne parlez pas de l’enquête, il ne s’agit pas de cela. Nous ne sommes surtout pas là pour faire une enquête parallèle. Nous ne voulons pas empiéter sur le domaine judiciaire. Mais vous avez la responsabilité, de l’emploi des personnels. Vous devez avoir une idée de ce qui s’est passé à l’intérieur de la gendarmerie, puisque cela a traumatisé cette arme à un point tel qu’il faudra sans doute un certain temps pour qu’elle s’en remette. Il serait trop facile d’utiliser la langue de bois devant nous, vous êtes ici devant une commission d’enquête, déposant sous la foi du serment. Comment ces aberrations ont-elles pu s’ajouter les unes aux autres pour conduire à l’affaire des paillotes ?

M. le Rapporteur : Vous connaissez bien M. Mazères ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Non, Mazères, je le connais superficiellement. Je connais bien Cavallier. Je l’ai vu agir, comme commandant de la compagnie d’Annecy. A l’époque, je commandais la Savoie. Je connaissais Ambrosse pour l’avoir vu pour la première fois au cours des six réunions que j’évoquais. Je connaissais Pessé pour l’avoir vu au mois de janvier. Je le voyais toujours derrière le président Mitterrand : c’était ce grand lieutenant, qui était toujours derrière lui, assez remarquable, car il mesure 1m90 et qu’il a une certaine allure.

Pour ce qui est de Mazères, je l’avais vu avant qu’il parte en Corse et lui avais donné mon sentiment sur cette île, lui conseillant, s’il avait des doutes, de rendre compte. On a dit souvent que le système militaire est en cause. Mais il n’est pas en cause, car en l’occurrence, Mazères a été un mauvais militaire : il n’a pas rendu compte. Si d’aventure, il avait subi la pression du préfet Bonnet, tel qu’il le raconte, il fallait qu’il rende compte, qu’il vienne dire à la direction générale ce qui se passait et qu’on lui demandait des choses bizarres. Il n’est pas venu.

Pour ce qui est de Cavallier dont on dit beaucoup de choses, je constate que Cavallier a été mis en place au mois de février 1998 à la satisfaction de tout le monde. Personne ne s’y est opposé, je n’ai donc pas à commenter son affectation. Je note que Cavallier est un garçon très rigoureux auquel on a dit à partir du mois de juin : " Cavallier, vous n’êtes plus chargé de mission du préfet Bonnet, vous êtes désormais chef d’état-major de la légion et vous êtes sous l’autorité du colonel Mazères ", ce qu’il a parfaitement fait parce que c’est un garçon loyal. Tant que le colonel Mazères ne lui disait pas d’aller à la préfecture, il n’y allait pas, sauf lorsqu’il était en remplacement, en tant que numéro deux de la légion. Le point qui me trouble concernant Cavallier - puisqu’on le sait maintenant et que j’en ai discuté avec lui le 7 juin, le jour où nous avons eu le rendez-vous manqué avec le juge - c’est qu’il m’a dit qu’il était convaincu d’avoir persuadé les personnels que c’était une opération folklorique et qu’il était hors de question de l’exécuter. Il était également convaincu d’avoir emporté l’adhésion du préfet Bonnet, de la même façon que de Mazères. Cavallier s’est donc dit qu’il n’avait pas à rendre compte, puisque l’affaire était, dans son esprit, réglée. Cela peut toujours être discuté, mais Cavallier pensait que tout était réglé. Puis il se rend compte qu’il s’est trompé. D’où le deuxième temps de la manœuvre ; Cavallier se rend chez le préfet Bonnet en se disant que celui-ci l’a eu une première fois, mais ne l’aura pas une seconde. C’est ce qu’il dit et cela me semble bien correspondre au mental de Cavallier. Il est comme cela.

M. le Président : Vous passez sous silence le troisième épisode, celui de la falsification éventuelle de la bande.

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Ça !

M. le Président : Vous êtes comme nous.

M. le Rapporteur : Pour finir là-dessus, ma question sera très courte : les déclarations de l’adjudant-chef Moulié sont quand même, avant même l’affaire des paillotes, révélatrices de dysfonctionnements importants. Je ne sais si vous les avez lues, mais il s’est exprimé dans la presse et dans un livre récent où il explique comment cette unité s’est trouvée engagée tout de suite dans des missions qu’elle n’était pas capable d’assumer, y compris avec un épisode un peu folklorique, qui aurait pu mal finir puisqu’un gendarme s’est retrouvé au large de Bonifacio dans des conditions absolument invraisemblables. A ce moment-là, les problèmes s’accumulent et cet adjudant-chef, ancien du GIGN, qui semble extrêmement attaché à la gendarmerie et à son arme, évoque même jusqu’à la possibilité d’un mouvement de protestation. Donc, pendant cette période de mise en place, on a le sentiment qu’existent des problèmes importants entre la direction, le colonel Mazères et les hommes appartenant au GPS. A cette époque, j’imagine que la direction générale de la gendarmerie suit assez attentivement la mise en place de cette unité. Une inspection est d’ailleurs faite par le général Parayre. Comment expliquer qu’aucun de ces éléments ne remonte au niveau de la hiérarchie ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Sur les révélations de Moulié, je ne me prononcerais pas. Elles n’engagent que Moulié. Personne ne l’a entendu, ce n’est qu’un livre, ce n’est pas le Journal officiel et le GIGN est particulièrement outré de ce que dit Moulié parce que si celui-ci était un type courageux, il fallait qu’il fasse ses déclarations avant. Il est courageux pour toucher 700 000 francs de Paris-Match puisque la couverture vaut 300 000 francs plus 400 000 francs d’interview, mais cela relativise un peu les déclarations de Moulié. Il apparaît comme étant peu crédible dans cette affaire ; il est récusé au sein de la gendarmerie, notamment par ses pairs. Le GIGN est une unité très soudée qui est assez libre par rapport à la hiérarchie. Cela étant, sur le plan des directives, des ordres, je puis vous assurer que ceux qui sont à la tête du GIGN actuellement, comme ceux qui les ont précédés sont des garçons tout à fait remarquables, qui remplissent tous les jours de multiples missions tout au long de l’année de façon irréprochable. D’ailleurs, nous ne voulons pas du tout qu’ils soient sous les feux de la rampe. Moins on les voit dans la presse, mieux cela vaut, même si, de temps en temps, d’aucuns souhaiteraient qu’ils soient mis en valeur, mais je préfère qu’ils soient mis en valeur à travers leur action et leur professionnalisme. On l’a vu lors de l’affaire de l’Airbus.

En ce qui concerne le GPS, on n’a jamais dit, comme vous le dites et comme Moulié le dit, que c’était une unité très opérationnelle. La preuve, c’est que le GIGN allait régulièrement en Corse pour les opérations pointues où il y avait risque de mort d’homme. Le GPS n’intervenait que pour des arrestations au cours desquelles il ne risquait pas d’y avoir ouverture du feu ; celles qui risquaient d’être un peu difficiles, mais dans lesquelles on n’avait pas évalué l’usage des armes. Lorsqu’il y avait évaluation d’un usage des armes, c’était le GIGN qui intervenait. En fait, le GPS réunissait trois capacités au sein d’une unité, qui travaillaient chacune séparément. Le groupe de protection du lieutenant Pessé, par exemple, n’a rien à voir avec cette affaire. Pessé se retrouve là, tout simplement parce qu’il a eu la conviction, à travers ce que lui disait Mazères, que ce dernier avait le feu vert du préfet. Ils se sont dits : " Il y a un feu vert, le chef nous donne l’ordre, on y va ". Ils ont eu tort, évidemment.

Pessé y va. Dumont et Tavernier qui n’ont rien à voir, puisqu’ils appartiennent à l’intervention et non au renseignement alors que théoriquement, il s’agissait d’une mission du renseignement, y vont. Le dernier, c’est Moulié ; il a participé à cette action parce qu’il est ancien du GIGN, parce qu’il avait une certaine aura par rapport à Ambrosse, qui est un jeune capitaine. J’estime que Moulié n’a pas été très courageux parce qu’effectivement, il avait certainement des relais pour pouvoir s’exprimer contre l’opération, ce que Cavallier aurait aussi bien pu faire. L’enquête établira les responsabilités de chacun dans le cadre des règles de la gendarmerie.

M. le Président : Dans le règlement de la gendarmerie, l’ordre manifestement illégal est évoqué.

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Tout à fait, c’est prévu par le règlement de discipline générale des armées.

M. le Président : Aucune information sur cette succession d’obéissances à un ordre, à l’évidence contraire à tous les principes de droit, n’est, à aucun moment, remontée à la direction générale ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : A aucun moment. Rien ne permettait de l’imaginer alors que dans plusieurs cas Mazères a demandé telle ou telle intervention et on lui répondait en lui indiquant les limites de l’action du GIGN. " En Corse, la légalité, toute la légalité, rien que la légalité " lui avais-je dit, parce que s’il est un endroit où il ne faut pas transiger, c’est bien celui-là.

M. Robert PANDRAUD : Etes-vous au courant d’un différend d’ordre privé entre le colonel Cavallier et le préfet Bonnet, bruit qui a assourdi Paris et les milieux politico-administratifs ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Je connais le bruit. Je sais que Cavallier en est profondément choqué, ainsi que Mme Cavallier, et qu’il a déposé plainte contre un certain nombre d’organismes de presse qui ont fait paraître des informations à ce sujet.

M. Robert PANDRAUD : Si j’ai bien compris, l’escadron d’Ajaccio a été supprimé au moment de la création de ce groupe. Financièrement cela s’est-il traduit par un gain ou par une perte ? Avez-vous fait cela pour des raisons d’emploi ou des raisons budgétaires ? C’est bien dans les attributions de la direction générale ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Tout à fait. A partir du mois de février, en réponse aux demandes du préfet Bonnet, nous avons détaché successivement des personnels à la section de recherche d’Ajaccio, à raison de vingt, que l’on devait loger et indemniser en frais de déplacement. Nous avons également, sur demande du préfet Bonnet et du ministère de l’Intérieur, assuré un certain nombre de protections de personnalités, qui ont également demandé vingt à vingt-cinq personnes.

M. le Président : Pourriez-vous nous dire quelles étaient ces personnalités dont on parle sans arrêt ? Ce n’étaient tout de même pas les ministres qui se rendaient en permanence en Corse ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : C’est sur demande.

M. le Président : Qui protégeait-on ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : On a protégé M. Natali, le directeur régional de l’agriculture et de la forêt, le préfet, le directeur de cabinet, les sous-préfets de Sartène, de Calvi et de Corte. Nous avons également protégé les maisons de MM. José Rossi et Pasquini, entre autres. Je n’ai pas là la liste exhaustive, mais je pourrais vous la fournir.

M. le Président : Cela nous intéresserait.

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Je suis en mesure de vous donner le détail de toutes les protections.

Nous avons donc fait le bilan et nous nous sommes aperçus que nous ne pouvions pas relever ces personnels qui venaient de l’extérieur, faisaient des allers et retours en permanence, et dont les familles restaient sur le continent. Cela ne pouvait durer que deux ou trois mois. Or, il fallait durer, notamment sur les dossiers financiers, où nous constations une montée en puissance, que ce soit sur le Crédit agricole ou sur d’autres dossiers. Nous savions qu’il faudrait renforcer les moyens destinés à la protection des personnalités, à la police judiciaire et au renseignement puisqu’il fallait rechercher toujours plus d’informations. Nous voulions également éviter de recourir au GIGN en permanence là-bas pour des interventions très limitées, qui ne nécessitaient pas des forces spécialisées. Pour éviter par ailleurs d’avoir des sous-officiers bloqués dans le cadre de la protection de personnalités ou de la police judiciaire, il nous a semblé que la meilleure formule, compte tenu de l’emploi de l’escadron d’Ajaccio qui ne donnait pas entière satisfaction, était de transformer l’escadron dans son organisation puis sa gestion. On peut donc considérer que l’opération était financièrement quasiment blanche au bout de deux ans.

M. Robert PANDRAUD : J’ai eu l’occasion de m’entretenir plusieurs fois avec le colonel Mazères qui, à l’époque, m’avait paru un éminent spécialiste de l’informatique et des affaires financières, tout simplement parce que je suis député de Rosny où est implantée l’informatique de la gendarmerie. L’avez-vous affecté en Corse en raison de ces talents ou pour ses qualités de meneur d’hommes ? Je ne sais si vous pouvez me répondre. Connaissant l’intéressé, vous me direz que pour pénétrer les réseaux informatiques de tel ou tel organisme douteux, c’était certainement le meilleur de la gendarmerie, voire le meilleur de tous les services de sécurité : il aurait été très bien chez IBM !

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Je n’ai pas été sollicité pour le choix du colonel Mazères. Je ne saurais que vous répondre ; seuls le directeur général ou le chef du service des ressources humaines le pourraient.

M. le Président : A l’époque de Tralonca, vous étiez en Corse ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Oui.

M. le Président : Quelles informations aviez-vous sur cette affaire ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Les informations, je les ai eues par le préfet Guerrier de Dumast, le soir vers 19 heures. Il m’a dit : " Ce soir, il faudra rester calme ". Il a ajouté : " Vous connaissez la formule : pas de sang dans le maquis ". J’ai compris qu’il y aurait quelque chose la nuit suivante. Je savais qu’il y avait la visite de M. Debré, mais nous n’avons pas perçu le lien entre Tralonca et cette visite, que ce soit bien clair. Nous n’avions aucune information là-dessus. Nous n’avons eu aucune information par quiconque, sinon par le préfet Guerrier de Dumast, pour ce qui me concerne, ainsi que pour le colonel Delpont qui commandait la Haute-Corse. Le colonel Lunet qui commandait la Corse-du-Sud a été informé par le préfet Coëffé.

M. le Président : C’est donc le préfet Coëffé qui vous a dit...

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Non, le préfet Guerrier de Dumast, préfet adjoint pour la sécurité.

M. le Rapporteur : C’était un jour avant.

Général de brigade Maurice LALLEMENT : La veille, vers dix-huit ou dix-neuf heures.

M. le Président : La gendarmerie de terrain n’avait aucune information à ce sujet ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Aucune information.

M. Robert PANDRAUD : Donc, des instructions faciles à appliquer !

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Faciles, oui, mais j’ai dit au préfet : " Alors, qu’est-ce qu’on fait ? ".

Il m’a répondu : " Vous faites vos patrouilles et vos dispositifs de surveillance générale comme d’habitude ". D’où le relevé des numéros des véhicules que je confirme. J’ai donné l’ordre au commandant de groupement de relever les numéros des véhicules, que j’ai donnés ensuite au procureur général, M. Couturier.

M. Robert PANDRAUD : Qui, à votre connaissance, n’en a rien fait ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Je ne sais pas ce qu’il en a fait.

M. Christian PAUL : Le travail habituel de cette brigade de gendarmerie, qui n’avait pas été particulièrement motivée pour prévenir cet événement, a-t-il néanmoins permis de localiser avec une relative exactitude le lieu où se tenait cette conférence de presse ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Non.

M. Christian PAUL : Malgré la connaissance d’un certain nombre de mouvements de véhicules éventuellement convergents ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Peut-être connaissez-vous l’île de Corse...

M. Christian PAUL : Moins bien que vous, mon général.

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Je connais parfaitement Tralonca puisque mon épouse est originaire de la région de Saint-Laurent, dans la Castagniccia. Dans toute la Castagniccia, vous avez nombre de routes, vous arrivez comme vous voulez, si vous voulez vous rassembler. On a parlé de 600 personnes, notre évaluation est plutôt de l’ordre de 350, évaluation corroborée sur l’île. Six cents, c’était le chiffre donné urbi et orbi par FR3 Corse. C’est donc devenu 600 dans le monde entier, mais soyons clairs, nous avons fait des mesures très précises, il y avait au plus 350 personnes, et dans ces 350, nous avons su ensuite par des informateurs - des jeunes gendarmes auxiliaires qui étaient à l’université de Corte - que tous les jeunes de Corte se vantaient d’avoir fait partie du grand rassemblement de Tralonca et que l’on comptait dans les rangs nationalistes des infirmières de l’école de Bastia.

Comme le dit le livre sur le préfet Erignac, on a informé celui-ci que l’on avait retrouvé des mégots de cigarettes portant du rouge à lèvres et il est vrai quand on regarde certaines photos, que certains, des jeunes femmes probablement, tiennent les armes comme on porte un bébé.

M. Robert PANDRAUD : Puisque vous n’y étiez pas, ne vous êtes-vous pas aperçu de mouvements anticipés de voiture ? Comment ensuite avez-vous pu faire pour quantifier le nombre de participants ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Grâce aux renseignements généraux.

M. Robert PANDRAUD : Parce que les renseignements généraux y étaient, selon vous ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Je n’ai pas dit qu’ils y étaient. Les renseignements généraux savaient que cela se trouvait là.

M. le Président : Ils n’avaient pas de mal à y être, puisqu’on les avait informés !

M. Robert PANDRAUD : C’est un peu un gag tout cela.

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Oui, monsieur le ministre.

M. le Président : C’est un gag au premier degré mais, au second, pensez-vous que ce soit particulièrement motivant pour des personnels de gendarmerie de se voir " balader " sur un dossier particulièrement sérieux : des armes, des conférences de presse, des cagoulés dans le maquis...

M. Renaud DONNEDIEU de VABRES : Ce sont des militaires. Ils n’ont pas le droit de tirer. La vie militaire n’est pas faite que de choses simples et de réactions automatiques.

M. le Président : Certes, mais quand même, cela n’a pas dû être facile pour les gens des brigades...

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Ce n’est pas simple, monsieur le Président, mais comme je le disais à mes commandants de brigade que je voyais souvent, l’essentiel est d’assurer la tranquillité et la paix publique en Corse et de ne pas causer un trouble plus grand que celui que suscite la manifestation elle-même. Il y a des équilibres à trouver par rapport à l’île de Corse, car il y existe des situations et des comportements qui n’ont rien à voir avec ceux du continent. Pour avoir été commandant du groupement de la Savoie, je peux dire que les Savoyards sont différents des Corses !

M. le Président : Pour être précis et pour que les choses soient claires, encore une fois devant une commission d’enquête, sous la foi du serment, vous avez indiqué que l’on vous avait invité à être ce soir-là " calme " : votre conviction était-elle qu’il y avait des négociations entre les mouvements nationalistes et le gouvernement ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : A ce moment-là, non.

M. le Président : A dix-huit heures, peut-être pas, mais quand vous entendez le lendemain la réponse du berger à la bergère...

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Oui le lendemain, lorsque M. Jean-Louis Debré nous a donné son discours le 11 janvier au soir et que nous avons comparé au tract du FLNC, ma cellule de renseignements m’a dit : " C’est parallèle ". Il n’y avait pas besoin de faire une longue analyse.

M. Yves FROMION : Lorsque nous en aurons fini avec Tralonca, je poserai ma question.

M. le Président : Les déclarations du général Lallement sont suffisantes. Tout le monde avait la certitude d’une négociation, sauf M. Jean-Louis Debré.

M. Yves FROMION : Puisque l’on parle de l’action gouvernementale, je souhaiterais savoir, s’agissant du GPS et de sa création, quelle était l’implication gouvernementale, tout au moins ministérielle, dans cette affaire. Vous avez évoqué cinq ou six réunions techniques tenues à la direction générale pour mettre au point, j’imagine, les modalités matérielles relatives notamment aux effectifs. Quelle a été l’implication des différents ministères - défense, intérieur, autres ? Y a-t-il eu implication de Matignon ?

Le comportement du préfet Bonnet, qui induisait la réaction de ceux qui travaillaient sous son autorité, n’était-il pas motivé par le fait que l’on pouvait s’imaginer sur place qu’il était couvert à l’échelon gouvernemental dans les initiatives diverses et variées qu’il a pu prendre ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Pour ce qui est de votre deuxième question, je ne sais pas ce que les intéressés pensaient sur place. Moi, quand je vois un préfet de la République, quel qu’il soit, je suppose qu’il a des instructions du gouvernement. C’est valable en tout temps, pas seulement sur ce cas précis.

Sur les réunions ministérielles : je n’ai participé à aucune réunion ministérielle sur la création du GPS, étant donné qu’il était dans les pouvoirs du directeur général stricto sensu de pouvoir prendre cette décision. Nous aurions pu l’appeler 31-6 et non GPS, et cela ne changeait rien au problème. Nous aurions eu les mêmes officiers dans différents pelotons. On l’a appelé GPS pour de strictes raisons de gestion. En effet, le 31-6 étant de la gendarmerie mobile, il aurait fallu qu’il soit rattaché à Marseille, le GPS, relevant de la gendarmerie départementale pouvait être rattaché à la Corse.

M. Robert PANDRAUD : Et les primes sont différentes !

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Non, monsieur le ministre.

M. Yves FROMION : Excusez-moi, mais il n’y a pas eu seulement un changement d’organigramme et d’écussons sur les poitrines, mais des changements très profonds en personnels. Vous avez dit qu’une cinquantaine de sous-officiers avaient été affectés là-bas.

Général de brigade Maurice LALLEMENT : C’est de l’attribution du directeur général, cela.

M. Yves FROMION : Je ne parlais pas simplement de ce qui est votre propre responsabilité dans l’affaire, mais d’un sentiment plus général, que vous pourriez avoir du fait de votre position.

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Il a été rendu compte au cabinet du ministre...

M. Yves FROMION : Du ministre de la Défense ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Bien sûr. Il a été rendu compte du projet de création du GPS. Je crois savoir que cela a été évoqué lors de plusieurs réunions interministérielles. J’ai bien dit : " Je crois savoir ", mais je n’en sais pas plus.

M. Michel VAXÈS : Dans votre exposé liminaire, j’ai cru comprendre qu’au poste de commandement qui était confié au colonel Mazères étaient en général affectés des hommes d’expérience, en tout cas des hommes qui présentaient certaines garanties par rapport aux missions qui leur étaient confiées. Or, tout à l’heure, en réponse à une question de M. Pandraud - je ne sais s’il faut souligner les contradictions - au-delà des compétences informatiques de cet homme, il m’a semblé qu’il y avait un doute de ce point de vue. On comprend difficilement, si je m’en tiens à l’analyse que vous faites de la sagesse nécessaire à l’exercice de telles responsabilités, que la décision qui a été prise dans l’affaire qui nous concerne puisse l’avoir été par un responsable de ce niveau. Formulez-vous des hypothèses sur les raisons qui ont pu conduire le colonel Mazères aux décisions qu’il a prises ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Pour compléter les informations relatives à sa nomination, d’après ce que je crois savoir, il n’a pas refusé d’être nommé commandant de la légion de Corse. Il faut savoir qu’au même titre que dans d’autres administrations, une affectation de commandant de la légion de Corse n’est pas une sinécure. Pour ma part, hormis des raisons personnelles qui auraient pu me pousser à refuser puisque mon épouse m’avait recommandé de ne pas aller en Corse, j’étais volontaire parce que cela me plaisait, par tempérament. J’ai commandé en Savoie et j’ai été l’un des responsables de la sécurité des jeux olympiques d’Albertville, adjoint à l’inspecteur de la DOT, au moment où j’ai demandé à aller commander la Corse. Je savais pertinemment les risques que j’encourrais parce que l’on m’avait dit : " Tu vas au casse-pipe ".

Le colonel Mazères, d’après ce que je crois savoir, avait été désigné au mois de janvier, avant l’assassinat du préfet Erignac, mais il était assez fier quand je l’ai rencontré au mois de mai d’aller prendre son commandement en Corse et il voulait bien faire. C’est la raison pour laquelle il a décidé avec son épouse que celle-ci ne le rejoindrait pas et qu’il serait célibataire géographique. Ce célibat géographique est, de mon point de vue, une des explications qui font qu’il a été particulièrement disponible pour passer toutes ces soirées en réunion avec le préfet Bonnet. Je n’en sais pas plus. Il a certainement subi un certain nombre de pressions. Son cursus, il est vrai, n’est pas un cursus fondamentalement opérationnel. C’est facile de le dire après coup. Mon prédécesseur était également un ancien adjoint de la sous-direction des télécoms et de l’informatique : lui non plus n’avait pas vocation à aller sur un poste aussi opérationnel.

M. Robert PANDRAUD : Sauf pour les écoutes !

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Il n’y avait que des écoutes réglementaires.

On peut se poser beaucoup de questions sur le profil du colonel Mazères après coup, mais parmi les responsables des ressources humaines, personne n’a mis en doute a priori les capacités du colonel Mazères à pouvoir remplir sa tâche en Corse.

M. Robert PANDRAUD : Vous ne parlez pas de la manière dont les brigades et leurs familles sont reçues dans les villages et dans les villes de Corse. N’y a-t-il pas dans les écoles un semblant de purification ethnique ? Cela pourrait expliquer de nombreuses dérives, personnelles et autres.

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Si ce terme, qui me semble très fort, monsieur le ministre, peut être valable dans des villes comme Ajaccio, Bastia, voire Porto Vecchio, Corte et, à un degré moindre, Calvi, lorsque vous évoquez les villages, je vous répondrai que ce n’est pas le cas, sinon dans des cas très particuliers. Bien au contraire, les écoles ne survivent dans les villages que grâce aux enfants de gendarme. On me demandait d’ailleurs d’affecter des familles avec deux ou trois enfants de façon à pouvoir maintenir l’école. Ils étaient donc plutôt bien reçus. Je n’ai donc pas ce sentiment. En revanche parmi la jeunesse corse se manifeste actuellement un fort rejet - par jeunesse corse, j’entends ceux de vingt à trente-cinq ans - et certains qui sont actifs, qui sont dans les groupes militaires, et que je vois dans les villages, vont certainement poser problème. En revanche, les anciens, à partir d’une cinquantaine d’années, ceux qui reviennent ne posent pas problème...

M. Robert PANDRAUD : Il y a d’ailleurs beaucoup de retraités de l’armée, de la police, des douanes et de la pénitentiaire.

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Le vrai problème, ce sont les soldats perdus du FLNC, tels que les évoque Pierre Poggioli dans son livre, parce qu’il faut toujours lire les nationalistes. Poggioli sait très bien que l’on n’arrive pas à poser les armes à cause de ces gens-là. Pourquoi avons-nous eu beaucoup de hold-up cet été en Corse ? Parce que Bastia Securità est à la rue et qu’il faut de l’argent pour payer ces gars-là. Nous assistons donc à une recrudescence des hold-up. Tous ces phénomènes s’expliquent très bien. Cela fait partie de ces équilibres, de toutes ces choses qui semblent assez simples. Il semble simple de dire que l’on va faire de la répression à outrance mais, pour l’instant, on n’a pas trouvé le juste équilibre et nous sommes toujours sur le fil du rasoir.

M. Franck DHERSIN : On parle d’un système mafieux !

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Selon moi, les nationalistes ont permis au milieu de prospérer tranquillement. En fait, c’est la Brise de mer et toute la galaxie du Sud qui continue à prospérer. Les gendarmes comme les policiers courent après les nationalistes et quand on court après les nationalistes, qui, eux, sont parfaitement identifiés, on fait en sorte qu’un tel ou un tel prospère. On voit à la Porta le grand chef du nord avec une magnifique maison. On voit l’homme du sud dans le golfe de Propriano, vous voyez de qui je veux parler.

M. Christian PAUL : Mais donnez les noms, mon général !

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Ils sont dans les livres.

En tout cas, c’est cela le vrai problème. On a effectivement un système du grand banditisme qui prospère derrière les nationalistes qui gênent tout le monde. Depuis vingt ans, on guerroie contre les nationalistes.

M. Christian PAUL : Je voudrais rebondir sur vos derniers propos que je crois tout à fait justes et fondés. Quel est votre point de vue, à la fois à travers votre expérience de commandant de légion et les informations dont vous disposez aujourd’hui, même si vous n’avez pas de responsabilité opérationnelle directe, sur l’état de la grande délinquance en Corse et sur ses réseaux mafieux ou prémafieux qui, à l’évidence, continuent à prospérer.

Général de brigade Maurice LALLEMENT : A mon avis, les journalistes l’ont parfaitement exprimé sous la plume de M. Laville sur l’assassinat du préfet Erignac. Il donne tous les éléments : ce livre est assez étonnant parce que, pour la première fois, on donne les noms de tout le monde. Mais c’est une chose de constater et c’en est une autre que d’amener ces personnes devant les cours d’assises, parce qu’il faut des preuves. Dieu sait si l’on se bat, et c’est la raison pour laquelle ces unités avaient été créées, pour pouvoir rechercher du renseignement.

Personne ne témoignera contre un certain nombre de personnages que j’évoquais. C’est certainement un manque de sens civique, mais il est parfois plus intéressant de protéger sa vie que de faire preuve de sens civique.

M. Christian PAUL : Je reviens un instant sur la création du GPS. Il me semble qu’existe dans la gendarmerie, dans plusieurs légions, des groupes de surveillance qui interviennent dans le cadre des procédures judiciaires en complément des sections de recherche.

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Il s’agit des GOS, groupes d’observation et surveillance. Il en existe un par circonscription, la circonscription étant au niveau de la zone de défense, soit neuf.

M. Christian PAUL : Ces groupes qui ont une existence reconnue depuis un certain nombre d’années dans la gendarmerie ne sont-ils pas le modèle qui a été dupliqué, pour une partie au moins de ses attributions, lors de la création du GPS ? Existe-t-il un lien ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : On peut imaginer un lien et un parallélisme. Au même titre que le peloton de renseignement et d’observation travaillait sous l’autorité de la section de recherche d’Ajaccio, les GOR travaillent sous l’autorité des sections de recherche du chef-lieu. Ce sont des personnels que vous avez vus lors de certaines émissions de télévision rechercher du renseignement et apporter des preuves.

M. Christian PAUL : Il n’est pas aujourd’hui envisagé de renoncer à des dispositifs de cette nature ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Les magistrats nous ont fait savoir qu’ils ne souhaitaient surtout pas renoncer à cela. Il faut savoir que s’agissant de la répartition des effectifs du GPS, les magistrats auraient souhaité conserver le peloton de renseignement et d’observation à Ajaccio et nous l’avons implanté finalement pour onze de ses membres à Marseille, les autres étant ventilés sur l’île dans le cadre des pelotons de surveillance et d’intervention classiques.

M. Christian PAUL : Je reviens sur la question que posait le président Forni : votre conviction à partir de cette " expérience " du GPS, est-elle que c’est ce système d’unité renforcée qui est en cause ou est-ce que ce sont les hommes ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Je serai très clair : le GPS n’est pas du tout en cause. C’est l’emploi que l’on en a fait, notamment celui des hommes et des cinq officiers et sous-officiers impliqués dans l’affaire des paillotes. L’unité en elle-même avait bien travaillé. Leur travail était très sérieux, contrairement à ce qu’en dit Moulié ! Moulié est très malhonnête de ce point de vue. Nous avons examiné les dossiers un par un, les dossiers d’observation et d’intervention étaient remarquables. Ils étaient donc partis sur des bases tout à fait professionnelles et cohérentes.

M. le Rapporteur : Ils n’étaient pas tous habilités police judiciaire ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Non, ils n’étaient pas du tout habilités police judiciaire. Ils n’étaient pas inclus dans le décret catégorie de service. Selon ce décret, seules les unités qui sont citées peuvent voir leurs personnels habilités officier de police judiciaire. Pour faire de l’intervention, il ne faut pas être officier de police judiciaire. Ils travaillent sous l’autorité d’un OPJ. Pour faire du renseignement et de l’observation, ils travaillaient également sous l’autorité des OPJ de la section de recherche ou des brigades départementales et pour faire de la protection de personnalités, il n’est pas nécessaire d’avoir une habilitation judiciaire.

M. Yves FROMION : Vous nous avez dit tout à l’heure que Mazères était officier de police judiciaire. On peut donc penser que, naturellement, la justice et le procureur n’ont pas été saisis de toutes ses fantaisies, si l’on peut appeler cela comme ça, c’est-à-dire de toutes ses actions qui sont hors du champ normal d’emploi de la gendarmerie, lorsqu’il s’est agi d’aller donner des instructions à un certain nombre de gendarmes...

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Pour les paillotes ?

M. Yves FROMION : Oui, pour les paillotes, il est clair que les gendarmes ont agi sous le pur contrôle politique de Mazères.

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Je dirais sous le pur contrôle hiérarchique.

M. Yves FROMION : C’est un euphémisme, mais cela revient au même.

M. le Président : Cela revient au même. C’est vous qui le dites.

M. Yves FROMION : Votre intime conviction, mon général, sur cette affaire, quelle est-elle ?

Comment expliquez-vous que l’on en soit arrivé à de tels dérapages de la part d’officiers, de personnels aussi confirmés ? Vous avez déjà évoqué cette question dans votre propos liminaire. Vous nous dites que la direction générale de la gendarmerie n’est naturellement pas en cause puisque, hiérarchiquement et opérationnellement, elle n’est pas saisie du quotidien des unités, bien que les événements exceptionnels mettant en cause l’intervention du GIGN ou d’autres unités spécifiques remontent jusqu’à vous. On pourrait tirer comme conclusion qu’au fond, la gendarmerie vivait de façon très autonome en Corse sous la seule autorité du préfet, lequel dépend de l’échelon politique, quel qu’il soit d’ailleurs, et quelles que soient les époques.

Votre intime conviction est-elle donc, mon général, que les dérapages puissent être imputés à la personnalité du préfet ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Pour ce qui concerne le travail du colonel Mazères, de la direction générale et les relations des uns et des autres, je précise que la direction générale n’intervient qu’en cas d’instructions précises dans certaines affaires. Par exemple, la direction générale a donné des moyens et a suivi les journées internationales de Corte en août 1998, dans la mesure où il y avait des directives ministérielles sur cette question. Nous avons donc mis les moyens nécessaires parce que les directives du cabinet du ministère de la Défense - en liaison avec le cabinet du ministère de l’Intérieur - étaient précises. Cela étant, je rappelle que le préfet est le seul responsable de l’ordre public sur l’île, qu’il a tout pouvoir et que je n’ai pour ma part aucun pouvoir de lui dire que je ne suis pas d’accord avec lui. Nous étions éventuellement parfois en désaccord, mais si le préfet ne voulait pas suivre notre analyse, il ne la suivait pas.

A propos des journées internationales de Corte, par exemple, nous lui avions dit qu’il nous semblait dangereux d’intervenir sous le chapiteau en cas d’arrivée des cagoulés, l’objectif étant d’empêcher leur arrivée. Or, vous le savez, les cagoulés arrivent sous le chapiteau, par derrière, mettent leur cagoule sous la protection de leurs camarades, parviennent à l’estrade, font leur déclaration, sortent derrière l’estrade et les cagoules disparaissent, ni vu ni connu. Nous étions favorables à une formule plus " soft " plaçant la responsabilité de la manifestation, s’agissant d’une manifestation privée, sous l’autorité d’un bureau dont nous aurions pu interpeller les membres le lendemain. Mais le préfet est responsable vis-à-vis de son ministre et nous n’avons pas à discuter, sauf s’il nous donne un ordre illégal. Sinon, où va-t-on ?

M. Robert PANDRAUD : Le préfet vous donne la mission, mais vous pouvez apprécier le choix des moyens.

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Tout à fait. Nous sommes d’accord.

M. Robert PANDRAUD : Dans l’histoire des paillotes, si le préfet vous a demandé de les détruire, vous pouviez avoir le choix d’utiliser les moyens de la gendarmerie ou de réquisitionner une unité du Génie, ce qu’il a fait par ailleurs. Mais pourquoi ne pas le faire très ouvertement, de jour, avec une protection et un communiqué indiquant que la décision du tribunal administratif a enfin été appliquée.

M. Renaud DONNEDIEU de VABRES : Mais non, puisque trois heures auparavant, ils avaient pris la décision inverse sur instruction du gouvernement. Ils étaient contraints de prendre la décision inverse.

M. Robert PANDRAUD : Si le préfet ne l’avait pas notifié à la gendarmerie, c’est la responsabilité du préfet. Mais la première décision a tout de même dû être donnée à la gendarmerie par le préfet.

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Nous sommes intervenus au mois d’août sur toutes les affaires au niveau de la direction générale. Lorsque le colonel Mazères nous a fait part de son désarroi quant à l’enquête de Pietrosella dont il était dessaisi, nous lui avons dit de rendre cette enquête et de l’oublier. C’était le rôle de la direction générale en l’occurrence, de lui rappeler la loi. Il était dessaisi, il n’avait pas à poursuivre. Je le lui ai dit et je l’ai dit au commandant de la section de recherche.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier le contexte dans lequel se situait l’affaire des bulldozers et de la destruction des paillotes. Vue de Paris, cette destruction était un non-événement. Lorsque le 9 mars, on nous annonce que le préfet Bonnet va détruire des paillotes, comme il y avait déjà eu d’autres destructions sur le littoral et que nous étions mobilisés par d’autres dossiers, notamment sur la fidélisation des unités de gendarmerie mobile, que je qualifierais de plus importants pour la direction générale, les paillotes étaient un événement parmi beaucoup d’autres sur le territoire national. Dieu sait s’ils étaient nombreux...

M. Robert PANDRAUD : Un détail de l’histoire corse...

Général de brigade Maurice LALLEMENT : C’est presque cela, monsieur le ministre. C’était une affaire corse, que l’on prenait en tant que telle...

M. le Rapporteur : Vous avez assisté à l’entretien de M. Mazères avec le directeur de la gendarmerie quand il est revenu de Corse...

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Non.

M. le Rapporteur : Et la deuxième fois ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Le directeur de la gendarmerie a reçu le colonel Mazères avec le général Marcille. Puis, le général Marcille a reçu le colonel Mazères en ma présence, pendant une demi-heure...

M. le Rapporteur : Tout de suite après ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Non, pas tout de suite, parce que nous étions au conseil de la fonction militaire gendarmerie. Donc, le directeur l’a reçu avec le général Marcille, le major général. Moi, j’étais parti à la caserne Kellermann dans le cadre de mes fonctions au même titre que les autres chefs de service. La réunion a commencé à 10 heures. Vers 11 heures, le colonel Mazères est venu et nous a raconté à nouveau ce qu’il avait dit au directeur général en présence du général Marcille. Notre analyse était que nous étions purement et simplement dans le cadre d’une enquête judiciaire. Il n’avait pas d’ailleurs encore rendu compte au procureur général et par ailleurs nous découvrions ce matin-là que le seul message laconique que nous avions eu était celui du mardi matin dans lequel on nous disait qu’une paillote avait été détruite et que cela semblait d’origine criminelle. Point. La démarche m’a semblé curieuse, mais j’attendais d’avoir les autres éléments. Le procureur de la République qui était saisi de l’affaire, - nous étions en enquête de flagrance - avait déjà des éléments que nous n’avions pas. Par exemple, c’est le procureur général qui nous a appris le vendredi, que le capitaine Ambrosse était hospitalisé à Toulouse.

Donc, Mazères a tout caché. Je réprouve totalement son attitude dans cette affaire. Si j’ai de la compassion pour l’homme, j’ai, pour l’officier, des sentiments qui sont très forts : je lui en veux terriblement d’avoir mis l’institution dans ce genre d’affaire, compte tenu de l’enjeu. Il n’en avait pas le droit.

M. Yves FROMION : Comment l’a-t-il fait ? C’est la question que j’ai posée tout à l’heure. Je n’ai pas de réponse.

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Je ne suis pas dans sa peau, monsieur le député.

M. Yves FROMION : Avez-vous l’intime conviction que la pression personnelle du préfet Bonnet - éventuellement sur instructions dont je ne parle pas - sur ses proches collaborateurs gendarmes a été de nature à les faire " disjoncter " ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Je ne sais pas.

M. Franck DHERSIN : Est-ce possible connaissant Mazères ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Que ce soit bien clair, je ne connais pas le caractère de Mazères. Je ne l’ai jamais eu sous mes ordres. Je l’ai croisé. Je connais bien Cavallier. Je ne vous répondrais pas sur ce point précis, parce que je serais malhonnête vis-à-vis de Mazères ou vis-à-vis de quiconque.

M. Renaud DONNEDIEU de VABRES : Etre nommé dans un des deux départements de la Corse depuis l’assassinat du préfet Erignac, ce n’est pas être nommé dans un département de la République, c’est être nommé sur un théâtre d’opérations, comme on est nommé dans une opération extérieure en Bosnie ou en Afrique. Ce sont des missions assez particulières, avec un objectif très précis, qui n’était pas uniquement de régler la vie normale mais de mener l’enquête sur l’assassinat du préfet Erignac. Cet état d’esprit initial a-t-il généré ensuite certaines conséquences, dès lors que la gendarmerie se sent dessaisie de l’enquête sur l’assassinat du préfet Erignac. Certaines informations font état à ce moment là de tensions tout à fait logiques et légitimes et d’une réaction d’écœurement de la part de militaires de la gendarmerie, furieux d’être dessaisis de leur action de police judiciaire ? Il se trouve que le préfet a assez peu confiance dans les fonctionnaires de la police nationale et, au fond, orchestre une deuxième enquête de police judiciaire, trouvant un écho très favorable puisque la gendarmerie est déçue d’avoir été écartée. Cela vous semble-t-il être un schéma totalement faux ?

Par rapport à ces tâches de police judiciaire auxquelles la gendarmerie nationale est très attachée - c’est une question théorique, ce n’est pas une question sur la valeur de l’homme - considérez-vous que le fait que le directeur général de la gendarmerie ne soit pas un magistrat, soit ressenti à l’intérieur de la gendarmerie comme une lacune par rapport aux tâches de police judiciaire qui peuvent lui être confiées ? Quand la gendarmerie est dessaisie après Pietrosella, est-ce que parmi les officiers de gendarmerie certains ont pu se dire que si le " patron " avait été un magistrat peut-être aurait-on obtenu autre chose ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Pour répondre à votre dernière question, je dirai que non, parce que tout juge est indépendant et fera donc ce qu’il voudra. On le sait bien.

S’agissant de l’état d’esprit de mes deux commandants de groupement, ils avaient l’impression d’être dans des départements tout à fait normaux, avec simplement des caractéristiques particulières, et ils devaient faire en fonction tout à la fois du terrain et de la population. J’ai la conviction que nous en sommes tous revenus comme on revient de tout département, avec des liens avec untel ou untel, sans avoir eu l’impression d’être au Kosovo ou en Bosnie. Pour y être allé l’an dernier, je sais que c’est autre chose !

M. le Président : Je vous poserais quelques questions brèves pour terminer, auxquelles je souhaiterais que vous apportiez des réponses tout aussi brèves.

Finalement, êtes-vous d’accord pour que l’on calque l’organisation de la gendarmerie nationale en Corse sur ce qui se fait sur le reste du continent, sans spécificité ou exception par rapport à la règle générale ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Tout à fait.

M. le Président : Etes-vous partisan du maintien ou non du préfet adjoint à la sécurité ? Est-ce une institution utile ou a-t-elle démontré, notamment dans la dernière période, qu’elle ne correspondait pas à grand-chose et qu’elle n’était pas, en tout cas, forcément adaptée à la situation corse ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Cela dépend de l’emploi que l’on fait du préfet adjoint à la sécurité.

M. le Président : Si les deux préfets désignés à la tête des deux départements corses remplissent pleinement les fonctions qui sont les leurs, cette structure est-elle utile ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Elle est globalement moins utile qu’elle n’y paraît. Si la question de sa suppression se posait, je dirais que son utilité n’est pas avérée. Mais il faudrait la poser d’abord aux deux préfets.

M. le Président : Avez-vous le sentiment qu’en Corse, les relations entre la gendarmerie et la justice sont normales, correctes, ne posent pas de problèmes particuliers au regard des règles de droit ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : Je n’ai jamais eu de problème en Corse avec les magistrats et je n’ai pas le sentiment qu’il y ait eu de problème entre le colonel Mazères et les magistrats. C’est pourquoi ils pouvaient parfaitement leur rendre compte de certaines choses.

M. le Président : L’existence d’une structure nationale telle que la DNAT vous paraît-elle opportune sur le territoire corse ou devrait-elle se limiter aux actions terroristes proprement dites, terrorisme islamique, basque ou international ?

M. le Rapporteur : Pour compléter, pensez-vous que la gendarmerie en Corse n’est pas assez investie dans les affaires de terrorisme, puisqu’il semblerait qu’il y ait une règle qui ait été mise au point selon laquelle la gendarmerie n’enquêterait que sur les actes de terrorisme concernant ses propres bâtiments ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : La seule chose, c’est qu’il faut que les règles soient bien claires, transparentes et bien connues de tous et que lorsque l’on demande du renseignement à un organisme, ce soit cet organisme qui l’exploite car sinon, celui qui va chercher le renseignement et ne l’exploite pas a l’impression d’être floué.

M. le Président : L’existence d’une section spéciale au parquet de Paris et de juges anti-terroristes agissant sur le territoire corse vous paraît-elle une bonne chose ?

Général de brigade Maurice LALLEMENT : C’est parfois mal vécu par les magistrats corses, incontestablement, mais eux-mêmes, pour l’avoir constaté, subissent des pressions très fortes sur l’île. Donc, globalement, on peut considérer que ce n’est pas inutile.

M. le Président : Mes chers collègues, si vous n’avez pas d’autres questions, nous allons remercier le général Lallement pour sa déposition.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr