Présidence de M. Paul Quilès, Président

Accueillant M. Faustin Twagiramungu et le remerciant de sa venue devant la mission d’information, le Président Paul Quilès a rappelé que, dès mars 1991, il avait participé à la fondation du Mouvement démocratique républicain (MDR) dans le cadre de l’ouverture politique acceptée par le Président Habyarimana à la fin de l’année 1990, qu’en septembre 1992, il avait accédé à la présidence de ce parti et y avait pris des positions favorables à la négociation avec le FPR et que, le 23 juillet 1993, il avait été désigné par le Conseil des Ministres comme candidat au poste de Premier Ministre dans le gouvernement de transition à base élargie (GTBE) prévu par les accords d’Arusha. Il a ajouté que M. Faustin Twagiramungu, après avoir vu sa vie menacée pendant le génocide, avait été nommé Premier Ministre le 17 juillet 1994, après la victoire du FPR et qu’il avait démissionné de ses fonctions le 25 août 1995.

M. Faustin Twagiramungu a en préalable expliqué que, loin de se prétendre expert de l’histoire et de la politique de son pays, qualité qu’il laissait aux chercheurs de différentes institutions, aux spécialistes du Rwanda et à divers membres d’associations humanitaires et de défense des droits de l’homme occidentales, venus, pour certains d’entre eux, exposer à la mission comment ils suivaient, de loin, la situation de son pays, il relaterait, non pas ce qu’il avait lu ou entendu, mais ce qu’il avait vu et vécu.

Il a tout d’abord rappelé qu’après la conférence de La Baule de juin 1990, le Président Habyarimana avait déclaré le 5 juillet 1990, que son parti, le Mouvement révolutionnaire national pour le développement (MRND) allait subir une révision de ses principes politiques, une sorte d’aggiornamento, et que le pays allait connaître un processus de démocratisation grâce à la réactivation du système multipartite en suspens depuis 1965.

Soucieux de le prendre au mot, trente-trois Rwandais, dont lui-même, avaient alors adressé au Président, le 1er septembre 1990, une lettre confirmant qu’effectivement, le peuple rwandais manifestait un grand intérêt pour le rétablissement d’un système multipartite au Rwanda. Les Rwandais avaient ensuite entrepris d’élaborer les programmes et les statuts de leurs différentes formations politiques, en attendant que la nouvelle constitution soit promulguée et la loi sur les partis politiques publiée au Journal officiel. En juillet 1991, les premiers partis politiques étaient agréés, en août 1991 ils commençaient leurs meetings publics et en janvier 1992, ils réclamaient leur participation à un gouvernement de transition qui devait préparer des élections démocratiques.

M. Faustin Twagiramungu a ajouté que, face à la répugnance du Président de la République à répondre rapidement à cette interpellation, les partis politiques d’opposition avaient décidé d’organiser une manifestation dans la ville de Kigali, laquelle avait mobilisé près de 50 000 personnes. Le Président, ayant pris la mesure de la très grande force de l’opposition naissante, a alors accepté d’engager des négociations avec les responsables de ces partis sur un programme gouvernemental minimum dans la perspective d’un partage des pouvoirs. Ces négociations ont abouti à la constitution d’un gouvernement dirigé par un membre du MDR, M. Dismas Nsengiyaremye.

M. Faustin Twagiramungu a alors évoqué les conséquences de la guerre sur le processus de démocratisation. Il a rappelé que, le 1er octobre 1990, l’Ouganda avait imposé au Rwanda une guerre qui allait durer pendant quatre ans. Il a fait observer que cette guerre avait été bien préparée sur le plan médiatique. Il a expliqué qu’elle était dirigée par un vice-Ministre de la Défense du Gouvernement ougandais et chef d’état-major de l’armée ougandaise, la National Resistance Army, le Général Major Fred Rwigyema, et que, après sa mort sur le champ de bataille, deux jours après le début des combats, celui-ci avait été remplacé par le Major Paul Kagame, alors Chef des services de renseignement militaire de l’armée ougandaise, aujourd’hui l’homme fort du Rwanda.

Il a ajouté que le FPR se présentait alors comme une organisation démocratique représentant 2,5 millions de Rwandais exilés, ce qui n’était pas vrai, et qu’il accusait le régime du Président Habyarimana d’être dictatorial et d’avoir refusé à ces exilés le retour pacifique dans leur pays.

Il a insisté sur le fait que l’acceptation par le Président Habyarimana du retour des réfugiés rwandais, dans une déclaration prononcée en Ouganda en 1989, au cours de la visite officielle qu’il avait faite dans ce pays, l’accord intervenu entre le Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR), l’Ouganda et le Rwanda pour étudier les modalités pratiques de ce retour et enfin l’ouverture du Rwanda à un système multipartite destiné à mettre fin à sa propre dictature constituaient un changement positif et rapide de son attitude sur la question des réfugiés et celle de sa politique intérieure, et mettaient le FPR dans une situation inconfortable, en le privant d’arguments sur ces deux points, alors qu’ils constituaient l’ossature de sa campagne politique.

Il a précisé que, depuis 1989, plusieurs réunions de la commission tripartite sur la question des réfugiés s’étaient tenues au Rwanda et en Ouganda, en vue d’examiner la faisabilité du retour des réfugiés rwandais ; il a également fait remarquer que l’attaque avait eu lieu le 1er octobre, alors qu’une dernière réunion de finalisation du dossier des réfugiés devait avoir lieu à Kigali, dans le courant de ce même mois d’octobre et qu’en septembre 1990, les partis politiques avaient déjà commencé à se structurer.

M. Faustin Twagiramungu en a conclu qu’en définitive, les raisons avancées par le FPR pour lancer son attaque contre le Rwanda, à savoir l’instauration de la démocratie et le retour des réfugiés, en dissimulaient les vraies causes. Selon lui, cette guerre soutenue par l’Ouganda en guise de récompense des services rendus au Président Museveni par les rwandophones pour lui permettre de l’emporter sur le régime Obote en janvier 1986, s’était fixé comme objectif le démantèlement de l’Etat rwandais et la conquête d’un pouvoir sans partage par tous les moyens. Il a ajouté que la situation actuelle du pays était plus qu’éloquente à ce sujet.

M. Faustin Twagiramungu a ensuite énuméré sept événements importants qui avaient marqué cette guerre :

 les assassinats de paysans par le FPR dans la préfecture de Byumba dans le nord du pays. Ils provoquèrent la panique et furent la cause de l’exode d’un nombre croissant de déplacés qui s’élevait à près de 300 000 en juin 1992. M. Faustin Twagiramungu a précisé qu’il avait visité les camps de déplacés à l’époque et qu’il avait pu constater lui-même la misère de ces gens contraints à l’exil dans leur propre pays ;

 la libération de la prison de Ruhengeri dans le nord-ouest du Rwanda. Cette opération avait fortement affaibli la crédibilité du gouvernement rwandais et fait prendre conscience au peuple rwandais de la gravité de la guerre ;

 l’assassinat de paysans du Bugesera, au sud de Kigali, par les agents du MRND ;

 le massacre des paysans bagogwe par les agents du MRND dans les préfectures de Ruhengeri et Gisenyi, ainsi que les massacres de Kibilira dans cette même préfecture ;

 les massacres de paysans hutus par le FPR, dans la sous-préfecture de Kirambo, préfecture de Ruhengeri, dans le nord du pays ;

 la reprise des hostilités à grande échelle par le FPR, en février 1993 ; sous prétexte d’arrêter les massacres, le FPR avait fait progresser ses troupes jusqu’à vingt kilomètres de Kigali et s’était emparé d’une bonne partie de la préfecture de Byumba ;

 la fuite des habitants des préfectures de Ruhengeri et de Byumba devant le FPR et leur installation à six kilomètres de Kigali, ce qui représentait environ un million de personnes sans abri, éparpillées dans une région affectée par la guerre.

M. Faustin Twagiramungu a ajouté que, malgré la guerre, le processus de démocratisation avait continué dans le pays. Il a fait observer que le gouvernement de transition avait dû cependant concentrer, à partir de juin 1992, tous ses efforts sur les négociations de paix, plutôt que sur l’organisation de la conférence nationale alors que celle-ci avait, de façon remarquable, mobilisé un très grand nombre de personnes parmi la population. Il a indiqué que la guerre avait également provoqué le clivage des partis politiques entre une tendance dite modérée, qui soutenait le retour pacifique des Rwandais tutsis dans le cadre de la signature d’un accord de paix et une autre dite Hutu Power, proche du MRND, dont les membres ne voyaient comme solution qu’une victoire militaire des FAR sur les forces du FPR, quel qu’en soit le prix. Il a précisé que ceux qui voulaient la paix négociée, comme lui-même, étaient globalement traités par les autres de " complices " du FPR.

Abordant alors le rôle de la France dans le processus de démocratisation au Rwanda, M. Faustin Twagiramungu a expliqué que celui-ci avait été important. Il a précisé qu’il s’était manifesté de deux façons, d’abord par le rappel de la nécessité du respect des exigences de l’Etat de droit, des droits de l’homme et des principes démocratiques pour permettre un développement harmonieux, selon la doctrine développée à La Baule par le Président François Mitterrand, ce rappel valant pour tous les pays africains bénéficiant de l’aide de l’Etat français, mais aussi par une action beaucoup plus concrète : en effet, la France intervenait pour donner des conseils aux partis politiques naissants, expliquer ce qu’était la démocratie et, en même temps, exerçait des pressions sur le Président Habyarimana en vue de laisser ces partis continuer leur activité malgré la guerre qui pesait lourdement sur le pays.

Il a cité l’exemple d’une visite à Kigali de M. Paul Dijoud, alors Directeur des Affaires africaines au Quai d’Orsay, au cours de laquelle celui-ci, ayant réuni les responsables des partis d’opposition, leur avait dit d’aller de l’avant mais tout en recherchant une meilleure collaboration avec le Président de la République rwandaise.

Il a également expliqué que les responsables des partis politiques de l’opposition, dont lui-même, alors président du MDR, étaient même parfois venus à Paris pour rencontrer les autorités chargées du dossier du Rwanda, et qu’à Kigali, ces mêmes responsables de partis rencontraient souvent l’ambassadeur de France, M. Georges Martres puis M. Jean-Michel Marlaud, pour discuter des questions relatives à la démocratisation du pays ainsi que des questions liées à la guerre et aux négociations d’Arusha.

Il a estimé que ce sont ces rencontres, jointes à la pression de la France sur le Président de la République du Rwanda et sur son parti, le MRND, qui avaient permis d’amorcer les véritables négociations de paix avec le FPR. Il a insisté sur le fait que les contacts préliminaires entre le Gouvernement rwandais et le FPR, qui avaient permis de fixer le calendrier des négociations et de définir les points essentiels à débattre lors des rencontres suivantes, avaient eu lieu à Paris du 6 au 8 juin 1992, sous les auspices de la France.

S’agissant de la guerre, il a estimé qu’il était normal, eu égard à l’isolement et à la pauvreté de son pays, que le Président Habyarimana ait eu besoin d’une assistance et qu’il s’agissait alors, non pas d’organiser le génocide mais bien de défendre un pays attaqué.

M. Faustin Twagiramungu a alors traité de la coopération franco-rwandaise.

Il a rappelé que, peu après son indépendance, le Rwanda avait fait le choix d’adhérer aux organisations régionales réunissant tous les pays francophones d’Afrique, et qu’il avait ainsi été agréé en 1962 comme membre de l’UAM, l’Union africaine et malgache, devenue plus tard l’Organisation commune africaine et malgache, l’OCAM, ainsi que des organisations spécialisées de cette institution, telle que l’UAMTP ou l’UMCA qui avait son siège à Kigali et qui formait les ingénieurs en statistique.

Il a ajouté que l’arrivée au pouvoir du Président Habyarimana en 1973 avait permis le renforcement de la coopération bilatérale entre le Rwanda et la France, qui avait conduit notamment à la conclusion d’un accord de coopération militaire en 1975, le Rwanda diversifiant ainsi, comme c’était son droit, ses partenaires.

Il a estimé que les rapports entre le Président François Mitterrand et le Président Habyarimana n’étaient pas privilégiés, mais qu’ils résultaient, à son avis, d’une coopération qui s’était tissée au fil du temps. Il a précisé que ces rapports n’étaient pas sans intérêt pour un petit pays comme le Rwanda, lequel, bien qu’il n’ait pas été colonisé par la France, aspirait à entretenir, comme il est naturel, de bonnes relations avec une grande puissance. Il a ajouté que le Rwanda d’alors étant un pays francophone, la population rwandaise était prédisposée, si l’on tient compte de la dimension culturelle, à communiquer plus facilement avec le peuple français.

Il a précisé que la coopération franco-rwandaise avait permis, entre autres, la création d’une gendarmerie nationale, ainsi que la formation des officiers gendarmes, et que l’école de la gendarmerie nationale, l’EGNA, située à Ruhengeri et très bien connue de la population, était le fruit de cette coopération.

Il a ajouté que la coopération franco-rwandaise loin de se limiter aux questions de sécurité, s’étendait à d’autres domaines, notamment économique et surtout socioculturel et que la France, par l’intermédiaire de la Caisse de coopération économique, avait assisté le Rwanda dans divers projets de développement. Il a cité la construction d’une école primaire, appelée Ecole française, d’un lycée, du centre culturel franco-rwandais de Kigali, la formation d’agronomes au groupe scolaire de Butare, l’envoi de professeurs à l’université nationale du Rwanda et dans divers collèges, l’attribution de bourses aux étudiants rwandais pour leur permettre de venir en France, la prise en charge de l’hôpital de Ruhengeri, la promotion du tourisme, avec la construction des hôtels Méridien de Kigali et de Gisenyi, la construction du centre d’accueil des chefs d’Etat de la conférence franco-africaine, le jumelage entre la préfecture de Butare et le département du Loiret et l’élargissement de la coopération militaire, qui avait été limitée dans un premier temps à la formation de la gendarmerie.

M. Faustin Twagiramungu a alors jugé que l’intervention de la France, en même temps que celle de la Belgique et du Zaïre en octobre 1990, s’inscrivait non seulement dans le cadre précis des accords de coopération militaire, mais aussi dans celui des bonnes relations établies entre les deux pays.

Il a rappelé que, si l’opposition avait dénoncé les crimes du Président Habyarimana, en particulier l’assassinat mystérieux de son prédécesseur et de certains de ses ministres, si elle l’avait mis en cause pour sa façon contestable de gouverner et notamment pour le népotisme qui prévalait dans son entourage, si elle avait dénoncé la constitution d’une armée régionale en lieu et place d’une armée nationale, le manque d’un projet de société répondant aux aspirations des citoyens à vivre ensemble et l’avait régulièrement traité de dictateur, et même de dictateur fatigué, jamais le Président Habyarimana n’avait été accusé d’être l’ennemi des Tutsis. On disait même au contraire que le coup d’Etat qu’il avait fait les avait favorisés, et qu’en tout état de cause, il leur avait ouvert le secteur privé où ils étaient devenus prospères.

C’est pourquoi M. Faustin Twagiramungu a incité les analystes de la crise rwandaise à éviter l’amalgame entre la question des Tutsis de l’intérieur sous le régime du Président Habyarimana et celle des réfugiés tutsis établis dans les pays limitrophes depuis trente ans. Il a précisé que les différences entre eux étaient grandes notamment sur le plan culturel. Il a ajouté que la guerre dite de libération n’avait jamais été souhaitée, ni par les Tutsis de l’intérieur d’une manière générale, ni par les Hutus de l’opposition, ni même par un certain nombre de réfugiés pour lesquels la question de leur retour pacifique était en passe d’être réglée.

S’agissant du détachement Noroît et des conditions de son départ, M. Faustin Twagiramungu a exposé qu’après l’attaque du FPR dans la région de Ruhengeri et de Byumba, en février 1993, il avait été convenu d’envoyer une délégation commune réunissant les partis politiques d’opposition et le parti du Président Habyarimana, le MRND, à Bujumbura. Cette délégation devait négocier avec le FPR le retrait de ses troupes de la région de Byumba et des abords de Kigali. Le MRND ayant refusé à la dernière minute de se joindre à la délégation, seuls les représentants des partis politiques de l’opposition se rendirent à Bujumbura. Ils y retrouvèrent la délégation du FPR. Celle-ci s’avéra déterminée à n’accepter le retrait de ses forces que si les forces françaises acceptaient de faire de même en quittant le Rwanda. Autrement dit, pour que les négociations de paix puissent continuer, pour que les forces du FPR se retirent de la zone qu’ils occupaient et que celle-ci soit démilitarisée, le détachement Noroît devait partir. Comme les partis politiques d’opposition privilégiaient la solution négociée et que les accords de paix d’Arusha prévoyaient le déploiement d’une force militaire internationale, un compromis associant le retrait du FPR des zones occupées en février 1993 et le départ des troupes françaises leur était apparu comme acceptable. C’est pourquoi les partis d’opposition recommandèrent au gouvernement d’examiner le retrait des troupes françaises. M. Faustin Twagiramungu a alors précisé que ces troupes avaient quitté le Rwanda lors de l’arrivée des forces de la mission des Nations Unies au Rwanda au mois de novembre 1993.

Evoquant alors la signature de l’accord de paix d’Arusha et les difficultés de sa mise en application, M. Faustin Twagiramungu a expliqué que cette signature, négociée pendant quatorze mois sous l’égide de l’OUA, de l’ONU et de grandes puissances dont la France, l’Allemagne, les Etats-Unis et la Belgique, avait donné espoir au peuple rwandais qui croyait ainsi se mettre à l’abri d’une débâcle. Il a ajouté que tous, y compris le Président Habyarimana, étaient alors convaincus que la paix était possible au Rwanda, mais que l’assassinat, le 21 octobre 1993, par des militaires extrémistes de l’armée burundaise à dominance tutsie, du Président burundais, Melchior Ndadaye, Hutu, et premier Président démocratiquement élu dans son pays, avait terriblement ébranlé la confiance des Rwandais dans les chances d’une coexistence pacifique fondée sur le partage du pouvoir entre les composantes de la société rwandaise, telle que la prévoyait l’accord de paix.

Il a ajouté que le retard de plus de deux mois dans la constitution et l’envoi de la force internationale au Rwanda, la MINUAR, dont l’arrivée était initialement prévue dans les trente-sept jours suivant la signature de l’accord, avait été un autre facteur d’hésitation dans sa mise en application. En effet, le gouvernement de transition à base élargie (GTBE) prévu par l’accord d’Arusha n’ayant pas pu être mis en place à la date prévue, à cause du retard du déploiement des forces de la MINUAR, le parti CDR, Coalition pour la défense de la République, profita de ce délai pour réclamer sa participation aux institutions alors qu’il avait auparavant refusé de signer le code d’éthique politique qui constituait une condition préalable à cette participation.

Il a précisé que cette manoeuvre, qui modifiait les termes de l’accord de paix, avait donné au FPR l’occasion de radicaliser ses positions. Le FPR refusa d’envoyer ses députés à la cérémonie de prestation de serment pour la mise en place du parlement de transition à base élargie, prévue par l’accord de paix, et se mit ouvertement à préparer la guerre, au vu et au su de tout le monde.

M. Faustin Twagiramungu a cité plusieurs signaux qui montraient qu’on allait vers la guerre : les gens creusaient sans relâche des tranchées en pleine capitale, le FPR transportait clandestinement ses militaires de la zone de Mulindi, sous son contrôle, vers le casernement qui lui avait été accordé par les accords d’Arusha dans la ville de Kigali de façon à accroître son effectif en prévision des combats.

Il a ajouté que le Président Habyarimana avait tenté en vain de s’entretenir en tête à tête avec le général Kagame pour essayer d’aplanir les divergences quant à la mise en place des institutions, avant l’installation du bataillon du FPR dans la capitale. Le Président Museveni avait en effet accepté d’organiser à Entebbe au mois d’octobre 1993 une rencontre entre les parties. En sa qualité de Premier Ministre désigné par les accords de paix, M. Faustin Twagiramungu faisait partie de la délégation du Gouvernement rwandais. Cependant, après les civilités d’usage, il ne put y avoir de tête-à-tête entre les deux protagonistes, le Général Kagame ayant refusé de s’entretenir avec le Président Habyarimana.

M. Faustin Twagiramungu a indiqué que, déçu par ce manque d’ouverture de la part d’un adversaire politique mais futur partenaire, le Président Habyarimana s’était résolu lui-même à radicaliser ses positions mais que cette radicalisation n’avait profité qu’au Général Kagame qui en avait fait une exploitation politique, et surtout médiatique, pour diaboliser davantage son adversaire.

Il a rappelé que l’accord d’Arusha n’avait laissé aucun pouvoir au Président Habyarimana, sauf celui de cosigner avec un Premier Ministre de l’opposition certaines lois et documents officiels et qu’après vingt ans de pouvoir sans partage, il pouvait être difficile pour un dictateur de se rendre compte que l’accord qu’il avait signé lui-même mettait presque fin à ses fonctions.

Il a ajouté que les rumeurs de destitution future du Président Habyarimana propagées à Kigali par le FPR avaient contribué encore davantage à renforcer sa résistance à l’application de l’accord de paix et à lui faire rechercher des appuis dans d’autres partis politiques en vue de constituer une minorité de blocage au Parlement. Il a ajouté que, le 5 janvier 1994, c’est parce que le Président Habyarimana croyait avoir atteint son objectif de disposer de cette minorité de blocage, qu’il avait accepté de prêter serment conformément à l’accord de paix d’Arusha, sans se soucier en revanche des procédures légales régissant la désignation des membres du parlement de transition à base élargie.

Il a alors énuméré les principales raisons qui ont entravé la mise en application de l’accord de paix d’Arusha : la formation et l’entraînement des milices ; la politisation de l’armée ; la radio des Mille collines ; la division du MRND en des factions non déclarées ; le bras de fer entre le Premier Ministre de l’opposition et le Président de la République ; le départ des militaires français ; la présence du bataillon du FPR à Kigali ; la faiblesse de la MINUAR ; la faiblesse de la gendarmerie rwandaise et son manque de neutralité ; la division des partis en deux factions, modérée et Hutu power ; la monopolisation des négociations de l’accord de paix par certains ministres de l’opposition et le FPR ; la marginalisation du Président de la République ; les menaces non réprimées des extrémistes du parti CDR soutenus par certains extrémistes du MRND ; la distribution d’armes par le FPR et le MRND aux membres de certaines formations ; la propagande du FPR sur Radio Muhabura ; l’incompétence du représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies, le Camerounais Jacques-Roger Booh-Booh et de ses collaborateurs civils, inexpérimentés dans la résolution des conflits ; le conflit d’autorité entre le Général Romeo Dallaire, commandant la MINUAR et le représentant spécial du Secrétaire général ; la préparation de la guerre par le FPR, et notamment le déploiement de ses agents à travers le pays dans le but d’y créer la confusion et d’inciter les populations à la violence ; l’assassinat du Président du parti CDR, Martin Bucyana, en février 1994, et auparavant celui du Ministre Gatabazi, Secrétaire exécutif du parti social démocrate PSD, et les massacres qui s’en sont suivis à Kigali. Il a précisé que les extrémistes des deux bords espéraient que ces incidents graves allaient favoriser la reprise des hostilités et mettre ainsi un terme à l’accord de paix.

Il a estimé qu’au regard de l’ensemble de ces événements dramatiques, le rôle de la France n’était peut-être pas primordial.

Abordant alors la période du génocide, M. Faustin Twagiramungu a exposé qu’un peu plus de deux mois après le début des tueries, c’est-à-dire très tardivement, la France, seule contre tous, était parvenue, difficilement, à faire adopter une résolution au Conseil de sécurité des Nations Unies pour une intervention au Rwanda, afin d’empêcher le massacre des populations innocentes dans le sud du pays, où il était encore possible d’intervenir, intervention qui prit ensuite le nom d’opération Turquoise.

Il a jugé que la France avait fait son possible dans cette zone, qu’elle avait soigné les blessés et les malades, allant même dans certains cas jusqu’à enterrer les morts laissés sur les routes et dans les brousses par les Interahamwe, et surtout qu’elle avait permis de sauver des vies humaines.

Il a précisé que le Président ougandais lui avait lui-même confirmé, le 3 juillet 1994, lors d’une audience qu’il lui avait accordée dans sa résidence privée, dans le sud-ouest de l’Ouganda, que la zone humanitaire sûre avait été créée après qu’il eut été consulté par la France. Le souhait du Président français, selon M. Museveni, était non seulement de créer une ligne de démarcation entre cette zone et la zone occupée par le FPR mais aussi d’arrêter les massacres et la guerre et d’inviter les belligérants à négocier un cessez-le-feu. Le Président ougandais aurait, selon ses termes, communiqué cette option au Général Kagame qui l’aurait refusée, préférant continuer la guerre jusqu’à la victoire finale.

M. Faustin Twagiramungu a jugé évident que, si les forces américaines, françaises et belges, stationnées au Rwanda et dans la région, en attente de l’évacuation de leurs ressortissants respectifs au début du génocide, avaient été autorisées à temps, par une résolution des Nations Unies, à se transformer en force d’imposition de la paix, le génocide et les massacres n’auraient certainement pas eu lieu.

Il a ajouté que les Nations Unies avaient commis une erreur très grave en acceptant le retrait de la plupart des forces de la MINUAR pendant le génocide au lieu de renforcer ses effectifs et en n’ayant pas, face à la gravité de la situation, changé son mandat. Il a estimé que si la France, accusée à cette époque d’avoir soutenu le Président Habyarimana, ne pouvait pas intervenir seule malgré sa bonne volonté, en revanche, il était difficile de comprendre les raisons pour lesquelles les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ou d’autres pays, n’avaient pas pris conscience que le génocide en cours devait être arrêté par tous les moyens, au lieu de s’en tenir au syndrome somalien ou à la mort des dix Casques bleus belges.

Il a considéré que cette attitude était d’autant plus insupportable que près d’un million de personnes ont trouvé la mort dans l’indifférence totale de la communauté internationale.

En revanche, il a estimé que l’opération Turquoise, bien qu’elle soit intervenue tardivement, et malgré les suspicions qui l’entouraient, avait été appréciée et jugée très favorablement par les Rwandais et que ceux-ci en avaient grandement besoin.

Il a cité un témoignage tiré des messages adressés par des déplacés, au nombre desquels se trouvaient des fonctionnaires du gouvernement actuel de Kigali : " Les déplacés de la zone humanitaire sûre à Kibuye sont reconnaissants envers les militaires français de l’opération Turquoise et de la manière dont ils ont assuré la sécurité et l’encadrement, et leur assistance. Les déplacés de la zone humanitaire sûre à Kibuye remercient le gouvernement français pour avoir mis sur pied une telle opération au moment où la communauté internationale semblait être indifférente à la tragédie qui se déroulait au Rwanda. Par cette opération et par d’autres actions qui l’ont accompagnée -aide médicale, aide alimentaire et matérielle- la France a démontré que son amitié envers l’Afrique en général, et envers le Rwanda en particulier, allait au-delà de toutes considérations. "

Concernant l’assassinat du Président Habyarimana, qui a servi de détonateur au génocide, M. Faustin Twagiramungu a rappelé les deux hypothèses avancées par l’opinion nationale et internationale selon laquelle l’attentat est, soit l’oeuvre de militaires extrémistes des FAR farouchement opposés à la mise en place du gouvernement de transition à base élargie, issu des accords de paix d’Arusha, soit l’oeuvre du FPR, avec la complicité possible du Président ougandais ou encore d’une main occidentale.

Il s’est étonné que, quatre ans après, rien ne permette d’infirmer ou de confirmer l’une ou l’autre de ces hypothèses, et cela parce qu’aucune enquête officielle n’a été menée ni par le Gouvernement rwandais, ni par la communauté internationale, alors que le Président d’un pays étranger a également péri dans cet attentat du 6 avril 1994. Remarquant que la France aussi aurait dû s’efforcer de faire procéder à cette enquête, ne fût-ce que pour éclaircir les circonstances de la mort de ses ressortissants qui composaient l’équipage de l’avion présidentiel, il a cependant estimé que ses relations avec le régime actuel ne s’y prêtaient pas.

Il a jugé nécessaire que des questions essentielles soient éclaircies pour sortir de la confusion actuelle, et que l’on sache notamment pourquoi le régime de Kigali s’oppose à toute enquête sur cet attentat alors que c’est l’élément qui a déclenché le génocide et les massacres d’avril à juillet 1994. Il a fait valoir que, s’il s’avérait qu’il est étranger à cette affaire, les soupçons qui pèsent sur lui seraient dissipés.

Il a déclaré que lui-même, lorsqu’ il était encore Premier Ministre, avait soulevé en Conseil des Ministres la question d’une enquête nationale ou internationale sur l’attentat mais que le Président et le Ministre de la Défense lui avaient répondu que ce n’était pas une priorité pour le pays, et que pour les autres Rwandais assassinés, aucune enquête n’avait été menée.

Il a également fait remarquer qu’au début de l’année 1995, lorsque le Gouvernement du Burundi a officiellement demandé au Gouvernement rwandais de mener une enquête pour élucider les circonstances de la mort du Président Cyprien Ntaryamira, la vice-présidence et la présidence de la République rwandaise ont réagi d’une façon pour le moins suspecte : le Ministre de la Justice d’alors, M. Nkubito, à qui le dossier avait été confié, a adressé une lettre au représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies, sollicitant son concours, mais le Directeur de cabinet du Président, accompagné de hauts cadres de la vice-présidence, a été dépêché très rapidement auprès du Ministre de la Justice avec l’ordre de rattraper l’original de la lettre avant qu’elle ne parvienne aux bureaux du représentant spécial et de le détruire ainsi que les copies éventuellement distribuées, ce qui revenait à retirer ainsi la demande d’enquête. M. Faustin Twagiramungu a précisé qu’il existait des témoins de ce qu’il avançait, et que ceux-ci étaient même dans l’assistance.

S’agissant du rôle des armées étrangères dans la guerre du Rwanda, il a ajouté qu’on avait l’impression, lorsqu’on débat de cette question, qu’une seule partie n’avait pas le droit à l’assistance extérieure, c’est-à-dire, curieusement, l’agressé, le gouvernement légitime du Rwanda et ce pays lui-même, comme si l’autre partie au conflit avait mené la guerre pendant quatre ans avec des pierres et des bâtons. S’étonnant de ce parti pris, il s’est demandé pourquoi, alors qu’aujourd’hui l’on s’empresse pour désigner les fournisseurs d’armes du gouvernement rwandais de l’époque 1990-1994 -la France, l’Afrique du Sud et l’Egypte- personne ne veut, en revanche, évoquer le rôle de l’armée ougandaise -la National Resistance Army (NRA)- dans cette guerre, ou même s’interroger sur les fournisseurs d’armes du Front patriotique rwandais, comme si celui-ci n’avait eu besoin ni de moyens, ni d’assistance pour prendre le pouvoir à Kigali.

Il a mentionné l’arrestation, relatée en septembre 1992 par la presse américaine, d’un Américain et d’un Ougandais, à l’aéroport d’Orlando en Floride, au moment où ils s’apprêtaient à embarquer pour l’Ouganda, de façon illicite, une cargaison d’armes dans laquelle se trouvaient des missiles antichars et des lance-missiles, d’une valeur de 18 millions de dollars. Il a précisé que le capitaine ougandais arrêté s’appelait Innocent Bisangua et qu’il était l’adjoint du secrétaire particulier du Président Museveni et le beau-frère de Peter Banyingana, Major de la NRA et membre du FPR, tué lui aussi au Rwanda, pendant la guerre, en octobre 1990.

Il s’est demandé pourquoi, si ces armes n’étaient pas destinées à un tiers, l’Ouganda, qui n’était pas sous embargo, n’avait pas passé sa commande par les voies autorisées et s’est étonné que ce type de questions ne soit jamais posé alors que le Rwanda, au contraire, était sans cesse mis en accusation.

Il s’est interrogé également sur la présence, à la veille du 6 avril 1994, d’un détachement de Marines américains à Bujumbura, avec, selon les termes du Colonel belge Marchal devant la Commission parlementaire d’enquête du Sénat belge, des hélicoptères de combat, et surtout sur les raisons de l’empressement de ce détachement à proposer ses services à la MINUAR, avant même l’assassinat des Présidents rwandais et burundais. Il s’est demandé si cette présence n’aurait pas eu un lien direct avec la présence à Kigali, l’après-midi du 6 avril 1994, de l’attaché militaire américain auprès du Rwanda et du Burundi, résidant au Cameroun, qui a organisé l’évacuation des ressortissants et du personnel de l’ambassade américaine au Rwanda, le 8 avril 1994.

M. Faustin Twagiramungu a ensuite achevé son exposé faisant état des crimes qu’il attribue au FPR.

Il a souligné que, le 6 novembre 1994, alors qu’il était lui-même encore Chef du Gouvernement, son parti, le MDR, dont il était Président, avait dénoncé les crimes du FPR et son incompétence dans un document de trente-deux pages. Il a précisé que ce document, qui était public, dénonçait franchement un second génocide, perpétré par le FPR, ainsi que les méthodes qu’il utilisait pour exterminer ses opposants, tous qualifiés d’Interahamwe, ce terme désignant, pour ses éléments extrémistes, les Hutus d’une façon générale.

Ajoutant que personne ne naissait extrémiste, il a exposé que, de 1990 à 1994, la communauté internationale avait préféré ignorer les crimes du FPR commis dans le nord du pays, alors que presque un million de personnes avaient fui cette région pour échapper aux massacres systématiques de 1991 et 1993.

Il a jugé que, d’avril à juillet 1994, il y avait eu une sorte de compétition dans l’extermination des populations, entre les soldats du FPR et les Interahamwe, dans les régions sous leur contrôle. Il a également insisté sur le fait que, de juillet 1994 à mai 1998, les crimes n’ont jamais cessé et se sont même étendus aux camps de réfugiés de l’ex-Zaïre, le FPR, qui considérait les réfugiés globalement comme des criminels, les ayant poursuivis et en ayant massacré sans doute plus de 200 000 tout au long de leur exode. Il s’est scandalisé du silence qui a régné sur ces faits et de l’interprétation selon laquelle tous ces réfugiés étaient des criminels et des Interahamwe. Il a déclaré que le fait que les Rwandais hutus restaient impuissants devant ces crimes ne les leur faisait pas oublier pour autant.

Il a rappelé qu’en octobre 1995, alors qu’il déclarait, chiffres à l’appui, que plus de 250 000 personnes avaient été tuées par le FPR, il n’avait rencontré que blâmes et incrédulité. Il a indiqué que le Président Bizimungu et le vice-Président Kagame avaient minimisé sa déclaration en essayant d’ironiser, répondant que c’était sans doute lui-même qui était responsable de tous ces morts. Il s’est déclaré très déçu que la presse ait préféré ignorer ce chiffre très élevé, dans la mesure où il n’y en avait aucune image.

Il a insisté sur le fait que le FPR avait tué, avant 1994 et après, et qu’il continuait de tuer des populations innocentes dans la région du nord-ouest et dans celle de Gitarama, dans le centre du pays, sous prétexte de combattre d’hypothétiques infiltrés. Il a ajouté qu’il s’agissait là d’une guerre cachée, menée loin des journalistes, et qu’on venait maintenant d’en chasser les représentants du Haut Commissariat des Nations Unies pour les droits de l’homme, afin que le travail puisse continuer silencieusement.

En conclusion, M. Faustin Twagiramungu a demandé qu’une enquête internationale soit menée sur tous ces crimes et sur la vraie nature de la guerre qui sévit actuellement au Rwanda. Il a expliqué aussi qu’il fallait qu’un recensement des victimes soit fait au Rwanda dans l’intérêt des droits de l’homme et pour que le monde sache ce qui s’est passé. Il a estimé qu’on devait savoir combien de Hutus et de Tutsis sont morts, pourquoi et comment. Il a trouvé invraisemblable que, tandis que des dirigeants d’organisations humanitaires, des " spécialistes du Rwanda ", n’hésitent pas à avancer des chiffres, et que ceux-ci varient, selon les ouvrages, de 500 000 à 800 000, 850 000, 1 000 000, voire, pour certaines personnalités belges, 1 500 000 Tutsis tués, les Rwandais soient dans l’incapacité de produire des évaluations du nombre des victimes et doivent se taire, comme s’ils n’avaient aucune connaissance de leur propre pays. Il a jugé que, moyens limités et pauvreté mis à part, les Rwandais devaient absolument établir qui était mort et qui avait été tué par qui.

Il a considéré que l’avenir du Rwanda serait toujours compromis tant que le FPR restera impuni pour ses crimes et qu’il fallait en finir avec cette dichotomie entre les diables qui doivent être poursuivis et gardés dans leur enfer et les anges qui doivent faire les lois.

Exposant alors que, par delà la mission d’information, il s’adressait au monde entier, M. Faustin Twagiramungu a demandé solennellement que soient effectués :

 le recensement de la population rwandaise, compte tenu de la publication de chiffres controversés par différentes sources ;

 une enquête sur l’assassinat des Présidents rwandais et burundais ainsi que des citoyens rwandais, burundais et français présents à bord de l’avion présidentiel. Il a estimé incompréhensible qu’aucune enquête ne soit faite non seulement sur la mort du Président Habyarimana et du Président Ntaryamira, mais aussi sur celle des trois membres français de l’équipage, dont le commandant de bord, qu’il connaissait personnellement ;

 une enquête sur les circonstances de l’assassinat, le 8 avril, à Kigali de deux gendarmes français. Il a précisé qu’il y avait dans l’assistance des témoins qui avaient vu les meurtriers passer.

Enfin, indiquant qu’en janvier 1994, M. Bernard Debré avait été reçu en audience par le Président Habyarimana qui lui avait dit, selon un témoin qui assistait à cette audience, sa crainte d’une mort future et qu’il allait être assassiné, il a souhaité que cette affirmation puisse être vérifiée, dans la mesure où elle signifiait que la mort du Président Habyarimana était une mort programmée et que les circonstances pouvaient en être éclaircies.

En conclusion de son exposé, M. Faustin Twagiramungu a conclu que, ni lui, ni ses amis politiques n’étaient allés en politique pour tuer mais pour donner l’espoir aux jeunes et aux générations qui viendront, avec l’ambition peut-être que leur pays puisse aussi un jour rejoindre le niveau démocratique et économique des pays développés. Il a ajouté qu’en tout état de cause, ils n’avaient jamais souhaité la mort des leurs, ni des paysans, qu’ils soient Tutsis ou Hutus, ni des Présidents, du Rwanda ou du Burundi.

Après avoir remercié M. Faustin Twagiramungu pour son témoignage et l’éclairage qu’il apportait à la mission, le Président Paul Quilès lui a posé trois questions.

Rappelant qu’en 1993 les partis d’opposition, dont le MDR, avaient signé un mémorandum dénonçant la situation critique dans laquelle se trouvait le Rwanda, la paralysie et le dysfonctionnement des institutions, et rejetant le manichéisme ethnique qui a fait le malheur du pays, il a demandé ce qu’était devenu ce mémorandum, quelle diffusion il avait eu et si M. Faustin Twagiramungu savait ce que le Président Habyarimana en pensait et les suites qu’il lui avait données.

Evoquant ensuite une visite de M. Faustin Twagiramungu aux Etats-Unis en juin 1994, il lui a demandé s’il avait trouvé dans ce pays un soutien politique ou financier pour la mise en oeuvre des accords d’Arusha.

Enfin, il lui a demandé quel bilan il faisait, avec le recul, de son passage au gouvernement du Rwanda comme Premier Ministre entre juillet 1994 et août 1995.

M. Faustin Twagiramungu a répondu que le mémorandum de 1993 avait d’abord servi de base aux Rwandais pour discuter de la situation de leur pays. S’agissant de son application en revanche, le Président Habyarimana avait expliqué qu’avant de le mettre en vigueur, il fallait déjà mettre en oeuvre les accords d’Arusha qui venaient d’être signés. Ceux-ci ne l’ayant pas été, les questions sont restées en suspens.

M. Faustin Twagiramungu a ensuite précisé que, lorsqu’il était allé en juin 1994 aux Etats-Unis, alors qu’il était désigné comme Premier Ministre depuis le 4 août 1993, il était invité, non par le Gouvernement américain mais par des ONG et certaines personnalités qui souhaitaient le rencontrer. Aussi, bien qu’il ait profité de ce voyage pour nouer des contacts, il n’avait reçu au cours de celui-ci aucun appui officiel, ni politique ni financier.

Enfin, il a qualifié d’amer et de négatif le bilan de son expérience en tant que Premier Ministre. Il a précisé qu’il avait quitté Bruxelles pour Kigali et accepté de participer au Gouvernement dans l’espoir de contribuer à ramener la paix au Rwanda, d’assister de façon concrète tous ceux qui souffraient, mais qu’il avait constaté, dès son arrivée, que cela ne serait pas possible et avait alors décidé de se conduire en responsable jusqu’au moment où il ne pourrait plus rester en fonction.

Il a expliqué qu’il s’était trouvé face à une situation très différente de celle prévue par l’accord de paix d’Arusha. Il a énuméré les difficultés qu’il avait eu à affronter. Les députés militaires au Parlement n’étaient pas prévus par les accords d’Arusha. Or, en pratique, ce sont ces députés militaires qui ont agi. Les fonctions de vice-Président n’étaient pas prévues non plus dans l’accord de paix. Or il y avait un vice-Président, faisant d’ailleurs pratiquement fonction à la fois de Président de la République et de Premier Ministre. De plus, la situation était telle que le Président avait pu, sans consulter le Premier Ministre, déclarer à la radio que tous les pouvoirs de ce dernier lui étaient transférés.

Pendant les quatorze mois où il a été Premier Ministre, le Gouvernement a tenu des réunions de Cabinet -de Conseil des Ministres- deux fois par semaine, le mardi et le vendredi ; cependant, le Premier Ministre lui-même n’en a présidé qu’une seule et les décisions qui ont alors été prises ont été immédiatement rapportées lorsque le vice-Président est arrivé.

Par ailleurs, M. Faustin Twagiramungu a exposé que les membres MDR du Gouvernement avaient insisté, pratiquement à chaque Conseil des Ministres, pour que la sécurité des populations soit assurée et que cette question était devenue une pomme de discorde. Il a ajouté que le Premier Ministre n’était pas mis au courant des déplacements des militaires et ne recevait aucun rapport sur ce sujet.

Il a rappelé qu’il s’était élevé, dans un document du 6 novembre 1994, contre les tueries et les massacres continuels, que l’on essayait de cacher. Il a précisé que des journalistes français, les journalistes de Libération surtout, avaient fait état de ces massacres.

M. Jacques Myard a alors demandé à M. Faustin Twagiramungu s’il avait une idée des raisons pour lesquelles s’était développé ce qu’il a appelé " la pensée unique sur le Rwanda " aux termes de laquelle le FPR a le beau rôle et les autres le mauvais et s’il pouvait revenir sur les tenants et aboutissants de la mort du Président Habyarimana.

M. Faustin Twagiramungu a répondu qu’il voyait deux raisons au développement d’une pensée unidirectionnelle, une pensée unique sur le Rwanda. D’une part, il n’y a pas de Rwandais outillé pour éclairer l’histoire, d’autre part, le FPR, au contraire des Rwandais de l’intérieur, excelle dans le domaine de la communication et des relations publiques.

Il a estimé que, pour que les choses changent, il faudrait à la fois que les Rwandais puissent écrire leur histoire convenablement, et que le FPR ne soit pas seul à maîtriser les médias. S’agissant du premier point, il a expliqué qu’à la suite des écrits de l’abbé Alexis Kagame, toute l’histoire du Rwanda continuait à être interprétée en fonction de la dichotomie Hutu-Tutsi, comme si rien n’avait changé. Pour ce qui concerne la seconde question, il a précisé que le FPR avait très bien su créer des réseaux de communication, de services et d’influence grâce auxquels l’information sur le Rwanda avait tendance à toujours suivre les mêmes lignes.

Il a ensuite rappelé qu’il existait deux thèses sur les responsables de la mort du Président Habyarimana. La première est celle des extrémistes hutus de l’armée. Une partie de l’entourage du Président Habyarimana voulait sans doute qu’il ne signe pas les accords de paix d’Arusha. Or, bien qu’il ait entendu des témoignages selon lesquels, avant son départ pour Dar Es-Salam, le 6 avril, le Président avait indiqué qu’il était disposé à appliquer désormais les accords d’Arusha, M. Faustin Twagiramungu a douté de l’intérêt qu’aurait pu présenter, pour des Rwandais, l’assassinat du Président Habyarimana. Il a considéré que la situation créée après sa mort l’a montré puisqu’il n’y avait pas de dauphin, que de ce fait c’est la confusion qui a régné et que, finalement, au lieu de gouverner, les nouveaux dirigeants ont pris les machettes.

Il a estimé qu’avec le recul, seul le FPR avait intérêt à tuer le Président Habyarimana.

Après avoir salué le caractère objectif de l’exposé des faits qu’avait présentés M. Faustin Twagiramungu, M. René Galy-Dejean s’est déclaré frappé du jugement très positif qu’il portait sur le rôle et l’action de la France au Rwanda, alors même qu’il se décrivait comme un opposant au Président Habyarimana et que, souvent, la mission entendait reprocher à la France d’avoir trop apporté son soutien au régime de ce dernier.

C’est pourquoi il lui a d’abord demandé si le jugement positif qu’il exprimait aujourd’hui à l’égard du rôle de la France résultait d’une analyse formulée avec le recul du temps ou s’il pensait déjà de même lorsqu’il était, au Rwanda, un opposant au Président Habyarimana.

Après avoir observé que la connotation raciale qu’on pouvait donner au génocide au début des travaux de la mission avait progressivement laissé la place à l’analyse d’une guerre civile entre, certes, des ethnies, mais surtout des groupes qui se disputaient le pouvoir, il a souligné que M. Faustin Twagiramungu proposait à la mission un nouvel éclairage des événements. En précisant que l’offensive du FPR n’était souhaitée, ni par les Hutus de l’opposition, ni par les Tutsis de l’intérieur, en ajoutant qu’elle n’était même pas souhaitée par tous les Tutsis expatriés, dont une grande partie se satisfaisait des accords d’Arusha et des déclarations faites sur le retour des exilés, il faisait naître l’hypothèse que l’offensive du FPR aurait pu être, ni plus ni moins, une offensive extérieure contre le Rwanda, diligentée, organisée et aidée par des Etats étrangers qui pouvaient avoir intérêt à affaiblir ce pays ou à le subordonner à telle ou telle mainmise. Il a alors demandé à M. Faustin Twagiramungu s’il confirmait cette analyse.

M. Faustin Twagiramungu a répondu que les opposants rwandais étaient eux-mêmes surpris de la dureté avec laquelle la France était mise en cause au Rwanda. Il a souligné qu’en 1993 le Président Habyarimana pensait que le détachement Noroît ferait partie de la force internationale chargée d’assurer la paix pendant la période de mise en place des institutions à base élargie, et que cette perspective avait compté dans sa décision d’accepter cette force. Si M. Faustin Twagiramungu s’était alors opposé au maintien du détachement Noroît, c’est parce que le FPR avait brusquement exprimé son refus de ce maintien. Les Rwandais démocrates voulant que les accords de paix puissent être conclus, la conséquence en était qu’il fallait que le détachement Noroît parte.

S’agissant de la période de l’opération Turquoise, M. Faustin Twagiramungu a expliqué que, rescapé lui-même des militaires hutus assassins, il lui était impossible de dire qu’il aurait souhaité leur victoire. Pour autant, il ne pouvait admettre qu’on dise qu’il souhaitait la victoire des autres militaires, ceux du FPR, dans la mesure où ils massacraient également. Il aurait souhaité que les deux tendances puissent s’entendre. Malheureusement, l’une voulait continuer à tuer, l’autre voulait le pouvoir.

Il a exposé aussi que ce qu’on disait de l’action de la France, avant et pendant le génocide, ne correspondait pas à ce que les Rwandais avaient vécu. Il a ajouté que si, pour certains, le génocide n’était pas sans lien avec des intérêts politiques, ces intérêts n’étaient pas d’un seul côté. Il a déclaré qu’il ne croyait pas du tout et qu’il n’avait jamais cru, quand il était au Rwanda, à la propagande selon laquelle M. François Mitterrand était l’ami du Président Habyarimana. On voyait mal d’ailleurs sur quels éléments aurait été fondée cette amitié personnelle.

Il a expliqué qu’il fallait faire la part des choses. Il a exposé que le Rwanda avait bénéficié de l’assistance de la France, tant économique que militaire, et fait valoir que cette assistance n’avait jamais été cachée puisque, sur le plan militaire, un accord avait même été signé. Il a justifié l’assistance fournie par la France en expliquant qu’il était hors de question qu’un pays attaqué dénonce sa coopération militaire avec une grande puissance, uniquement pour montrer au monde ses bonnes intentions.

Il a ajouté que le recul ne faisait que confirmer son analyse de l’époque et que son seul but, en s’exprimant ainsi, était de dire la vérité.

Il s’est déclaré franchement stupéfait d’entendre dire que la France avait, par exemple, fait tuer des gens. En tant qu’Africain rwandais, il a jugé invraisemblable qu’un pays comme la France, avec toute son histoire, puisse se laisser aller à assister un président et des militaires dans l’accomplissement d’assassinats à la chaîne. Il a invité ceux qui disent avoir des preuves à les produire.

Prenant un exemple précis, il a expliqué qu’en effet des militaires français étaient présents sur le pont franchissant la rivière Nyabarongo pour vérifier les identités. Il a cependant fait valoir que ce pont était un point stratégique très important entre Kigali, les régions du Rwanda, le Zaïre et le Burundi, et qu’on n’allait pas le détruire uniquement pour que les militaires français qui assistaient l’armée rwandaise ne soient pas soupçonnés de participer à des rafles à caractère raciste ou ethnique. Il a conclu qu’on n’avait pas le droit d’interdire à un pays de recourir à des alliés qui acceptaient de tenter de le sauver.

A propos du génocide, M. Faustin Twagiramungu a fermement exclu la connotation raciale. Il a ironisé sur les Tutsis de deux mètres, d’origine égyptienne, éthiopienne, voire sémite du Moyen-Orient, expliquant qu’il n’en voyait pas au Rwanda, proposant, s’il en existait, qu’ils se manifestent, et noté au contraire que bien des Bantous sont très grands, mesurant jusqu’à deux mètres, et qu’avec ce type de clichés, auquel il n’adhérait pas, on arriverait à faire passer le Président du Sénégal pour un Tutsi. Il a estimé qu’en tout état de cause, la taille ou la forme du nez et des épaules n’avaient jamais constitué une raison pour s’exterminer.

Il a ajouté qu’autant ce n’était pas les Rwandais qui avaient demandé aux Belges de les enregistrer comme Hutus ou Tutsis, autant ils avaient une analyse précise de ce qu’ils entendaient par Hutu et Tutsi et que ce n’était pas les Occidentaux qui étaient venus le leur apprendre.

En revanche, il a approuvé l’analyse selon laquelle il s’agissait d’une guerre civile. Rappelant qu’en aucun cas, les personnes appartenant aux partis opposés à la politique du Président Habyarimana n’étaient toutes des Tutsis, il s’est élevé contre l’oubli systématique des morts hutus sous le prétexte qu’ils n’étaient pas tutsis. Il a expliqué que, lorsqu’il était revenu à Kigali, on lui avait ordonné de ne plus jamais mentionner les trente-deux personnes de sa famille proche, neveux, nièces et autres, tuées pendant le génocide car c’étaient des Hutus. Il a insisté sur le fait qu’il n’était pas le seul Hutu à avoir perdu des membres de sa famille, que les Interahamwe avaient tué beaucoup de Hutus, et s’est scandalisé qu’on veuille faire croire au monde le contraire.

Il a expliqué qu’en fait, les belligérants ne voulaient pas arrêter la guerre, tout simplement parce que le pouvoir était à ce prix. Il a ajouté que si l’on avait voulu vraiment arrêter la guerre, si l’on avait invité les Américains, les Français, les Belges à calmer le jeu, les choses se seraient passées autrement. A l’appui de ses dires, il a réclamé qu’on lui montre une seule déclaration du FPR, écrite ou radiodiffusée, demandant au monde de l’aide pour que l’on cesse de tuer les Tutsis. Assurant qu’on ne pouvait pas le faire car il n’en existait pas, il a révélé qu’en revanche, il disposait d’un témoignage écrit indiquant le contraire.

Il a expliqué que, le 11 avril, alors qu’il était caché dans les locaux de la MINUAR, il avait réussi à faire parvenir une note au quartier général du FPR installé dans le bâtiment du Conseil national du développement, à un kilomètre de l’endroit où il était, demandant qu’on s’entende pour mettre fin à ce qui était en train de se passer. Il a indiqué qu’il avait reçu, le 13, la réponse suivante, noir sur blanc, manuscrite : " Non, nous avançons très bien. Nous allons continuer. " Il a conclu que ce message, par lequel le FPR révélait qu’il préférait continuer à se battre plutôt que de discuter de l’arrêt du génocide, montrait bien que c’était d’une guerre civile qu’il s’agissait et que la question ethnique n’était qu’un prétexte pour prendre le pouvoir.

Il a ajouté que le soutien de l’Ouganda au FPR était la contrepartie du soutien qu’avait apporté le FPR à Yoweri Museveni pour prendre le pouvoir en Ouganda et que, pour les Rwandais, voir le FPR prendre le pouvoir pouvait être comparé à une situation où, en Europe, on aurait vu des Européens, chassés enfants de leur pays avec leurs parents et exilés aux Etats-Unis, puis devenus Ministres de la Défense ou chefs d’état-major de l’armée américaine, revenir en cette qualité reconquérir leur pays les armes à la main.

Il s’est étonné aussi qu’on recherche la provenance des armes qui avaient permis au Rwanda de se défendre, sans se demander d’où venaient celles qui servaient à l’attaquer. A propos des buts de guerre des vainqueurs, il s’est étonné que, pour déloger des réfugiés d’un camp situé au Zaïre à six kilomètres de Goma, on ait eu besoin de les pourchasser jusqu’à l’Atlantique.

M. Pierre Brana a rappelé qu’en février 1993, à Bujumbura, des discussions entre des représentants des partis d’opposition, dont le MDR, et le FPR avaient abouti à la publication d’un communiqué appelant au cessez-le-feu, au retrait des forces étrangères, c’est-à-dire françaises, à la reprise des négociations d’Arusha, au retour des personnes déplacées et à l’engagement d’actions judiciaires contre les auteurs des massacres. Peu après, le 2 mars, le Président Habyarimana avait réuni à Kigali une conférence nationale, où se trouvait également représenté le MDR, qui avait été suivie d’un communiqué contredisant totalement celui de Bujumbura, condamnant le FPR, remerciant les forces armées, trouvant bienvenue la présence militaire française et condamnant l’Ouganda pour son soutien au FPR. Il a ajouté qu’il croyait savoir que la direction du MDR avait pris position pour ceux qui avaient participé à la réunion de Bujumbura avec le FPR et condamné les représentants du MDR qui se trouvaient avec le Président Habyarimana. Il a alors demandé à M. Faustin Twagiramungu s’il pouvait donner des explications à la mission sur ce point.

Il lui a également demandé quelle avait été la réaction des membres du MDR à la nomination, le 9 avril 1993, de M. Jean Kambanda, également membre du MDR comme Premier Ministre du Gouvernement dit " intérimaire ".

Il lui a enfin demandé son sentiment sur l’opération Turquoise.

M. Faustin Twagiramungu a répondu que la première question mettait bien en évidence une contradiction. Il a expliqué que les dirigeants du MDR étaient allés à Bujumbura, juste après l’offensive du FPR, étant donné qu’à la suite de conversations avec les ambassadeurs des Etats-Unis, de France, de Belgique, et le nonce apostolique, il apparaissait que le FPR pouvait infléchir ses positions. M. Faustin Twagiramungu a précisé qu’il s’agissait de discuter avec le FPR et d’envisager une solution permettant de poursuivre les négociations d’Arusha. Il a confirmé qu’à la suite de cette discussion, un communiqué avait été publié à Bujumbura. Précisant que les membres du MDR qui ont signé plus tard le communiqué du 2 mars, avaient également signé le communiqué de Bujumbura, il a ajouté que cette contradiction marquait tout simplement le début des divisions du MDR entre ceux qui soutenaient le processus d’Arusha et qui estimaient qu’il fallait absolument que le pouvoir puisse être partagé au Rwanda, tendance dont lui-même faisait partie, et la tendance Hutu Power, qui souhaitait s’associer aux militaires pour combattre le FPR et refuser le partage du pouvoir.

S’agissant de la nomination de M. Kambanda, M. Faustin Twagiramungu a répondu qu’étant données les positions de ce dernier sur le communiqué de Bujumbura, il s’était opposé à sa nomination, laquelle est en fait restée lettre morte. Il a ajouté qu’il ne voulait pas que l’opposition au MRND aille jusqu’au refus de reconnaître le Président, et que lui-même, au contraire d’autres membres du bureau politique, l’appelait par son titre, qui se traduit par " Excellence " en français, parce qu’il estimait que le Président de la République représente l’ensemble des institutions. Il a expliqué aussi qu’il ne pouvait pas tolérer non plus que les gens qui s’opposaient à la négociation des accords de paix d’Arusha puissent se présenter comme candidats à un poste de ministre et précisé que M. Kambanda n’était accepté ni par le MRND, ni par le parti social-démocrate, le PSD, ni par le parti libéral, et qu’il n’était soutenu que par une fraction du MDR.

S’agissant de l’opération Turquoise, il a d’abord rappelé que, lors de son déclenchement, il était réfugié à Bruxelles, et que les seules informations dont il disposait étaient celles publiées dans la presse. Dans la mesure où il y lisait que la France envoyait une force pour contrecarrer l’avance du FPR ou qu’elle voulait renforcer la position des militaires partisans du Président Habyarimana pour qu’ils puissent continuer le génocide, il était très embarrassé pour soutenir cette opération. Il a ajouté qu’avec le recul, il apparaît que ce n’était pas pour soutenir M. Habyarimana -qui était mort- ou pour que les militaires puissent continuer à massacrer que l’opération a été menée. Supposant que ceux qui critiquent l’opération Turquoise n’en ont certainement pas encore discuté avec les Rwandais, et ce d’autant plus logiquement que les paysans rwandais ne parlent pas français, il a souligné que, dans la préfecture de Cyangugu, située dans la zone Turquoise, dont il est originaire, et où les Interahamwe ont détruit pendant cette période tous les biens publics, y compris les hôpitaux et le bâtiment de la préfecture, les réfugiés dans les camps, notamment des Tutsis, lui ont dit que, si l’opération n’avait pas eu lieu, ils auraient tous été exterminés et qu’ils se félicitaient qu’elle ait été menée. Il a ajouté que, malgré son opposition initiale, il affirmait, maintenant qu’il était informé, qu’on ne pouvait pas dire que la force Turquoise soit allée soutenir les assassins.

Evoquant la période allant de la fin de l’année 1993 au début de l’année 1994, qui a vu la conclusion des accords d’Arusha, le retrait des troupes françaises et la marche vers le génocide et rappelant que ce qui caractérise un génocide ce n’est pas seulement l’ampleur des massacres, mais aussi leur éventuelle préméditation, M. François Lamy a interrogé M. Faustin Twagiramungu sur le climat qui régnait alors au Rwanda. Il lui a demandé si l’on sentait une montée des fanatismes pouvant déboucher sur un génocide et s’il avait eu connaissance, à cette époque, d’éléments plus précis tels que des listes, un comité secret, bref des preuves d’une planification réelle des massacres qui avaient débuté après l’attentat contre le Président Habyarimana.

Rappelant que, dans la presse et dans certains livres, des accusations avaient été portées, non pas contre la politique française dont M. Faustin Twagiramungu avait souligné le caractère bénéfique, mais contre certains Français présents au Rwanda, fonctionnaires ou militaires, il lui a demandé si, en tant que responsable de l’opposition à cette époque, la politique de la France lui était apparue comme unique ou s’il avait eu l’impression que certains fonctionnaires français, civils ou militaires, pouvaient être engagés du côté du Hutu Power.

Il s’est enfin interrogé sur la nature des rapports que M. Faustin Twagiramungu entretenait avec les responsables politiques français. Il lui a demandé plus précisément si, outre l’ambassadeur de France, il avait des contacts avec l’équipe chargée de conseiller le Président François Mitterrand sur la politique africaine ou avec d’autres interlocuteurs.

M. Faustin Twagiramungu a répondu qu’il lui était très difficile d’entreprendre une analyse sur la planification ou la préparation du génocide, qui demanderait de maîtriser trop d’éléments. S’agissant de la préméditation des massacres, il a indiqué qu’il était visible que, d’un jour à l’autre, les choses pouvaient mal tourner, que par exemple les assassinats qui se multipliaient dans le pays n’étaient pas des signes encourageants et que c’est pour cette raison que le MDR poussait à l’application des accords de paix d’Arusha, pour calmer le jeu et mettre en place un gouvernement qui puisse offrir des garanties aux uns et aux autres, y compris aux membres du MRND puisque ce parti devait continuer à occuper des postes tels que les ministères de l’intérieur et de la défense.

Il a précisé qu’en revanche, si l’on pouvait estimer que la violence allait un jour se déchaîner, il était difficile de savoir comment. Il a ajouté que les partisans de la CDR que l’on voyait chanter publiquement : " nous allons exterminer ", n’avaient jamais dit qu’ils allaient exterminer seulement les Tutsis, mais qu’ils visaient aussi l’opposition qui, si elle comportait des Tutsis, était d’abord constituée par des Hutus. Il a affirmé avec force que l’extermination ne visait pas que les Tutsis à ce moment-là, et qu’il n’avait jamais cru qu’il y avait une préparation d’extermination des Tutsis uniquement. Il a rappelé que si, du 13 avril jusqu’en juillet, les Tutsis avaient bien été exterminés, le 8, le 9, le 10 et le 11, c’était des personnes de l’opposition, des Hutus, qui étaient systématiquement tués. S’agissant de ceux-ci, il a rejeté le qualificatif de Hutus " modérés " comme s’il s’agissait de Hutus sans convictions, plus susceptibles de compromission avec les Tutsis que les autres, et expliqué qu’il s’agissait tout simplement de démocrates.

Il a ajouté que le fait qu’on vérifie qui est Tutsi et qui ne l’est pas, ou qui cache qui, ne constituait pas une preuve suffisante d’un génocide ethnique. Précisant qu’il avait vu des listes sur lesquelles figuraient des membres du FPR habitant les Etats-Unis, il s’est interrogé sur leur raison d’être et leurs auteurs, les Hutus extrémistes, s’ils pouvaient avoir une force suffisante pour manier la machette, n’ayant certainement pas la capacité d’aller tuer des gens résidant aux Etats-Unis ou en Ouganda.

S’agissant de l’attitude des représentants de la France, il a déclaré que, lorsqu’il participait à la vie en politique au Rwanda, il n’avait jamais constaté à un seul moment que les fonctionnaires français, à l’ambassade ou ailleurs, penchaient plus du côté du MRND que du MDR et que, lors de ses multiples rencontres avec le Colonel Bernard Cussac, les problèmes évoqués étaient ceux de la sécurité ou de la mise en place du gouvernement de transition à base élargie. Il a ajouté que la seule chose que lui demandaient les Français était de négocier. Il a souligné qu’il ne pouvait croire que des responsables français importants aient pu dire qu’il fallait aider les Hutus clandestinement, et rappelé que le cadre des relations franco-rwandaises était bien précis, celui de la coopération avec un pays souverain. Il a d’ailleurs jugé que, si ce pays était dirigé par le Président Habyarimana, bien des décisions qu’il prenait auraient pu l’être également par des membres de l’opposition s’ils avaient été à sa place.

S’interrogeant sur la période du 17 juillet 1994 au 25 août 1995 pendant laquelle M. Faustin Twagiramungu avait été Premier Ministre d’un gouvernement d’union nationale, alors que le FPR venait de prendre le pouvoir, M. Jean-Bernard Raimond lui a demandé quels éléments lui avaient inspiré confiance pour prendre ce poste et sur quelles forces politiques il avait alors pensé s’appuyer pour mettre en oeuvre ses idées.

Remarquant que, le 31 juillet, un détachement de l’armée américaine était arrivé à Kigali, alors que les Etats-Unis avaient cessé le 15 de reconnaître l’ancien gouvernement rwandais, il lui a demandé si, eu égard au caractère assez catastrophique de la situation du pays au moment où son gouvernement s’installait, il avait pu penser que, d’une manière ou d’une autre, la présence des Américains aurait pu l’aider.

M. Faustin Twagiramungu a répondu que, bien qu’il ait su par la lecture de la presse, et notamment des coupures de journaux qu’on lui faisait parvenir d’Ouganda, que le FPR ne souhaitait pas son retour, il avait fini par se décider à assumer les fonctions de Premier Ministre. Il a précisé qu’il avait agi sous la pression de certaines personnes de la communauté internationale qui lui disaient qu’il fallait reconstruire son pays, et qui lui rappelaient qu’il avait été désigné par les accords de paix d’Arusha, dont le FPR soutenait qu’il allait les mettre en application. Mais il a indiqué qu’il avait aussi pris sa décision parce qu’il avait été contacté dans ce but par celui qui allait devenir le Ministre de l’Intérieur de son Gouvernement, M. Seth Sendashonga.

Il a ajouté que, malgré son scepticisme, il était allé voir le Président Museveni, avec qui il avait eu une conversation dont il avait déjà parlé, le Président Mwinyi de Tanzanie ainsi que le Premier Ministre et le Ministre des Affaires étrangères de ce pays, leur demandant ce qu’ils pensaient de l’avenir du Rwanda, pays détruit où avait eu lieu un génocide. Il a indiqué que tous l’avaient rassuré, disant qu’il fallait que les Rwandais essayent de travailler ensemble. Rentré à Kigali, il s’était rendu compte cependant que la victoire militaire avait vidé l’accord de paix d’Arusha, dont il pensait se prévaloir, de toute portée. Ses partenaires lui ont reproché publiquement de ne pas avoir combattu, certains lui faisant même comprendre que, de ce fait, son avis n’avait aucune importance, alors que, parmi ces combattants, certains ne connaissaient pas le pays, même s’ils avaient la nationalité rwandaise.

M. Faustin Twagiramungu a alors expliqué que son projet était de rechercher la paix et de partager le pouvoir, en y associant même des personnalités du MRND, parce que tous les membres de ce parti ne sont pas mauvais, pour essayer de reconstruire le pays, inviter les exilés à revenir et donner l’espoir aux gens. Mais comme il n’avait pas d’autre force pour l’aider que sa propre conscience et sa volonté, cela n’a pas été possible. Il a confié qu’il y croyait très sincèrement, même si on lui a dit qu’il était un peu naïf de croire que des gens qui avaient pris le pouvoir par les armes allaient le partager avec lui.

S’agissant de la venue de dirigeants américains à Kigali, il a expliqué qu’il avait rencontré le Secrétaire d’Etat à la Défense d’alors, mais qu’on lui avait alors fait savoir que discuter avec le Secrétaire d’Etat à la Défense américain ne relevait pas des compétences du Premier Ministre mais de celles du vice-Président, Ministre de la défense, et que l’affaire avait tourné court.

Il a souligné que c’était la première fois qu’il voyait les Etats-Unis marquer un intérêt particulier pour le Rwanda. Il a ajouté que l’opération avait été extrêmement rapide, et avait sans doute pour objet de signifier un appui, sans intervention, au Gouvernement rwandais qui en avait été tout à fait satisfait.

M. Jean-Claude Lefort a alors demandé à M. Faustin Twagiramungu son appréciation, d’une part sur les conditions du départ des responsables et des personnels du régime précédent durant les opérations Amaryllis et Turquoise, d’autre part, sur les déclarations faites par l’un de ses prédécesseurs au poste de Premier Ministre du Rwanda, M. Jean Kambanda, devant le tribunal pénal international quant à ses responsabilités et à celle du précédent régime dans le génocide.

M. Faustin Twagiramungu a répondu que, pendant l’opération Amaryllis, il était caché dans les locaux de la MINUAR et qu’il ne suivait les opérations que par le bruit des avions qu’il entendait et par des conversations avec le Général Dallaire avec qui il se trouvait et qui le réconfortait ; aussi, ce n’est pas avant le mois de juillet qu’il a vraiment pu savoir comment s’était passée l’évacuation.

Il a indiqué qu’il ignorait s’il y avait eu un ordre du Quai d’Orsay ou de l’Élysée concernant le choix des personnes à évacuer, mais qu’il savait simplement que certaines personnes s’étaient réfugiées à l’ambassade de Belgique et d’autres à l’ambassade de France. Quant à savoir si l’on avait évacué des Hutus, des gens du MRND ou d’autres partis, ou encore des Tutsis, il a avoué son ignorance, ajoutant toutefois qu’il savait que l’ordre était d’évacuer les nationaux.

Il a souligné que lui-même n’était pas certain que les Américains aient évacué tous ceux qui étaient dans leur ambassade et indiqué que les Belges ne l’avaient pas fait du tout. Il a précisé qu’il ne pensait pas que les refus d’évacuation aient touché les Tutsis uniquement, puisque lorsque son épouse, l’épouse du Premier Ministre désigné, était allée frapper à la porte d’une ambassade, qui n’était pas l’ambassade de France, avec ses enfants le 8 avril, à vingt-deux heures, on lui avait dit qu’on ne pouvait pas l’assister, alors qu’il y avait d’autres personnes à l’intérieur. Lui-même, après qu’une ambassade lui eut répondu au téléphone qu’elle ne pouvait pas l’assister, avait été évacué par la MINUAR, grâce à l’intervention d’un ambassadeur occidental.

Il a précisé que, pendant cette opération, la préoccupation des Occidentaux, qu’ils soient français, belges, américains ou autres, était l’évacuation de leurs nationaux. Par ailleurs, compte tenu du sentiment de panique des gens qui voyaient les leurs tués, surtout à partir du 7 au matin, il était devenu impossible d’évacuer de Kigali tous ceux qui voulaient l’être, sauf à mettre en oeuvre des moyens extraordinaires. Il s’est alors demandé comment on aurait pu décider du choix des personnes à évacuer.

A propos de l’accusation selon laquelle l’opération Turquoise aurait permis l’évacuation de responsables du génocide, M. Faustin Twagiramungu a souligné que, si certains cherchaient à quitter le Rwanda parce qu’ils avaient commis des crimes, d’autres fuyaient tout simplement parce qu’ils avaient peur du FPR, alors même qu’ils n’avaient pas commis de crimes. Il a affirmé qu’il ne pourrait cesser un seul instant de défendre ces derniers, qui ont été tués au Zaïre par la suite. Il s’est par ailleurs demandé par quel moyen on aurait pu arrêter aux frontières des millions de personnes et les contrôler.

S’agissant de M. Kambanda, M. Faustin Twagiramungu a jugé que le fait qu’il ait plaidé coupable était un acte de courage. Il a déclaré qu’il ne croyait pas qu’il l’ait fait par jeu politique et pour échapper à ses responsabilités. Il a considéré qu’il fallait assumer ses actes et que ce qui était à déplorer au Rwanda, c’est le manque de responsabilité. Il a rappelé à ce propos qu’après la mort du Président, les généraux n’avaient même pas osé prendre le pouvoir qu’ils avaient laissé à un colonel retraité, directeur de cabinet du Ministre de la Défense. Il a expliqué que c’est pour cela qu’aujourd’hui, ce directeur de cabinet pouvait dire qu’il n’avait pas de pouvoirs. Il a jugé qu’il était impossible d’accuser toute une population, qu’il fallait que la responsabilité soit partagée entre les personnes qui prétendaient diriger le pays pendant cette période, que si M. Kambanda avec son gouvernement éphémère acceptait d’avoir incité les gens à s’exterminer, il fallait qu’il assume cette conduite et accepte de désigner ceux qui ont collaboré avec lui.

Rappelant que 150 000 personnes étaient aujourd’hui en prison au Rwanda et estimant que les vingt-deux d’entre elles qui avaient été exécutées le 24 avril n’étaient pas des planificateurs du génocide, il a demandé que les responsables, qui ne sont pas seulement à Arusha mais qui se cachent un peu partout, reconnaissent leurs actes. Il s’est élevé avec force contre l’idée de considérer toutes les personnes qui ont participé au gouvernement du Rwanda, depuis celui dirigé M. Dismas Nsengiyaremye jusqu’à celui dirigé par Mme Agathe Uwilingiyimana, comme étant toutes impliquées dans le génocide, rappelant que certains de ces gouvernements avaient été dirigés par l’opposition et avaient néanmoins comporté des ministres du MRND.

Revenant sur l’évacuation des personnes menacées, tout en admettant qu’il était impossible aux ambassades d’évacuer les Rwandais aux dépens des nationaux, il a insisté sur le caractère très pénible des opérations elles-mêmes. Il a évoqué un souvenir personnel : dans un village, non loin de Kigali, alors que les gens criaient pour être évacués, les Occidentaux sont venus, ont cherché et ont emmené une dame belge, laissant là les Rwandais qui, quelques heures après, ont été découpés en petits morceaux ; la MINUAR a procédé de même à Kicukiro, à trois kilomètres de Kigali. Il a confié qu’il s’agissait là de moments très difficiles.

S’agissant de ses contacts avec les dirigeants français, M. Faustin Twagiramungu a exposé qu’il était en relation avec l’ambassade qui, pour autant qu’il le sache, avait rendu compte à Paris des conversations qu’il avait pu y tenir et qu’il estimait être des entretiens à caractère politique visant des objectifs pacifiques. Il a précisé qu’à Paris, il avait rencontré à certaines occasions Mme Boisvineau à la Direction des Affaires africaines du ministère des Affaires étrangères, et aussi, en pleine crise, vers le mois de juin 1993, le Ministre de la Coopération, M. Michel Roussin, ainsi que M. Bruno Delaye.

Il a indiqué qu’aucun de ses interlocuteurs ne lui avait dit que la France était prête à soutenir un régime ou des militaires exterminateurs mais qu’au contraire l’attitude était toujours la même, celle de la recherche d’une solution de compromis.

M. Bernard Cazeneuve a demandé à M. Faustin Twagiramungu de préciser les relations, officielles ou non, qu’il avait pu avoir avec des dirigeants politiques français, notamment des membres du gouvernement, s’il avait essayé de reconstruire des relations bilatérales avec la France et s’il avait eu l’occasion d’évoquer avec les responsables politiques de l’époque la politique d’aide au développement de la France en faveur du Rwanda.

Rappelant qu’il avait insisté dans son exposé sur l’absurdité de la structuration ethnique de la société rwandaise, il lui a demandé combien il y avait de ministres Hutus et Tutsis pendant la période où il avait été Premier Ministre.

Enfin, il lui a demandé à quel moment, après avril 1994, la mention de l’ethnie sur les cartes d’identité avait été supprimée.

M. Faustin Twagiramungu a répondu que, lorsqu’il était Premier Ministre, il avait fait une déclaration à New York disant que le gouvernement rwandais devait cesser ses critiques à l’égard de la France, et que cette déclaration avait été reprise par la presse.

Il a ajouté qu’il avait reçu l’ambassadeur, M. Courbin, en audience à plusieurs reprises pour insister sur la nécessité de bonnes relations entre la France et le Rwanda et qu’il lui avait même proposé que le vice-Président, " l’homme fort ", vienne à Paris. Il a précisé que le Président, M. Pasteur Bizimungu, était venu à Paris.

Il a ajouté que, curieusement, ni le Président ni le vice-Président n’élevaient d’objections aux propos qu’il tenait alors selon lesquels le Rwanda devait entretenir de bonnes relations avec la France.

Il a précisé qu’aucune autorité française n’était venue au Rwanda quand il était Premier Ministre, mais qu’il savait que, s’il avait demandé une audience à Paris, il l’aurait obtenue.

S’agissant de la composition du Gouvernement, il a précisé que ce n’était pas le nombre de ministres mais le pouvoir qui comptait. Il a ajouté que si les Hutus étaient majoritaires dans le gouvernement rwandais actuel, on pouvait se demander s’il était bien utile d’être Ministre quand on ne peut pas décider. Il a exposé que, lorsqu’il était Premier Ministre, alors qu’il avait mis un peu de retard pour signer un ordre de mission pour une dame qui, en fait, ne travaillait pas pour le Gouvernement, un officier était entré dans son bureau et l’avait menacé de lui administrer quelques coups pour cela ; il a ajouté que, lorsqu’il s’en était plaint en plus haut lieu, cela n’avait suscité que rires et plaisanteries.

S’agissant des Hutus membres du gouvernement, il a précisé qu’il les connaissait bien, que six d’entre eux avaient voulu démissionner en même temps que lui mais s’étaient, on ne sait pourquoi, ravisés à la dernière minute. Il a ajouté qu’il y avait treize ministres hutus pour douze tutsis mais qu’il préférerait que tous les ministres soient tutsis et que l’on donne à tous les Rwandais la paix, la sécurité et la citoyenneté.

A propos des cartes d’identité, il a fait remarquer que ce ne sont pas les Rwandais qui les ont voulues. Il a ajouté que, si elles avaient servi pendant la crise pour identifier des Tutsis lors de contrôles et les exécuter, des membres de sa famille n’auraient pas été tués comme Tutsis sans que leur identité ait été vérifiée, alors qu’ils ne l’étaient pas. Il a insisté sur le fait que, même si on ne pouvait pas nier qu’il y ait des Hutus et des Tutsis, cette distinction n’était certainement pas le clivage essentiel et que gouverner le Rwanda sur ces bases ne pouvait mener qu’à l’échec.

Il a enfin ajouté que la suppression, maintenant ancienne, de la mention de l’ethnie sur les cartes d’identité du Burundi n’avait pas empêché les massacres ethniques de s’y poursuivre.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr