Lors de la conférence de lancement de la Journée internationale contre l’abus des drogues, le 26 juin dernier à Accra, le vice - ministre de l’Intérieur, K. A Bonful, s’est déclaré préoccupé par le développement du phénom"ne des drogues dures dans son pays. Le Ghana est en effet, depuis une dizaine d’années, un important centre de transit pour l’héroïne et la cocaïne destinées aux marchés européens et nord - américains. Au premier trimestre 1995, les Douanes ghanéennes ont saisi à l’entrée ou à la sortie du territoire pr"s de 22 kilos de cocaïne et 742 grammes d’héroïne. Mais ces quantités ne sont absolument pas significatives des volumes qui transitent par le pays. Et la trentaine de personnes arrêtées durant la même période sont des exécutants. La cocaïne qui entre au Ghana est en général très pure : 92 % à 94 %. Elle provient du Brésil, où les organisateurs du trafic ñ surtout nigérians mais aussi ghanéens ñ la confient aux "mules" ghanéennes qui se chargeront de l’acheminer jusqu’à Lagos ou Kano, par avion, puis, par la route ou par avion, via Abidjan et/ou Cotonou et/ou Lomé, jusqu’à Accra. L’héroïne, de marque "999" ou "Double uoglobe" provient de Birmanie. Elle est achetée à Bangkok, où les Nigérians sont bien implantés, et à Hong Kong. Sa pureté à l’entrée au Ghana est, selon les autorités, de 70 % à 90 %. Elle est acheminée à Accra ou Kumasi par avion via Singapour, Djakarta, Karachi, Moscou, Tripoli, Le Caire, Addis Ababa, Harare ou Lagos, puis par la route ou par avion via Cotonou et/ou Lomé. Ethiopian Airlines semble être la compagnie préférée des trafiquants d’héroïne et parfois de cocaïne. Ils ont transformé Addis Ababa en véritable plaque tournante, au même titre que Lagos, Nairobi ou Lusaka. Pour cacher leur lieu d’embarquement, les "mules" changent leur faux passeport pour un autre dans l’une de ces villes, surtout à Lagos et à Lomé, où existe une véritable industrie du vrai - faux passeport. Ces passeurs dissimulent la drogue dans des bagages à double fond, dans des vêtements, dans de l’électroménager, dans les cavités anatomiques, ou l’ing"rent. Cette derni"re méthode est de plus en plus utilisée car elle est jugée plus sûre, les douaniers ayant accru leur vigilance. Cocaïne et héroïne voyagent également par la poste, ou, tout comme le cannabis, dissimulées dans des cargaisons de produits alimentaires ou artisanaux, de bois, de vêtements, de meubles en bambou, etc., par voie maritime ou aérienne. Pour la société ghanéenne, cette situation a des retombées de deux ordres. D’abord, une partie de la drogue qui entre au Ghana a créé un marché local de consommation en pleine expansion. L’héroïne et, dans une moindre mesure, le chlorhydrate de cocaïne et le crack (fabriqué localement), sont vendus dans les principales villes du pays. Ensuite, un véritable marché du travail s’est créé autour de la contrebande de drogue : le Ghana est aujourd’hui un grand pourvoyeur de "mules" qui introduisent dans le pays la cocaïne brésilienne et l’héroïne du Triangle d’or, ou les acheminent vers les grands marchés de consommation du monde occidental. Ainsi, le président ghanéen, Jerry John Rawlings, a re"u, début juin, une lettre par laquelle 46 trafiquants ghanéens emprisonnés à Bangkok lui demandaient d’intervenir aupr"s des autorités thaïlandaises pour qu’ils puissent purger leurs peines dans leur pays d’origine. Le président a refusé. Ces mules ont été recrutées dans les grandes villes. Avec les taux de chômage et de sous - emploi prévalant au Ghana, les candidats ne manquent pas. D’autant moins que le "métier" est bien rémunéré ñ 2 000 dollars par voyage, alors que le salaire mensuel moyen n’atteint pas 50 dollars ñ, et qu’il existe une sorte d’assurance sociale : en cas d’arrestation du passeur, les "bosses" enverront de l’argent à sa famille qui pourra ainsi continuer de croire que leur fils ou leur fille travaille à l’étranger. Les trafiquants font également circuler la rumeur que les peines de prison encourues ne dépassent pas 3 ans, et qu’un séjour derri"re les barreaux permettra de faire des connaissances qui s’avéreront utiles pour la suite de la "carri"re". On se garde bien de dire que les passeurs risquent la peine de mort dans certain pays, en particulier à Singapour. Quoi qu’il en soit, nombre de ces mules auront pris soin, avant d’entreprendre leur voyage, de se faire personnellement "protéger" par un sorcier ("Juju man"). Les mules ont en général fait leur premi"res armes comme dealers dans les rues des grandes villes. Ils sont "promus" au rang de passeur international vers l’age de 30 ans. Le contrat qui les lie au patron n’est pas seulement un arrangement financier. La "signature" donne lieu à une cérémonie juju pendant laquelle le passeur s’engage à garder secr"te l’identité du commanditaire et ce dernier à subvenir aux besoins de la famille de son employé en cas de malheur : les sangs du passeur et du représentant du master (le grand patron, qui vit en Europe ñ notamment au Royaume - Uni, ou aux Etats-Unis) sont mélangés dans une calebasse au dessus de laquelle le sorcier prononce quelques in - cantations, avant que son contenu ne soit bu par les contractants. Le vivier ne semble pas pr"s de se tarir : à l’abondante main - d’oeuvre déjà présente dans le pays se sont récemment ajouté un grand nombre d’immigrés ghanéens qui travaillaient notamment au Nigeria, au Togo et en Côte d’Ivoire. Les troubles politiques et économiques dont souffrent actuellement ces pays, et la situation comparativement stable et prosp"re prévalant au Ghana, ont poussé de nombreux émigrés à rentrer au pays. Mais ils sont rares à trouver un emploi stable, et doivent en plus affronter la concurrence de réfugiés togolais et nigérians (sans parler des Libériens des deux sexes, présents depuis la fin 1989, et dont certains se prostituent et dealent) qui, eux aussi, ont fui les troubles de leurs pays d’origine et s’échouent au Ghana, victimes de l’illusion du "miracle" économique ghanéen proclamé par le FMI et la Banque mondiale (correspondant de l’OGD au Ghana). D. I. D. @

(c) La Dépêche Internationale des Drogues n° 46