Récuser toute législation spécifique mais favoriser l’adaptation de nos lois et règlements aux nouveaux défis du sectarisme et prévenir les difficultés ultérieures en veillant à ce que les textes à venir n’ouvrent pas d’imprévus boulevards au développement du prosélytisme sectaire : tels étaient les principes d’action de la Mission affirmés dans son premier rapport. Ils continuent de la guider dans ses relations avec le législateur dont elle accompagne avec attention les travaux.

LA PROPOSITION DE LOI ABOUT-PICARD

Le consensus politique a continué de prévaloir dans les assemblées parlementaires lorsqu’il s’est agi de légiférer. Après le vote au Conseil de l’Europe le 22 juin 1999 de recommandations préconisées par le rapport de M. Adrian Nastase, parlementaire (Roumanie), sur " les activités illégales des sectes ", l’Assemblée nationale et le Sénat français se sont prononcés à l’unanimité, en première lecture, sur des propositions de loi destinées à renforcer la prévention et la répression à l’encontre de groupements sectaires en complétant le dispositif légal existant.

1) La proposition de loi du sénateur M. Nicolas About (D.L.) " tendant à renforcer le dispositif pénal à l’encontre des associations ou groupements constituant par leurs agissements délictueux un trouble à l’ordre public ou un péril majeur pour la personne humaine " a été adoptée le 16 décembre 1999. Elle s’appuyait sur le décret-loi du 10 janvier 1936 qui permet la dissolution des groupes de combat et des milices privées.

Elle élargissait le champ des infractions entraînant la responsabilité des personnes morales et aggravait les peines encourues en cas de reconstitution d’une association dissoute.

2) La proposition de loi tendant à renforcer la prévention et la répression à l’encontre des groupements à caractère sectaire, soumise au vote de l’Assemblée nationale en première lecture par la présidente du groupe d’étude sur les sectes, Mme Catherine Picard (P.S.), synthèse de plusieurs propositions émanant de personnalités de divers courants politiques -notamment de MM. Pierre Albertini (UDF), Jean-Pierre Brard (app.PC), Eric Doligé (RPR) et Jean Tibéri (RPR) - reprend l’esprit de la proposition de loi About sans se référer toutefois au décret-loi de 1936.

Elle tend à faciliter la dissolution, par l’autorité judiciaire seule, de groupements définitivement condamnés par la Justice à plusieurs reprises, tout en élargissant le champ des infractions entraînant la responsabilité de la personne morale pour mieux l’adapter aux nouvelles réalités du sectarisme : exercice illégal de la médecine et de la pharmacie, publicité mensongère, fraudes ou falsifications prévues et punies par le Code de la consommation, mises en péril de mineurs, atteintes aux biens, atteintes à l’intégrité physique ou psychique de la personne, atteintes à la liberté et à la vie.

La proposition de loi comporte également des dispositions quant à la limitation de l’installation de groupements sectaires à proximité d’établissements sensibles (hôpitaux, écoles, maisons de retraite, centres sociaux) et à la publicité de ces organisations dans les publications destinées à la jeunesse.

Enfin, il est instauré un délit de manipulation mentale ainsi défini : " activités ayant pour but ou effet de créer ou d’exploiter la dépendance psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités et portant atteinte aux droits de l’Homme ou aux libertés fondamentales, d’exercer sur une personne des pressions graves et réitérées afin de créer ou d’exploiter un tel état de dépendance et de la conduire, contre son gré ou non, à un acte ou à une abstention qui lui est gravement préjudiciable ".

Il n’a pas paru inutile à la Mission, alors que de nombreux colloques orientés dans un sens favorable au sectarisme tentent de mobiliser l’opinion publique, de rappeler le droit qui prévaut en France en matière de dissolution et de marquer en quoi il ne suffit pas à répondre aujourd’hui aux défis nouveaux.

Les articles 3 et 7 de la loi de 1901 disposent en effet que :

Art. 3 : Toute association fondée sur une cause ou en vue d’un objet illicite, contraire aux lois, aux bonnes moeurs, ou qui aurait pour but de porter atteinte à l’intégrité du territoire national et à la forme républicaine du gouvernement, est nulle et de nul effet.

Art.7 : En cas de nullité prévue par l’article 3, la dissolution de l’association est prononcée par le tribunal de grande instance, soit à la requête de tout intéressé, soit à la diligence du ministère public. Celui-ci peut assigner à jour fixe et le tribunal, sous les sanctions prévues à l’article 8, ordonner par provision et nonobstant toute voie de recours, la fermeture des locaux et l’interdiction de toute réunion des membres de l’association. En cas d’infraction aux dispositions de l’article 5, la dissolution peut être prononcée à la requête de tout intéressé ou du ministère public.

Les dispositions de l’article 3, par leur imprécision, se sont révélées largement inopérantes. En 1936, devant les menaces des ligues fascisantes, un décret-loi a créé la possibilité pour l’autorité gouvernementale de dissoudre (en conseil des ministres) des mouvements menaçant les institutions de la République. Cette dissolution, dite administrative, est susceptible d’appel devant le Conseil d’Etat. Elle ne peut guère être utilisée contre les sectes, sauf dans le cas où certaines d’entre elles entretiendraient des forces armées (1).

C’est pourquoi la Mission, à la majorité de son Conseil d’Orientation, a nettement marqué sa préférence pour un recours à l’autorité judiciaire afin que soient mises hors d’état de nuire des personnes morales portant atteinte aux droits de l’Homme et à l’équilibre social (2). Cette position a été, paradoxalement, critiquée par une personnalité religieuse apparemment mal instruite des aspects délicats du droit associatif.

Par ailleurs, la proposition de loi About-Picard introduit dans le droit français une infraction nouvelle, celle de manipulation mentale, définie comme il suit :

"Le fait, au sein d’un groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer ou d’exploiter la dépendance psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités, d’exercer sur l’une d’entre elles des pressions graves et réitérées ou d’utiliser des techniques propres à altérer son jugement afin de la conduire, contre son gré ou non, à un acte ou à une abstention qui lui est gravement préjudiciable, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 300.000 F. d’amende."

Cet article a suscité de nombreux commentaires, bien qu’il n’ait pas un caractère de nouveauté.

L’article 31 de la loi de 1905, réprime depuis un siècle les pressions abusives exercées sur un tiers pour l’amener à changer ses convictions.

"Sont punis de la peine d’amende prévue pour les contraventions de la 5 ème classe et d’un emprisonnement de six jours à deux mois ou de l’une de ces deux peines seulement ceux qui, soit par voies de fait, violences ou menaces contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d’exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, l’auront déterminé à exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte, à faire partie ou à cesser de faire partie d’une association cultuelle, à contribuer ou à s’abstenir de contribuer aux frais d’un culte."

Ces dispositions remarquables par leur concision et leur caractère "alternatif" ne concernent cependant que la manipulation mentale exercée dans les limites du religieux. Or, les sectes contemporaines ne limitent pas leurs activités à la sphère religieuse (certaines, même, exercent un prosélytisme athée).

Il existe, plus récents que ces dispositions séculaires, deux articles du Code pénal de 1994 qui répriment à peu près les mêmes infractions mais en les limitant au cas des personnes "en état de faiblesse". L’un sanctionne les personnes physiques (313-4), l’autre les personnes morales (313-9). Or, les pressions mentales exercées par les groupements sectaires ne se pratiquent pas la plupart du temps à l’encontre de personnes en état de faiblesse. Le processus d’emprise commence le plus souvent à partir d’une acceptation de type implicitement contractuel, consentie par une personne saine d’esprit. L’asservissement du nouvel adepte ne sera perceptible qu’au cours d’une période plus ou moins longue de captation. La Mission a recueilli un grand nombre de témoignages qui confirment cette démarche, lieu commun du prosélytisme de toutes les sectes (et, de ce point de vue, marquant la différence avec les mouvements confessionnels ou philosophiques qui respectent la liberté d’autrui).

Il paraît donc indispensable d’améliorer les dispositions pénales pour tenir compte de cette réalité jusqu’alors peu appréhendée.

Tel qu’il a été défini plus haut, le délit de manipulation mentale a été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale. Soucieuse de garantir les libertés fondamentales et la conformité de cet aspect de la proposition de loi avec les dispositions de la Convention européenne des Droits de l’Homme, le Garde des Sceaux a souhaité, le 24 juillet 2000, qu’avant la seconde lecture devant le Parlement, la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme soit saisie. Cette dernière a rendu son avis le 21 septembre.

Elle confirme le caractère non liberticide de la loi en constatant que "la simple appartenance à un groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer ou d’exploiter la dépendance psychologique et physique des personnes qui participent à ces activités n’est pas punie par l’article 9 de la proposition de loi, ce qui respecte la liberté fondamentale de pensée, de conscience et de religion ".

Elle estime en revanche que " la création d’un délit spécifique de manipulation mentale ne (lui) paraît pas opportune " dès lors qu’un amendement à l’article 313-4 est possible, article qu’elle suggère de déplacer dans le Code pénal " pour ne pas concerner uniquement les actes préjudiciables concernant les biens ".

La Mission prend acte de cet important avis, soulignant qu’il concerne aussi, implicitement, l’article 313-9, parallèle au 313-4. L’examen de la proposition de loi inscrite en principe à l’ordre du jour du Sénat et de l’Assemblée nationale au premier trimestre 2001, concernera nécessairement les problèmes posés par la mise en état de dépendance de personnes entrées "en secte" sans être en état de faiblesse et qui ont découvert, après leur adhésion, la réalité de la stratégie d’emprise dont elles ont été victimes.

LES PROPOSITIONS DE LOI RELATIVES AU TITRE DE PSYCHOTHERAPEUTE

Dès son rapport de 1999, la Mission avait souligné avec regret l’absence d’encadrement des activités de psychothérapeute. Ce vide juridique et réglementaire ne pouvait manquer d’attirer l’attention de nombreux mouvements sectaires intéressés à la fois par une manne financière probable et une facilité accrue d’emprise sur les individus.

Deux propositions de loi ont été déposées à l’Assemblée nationale au cours de l’année 2000, destinées à réglementer les conditions d’exercice de l’activité de psychothérapeute.

 l’une, le 28 mars de M. Jean-Michel Marchand (Verts), relative à l’exercice de la profession de psychothérapeute, à l’attribution et à l’usage du titre ;

 - l’autre, le 26 avril, de M. Bernard Accoyer (RPR), relative à la prescription et à la conduite des psychothérapies.

Il n’est pas possible de préjuger la suite parlementaire de ces initiatives. Pour l’analyse du problème, voir le chapitre consacré à la régulation administrative et déontologique des activités de psychothérapeute.

Au-delà des conditions d’exercice des psychothérapeutes, la Mission a attiré l’attention des parlementaires sur d’autres questions qui pourraient faire l’objet d’examens approfondis : la démocratisation de la gestion associative ; la réglementation de la profession de formateur et les conditions de remboursement des frais de certaines propagandes électorales.•39


(1) Ce qui pourrait éventuellement être le cas des organisations militarisées de quelques grandes sectes multinationales sanctuarisées aux Etats-Unis dont les proclamations sont autant d’"Appel aux armes" contre les institutions démocratiques.

(2) Depuis 1994, le Code pénal prévoit la sanction des personnes morales.