La médecine anthroposophique s’affirme en tant que telle et s’inscrit dans un "mouvement philosophique et scientifique" auquel Rudolf Steiner a donné naissance. Les médecins qui s’y réfèrent et qui s’en réclament ont constitué des associations qui se sont unies en juillet 1998 au sein du "Mercure fédéral", association dont les statuts ont été déposés auprès de la sous-préfecture de Palaiseau (91) et enregistrés le 28 juillet 1998.

La médecine des anthroposophes est qualifiée de "médecine traditionnelle sacrée" par Claudine Brelet dans un article paru dans la revue "CELT". Elle prétend prendre en compte le "Moi total" en partant du postulat que "la biopathologie, la physiologie, que nous enseigne aujourd’hui la faculté, ne nous donnent qu’une réponse très partielle aux questions que nous nous posons sur le cheminement de l’homme malade (1) ".

La médecine commune est ainsi définie comme n’étant "bien souvent qu’une science des étiquettes (la sémiologie) un répertoire composé de trois colonnes : signes, diagnostic thérapeutique où nulle part la personnalité du médecin et celle du malade ne communient" (2).

Qualifiant ces médecins de "prétendus scientifiques", l’auteur considère que ceux-ci "ont oublié que l’homme dispose de ce dont aucune créature n’a disposé avant lui ; l’esprit, le Moi. Grâce à cet esprit, l’homme issu de la Nature est la Nature. L’homme issu du Soleil éclaire. Et l’homme issu de Dieu est Dieu. Ainsi tout s’éclaire : le médecin comprend et apprend à suivre et à maîtriser ces courants d’énergie dans l’homme, et dans l’univers ces rythmes qui relient les humains aux planètes" (3).

Poursuivant sa description du regard des médecins anthroposophes sur l’homme et en premier lieu sur l’homme malade, Claudine Brelet précise : "l’homme appartient à la communauté cosmique, et à la communauté terrestre en particulier. Il n’a pas d’existence en dehors de cette communauté. L’idée de microcosme contenant le macrocosme universel passe ainsi dans le domaine de la réalité, de la connaissance et, par voie de conséquence, dans le domaine de la médecine. Alors, il n’est pas de médecine proprement humaine, mais une médecine de l’univers tout entier (4) ".

Le "Mercure fédéral", autrement dénommé "Union des associations médicales anthroposophiques de France", était composé à son origine de cinq associations. Il a récemment accueilli, selon les dires de son président, une sixième composante "l’Institut Kepler", apparaissant ainsi à la fois diversifié et uni autour de la "pensée".

S’inscrivant dans une dimension internationale, la démarche des médecins anthroposophes peut aussi être mieux appréhendée par la consultation des sites web étrangers. Ainsi, le site suisse www.edicom.ch/sante/conseils/altern/anthro.html (mis à jour au 8 novembre 2000) ouvre sa présentation sur l’affirmation suivante : "autant le dire tout de suite, l’anthroposophie, dont les bases ont été posées au début du siècle par Rudolf Steiner, ne se contente pas de traiter l’organe malade. A la fois médecine, mais aussi pédagogie, science spirituelle, enseignement ésotérique et philosophie appliquée, elle met l’homme dans une perspective plus large que le seul corps humain. Dans cette approche, lorsque le corps physique est malade, il faut bien évidemment le traiter. Mais pour le médecin anthroposophe, il s’agit aussi de compter avec des corps plus subtils, notamment le corps éthérique, le corps astral et le "je", ou esprit humain, qui englobe les trois précédents.

C’est généralement dans le corps éthérique, siège des énergies vitales, et le corps astral, siège des sensations et des émotions que la maladie a en fait pris naissance avant de se manifester dans la matière, c’est-à-dire dans le corps de chair et de sang. Il s’agit donc de réharmoniser ces différents corps, afin que tous, du plus sensible au plus dense, visent à l’unisson. Ce qui semble être à la fois la condition et la définition d’une bonne santé. Pour y parvenir et agir aux différents niveaux, la médecine anthroposophe dispose de moyens très diversifiés. Ainsi, la peinture thérapeutique, le modelage, la musique ou l’eurythmie curative font parfois partie intégrante d’un traitement".

Pour les créateurs suisses de ce site, l’anthroposophie est donc à considérer comme "l’une des cinq médecines complémentaires désormais prises en charge par les caisses maladie" (5).

Le débat ouvert à l’échelle européenne et en tout premier lieu au sein de l’Union européenne mérite d’être clarifié, compte-tenu de la diversité des informations diffusées au sujet de cette "philosophie mise en pratique" et des incertitudes qui peuvent en résulter, notamment dans l’opinion.

De ce point de vue, la question écrite posée par le sénateur Haenel à Mme la Secrétaire d’Etat à la Santé et à l’Action sociale apporte quelques éclaircissements du point de vue français mais aussi dans une perspective plus étendue, celle de l’Europe.

Cette question du 10 février 2000, posée sous le numéro 22731, est la suivante :

"M. Hubert Haenel attire l’attention de Mme la Secrétaire d’Etat à la Santé et à l’Action sociale sur la médecine anthroposophique. Il observe que cette forme de médecine bénéficie d’une reconnaissance officielle dans les pays d’Europe du nord (Scandinavie, Pays-Bas, Allemagne et, prochainement semble-t-il, Grande-Bretagne) où elle est pratiquée par environ 4000 médecins ; que certains médicaments anthroposophiques ont été assimilés aux médicaments homéopathiques par la directive européenne 92/73 ; que le Parlement européen a, dans sa résolution du 27 mai 1997, cité la médecine anthroposophique parmi les méthodes thérapeutiques bénéficiant d’une reconnaissance légale dans certains Etats membres et a demandé que soient affectés à l’évaluation clinique de cette médecine des crédits européens. Or, il note que, parallèlement, la médecine anthroposophique, qui est exercée en France par 350 praticiens, a été classée parmi les mouvements sectaires par le rapport de l’Assemblée nationale "Les sectes et l’argent", rendu public en juin 1999. Il souhaite donc connaître la position du gouvernement français à l’égard de cette forme de médecine non conventionnelle et de l’homéopathie en général".

La réponse de la Secrétaire d’Etat, publiée dans le journal officiel du Sénat du 7 septembre 2000, a été ainsi formulée :

" La médecine anthroposophique [qui] s’inspire d’une tradition mystique et ésotérique d’origine occidentale,. n’est pas une technique médicale reconnue et n’a fait l’objet d’aucune évaluation attestée. Aussi, elle ne fait pas partie des médecines non conventionnelles, telle l’homéopathie, pour lesquelles, dans l’esprit de la résolution du 27 mai 1997 du Parlement européen évoquée par l’honorable parlementaire, la France a entrepris certaines actions dans la perspective de s’engager dans un processus de reconnaissance de ces médecines, tout en veillant à protéger les malades des déviances (charlatanisme, sectes...) nombreuses en ces domaines".

Compte-tenu d’une actualité, à la fois nourrie et diffuse autour de l’anthroposophie, le sénateur Haenel a réinterrogé oralement la Secrétaire d’Etat à la Santé et aux Handicapés lors de la séance du 7 novembre 2000 en précisant son analyse et ses interrogations au regard, notamment, des travaux en cours au niveau de l’Union européenne, tant au sein du Parlement que de la Commission.

"Mme la Secrétaire d’Etat, pouvez-vous préciser vos intentions au sujet de la reconnaissance officielle des médecines non conventionnelles, tout particulièrement de la médecine anthroposophique ? Les éléments que vous m’avez adressés en réponse à une question écrite que je vous avais posée à cet égard étaient, en effet, quasi "ésotériques", ce qui explique que je revienne à la charge.

Dans sa résolution du 27 mai 1997, le Parlement européen constate que le recours d’une partie de la population des Etats membres de l’Union à certaines médecines non conventionnelles ne peut être ignoré. Partant de ce constat, il considère qu’il est important d’assurer aux patients une liberté de choix thérapeutique aussi large que possible en leur garantissant, bien sûr, le plus haut niveau de sécurité, l’information la plus correcte sur l’innocuité, la qualité, l’efficacité et les éventuels risques des médecines dites "non conventionnelles", ainsi qu’une protection contre les personnes non qualifiées. Dans cette même résolution, le Parlement européen demande à la Commission de s’engager dans un processus de reconnaissance des médecines non conventionnelles et, notamment, d’élaborer en priorité une étude approfondie sur l’innocuité, l’opportunité, le champ d’application et le caractère complémentaire et/ou alternatif de chaque discipline non conventionnelle.

Or, lorsque je vous ai interrogée, Mme la Secrétaire d’Etat, par le biais d’une question écrite, sur la reconnaissance officielle de la médecine anthroposophique, vous m’avez répondu, le 7 septembre dernier, qu’il s’agissait d’une "tradition mystique et ésotérique d’origine occidentale" qui ne faisait pas partie des médecines conventionnelles pour lesquelles la France avait entrepris certaines actions dans la perspective de s’engager dans un processus de reconnaissance officielle, dans l’esprit de la résolution du 27 mai 1997 du Parlement européen.

Vous ajoutiez que, parallèlement à ces actions, vous veilliez à protéger les malades des déviances - charlatanisme, sectes...qui sont nombreuses en ce domaine. Vous étiez là parfaitement dans votre rôle.

Or, Mme la Secrétaire d’Etat, la médecine anthroposophique fait bien partie des médecines non conventionnelles pour lesquelles le Parlement européen invite la Commission à entamer des études approfondies.

Si vous travaillez effectivement dans l’esprit de cette résolution, vous ne pouvez donc ignorer cette médecine. En effet, le Parlement indique, dans son "sixième considérant", que certaines médecines non conventionnelles bénéficient d’une forme de reconnaissance légale dans certains Etats membres, en particulier la médecine anthroposophique. Il ajoute, dans son "huitième considérant", qu’une évolution des législations s’est déjà manifestée, notamment par l’introduction des médicaments dans la pharmacopée, et cite en exemple la médecine anthroposophique en Allemagne. Nous sommes là bien loin, convenez-en, de la description que vous avez faite, Mme la Secrétaire d’Etat, d’une application d’une idée mystique traditionnelle de l’Occident suspecte de sectarisme et de charlatanisme !

Il va de soi que le double principe de la liberté pour les patients de choisir la thérapeutique qu’ils souhaitent et de la liberté pour les praticiens d’exercer leur profession implique qu’il faut garantir l’innocuité et la qualité des traitements dispensés, assurer une formation appropriée des praticiens, codifier leur statut professionnel et introduire les remèdes de ces médecines dans la pharmacopée européenne.

En conclusion, nos concitoyens sont en droit de connaître votre position, Mme la Secrétaire d’Etat. Celle-ci doit être claire et déterminée à l’égard tant de la médecine anthroposophique que de la mise en oeuvre des études nécessaires à l’engagement, le cas échéant, d’une procédure de reconnaissance officielle de celle-ci par la France afin d’en finir une bonne fois pour toutes avec les ambiguïtés actuelles et, parfois, avec les procès en sorcellerie engagés ici ou là.

Nos concitoyens sont en droit d’attendre des pouvoirs publics qu’ils prennent une position officielle dans le cadre national et européen".

La Secrétaire d’Etat a apporté les réponses et les précisions suivantes :

"M. le Sénateur, vous appelez mon attention sur les mesures qui ont été prises en France pour assurer la reconnaissance de la médecine anthroposophique.

Je récuse le qualificatif de "charlatanisme", mais je maintiens que la médecine anthroposophique s’inspire d’un mouvement mystique et ésotérique d’origine occidentale. Ce n’est pas une technique médicale reconnue et elle n’a fait l’objet d’aucune évaluation validée scientifiquement. Si la résolution du 27 mai 1997 du Parlement européen, à laquelle se réfère votre question, constitue une première étape dans la voie de reconnaissance des médecines non conventionnelles, elle présente le caractère d’une recommandation et ne saurait avoir actuellement une valeur contraignante. Par ailleurs, la directive 92/73/CEE du 22 septembre 1992 élargissant le champ d’application des directives précédentes concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives aux médicaments et fixant des dispositions complémentaires pour les médicaments homéopathiques, sur laquelle vous vous fondez pour solliciter la reconnaissance de la médecine anthroposophique, ne réglemente pas à proprement parler deux types de médicaments, respectivement homéopathiques et anthroposophiques.

Ce texte se borne à préciser, dans ses considérants d’introduction et non dans son dispositif, que les médicaments anthroposophiques ne sont assimilables aux médicaments homéopathiques que dans la mesure où ils sont décrits dans une pharmacopée officielle et préparés selon une méthode homéopathique. Loin de placer les deux types de médicaments sur un même pied, cette assertion illustre parfaitement les limites que rencontre actuellement le concept de médecine anthroposophique. Sur l’ensemble de ces sujets, le gouvernement français observe une attitude pragmatique. Il s’est, en conséquence, déjà engagé dans un travail sur l’ouverture à des non-médecins de la pratique de certaines techniques jusque-là réservées aux médecins, telles que l’ostéopathie ou la chiropraxie. La reconnaissance de la médecine anthroposophique ne fait pas, pour le moment, partie de ses préoccupations".

Existe-t-il une "médecine anthroposophique" ou ne s’agirait-il pas plutôt au jour d’aujourd’hui d’une "pratique médicale" ou d’une "technique médicale" comme le souligne la Secrétaire d’Etat à la Santé ?•64 La reconnaissance n’est donc pas acquise, si la question a été posée. Le secrétariat d’Etat à la Santé, pour ce qui le concerne, ainsi que d’autres départements ministériels compétents devraient être en mesure d’exercer leur vigilante attention à l’égard des développements éventuels de cet aspect particulier de l’anthroposophie.


(1) La médecine des anthroposophes - Revue Celt - Claudine Brelet - page 105

(2) idem

(3) idem p.106

(4) idem p.108•61

(5) site internet www.edicom.ch/sante/conseils/altern/anthro.html•62