A) DEBAT JURIDIQUE

Outre-Rhin, la controverse qui oppose les organes étatiques et les scientologues porte essentiellement sur le statut du mouvement. La Scientologie consacre de nombreux efforts pour être reconnue en tant que communauté religieuse ou philosophique au sens de la loi fondamentale. Or, des tribunaux allemands ont jugé que l’organisation était une institution dont le but était de commercialiser des produits et dont les prétentions religieuses ne seraient qu’un prétexte.

B) LA SCIENTOLOGIE : UNE QUESTION POUR LES ORGANES DE PROTECTION DE LA CONSTITUTION

Le Bade-Wurtemberg est le premier Land à avoir confié, en janvier 1997, la surveillance de la Scientologie aux organes de protection de la Constitution.

Dans sa décision du 6 juin 1997, la Conférence des ministres de l’Intérieur a relevé qu’il y avait dans la Scientologie des indices d’agissements visant l’ordre démocratique libéral et que, dès lors, les conditions légales justifiant l’observation par l’organe fédéral compétent et ceux des Länder étaient réunies.

L’ambition d’instaurer une " nouvelle civilisation ", dans laquelle seules les personnes " non aberrées " (au sens de l’organisation) jouiraient encore de leurs droits, est jugée antidémocratique. Quant à la démarche consistant à confier le contrôle de l’exécutif, du législatif et du judiciaire uniquement à des scientologues, elle équivaudrait à bafouer les principes démocratiques fondamentaux que sont par exemple la séparation des pouvoirs et la souveraineté populaire[219].

Les organes de protection de la Constitution sont arrivés à la conclusion que les formulations absolues véhiculées par la Scientologie conduiraient à la suppression de l’ensemble des droits de l’homme pour les autres membres de la société. Un tel mépris du principe de l’égalité et de la dignité humaine, ajouté à d’autres caractéristiques (par exemple les consignes données par le mouvement pour contrer les vues opposées ou différentes), la discipline totale exigée de ses membres et les témoignages de ses anciens adeptes sur le comportement adopté à l’égard des esprits critiques, laissent supposer qu’une société scientologique abolirait en particulier la liberté d’opinion ainsi que le droit à la vie et à l’intégrité corporelle.

Les prétentions absolutistes de la Scientologie (seul l’individu libéré de ses impulsions " réactives " posséderait le droit de prendre part aux élections et aux votes dans la démocratie scientologique) ne permettraient pas à d’autres partis politiques et à une opposition parlementaire de s’exprimer.

C) CONCLUSIONS DES ORGANES DE PROTECTION DE LA CONSTITUTION

Il est admis que l’activité scientologique en Allemagne est dirigée essentiellement à partir de la centrale américaine de l’organisation et des centrales européennes de East Grinstead (Grande-Bretagne) et de Copenhague (Danemark).

Outre-Rhin, les activités de la Scientologie consistent principalement à recruter de nouveaux adeptes, à organiser des cours payants et à vendre le matériel de formation nécessaire à ses membres. L’hypothèse selon laquelle la Scientologie, en tant qu’organisation, infiltrerait systématiquement le monde de l’économie et la fonction publique n’est pas corroborée par les éléments disponibles actuellement. Le mouvement n’est pas non plus parvenu à se rallier un nombre important de membres travaillant dans le service public.

Les activités de l’Office of Special Affairs (OSA), le service de sécurité de la Scientologie, n’ont fait pour l’instant l’objet que de peu d’observations (par exemple la protection des manifestations et des réunions internes ainsi que certaines actions menées de façon ciblée contre des personnes critiques). La Scientologie aurait tenté de façon répétée et, en partie, par le recours à des moyens non acceptables d’exercer une influence et un contrôle dans le domaine politique.

D) INCIDENCES POLITIQUES

La Scientologie rencontre un écho médiatique croissant. A la suite de la décision de la conférence des ministres de l’Intérieur, l’Allemagne a été accusée d’employer des méthodes dignes du régime nazi dans son action à l’encontre de l’organisation[220].

En novembre 1997, la Commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants des Etats-Unis a approuvé un projet de résolution invitant le président américain à exprimer sa préoccupation au sujet de la violation des droits des minorités religieuses en Allemagne.

Un rapport spécial des Nations Unies[221] a rejeté, en avril 1998, les assertions de la Scientologie selon lesquelles ses membres seraient poursuivis par des méthodes nazies en Allemagne. Ce document relève toutefois qu’il règne envers la Scientologie un climat de méfiance et d’intolérance latente.

Le 19 juin 1998, la commission d’enquête du Bundestag[222] sur les groupes qualifiés de " sectes " et " Psychogruppen " a présenté son rapport.

Le rapport allemand expose en substance que les nouvelles communautés religieuses et idéologiques ainsi que les " Psychogruppen " ne présentent aucun danger pour l’Etat et la société. Le rapport souligne qu’on ne peut parler d’infiltration de l’économie. Mais il relève aussi que certains mouvements génèrent un important potentiel conflictuel. Dans ses conclusions, la commission recommande la création d’une fondation fédérale chargée de promouvoir entre autres la recherche sur les communautés religieuses et les " Psychogruppen ". Les associations privées venant en aide aux personnes ayant des problèmes dans ces domaines devraient par ailleurs être soutenues. Enfin, la commission se prononce en faveur de l’introduction, durant la prochaine législature, d’une loi pour réglementer toutes les offres de nature commerciale offrant d’aider l’être humain à gérer son existence ; un projet a été élaboré par le Bundesrat allemand.

Dans une déclaration séparée insérée en annexe du document, certains membres de la commission[223] ont exprimé une mise en garde : les recommandations de la majorité de la commission iraient trop loin.

Bien que la commission n’ait pas été mandatée pour se livrer à une évaluation de chaque communauté et groupe (aucune " liste noire "" n’a été établie), elle souligne que la Scientologie représente un cas à part, qu’elle ne considère pas comme un mouvement religieux. La commission préconise que l’organe fédéral chargé de la protection de la Constitution et ceux des Länder continuent d’observer cette organisation. Les débats au Bundestag ont relevé que la Scientologie n’avait pas renoncé à ses ambitions anticonstitutionnelles.


[219] Les observations recueillies par les organes de protection de la Constitution ont incité le Mecklembourg-Poméranie à publier une brochure de mise en garde. Ce document estime que, sous le couvert d’une apparente religiosité, se cache une idéologie dont les buts sont politiques, économiques et totalitaires. Il y est précisé que la Scientologie tend non seulement à étendre son pouvoir sur les hommes, mais aussi à acquérir, sur le modèle d’une idéologie totalitaire, une position de force au sein de l’Etat et de la société.

[220] Ce grief a été pour la première fois formulé à l’endroit de l’Allemagne dans une brochure intitulée Haine et propagande, publiée avec le soutien financier de l’IAS (International Association of Scientologists). Plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires de ce texte de propagande ont été diffusés.

[221] Publication du rapporteur spécial, Abdelfattah Amor, professeur de droit tunisien, pour la Commission des droits de l’homme de Genève.

[222] Instituée à la suite d’une décision prise par le Bundestag le 9 mai 1996.

[223] Les députés de l’Alliance 90/Les Verts (Bündnis 90/Die Grünen) et un expert.


Source : Office fédéral suisse de la police : http://www.admin.ch/bap