Les sectes ne sont pas toujours exclusivement financées par les dons de leurs adeptes, mais exercent des activités qui peuvent leur apporter des revenus souvent importants. Ces revenus peuvent même parfois représenter la principale source de financement de l’organisation. Ils proviennent de prestations directement dispensées par les associations sectaires, indépendamment du réseau économique qui les accompagne. Ces prestations ne revêtent pas forcément un caractère lucratif, la notion de lucrativité étant, on l’a vu, définie selon des critères précis que les sectes s’évertuent à ne pas remplir pour échapper à l’impôt.

A) L’IMPORTANCE DES REVENUS TIRES DES ACTIVITES SECTAIRES

L’activité sectaire type consiste à vendre, selon des modalités de paiement sur lesquelles on reviendra, des prestations de services comprenant généralement des cours, stages ou séminaires, souvent accompagnées par la vente d’ouvrages, de supports " pédagogiques " et de produits cultuels ou paramédicaux. Ces prestations et ces produits sont écoulés auprès des adeptes ou sympathisants qui forment une clientèle captive, essentielle à la santé financière de l’organisation.

Les activités sectaires peuvent représenter des " chiffres d’affaires " importants. Sur ce point, la Commission dispose de deux types d’informations : les résultats comptables de certaines associations sectaires lorsqu’ils lui ont été communiqués, et les redressements fiscaux pour activité lucrative non déclarée.

L’activité sectaire type constitue le fonds de commerce de la plupart des " petites " sectes auxquelles elle apporte le moyen d’équilibrer leur budget, les cotisations et les dons n’y parvenant généralement pas, faute d’un nombre suffisant d’adeptes. Invitation à la vie gagne par exemple plusieurs centaines de milliers de francs chaque année (1,1 million de francs en 1995) en vendant notamment des séminaires de " vibrations ", des cassettes et des bulletins. La recette tirée des produits et des activités proposés par la Nouvelle Acropole (revues, reproductions, livres, manuels, conférences, séminaires, voyages) représente, selon l’exercice, entre 1 et 1,3 million de francs. L’Office culturel de Cluny vend également une gamme de produits, et notamment des produits écologiques, qui lui apportent chaque année entre 2,8 et 4 millions de francs. La vente des écrits de M. Georges de Nantes, fondateur de la Contre-réforme catholique, et les abonnements aux publications de la secte produisent de leur côté entre 0,8 et 1,4 million de francs. Enfin, les séminaires d’Au cœur de la communication représentaient, pour les exercices où l’association était en pleine activité, entre 3 et 5,5 millions de francs par an.

Ces montants peuvent paraître anodins. Ils doivent cependant être considérés en gardant à l’esprit l’audience parfois réduite des sectes qui viennent d’être citées. Certaines d’entre elles ne comptent que plusieurs centaines d’adeptes, et le montant de leurs recettes montre l’importance des sommes qu’elles peuvent soutirer à leurs membres.

S’agissant de mouvements plus puissants, le rapporteur a disposé d’informations tirées des résultats des contrôles fiscaux. Plusieurs vérifications ont en effet établi le caractère lucratif des activités sectaires, et le montant des redressements prononcés apporte des précisions précieuses sur l’ampleur de ces activités. Le rapporteur n’a cependant pas été en mesure de rétablir, comme il l’aurait souhaité, le montant exact de l’assiette ayant servi de base aux redressements, l’administration fiscale ne lui ayant pas, à deux exceptions près, transmis une telle information.

L’importance des rappels d’impôts (1) prononcés en raison d’une gestion lucrative est révélatrice de l’étendue des activités exercées par cinq sectes. Même si certains de ces rappels portent sur des exercices anciens, ils constituent toujours une bonne illustration du poids financier que les pratiques sectaires représentent. Les ventes de livres, conférences et formations réalisées par le Mouvement raëlien ont été redressées pour 503.000 francs au titre des exercices 1987 et 1989, redressement confirmé par un arrêt de la Cour d’appel de Paris qui a démontré le caractère commercial des méthodes utilisées. Un rappel d’impôts de 7,1 millions de francs a également été prononcé, pour poursuite d’activités lucratives entre 1990 et 1992 (éditions de livres, location de fichiers, démarchage), à l’encontre des associations Tradition famille propriété et Avenir de la culture. Dans le cas de Krishna, le rappel représentait 14 millions de francs et couvrait les années 1982 et 1983. Pour sa part, la Soka Gakkaï a fait l’objet d’un redressement de 16,8 millions de francs pour les ventes de stages, de cours et d’objets qu’elle a réalisées entre 1987 et 1990. Enfin, l’AMORC a été contrôlée pour sa gestion allant de 1989 à 1990, puis de 1992 à 1994, et le total des rappels prononcés à son encontre atteint la coquette somme de 60,8 millions de francs, dont le recouvrement a été, on l’a vu, en partie abandonné sur décision de la Direction générale des impôts. L’importance de ce redressement se justifie par l’ampleur de l’activité de la secte : la base utilisée pour le calcul atteignait, s’agissant de l’impôt sur les sociétés, 61 millions de francs en 1988, 23 millions de francs en 1989 et 22 millions de francs en 1990.

Le Mandarom a également fait l’objet d’un contrôle fiscal portant sur les exercices 1992 à 1995, qui a établi le caractère lucratif de la gestion de la secte, et s’est soldé par un rappel d’impôt sur les sociétés et de TVA de 1,8 million de francs. Si ce montant n’atteint pas les sommes citées pour les sectes examinées plus haut (ce qui, compte tenu de l’ampleur des mouvements en espèces par définition peu contrôlables, ne veut pas dire que l’organisation fondée par Gilbert Bourdin dispose de revenus peu conséquents), l’ordonnance prononcée, le 21 février 1995, par le Tribunal de grande instance de Créteil est en revanche riche d’enseignements sur les activités de la secte. Cette ordonnance a été rendue afin de permettre l’exercice, par l’administration fiscale, du droit de visite prévu à l’article L.16B du livre des procédures fiscales. Plusieurs attendus précisent la nature des activités organisées sur le site de Castellane. D’après le tribunal, il s’agit de prestations générant des recettes de nature commerciale, et en particulier de l’hébergement et de la restauration des membres, des ventes de livres, de cassettes et d’objets religieux, du prix des visites du site et du produit des conférences. Les titres vendus étaient notamment tirés à plusieurs milliers d’exemplaires, parfois expédiés dans un pays étranger comme le Canada, et dégageaient une marge commerciale importante, le coefficient multiplicateur se situant entre 5,7 et 13,2 selon l’ouvrage.

Les Témoins de Jéhovah tirent, eux aussi, une partie de leurs revenus de leurs opérations d’impression et de diffusion d’ouvrages. Si l’administration fiscale n’a pas pu démontrer son caractère lucratif, cette activité revêt bien une nature économique. Le complexe de Louviers comprend une imprimerie dont la capacité de tirage est considérable et des locaux de stockage qui forment des installations industrielles comparables à celles d’une entreprise. Au demeurant, bien que les Témoins prétendent que l’ensemble de leurs publications sont écoulées sous forme de dons, les produits tirés de l’imprimerie de Louviers ont toujours été comptabilisés à part, dans un compte distinct du poste enregistrant l’entrée des offrandes et intitulé " produits des activités courantes ". Il s’agit donc bien d’une activité spécifique qu’on peut qualifier d’économique. Elle procurait à la secte des revenus très importants : de 1992 à 1997, c’est-à-dire avant la décision de mettre fin à son activité, l’imprimerie représentait une recette variant, selon l’exercice, entre 83,3 et 42,4 millions de francs.

B) L’EXEMPLE DE LA SCIENTOLOGIE

La Scientologie est certainement le meilleur exemple de secte qui a bâti sa fortune sur la vente. Cette organisation n’est qu’une machine à produire de l’argent et tout scientologue est avant tout un vendeur, comme le montrent, on l’a vu, les écrits de Ron Hubbard et les techniques commerciales enseignées aux adeptes.

L’évaluation du revenu des activités scientologues est particulièrement difficile à établir. La secte maintient dans une totale opacité la réalité des fonds qu’elle brasse, et son organisation a été conçue pour garantir la clandestinité de ses activités. Les responsables de la branche française ont sciemment entretenu cette opacité devant la Commission. Interrogés par l’intermédiaire d’un questionnaire, les présidents des associations scientologues chargées de vendre les cours de dianétique ont refusé de préciser le montant de leurs revenus. Les seules réponses chiffrées que la Commission a pu obtenir proviennent des églises de Scientologie, qui se sont abritées derrière le statut cultuel qu’elles revendiquent pour déclarer ne disposer d’aucun revenu, n’engager aucune dépense et n’être propriétaires d’aucun actif. La présidente de l’Eglise de scientologie d’Ile-de-France a, en outre, déclaré devant la Commission ne pas savoir selon quelles modalités le matériel et le local que son association utilise ont été mis à sa disposition, ni à qui ils appartiennent. La même personne, bien qu’elle préside, à côté de l’église d’Ile-de-France, l’Union des églises de France, c’est-à-dire une des plus hautes instances de la secte, a également déclaré ne détenir aucune information sur les prix des prestations offertes par le mouvement.

La Commission dispose, à travers l’instruction du procès de l’Eglise de scientologie de Lyon, d’une source d’informations de nature à rafraîchir la mémoire des scientologues, et à lever une partie du voile dont la secte recouvre pudiquement les sommes qu’elle draine. Cette instruction a en effet permis d’enquêter pendant plusieurs mois sur les circuits de financement de l’organisation créée par Ron Hubbard. A partir de plusieurs commissions rogatoires internationales et de quelque 400 procès-verbaux, l’enquête a pu reconstituer le montant des sommes versées par la Scientologie européenne et africaine à l’organisation mère située aux Etats-Unis. Ces sommes constituent un denier du culte, et correspondent à un pourcentage prélevé sur le chiffre d’affaires de chaque mission scientologue dont le montant varie entre 5 et 15 %, voire davantage. Avant d’être transférées aux Etats-Unis, elles transitaient sur un compte ouvert à la Krédit Bank de Luxembourg, dénommé " compte Lucas ", du nom de code de son gestionnaire, et destiné à recueillir le denier versé par la zone Europe et Afrique de la secte. Ce compte a été clôturé à la suite de l’instruction. Les autorités judiciaires luxembourgeoises ont cependant transmis ses relevés au juge d’instruction français. Le compte Lucas était divisé en quinze sous-comptes correspondant chacun à une devise. Du 1er janvier 1988 au 31 mai 1990, 9.105.298 francs français ont par exemple été crédités. En se fondant sur le cours moyen de chaque devise utilisée, le total des sommes créditées a atteint, toutes devises confondues et pour la même période, 943.545.652 francs. On peut donc estimer que le denier du culte versé de janvier 1988 à mai 1990 par les églises de Scientologie européennes et africaines représente environ 1 milliard de francs. En retenant comme taux de prélèvement fixant le montant de ce dernier un pourcentage moyen de 10 %, on peut déduire que le chiffre d’affaires réalisé par ces églises a représenté environ 10 milliards de francs en un peu moins de trois ans et demi, soit 300 millions de francs par an.

Cette somme inclut les revenus tirés des implantations africaines de la secte dont on peut penser qu’ils n’en représentent qu’une part minime. Il est impossible de la ventiler entre les différents pays européens où la Scientologie est implantée, la devise utilisée sur le compte Lucas n’apportant pas de preuve de l’origine des fonds, une mission française pouvant très bien payer avec une monnaie étrangère. L’instruction a revanche parfaitement démontré que le compte Lucas ne représentait qu’une partie des revenus de la Scientologie. Les adeptes européens paient en effet fréquemment leurs cours au centre européen de la secte implanté à Copenhague, ou directement à l’organisation mère américaine, voire au responsable local de la secte. M. Jean-Jacques Mazier, quand il dirigeait l’Eglise de scientologie de Lyon, a par exemple reçu des adeptes 3,2 millions de francs de 1988 à 1990. L’ensemble de ces versements dont le total est impossible à évaluer, ne sont pas comptabilisés dans les résultats des missions, et n’entrent donc pas en compte dans le pourcentage versé sur le compte Lucas. L’évaluation établie par l’instruction réalisée pour le procès de Lyon est donc une estimation a minima.

Au bout du compte, la Commission retient que le chiffre d’affaires tiré de la vente des prestations et produits scientologues en Europe atteint au moins 300 millions de francs par an, et que la branche française, longtemps considérée comme le fleuron de la secte sur le continent, en représente une large part. Cette estimation est cohérente avec les montants que certaines personnes ont déclaré avoir déboursés pour atteindre les niveaux supérieurs du parcours scientologue, soit plusieurs centaines de milliers de francs.

L’évaluation réalisée lors du procès de Lyon est également confirmée par des calculs communiqués à la Commission. Sur le fondement de documents internes à la secte, on estime qu’un adepte rapporte en moyenne 15.000 francs à l’organisation, ce qui donne, pour la France, un chiffre d’affaires annuel de 60 millions de francs. La Scientologie déclare compter 6 millions de membres dans le monde. Ses revenus annuels s’établiraient donc à 60 milliards de francs. L’audience de la secte étant cependant volontairement surestimée par ses dirigeants, on peut raisonnablement penser que ses revenus se situent entre 10 à 20 milliards de francs par an.

L’ensemble des exemples qui viennent d’être décrits permet de démontrer l’importance, dans le poids financier global des sectes, des revenus directement tirés de leurs activités. Les organisations concernées passent sous silence cet aspect de leurs pratiques. Elles mettent généralement en avant la particularité des modalités de paiement offertes à leurs adeptes pour tenter d’occulter le bénéfice qu’elles en tirent. On a déjà évoqué le recours à la vente déguisée qui consiste à transformer la facturation en donation. Certaines sectes présentent les prestations qu’elles fournissent comme la contrepartie des cotisations qu’elles perçoivent. L’AMORC, par exemple, déclare ne pas pratiquer de prix de vente, mais recevoir un dédommagement des services qu’elle rend à ses membres par des cotisations élevées. Ces dernières atteignent en effet chaque année plus de 20 millions de francs et représentent l’essentiel des revenus de l’association. Ce mode de facturation n’a cependant pas empêché l’administration fiscale d’assujettir les activités de l’association aux impôts commerciaux, redressement sur lequel elle n’est que partiellement revenue.

En outre, les sectes utilisent, pour camoufler le caractère commercial de leur démarche, un dernier procédé, de loin le plus inquiétant, qui consiste à demander à leurs adeptes de travailler pour l’organisation afin de financer leurs stages, séminaires ou autres prestations. Un ministre du culte scientologue a notamment déclaré à la Commission avoir payé l’essentiel de ses cours en offrant ses services à la secte. Cette dernière a en effet institutionnalisé ce procédé en ouvrant des centres où les adeptes les moins fortunés travaillent gratuitement, dans des conditions extrêmement précaires, pour financer leur parcours scientologue. On a là un exemple caractérisé d’une vente déguisée en faux bénévolat. Cette pratique soulève le problème juridique déjà évoqué de l’utilisation de la notion de bénévolat, mais aussi la question morale de l’apparition d’une forme d’esclavagisme fondé sur la manipulation mentale.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr