Les annexes au rapport donnent des informations détaillées sur l’organisation des mouvements sectaires les plus représentatifs. Elles permettent de constater que, malgré la diversité des courants auxquels les sectes se rattachent et les différences notables constatées dans les activités qu’elles déploient, leur organisation repose sur des constantes que l’on retrouve, avec un degré de sophistication juridique inégal, dans la plupart des mouvements.

Les sectes implantées en France sont, en règle générale, l’émanation d’une " secte mère " dont le siège international est situé à l’étranger. Elles s’appuient souvent sur une structure fédérale et organisent leurs activités autour de trois branches : une branche reposant sur une structure associative chargée de propager la doctrine du mouvement ; une branche composée d’un ou plusieurs organes, associatifs ou non, dont l’activité comporte un caractère économique ; et une branche immobilière constituée de personnes morales qui servent de supports juridiques aux investissements immobiliers. Dans plusieurs cas, une structure spécialement dédiée au financement de la secte s’ajoute à ces trois branches. L’ensemble constitue les instances nationales de la secte dont l’implantation sur le territoire s’appuie sur un maillage plus ou moins serré d’établissements ou d’associations locales. Par ailleurs, l’organisation sectaire est relayée par un réseau économique parfois très étendu, prenant des formes diverses qui seront plus particulièrement étudiées dans la deuxième partie du rapport.

a) L’existence d’un siège international situé à l’étranger

Les Etats-Unis constituent le premier pays d’accueil des instances internationales des sectes qui y trouvent un droit et un système de pensée favorables à leur création et à leur développement. La Scientologie, les méthodes Avatar ou Landmark sont des créations américaines. Les Témoins de Jéhovah ont établi leur siège international outre-atlantique, de même que l’AMORC qui a choisi de domicilier sa structure internationale en Californie. Le Japon est également une zone de prédilection du sectarisme, et la Soka Gaikkaï, Mahikari et Moon y disposent de sièges internationaux. Les autres régions du monde concernées sont surtout l’Inde, le Brésil et certains pays européens comme l’Autriche, les Pays-Bas ou la Belgique. En outre, plusieurs sectes semblent attirées par les pays à fiscalité privilégiée, comme le Luxembourg ou la Suisse où l’on relève plusieurs sièges internationaux.

L’existence d’un siège international à l’étranger permet d’établir des liens juridiques et financiers entre la secte mère et son émanation française, et, le cas échéant, d’opérer des transferts de fonds parfois conséquents. Tel est notamment le cas de la Scientologie, de Mahikari, de la Soka Gakkaï ou de Moon. L’AMORC a reçu en mars 1993 un apport de 46 millions de francs de la " Supreme Grand lodge of the Ancient and mystical Order rosae crucis ", structure mère de la secte implantée en Californie, afin d’acquérir l’immeuble qu’elle occupe au 199, rue Saint-Martin à Paris. Bien qu’il soit moins connu, l’exemple de l’Eglise du Christ est révélateur des relations que peuvent nouer une secte internationale et son obédience française. L’Eglise du Christ de Paris est en effet membre d’une secte internationale domiciliée à Boston aux Etats-Unis, et reçoit des subventions de son organisation mère qui, en outre, prend en charge les 450.000 francs de salaire annuel perçu par le président de la branche française. En sens inverse, cette dernière verse chaque année un pourcentage de ses recettes à l’organisation américaine, de même qu’à l’organisation non gouvernementale Hope World Wide qui sert de vitrine humanitaire à la secte.

Certaines sectes, de création apparemment purement française, ne semblent pas disposer d’un siège à l’étranger. C’est semble-t-il le cas du Mandarom, de l’Office culturel de Cluny, de la Pentecôte de Besançon, de la Contre réforme catholique. L’absence de domiciliation officielle dans un pays étranger n’empêche cependant pas d’y créer éventuellement des implantations ou d’y ouvrir des comptes bancaires, comme on le verra lors de l’examen des aspects internationaux de la fraude sectaire.

b) La mise en place de structures fédérales

Les structures formant la secte sont assez fréquemment affiliées à une personne morale fédérative qui est la gardienne de l’unité du groupe et assure le contrôle de ses organes, parfois en leur imposant leurs statuts ou des prélèvements financiers.

Il existe notamment une Fédération chrétienne des Témoins de Jéhovah dont le rôle exact sera examiné plus loin. L’Union des églises de Scientologie regroupe les différentes " églises " scientologues qui ont adopté les statuts types établis par cette instance fédérale, et se conforment aux règles qu’elle a établies. La Soka Gakkaï dispose également d’une Union des associations cultuelles Soka du boudhisme Nichiren, et l’Office culturel de Cluny s’est constitué sous la forme d’une fédération intitulée Fédération d’animation globale, qui regroupe des associations avec lesquelles elle passe des conventions prévoyant des échanges de services, de matériel ou de personnel et des mouvements financiers, chaque membre versant à la fédération un pourcentage de ses recettes. De même, les différentes implantations de la Pentecôte de Besançon sont regroupées au sein d’une Fédération évangélique missionnaire.

c) Le recours à des structures dédiées aux investissements immobiliers

Les sectes disposent d’un patrimoine immobilier important qui sera examiné dans la deuxième partie du rapport. Ce patrimoine n’appartient pas toujours aux associations qui constituent les organes dirigeants de la secte, et plusieurs mouvements ont recours à des montages juridiques spécifiques qui passent, dans la majorité des cas, par la constitution d’une société civile immobilière (SCI).

Il existe de nombreux exemples de SCI propriétaires et gestionnaires des biens immobiliers utilisés par des sectes. Jusqu’en 1978, certains des biens immobiliers des Témoins de Jéhovah étaient juridiquement détenus par la SCI Villa Guibert. Le patrimoine immobilier de Moon est rattaché à plusieurs sociétés, comme les SCI Le Nouveau Belvédère et Internationale Vredesstichting. Certains immeubles de Krishna ont été achetés par l’intermédiaire de deux SCI. L’utilisation de SCI a également été relevée pour Invitation à la vie, Energo Chromo Kinèse, la Fraternité blanche universelle, Mahikari, l’Office culturel de Cluny et la Pentecôte de Besançon. L’AMORC a créé la SCI Pernelle afin d’acquérir des locaux en vue de leur utilisation par ses sections locales implantées sur le territoire.

Les associations sectaires peuvent être locataires de biens appartenant à des sociétés civiles immobilières auxquelles elles versent un loyer. L’existence de loyers n’est pas incompatible avec un contrôle, par l’organisation, de ces sociétés qui peuvent être détenues directement ou par l’intermédiaire de personnes " écrans ". On peut en effet s’interroger sur le montant des loyers payés par certaines sectes. L’Association de l’Esprit Saint pour l’unification du christianisme mondial, instance française de Moon, a par exemple déclaré payer un loyer annuel de 20.700 francs pour son siège au 9-11, rue de Châtillon dans le 14ème arrondissement de Paris, appartenant à la SCI Vredesstichting. Ce loyer semble particulièrement bon marché pour les quelque 1.200 m2 de bureaux et de salles de conférence ainsi mis à la disposition de la secte.

d) La présence d’une branche économique

La quasi totalité des sectes examinées dans le présent rapport ont une activité économique, certes d’importance inégale et dont le caractère lucratif n’est pas toujours établi, mais directement exercée par l’organisation sectaire elle-même, indépendamment du réseau d’entreprises dont elle peut par ailleurs disposer. Ces activités économiques sont souvent assurées par les associations constituant les organes centraux de la secte, notamment à l’occasion de leurs activités " spirituelles ", lorsque ces dernières passent par la vente de prestations ou de produits. Dans de nombreux cas, les sectes ont choisi de créer des structures commerciales distinctes, spécifiquement chargées de poursuivre un but économique. Ces structures sont la face lucrative de la secte qui peut par ailleurs, par l’intermédiaire de ses associations, continuer à avoir des activités économiques directes, notamment par la vente d’ouvrages et d’objets ou la facturation de stages, cours, conférences ou autres prestations.

Le Patriarche, récemment rebaptisé Dianova, constitue l’exemple le plus représentatif de structures commerciales sectaires. M. Lucien Engelmajer, fondateur de la secte, a bâti un véritable empire économique formé de plusieurs sociétés commerciales détenues par l’association portant son nom, et notamment une société de restauration rapide, la SA New Lunch, regroupant huit établissements en France sous l’enseigne " Fiesta paella " ou " Paella store ole ". Certaines de ces sociétés sont encore en activité. On retrouve une organisation similaire pour l’Antroposophie dont les activités économiques sont assurées par de nombreuses sociétés de distribution ou des écoles réparties dans plusieurs départements.

Une partie des activités lucratives de la Scientologie a été confiée à la SARL Scientologie espace librairie qui, domiciliée à la même adresse que les instances nationales de la secte, vend notamment les ouvrages de L.R.Hubbard et sous-loue les locaux utilisés par plusieurs églises locales. La même séparation est observée dans le cas de l’AMORC qui dispose, à travers l’Espace AMORC implanté à Paris, d’un luxueux centre de conférences loué à des clients parfois prestigieux et géré par la société Diffusion rosicrucienne créée à cet effet par la secte. Cette dernière a également déclaré, sous l’appellation Domaine de l’enfance et des loisirs, une association spécifiquement chargée des activités d’hébergement d’enfants. L’association mère française entretient des relations financières régulières avec ses satellites économiques. Jusqu’en 1994, elle versait une subvention à la société Diffusion rosicrucienne à laquelle elle continue à acheter des fournitures et des impressions pour environ 3,5 millions de francs chaque année. Elle verse également au Domaine de l’enfance et des loisirs une subvention qui a atteint 1,5 million de francs en 1997.

D’une manière générale, les sectes ont tendance à constituer des structures juridiques distinctes chargées d’assurer l’édition de leurs publications. C’est notamment le cas du Graal, des Roses Croix d’or et de l’AMORC. Par ailleurs, des sociétés peuvent être créées pour assurer la fabrication et la commercialisation de produits de la secte. Un des dirigeants d’Energo chromo kinèse, M. Patrick Véret, a créé la société Nutrition énergétique des organes et des méridiens (NEOM) pour fabriquer et vendre les produits paramédicaux de la secte. De même, Krishna dispose d’une structure dénommée Hare Krishna qui vend notamment des produits végétariens.

Tradition Famille Propriété, association mère de la secte du même nom, a recouru à une association distincte, dénommée Avenir de la culture, à laquelle elle a confié les activités de démarchage nécessaires à la diffusion de ses préceptes. Les deux associations entretiennent des relations étroites, le président et le trésorier de chacune d’entre elles étant salariés par l’autre.

La face lucrative de Mahikari est constituée par trois sociétés dans lesquelles la secte japonaise détient des participations : une société de droit étranger située au Luxembourg (LH Yoko Shuppan Europe SA), une agence de voyage (HIKARI France) et une SARL spécialisée, d’après sa déclaration au registre du commerce, dans la formation et l’organisation de congrès (LH France). Cette dernière est détenue par l’organisation japonaise de la secte et par la société implantée au Luxembourg où elle verse d’importants honoraires (1,2 million de francs en 1995). L’agence de voyage a été constituée pour les besoins de l’association Sukyo Mahikari, organe central de la branche française, dont elle constitue le prolongement, l’ensemble de ses clients étant formé d’adeptes pour lesquels elle organise des voyages au Luxembourg ou au Japon. Invitation à la vie a également créé une agence de voyage qui, pendant plusieurs années, a organisé les " pèlerinages " pour les adeptes.

La Soka Gakkaï a créé une société chargée d’exercer ses activités lucratives. Il s’agit de la Société européenne de restauration et de services détenue à 99 % par la secte, qui commercialise ses supports " pédagogiques ".

e) La possibilité de structures de financement spécifiques

Certaines sectes ont mis en place des structures spécifiques afin d’assurer le financement de leur organisation. Trois exemples ont été portés à la connaissance de la Commission. Même s’ils sont peu nombreux, ils montrent que les sectes peuvent recourir à des montages juridiques qui atteignent un degré de sophistication important.

Les Témoins de Jéhovah disposent, on va le voir, d’une association chargée d’assurer la péréquation des dons qui sont versés aux différentes implantations locales de la secte.

Le Patriarche-Dianova qui fait partie des mouvements économiquement les plus actifs, a créé en 1993 un holding qui a investi dans plusieurs structures constituant le réseau économique du mouvement. L’association L. Engelmajer et ses filiales sont en effet propriétaires d’une société holding luxembourgeoise de participation sociale et financière, la SOPASOFIE. D’après les informations figurant dans le rapport de la Cour des comptes sur le dispositif de lutte contre la toxicomanie (1), le capital social de ce holding atteignait 10 millions de francs, réparti entre l’association Lucien Engelmajer qui détiendrait 15 % des actions, les associations françaises, suisses, portugaises et espagnoles constituant la secte, et les associations contre le Sida qui lui sont liées.

Le réseau de l’Anthroposophie dispose également de deux structures de financement à travers la Nouvelle économie fraternelle et la Société financière de la nouvelle économie fraternelle. La première est une association formée afin d’expérimenter des " relations d’entraide économique et financière se fondant, en particulier, sur une circulation transparente de l’argent, éclairée par une conscience altruiste ". La seconde est un organisme bancaire créé sous la forme d’une société coopérative anonyme affiliée à la Caisse centrale de crédit coopératif. Agréée par la Banque de France en 1988, elle est habilitée à recevoir du capital et de l’épargne et peut consentir des prêts. L’association reçoit des cotisations, des dons et des subventions (émanant de la Fondation de France, de la Fondation d’entreprise de la MACIF ou de la Délégation générale à l’innovation et à l’économie sociale). Ses ressources annuelles, estimées à 800.000 francs en 1994, lui permettent d’affecter une subvention d’équilibre à la société financière. Elles sont également utilisées pour accueillir les demandeurs de crédits, et financer l’étude et l’accompagnement de leurs projets. Il s’agit d’une aide préalable destinée à assurer la réussite des programmes pour lesquels la société financière décide d’accorder des prêts. Le capital social de cette dernière atteignait, à la fin de 1994, 9,3 millions de francs, et, à la même date, une augmentation de capital de 15 millions de francs était envisagée. La banque proposait deux produits financiers : les comptes de dépôts à terme et le livret " NEF-crédit coopératif " dont les caractéristiques étaient proches du livret A de la Caisse d’épargne. Elle disposait en 1994 d’un encours d’épargne de 13 millions de francs pour les comptes à terme et de 10 millions de francs pour les livrets.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr