La police roumaine poursuit inlassablement une vaste opération de relations publiques entreprise il y a quelques mois. Aux heures de grande écoute, le général Pitulescu, chef de l’Inspection générale des polices (IGP), apparaît sur les écrans de télévision pour faire part à la population des derniers succès des forces de l’ordre dans la lutte contre le trafic de drogues. Cette campagne a débuté, à la fin de l’été, par l’annonce de saisie de 1,4 tonne et de 4,4 tonnes de haschisch pakistanais arrivées en Roumanie via des ports africains. Plusieurs fois par mois, la presse se fait l’écho d’énormes saisies de cocaïne, d’héroïne ou de dérivés du cannabis par les toutes nouvelles Brigade de lutte contre le crime organisé et Brigade antidrogues. Il n’a pas échappé aux observateurs que cette campagne médiatique a commencé après l’affaire déclenchée par un rapport du général George Florica, ex-commissaire général de la Garde des finances. Ce dernier impliquait plusieurs membres du gouvernement, le ministre de l’Intérieur et de hauts fonctionnaires de la police dans des affaires de corruption (trafic d’influence, pots-de-vin, détournement de fonds publics, etc.). Finalement, une commission parlementaire a décidé que ces accusations n’étaient pas fondées. Le correspondant de l’OGD à Bucarest est entré en possession d’un rapport "strictement confidentiel" rédigé au début de l’année par le lieutenant-colonel Corneliu Capatina, ex-officier supérieur de l’IGP, aujourd’hui incarcéré, adressé au ministre de l’Intérieur, le général Ion George Danescu, lui-même impliqué dans la précédente affaire de corruption. Capatina, qui enquêtait initialement sur une vaste affaire de voitures volées dans laquelle était notamment impliqué le fils du général de la Police Diamandescu, a reçu l’ordre de cesser ses recherches lorsqu’il a établi, d’une part les liens entre ce trafic et celui de drogues et d’armes, d’autre part l’implication d’officiers supérieurs de la police. La principale cible de ses accusations est le lieutenant général Ion Suceava, commandant de la police des frontières, qui, toujours selon ce rapport "figure dans les fichiers informatiques des polices italienne et allemande comme un des patrons de ces trafics". Depuis l990, il travaillerait en étroite collaboration avec le général Filipov, le chef de la police bulgare qui se servirait de la couverture d’une société commerciale de Sofia dont son fils est le propriétaire. Les autres officiers mis en cause sont les généraux Medrea, Veoicu, Gambrea et surtout le général Nitzu, commandant de la police de la capitale. Selon des sources au sein de la Brigade antidrogue, Nitzu et son adjoint, le colonel Petre, seraient impliqués dans un trafic d’héroïne venant d’Afghanistan via l’Ukraine. L’argent "sale" des trafics du général Suceava était échangé pour des dollars dans les hôtels Astoria et Continental de Timisoara. Parmi les associés de ces chefs de la police, figurent des parrains de l’organisation criminelle italienne, la N’dranghetta calabraise, comme les frères Lombardi qui opèrent dans la clandestinité à partir du département roumain de Satu Mare. Le général Suceava aurait placé sous sa protection directe l’Italien Walter Esposito, responsable du transport des drogues sur la route Roumanie-Hongrie-Autriche-Italie. Pour les importer dans le pays, sont mis à profit les réseaux des trafics d’armes entre les anciens pays membres du pacte de Varsovie et les pays arabes, utilisés par le régime Ceaucescu dont des hauts fonctionnaires continuent d’occuper des postes importants dans les structures de l’Etat, en particulier au ministère de l’Intérieur. La saisie par les douanes de 4,4 tonnes de haschisch, mentionnée plus haut, sur un navire battant pavillon israélien, a été connue et publiée par la presse avant que les hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur n’aient pu les détourner à leur profit. Coïncidant avec le scandale sur la corruption, elle a donc, involontairement, constitué le prélude à la contre-offensive de la police pour redorer son blason aux yeux de l’opinion publique roumaine et également des polices occidentales. La famille de l’auteur du rapport est, quant à elle, l’objet de menaces et de mesures d’intimidation (correspondant de l’OGD en Roumanie).

(c) La Dépêche Internationale des Drogues n° 26