Présidence de M. Alain TOURRET, Président

M Le Guen est introduit.

M. le président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du président, M. Le Guen prête serment.

M. Jean-Marie LE GUEN : Mes chers collègues, j’ai effectivement souhaité être entendu par votre commission parce que, pendant dix-sept ans, j’ai travaillé dans une des mutuelles gérant le régime de sécurité sociale étudiante et qu’il m’a semblé qu’à partir de là, je pouvais peut-être apporter un certain nombre de réflexions qui, j’espère, contribueront à la formation de votre propre jugement.

En outre, disons-le, puisque mon nom a été cité, ici ou là, dans des articles de presse qui me prêtent quelques déclarations, je serai également heureux de dire un certain nombre de choses devant vous sur ce sujet.

Permettez-moi de présenter d’abord en quelques mots mon action et de retracer mon curriculum vitae et, en l’occurrence, la manière dont j’ai été amené à travailler à la MNEF.

Je suis docteur en médecine, j’ai terminé mes études à la fin des années 1970 et, parallèlement, j’ai poursuivi des études d’économie de la santé jusqu’à l’obtention d’un DESS. J’ai commencé à travailler à temps partiel à la CNAM pour mettre en œuvre des éléments de politique de prévention en direction des jeunes.

Dans les années 70, j’avais occupé des responsabilités au sein du mouvement étudiant et, plus tard, en 1982, j’ai donc été engagé comme directeur médical de la MNEF.

J’y assumais des responsabilités de deux ordres : premièrement, des responsabilités opérationnelles, concernant la gestion d’un certain nombre de centres de santé, allant des dispensaires jusqu’aux centres de planning familial en passant par les bureaux d’aide psychologique universitaire - les BAPU, structures un peu particulières au milieu étudiant ; deuxièmement, des responsabilités plus fonctionnelles consistant à mettre en œuvre une réflexion et une politique en matière d’éducation pour la santé et de prévention en direction des étudiants.

Quelques années plus tard, mon activité m’a également amené à travailler avec la Fédération nationale de la mutualité française où j’étais le rapporteur du laboratoire d’innovations sociales, qui avait vocation à définir les politiques de prévention en matière de santé.

J’ai donc assumé ces responsabilités pendant les années 80 avant d’être, ainsi qu’un certain nombre d’entre vous le savent, élu député en tant que suppléant de Paul Quilès entre 1988 et 1993, ce qui m’a conduit à abandonner notamment mes responsabilités opérationnelles de gestion des centres de santé.

Après avoir été battu aux élections législatives de 1993, j’ai à nouveau exercé un certain nombre de responsabilités, qui n’étaient pas cette fois d’ordre opérationnel, mais de conseil et d’orientation sur la politique de santé en travaillant à temps partiel à la MNEF ainsi qu’au Haut conseil de santé publique dont les premiers rapports ont commencé à aborder la question de la santé des jeunes, problème qui avait été très largement occulté durant toutes les années 70 et 80.

En juin 1997, j’ai été élu député et j’ai donc abandonné mes fonctions : je suis aujourd’hui en situation de congé sans solde.

J’ai tenté de structurer mes réflexions par rapport aux événements, à partir des observations personnelles que me permettent ma connaissance du milieu et de la structure mais également à la lecture des rapports de la Cour des comptes, de l’IGAS et de l’IGF tels que je les ai découverts dans la presse et des commentaires divers qui les accompagnaient.

Ces rapports qui, a priori, me semblent justes - je crois que la description de la situation y est exacte - appellent de ma part trois observations. Ils mettent en évidence, parfois de façon insuffisante, de graves dysfonctionnements de notre système sur lesquels je dirai un mot ; ils apportent une appréciation discutable, au sens premier du terme c’est-à-dire dont on peut discuter, de faits réels ; ils négligent un certain nombre de caractéristiques qui définissent aujourd’hui la sécurité sociale et les mutuelles étudiantes.

J’aimerais donc revenir sur ces trois points mais souligner d’abord que tout cela intervient dans une profonde mutation du milieu étudiant puisque globalement, à la fin des années 70, le nombre des étudiants a triplé pour passer de 700 000 à un peu plus de 2 millions en 1995. Cette multiplication par deux, dans les années 80, puis par trois au cours de la décennie suivante, se traduit par un bouleversement qualitatif et quantitatif du milieu étudiant qui est tout à fait considérable.

D’ailleurs, si l’on regarde l’histoire du mouvement étudiant et de la mutualité étudiante, il est aisé de s’apercevoir qu’elle est assez liée aux différentes évolutions démographiques et sociologiques - la périodicité 45-68, la périodicité 68-95 et peut-être la suivante - et qu’elle est toujours en relation avec les évolutions quantitatives et qualitatives du mouvement étudiant.

Les éléments qui sont les plus préoccupants sont de deux ordres.

Premièrement, même si nous sommes un certain nombre à avoir attiré l’attention sur ce sujet, le problème de la santé des jeunes et des étudiants reste, à mon avis, un problème relativement préoccupant et insuffisamment pris en compte par notre système, à la fois de couverture sociale et d’actions globales.

C’est d’autant plus net que l’on voit arriver à l’université des jeunes plus nombreux, issus de milieux sociaux plus défavorisés, dans des situations économiques plus précaires : il y a indiscutablement, là, un manque considérable d’actions sanitaires et sociales et de prise en compte de la protection sociale des jeunes en général, et des étudiants en particulier qui pose un certain nombre de problèmes. Il est donc permis de s’interroger sur l’adéquation exacte des moyens par rapport à l’objectif qui est celui de la santé et ce, d’autant que nous sommes en plein débat sur la CMU qui a un effet indirect mais incontestable sur les problèmes des étudiants.

Deuxième point, très préoccupant pour les mutuelles elles-mêmes, la démutualisation importante du milieu étudiant qui est mise en évidence, notamment dans le rapport de la Cour des comptes qui souligne un phénomène tendanciel lourd qui concerne les deux types de structures mutualistes existantes.

Cette démutualisation, à mon sens, est, en fait, encore beaucoup plus importante qu’elle n’apparaît dans le rapport de la Cour des comptes, dans la mesure où il ne faut pas oublier la multiplicité de systèmes de couverture très différents proposés à ceux qui sont mutualisés. A la différence des mutuelles comme les nôtres, les mutuelles étudiantes proposent, à des tarifs et des niveaux de remboursement variables, différents produits, dans une logique qui est assez proche de la logique assurancielle avec des couvertures minimales, des couvertures moyennes et des couvertures maximales.

En conséquence, quand on parle de taux de mutualisation, on fait référence à des taux de mutualisation cumulés. Or, si nous voulons avoir une approche objective de la couverture réelle des jeunes, il ne faudrait pas parler de ceux qui sont couverts au minimum avec, souvent, une assurance invalidité-accident pour l’essentiel et une couverture santé relativement faible.

Le problème de la démutualisation m’apparaît donc tout à fait important et soulève de multiples interrogations, y compris sur les ratios, la sécurité sociale...

Ces deux questions sont importantes. Elles pèsent relativement lourd sur la situation de la mutualité et de la sécurité sociale étudiantes.

Par ailleurs, je note qu’un certain nombre de remarques, contenues dans les rapports précités, sont faites dans un contexte où il me semble que l’on feint de parler de choses en oubliant la réalité, de sorte que les situations qui sont décrites, d’ailleurs d’une façon qui prête à discussion et à contestation, sont souvent traitées abstraction faite du contexte dans lequel se développent et se sont développées depuis trente ans la sécurité sociale étudiante et les mutuelles.

Il faut bien retenir que les mutuelles étudiantes ne sont pas des caisses primaires d’assurance maladie : elles ont une délégation de service public, elles gèrent la sécurité sociale, mais ce sont des structures de droit privé qui agissent dans une logique et selon des pratiques qui ne sont pas celles d’une caisse primaire d’assurance maladie.

Par conséquent, les critiques qui sont formulées et qui sont totalement compréhensibles - je pense aux interrogations sur les ratios et les remises de gestion - concernent non seulement la mutualité étudiante, mais aussi toutes les mutuelles qui gèrent les régimes de sécurité sociale et, de ce point de vue, puisqu’il n’y a pas de différences de nature à ce niveau, si l’on doit regarder ce que fait telle ou telle mutuelle étudiante, on doit le faire en se rappelant qu’il ne s’agit pas d’un organisme de sécurité sociale.

On peut trouver cela scandaleux, problématique et tout ce que l’on voudra mais il faut rapporter les choses à ce qui est comparable, notamment, par exemple, lorsque l’on parle de filiales : à ma connaissance, la mutualité française et un certain nombre de mutuelles gérant la sécurité sociale ont des filiales et il convient donc de ramener les choses à ce qui est la norme. Or, la norme, c’est la mutualité et non pas les caisses primaires.

En outre, nous sommes peut-être et vraisemblablement dans un système aberrant, mais organisé par les pouvoirs publics, de concurrence intensive.

La première forme de concurrence vient du fait que l’on a le choix - chaque année, puisque la problématique de la sécurité sociale étudiante est d’y adhérer chaque année et non pas de façon définitive - entre deux centres de sécurité sociale, conformément à une concurrence organisée par les pouvoirs publics depuis vingt-cinq ans.

Cette concurrence, au demeurant, se trouve encore accrue au niveau de la couverture complémentaire avec, d’une part les mutuelles parentales, tous les systèmes mutualistes et notamment les mutuelles de fonctionnaires qui essaient de garder le plus longtemps possible les enfants de leurs affiliés - jusqu’à vingt-six ou vingt-sept ans -d’autre part avec les organismes privés qui, de plus en plus, essaient d’être présents sur ce secteur, qui n’est pas, en soi, le plus intéressant pour des raisons économiques mais qui est, en revanche tout à fait stratégique puisqu’il scelle le premier contact d’un jeune adulte avec un système de sécurité ou de protection sociale.

Ce problème souligné par les différents rapports constitue donc, selon moi, une évidence et il est le fait d’un contexte de concurrence organisé maintenant depuis vingt-cinq ans.

Il est un autre fait essentiel : le désengagement massif de l’Etat au cours des trente dernières années. Même s’il y a eu, à tel ou tel moment, telle politique plus volontariste que telle autre, il n’en reste pas moins vrai qu’on n’est plus du tout dans une situation comparable à celle qui a prévalu à l’âge, peut-être d’ailleurs idyllique du mouvement étudiant, celui d’avant 1970. Il y avait alors - je sais qu’un certain nombre de collègues s’en souviennent - une politique sociale bien organisée, une aide directe mais également indirecte relativement bien structurée, notamment autour des CROUS qui prenaient en charge les étudiants, leur logement, leur restauration, leurs loisirs.

Des structures associatives existaient aussi à cette époque, qui étaient mises en place par les mutuelles étudiantes ou, en tout cas, par la mutualité étudiante avant 1970, c’est-à-dire par la MNEF qui, à ce moment-là gérait des logements étudiants, et qui avait lancé différentes structures dont la structure dite " uniclub " qui était un concept précurseur de l’office du tourisme et des voyages universitaires.

C’est sous la poussée démographique et du fait de l’attitude distanciée qu’adoptait la société à l’égard de ses jeunes que l’ensemble des éléments directs ou indirects de l’action sociale, depuis les années 70, a largement décru en pourcentage, en moyens, en volontarisme, en actions et, d’une façon générale en préoccupations et qu’il y a eu un désengagement massif de l’Etat.

C’est dans ce contexte qu’il convient, à mon sens, de juger, y compris pour réagir, la situation dans laquelle nous nous trouvons.

Il reste encore un paramètre qui me semble relativement ignoré et sur lequel je ne crois pas illégitime de réfléchir : le fait que la mutualité étudiante, d’une façon générale, a un autre rôle que celui de simple caisse primaire ou d’organisatrice de prévoyance complémentaire.

Indiscutablement, son rôle est plus large avec, évidemment, une dimension pédagogique d’appréhension des phénomènes de protection sociale pour les jeunes.

Je ne suis pas certain, je vous le dis franchement, que le jour où nous nous retrouverons dans une situation où la sécurité sociale étudiante sera gérée par d’autres structures que les mouvements étudiants quels qu’ils soient, les choses ne seront pas d’une autre nature à l’université, y compris au niveau des relations avec les organismes de protection sociale.

De surcroît, c’est une école d’insertion sociale, citoyenne, politique du mouvement étudiant et, historiquement, il suffit de voir les conseils d’administration de l’UNEF et de la MNEF dans les années 40-50-60-70 pour prendre conscience que, quelles que soient les sensibilités politiques, il y a eu indéniablement une école de prises de responsabilités au sein de ces structures.

Le débat qui se déroule, à l’heure actuelle, semble ignorer le fait que ces structures mutualistes étudiantes sont, depuis des années, des interlocuteurs, à mon avis, très importants pour les pouvoirs publics concernant l’ensemble des questions touchant, certes au statut de l’étudiant, mais aussi à tout ce qui se rapporte aux réformes universitaires.

De ce que j’en ai vu, je ne connais pas de gouvernement depuis vingt ans qui n’ait eu des discussions approfondies avec les responsables étudiants ou administratifs des mutuelles étudiantes lorsqu’il s’agit d’aborder une quelconque réforme de l’université. Il n’est pas besoin de vous rappeler ici le caractère extrêmement sensible, pour notre société, de la vie universitaire et de la vie étudiante : ce sont des dimensions qui existent et qu’en tant que responsable politique, j’estime important de le rappeler.

Voilà, au terme de cette présentation générale ce qui me semble être particulièrement important concernant l’objet de la commission d’enquête. J’imagine que, je n’ai pas répondu à l’ensemble de vos questions ou que je me suis exprimé de façon un peu trop elliptique et je vais donc m’efforcer de répondre à toutes vos interrogations.

M. le Président : Je vous remercie de cet exposé liminaire très complet. Je vais être amené à vous poser, bien évidemment, un certain nombre de questions sur la MNEF qui a été à l’origine de la création de cette commission et sur le régime étudiant de sécurité sociale.

En ce qui concerne la MNEF, il y a eu mise en cause, tant par les rapports qui nous ont été communiqués, que par la presse, de méthodes de gestion, de pratiques et de prises de participation, semble-t-il incontrôlées, qui ont abouti à ce que nous pourrions appeler une sorte de nébuleuse opaque de la MNEF.

Quel est votre sentiment et quel a été, au moment où vous étiez directeur médical de la MNEF, votre appréhension de ces problèmes ?

M. Jean-Marie LE GUEN : Premièrement, je n’ai, quant à moi, exercé aucune responsabilité de gestion dans l’un des domaines que vous évoquez, les seules responsabilités de gestion qui m’incombaient dans les années 80 concernaient les dispensaires ; par la suite je n’ai plus eu que des activités de nature fonctionnelle, de conseil, que j’ai exercées à temps partiel.

Deuxièmement, concernant la filialisation, je crois qu’il convient de distinguer parmi les filiales, d’une part celles dont la création résulte apparemment de critères de gestion et, n’ayant personnellement pas eu à en juger ou à en débattre, je ne porterai aucune appréciation sur le sujet estimant d’ailleurs que je n’ai pas les éléments pour le faire, d’autre part celles dont la création relève de la stratégie de développement de la MNEF qui, à ma connaissance, fut aussi menée par l’ensemble des mutuelles étudiantes comme d’ailleurs par un certain nombre de mutuelles autres qu’étudiantes qui sont intervenues d’une façon ou d’une autre pour élargir la gamme des services rendus aux étudiants.

Cette politique résulte des points que j’ai évoqués, c’est-à-dire à la fois de la concurrence exacerbée et le désengagement de l’Etat.

A ma connaissance, un bon nombre de ces activités ont été poursuivies ouvertement, et je ne parle pas du contenu et des éléments de gestion à l’intérieur de ces structures qui prêtent sans doute et même sûrement à discussion, mais des orientations stratégiques.

Lorsque la MNEF s’occupe du logement étudiant, lorsqu’elle s’intéresse à la vie sur les campus, aux différentes installations en milieu étudiant ou à ce qu’on a appelé la Carte Jeunes, elle le fait au vu, au su, et parfois à la demande, des différents pouvoirs publics !

Par conséquent, on a assisté à la mise en œuvre d’un certain nombre d’actions économiques qui ont été engagées pour répondre à des besoins qui n’étaient pas assumés par l’Etat et dont les uns et les autres pensaient, notamment les pouvoirs publics et les responsables des mutuelles étudiantes, qu’ils ne devaient pas relever de la seule logique du marché mais faire l’objet d’une intervention mixte. Cela été le cas en matière de logement, d’aménagement de campus ou pour la Carte Jeunes. Autant de questions pour lesquelles, l’Etat n’intervenant pas, des structures dites " d’économie sociale " ou contrôlées par l’économie sociale ont vu le jour dans un cadre qui, à ma connaissance - mais ce point donne aussi matière à examen de votre part - était parfaitement légal.

Ceux d’entre nous qui ont eu à connaître du discours sur l’économie sociale, qui s’est développé pendant toutes les années 80, avec la création de cadres légaux et des unions d’économie sociale, savent que ces dispositifs ont été mis en œuvre, à tort ou à raison, c’est une autre question, pour favoriser les capacités d’intervention des structures d’économie sociale dans l’économie marchande.

Donc, face à l’explosion du nombre des étudiants, il fallait conduire une politique du logement étudiant et je constate que cette dernière lorsqu’elle n’est pas quelque peu organisée - et selon moi, peu et insuffisamment - par les structures étudiantes, l’est totalement par l’Etat qui se prononce en faveur du marché.

Vous êtes pour la plupart des élus de zones comprenant de grandes ou de petites universités et vous avez tous vu apparaître dans les programmes de promotion immobilière et fleurir dans les journaux les annonces de ces fameuses structures de logements étudiants, le tout solvabilisé par des mécanismes de défiscalisation et sur la base de l’ALS - problème majeur qu’heureusement vous n’avez pas à traiter - du type loi Méhaignerie ou autre... On a ainsi une intervention directe du privé, souvent avec des moyens publics, que ce soit par l’ALS ou la défiscalisation des différentes politiques immobilières mises en place.

Etait-ce utile ? Etait-ce légitime ou pas ? Cela mérite débat ! Je pense qu’il y a eu, sans doute exacerbé par la concurrence, un alignement général ou trop général sur une logique d’économie de marché. Je comprends que cela puisse choquer, à la fois parce que cela concerne les étudiants et parce que cette politique a été le fait de filiales, structures de nature différente qui mettent en relief, surtout si l’on assimile une mutuelle étudiante à une caisse primaire d’assurance maladie et à un organisme de sécurité sociale pure, une dérive tout à fait importante. Mais, encore une fois, il faut rapporter cette situation au contexte juridique, politique, financier et de concurrence dans laquelle elle s’est produite.

M. le Président : J’aurai une question complémentaire : la situation financière de la MNEF, aurait été, selon la Cour des comptes, très préoccupante jusqu’à 1996. Etiez-vous au courant de ces difficultés et en parlait-on au conseil d’administration ?

M. Jean-Marie LE GUEN : Personnellement, je n’assistais pas au conseil d’administration ! Je rappellerai, en simplifiant, que la MNEF, l’UNEF et le mouvement étudiant ont vécu en symbiose totale, de 1945 à 1968, y compris - je le dis pour ceux d’entre vous qui connaissent l’histoire du mouvement étudiant - avec les événements qui se sont déroulés entre 1958 et 1968 à l’intérieur de l’UNEF et qui correspondaient à une évolution. Notre collègue Péricard connaissait à fond le sujet mais il y avait de nombreuses personnes, dont je ne citerai pas les noms ici, qui étaient membres du conseil d’administration et qui ont aussi bien suivi cette histoire du côté de la MNEF et de l’UNEF...

A la fin des années 60, le mouvement étudiant évoluant vers la " groupuscularisation ", la radicalisation, le cadre syndical explosant, la MNEF s’est trouvée elle-même totalement emportée par cette dérive groupusculaire, minoritaire. Elle a assez rapidement creusé un déficit de gestion qui, pour l’époque et compte tenu de la structure, était relativement important.

Que s’est-il passé ? Pour des raisons à la fois politiques - je ne porte pas de jugement - et de gestion, les pouvoirs publics ont créé une mutualité concurrente pensant ainsi contraindre la MNEF au redressement et, d’un certain point de vue, à une normalisation de la situation.

C’est effectivement ce qui s’est produit à ceci près que cela a mis quinze ans ou vingt ans pour se faire. J’ai connu la MNEF, en tant que responsable, puisque j’en étais vice-président sanitaire et social, dans les années 78-79, à une période où, chaque année, au mois de juillet, il n’y avait plus un sou en caisse au point qu’il fallait discuter avec le président de la CNAM, le Secrétaire d’Etat chargé des problèmes de sécurité sociale, éventuellement le Ministre de l’Education nationale pour qu’un chèque arrive et permette de payer les salaires des trois mois suivants.

Tout cela a fait que la MNEF a accumulé, durant les années 70 jusqu’au milieu des années 80 un passif, qui, à ma connaissance, n’a effectivement été résorbé que beaucoup plus tard !

Quand j’étais responsable des centres de santé de la MNEF, il y avait, tous les trois ans environ, des contrôles de l’IGAS qui nous expliquaient qu’il fallait absolument fermer les centres de santé qui étaient déficitaires. Je veux dire par là que l’action de l’Etat, directe ou indirecte, consistait à pousser la MNEF à procéder à une normalisation, à faire en sorte que sa gestion soit plus rigoureuse et l’essentiel de ma fonction, à l’époque, consistait à éviter de fermer l’ensemble des centres de santé de la MNEF en essayant parfois d’améliorer leur gestion, mais aussi en tenant un discours politique, pour m’opposer aux fermetures. Le déficit était alors de 3 ou 4 millions de francs qui portaient sur les œuvres sociales, problème d’ailleurs que nous allons retrouver dans toutes les structures mutualistes.

Par conséquent, la MNEF a vécu avec un passif social, parce qu’il y avait une convention collective assez laxiste et parce que l’absence totale de gestion dans les années 70, qui est indéniable, avait creusé un trou relativement important dans la gestion du système. Elle l’a traîné pendant assez longtemps avec des pouvoirs publics qui recommandaient aux mutuelles de se normaliser, de remettre en cause un certain nombre d’acquis et de se montrer efficaces en prouvant qu’elles détenaient une part de marché.

Personnellement, j’ai vécu une époque qui a été extrêmement douloureuse quand, ainsi que je vous le disais, au début des années 80, on a fait sauter l’idée de la cotisation complémentaire unique ce qui a eu des effets dévastateurs.

Auparavant, il existait une sécurité sociale, puis une cotisation complémentaire unique. La concurrence a amené d’autres mutuelles à proposer une cotisation supérieure et une cotisation inférieure, moyennant quoi la donne s’est trouvée totalement bouleversée, les étudiants n’ayant pas une grande expérience et n’appréciant pas leurs besoins de santé. Les jeunes de vingt ans se répartissent en deux catégories : ceux qui ne sont jamais malades et qui, s’ils n’ont pas d’argent, vont faire tout de suite l’économie sur le poste de protection sociale, et ceux qui sont malades, en général atteints d’affections chroniques, et qui, effectivement, vont en toute connaissance de cause " acheter " de la protection sociale.

A partir de là, dès que la concurrence s’exerce, surtout sur la base de plusieurs niveaux de cotisation, l’équilibre du système se dégrade, les étudiants gros consommateurs de soins vont être les seuls à acheter de la cotisation sociale, ceux qui sont pauvres mais qui s’estiment non-malades ne vont pas en acheter, ce qui va venir alourdir le prix de la prévoyance complémentaire pour aboutir notamment, par un phénomène de cercle vicieux, à la démutualisation à laquelle je faisais allusion antérieurement.

Pour ce qui me concerne, j’ai donc connu cette rupture causée par l’abandon de la cotisation unique et la MNEF s’est alignée en proposant des cotisations multiples ce qui a constitué indiscutablement, une remise en cause du système car s’il n’y a plus la péréquation entre le plus malade et le moins malade, entre le plus riche et le moins riche, c’est toute la philosophie du système qui disparaît.

Pour autant, c’était cette logique inéluctable qui prévalait. Fallait-il accepter de la suivre ou non ? Quelle était la solution ?

A propos de la santé des étudiants, je voudrais insister sur un point qui est très important, voire, à mon avis, scandaleux : la consultation de neuropsychiatrie. Parmi les soins, il y a les petits soins, le dentaire, l’orthoptie, etc. - on connaît le problème puisqu’il renvoie au même débat que la CMU - et des soins extrêmement lourds et douloureux qui relèvent de la neuropsychiatrie.

La consultation psychiatrique est très chère. Elle n’est pas remboursée dans de nombreux cas et vous imaginez combien pouvait peser, sur une cotisation mutualiste dont j’ignore le montant actuel mais qui, à l’époque, était de l’ordre de 1 000 F ou 1 500 F, le remboursement de 100 F par semaine d’une telle consultation...

Toutes les mutuelles - je ne sais pas qui a commencé et peu importe - ont fini par ne plus rembourser ces soins et se sont tournées vers l’Etat et la sécurité sociale pour leur demander de les prendre en charge : la demande est restée lettre morte et aujourd’hui, la consultation psychiatrique n’est pas prise en charge ! Il y a bien les structures BAPU dont je parlais tout à l’heure mais elles représentent une goutte d’eau dans la mer par rapport aux demandes de santé mentale en milieu étudiant.

C’est là un point qui vous montre que nous sommes rentrés dans un système qui est, à mon sens, critiquable, mais qui était inévitable même s’il vraisemblable que, moralement et politiquement, les responsables étudiants n’auraient pas dû l’accepter.

M. le Président : A propos de cette consultation neuropsychiatrique, beaucoup d’intervenants ont souligné l’augmentation du stress des étudiants, de la peur de l’avenir et des difficultés qui s’illustrent dans le cadre d’une éventuelle prise en charge psychiatrique.

Durant la période où vous avez été directeur médical, avez-vous senti cette montée en puissance de l’angoisse étudiante ?

M. Jean-Marie LE GUEN : Absolument et parallèlement à cette montée en puissance, on notait un désintérêt massif de tous les pouvoirs publics pour les problèmes de santé des jeunes et notamment des étudiants qui étaient regardés comme étant des privilégiés.

On voyait encore les étudiants des années 70 et 80 comme ils étaient dans les années 60 alors qu’en réalité, il y avait précarisation, massification et qu’effectivement le chômage des jeunes, l’angoisse de l’hypercompétition universitaire notamment, engendrait le stress. En outre, on assistait à une évolution dans l’analyse des causes de morbidité : on sait maintenant que les facteurs comportementaux figurent parmi les causes majeures d’aggravation de la santé, mais on reste incapable de les traiter même si on distribue quelques brochures et si on organise des opérations telles que les Messagers de la santé. Sans même parler de la toxicomanie dans sa partie la plus médiatique, il faudrait aussi mentionner, par ailleurs, tous les autres problèmes liés à la consommation pharmaceutique, au sommeil, à l’hygiène, à la nutrition, aux excitants, au tabac, etc.

Tous ces comportements sont largement aggravés et massifiés chez les jeunes mais il a fallu le premier rapport du Haut conseil de santé publique pour que l’on commence à dire que la santé des jeunes était une des priorités de santé publique.

Ce premier travail scientifique réalisé par des experts est sorti en 1994, et il ne s’agissait que du niveau théorique du rapport, c’est-à-dire de la prise de conscience intellectuelle. Dans la réalité des politiques de santé et, a fortiori, dans celle des politiques de protection sociale, ces données ne sont absolument pas prises en compte : vous connaissez, comme moi, la faiblesse de l’intervention sanitaire sur l’ensemble des campus, que ce soit celle de la médecine préventive universitaire ou des autres structures... C’est une préoccupation qui a été insuffisamment prise en charge par l’ensemble des mutuelles étudiantes - c’est la vérité - mais dans un contexte où, il faut bien le dire, elle n’intéressait pas grand monde !

M. Bruno BOURG-BROC : Mes questions seront très brèves pour permettre à M. Le Guen de prendre son temps pour répondre.

C’est parce qu’ils étaient inquiets de ce qui s’était passé ou de ce qui se passe à la MNEF que plusieurs de nos collègues ont demandé la création d’une commission d’enquête et que la majorité de l’Assemblée a souhaité élargir le débat à l’ensemble du système de sécurité sociale étudiante. C’est à ce niveau-là que vous venez de placer le débat et, à cet égard, votre conception était intéressante mais je voudrais la compléter par quatre questions.

Pensez-vous que le système de remises de gestion qui existait était un système équitable avant 1992, voire après ?

Dans votre exposé, vous avez tenu des propos très durs sur la concurrence : y voyez-vous des aspects positifs ? Peut-elle présenter un intérêt et dans quelles limites ?

On vous a prêté, à propos de la MNEF, l’expression " pouponnière du parti socialiste " : pourriez-vous nous fournir des explications sur ce que vous avez voulu dire par là ?

Enfin, quels sont ou quels étaient, à votre connaissance, les rapports entre la MNEF et Taiwan ?

M. Jean-Marie LE GUEN : Quand vous parlez d’un système de gestion équitable, vous faites allusion à la sécurité sociale étudiante par rapport à la CNAM ou entre les structures de sécurité sociale étudiante ?

M. Bruno BOURG-BROC : Les deux, si vous le voulez bien !

M. Jean-Marie LE GUEN : Je crois que le système est relativement pervers puisqu’on dit " voilà, vous avez tant d’argent pour gérer en fonction du nombre d’affiliés ". Dans la mesure où vous renouvelez chaque année votre nombre d’affiliés, si cela ne pousse pas à l’intensification de la communication, je ne sais plus de quoi on parle...

Maintenant existe-t-il une autre formule ? Je l’ignore ! Il y a toujours eu, entre les mutuelles, des débats sur ce sujet dont je ne suis pas spécialiste. Il est clair qu’à un moment donné, certains se sentaient particulièrement défavorisés, à un autre moment d’autres mais globalement, à vue de nez, j’aurais tendance à dire, que cela s’est fait raisonnablement, il y a peut-être eu des négociateurs plus habiles que d’autres mais cela fait partie du jeu. Honnêtement, je ne me sens pas capable de juger.

Vous semblez trouver par votre question sur la concurrence une contradiction dans mon discours. Je crois que l’existence de la concurrence est légitime au plan du pluralisme. Je considère que le milieu étudiant ayant, de temps en temps, peut-être tendance à être légèrement - quelle que soit la minorité agissante - dominateur et peu partageux au plan idéologique, il est assez légitime que les pouvoirs publics organisent le pluralisme.

En même temps, cette concurrence, telle qu’elle se présente aujourd’hui, est un peu folle et on ne peut pas ne pas être d’accord avec la Cour des comptes quand elle s’étonne que l’on paye 100 F d’un côté, 100 F de l’autre pour que chacun dépense des trésors d’imagination en termes de commercialisation d’un produit qui est un produit public et unique. Il est vrai que c’est un peu aberrant : il faut tout de même le reconnaître !

J’ai bien précisé que je trouvais que les rapports de l’IGAS et de la Cour des comptes oubliaient le rôle joué, dans leur diversité et dans leur pluralisme, par les différentes mutuelles, s’agissant de l’apprentissage de la vie de citoyen et de la connaissance du système de sécurité sociale.

Je n’ai donc pas de réponse technique à vous fournir mais je pense qu’il faut organiser le pluralisme, l’encadrer pour faire accepter la concurrence comme cela s’est fait jusqu’à présent, le pluralisme étant considéré comme un moindre mal...

Je pense avoir ainsi répondu à vos deux premières questions.

Je suis heureux que vous m’ayez interrogé sur " la pouponnière "...

M. Bruno BOURG-BROC : C’est bien pourquoi je l’ai fait !

M. Jean-Marie LE GUEN : ... parce que j’ai la faiblesse de penser que mon expérience peut servir à d’autres.

Je tiens à dire très solennellement ici, comme je l’ai dit à beaucoup d’entre vous que, non seulement je n’ai évidemment jamais donné d’interview, ni tenu les propos qui ont été rapportés, mais que j’ai même dit le contraire !

Nous, responsables politiques, - j’ai la faiblesse de penser que je ne suis pas le seul à pouvoir me retrouver dans ce genre de situation - sommes parfois confrontés à une catégorie de journalistes qui n’ont plus aucun scrupule, ni même la moindre conscience de ce qu’ils font et de ce qu’ils ne font pas.

Lorsque j’ai eu ce journaliste au téléphone, il était hors de question que je lui accorde une interview. Vous me répondrez que j’ai pu parler " off ". Cela peut arriver et j’aurais pu le faire, quitte à le regretter par la suite, mais cela n’a pas été le cas !

Il m’a interrogé en ces termes : " La MNEF, c’est en quelque sorte la pouponnière du parti socialiste ? " - ce n’est d’ailleurs pas un mot que j’aurais employé - et je lui ai alors répondu : " vous pouvez le dire pour moi... " puisque j’ai été salarié de la MNEF relativement jeune avant d’être député en 1988, et qu’ayant ensuite été battu j’y suis retourné, mais si j’avais été aux PTT ou à EDF c’eût été exactement la même chose et j’ai poursuivi : " ...mais vous ne pouvez pas le dire pour le parti socialiste, car ce n’est pas la réalité ".

Or, le lendemain, on pouvait lire strictement l’inverse dans l’édition du Parisien qui, au passage, était sortie un samedi matin. J’appelle la rédaction - si je vous raconte le détail de l’affaire c’est que je l’ai vécue extraordinairement mal car c’est une sorte de violence qui s’exerce sur vos propos - où je ne trouve personne puisque les bureaux sont fermés le samedi. De son côté, Le Monde avait bouclé son édition à dix heures trente, sans me joindre mais en reprenant mes propos en dernière page, Le Parisien étant sorti à neuf heures, de même que France-info qui les diffusait en boucle...

J’appelle l’AFP à midi pour rédiger un communiqué de démenti mais on me répond que l’agence ne peut pas démentir des propos qu’elle n’a pas, elle-même, rapportés. Mon communiqué est passé à seize heures.

Le dimanche, j’ai joint directement un responsable de la rédaction du Parisien à qui j’ai fait valoir que son journal m’avait mis dans une situation effroyable et à qui je dis : " Je ne souhaite pas aller plus loin dans la polémique qui oppose la politique à la presse, je vous demande simplement de bien vouloir dire, premièrement, que je n’ai pas donné d’interview, deuxièmement que je démens certains points ", ce qui laissait une porte ouverte. On me fait savoir que le correctif serait apporté et, de bonne foi, je ne m’inquiète pas alors des modalités exactes du droit de réponse.

Le lendemain, lundi, un article sort où l’on peut lire : " Le Guen n’assume pas... " Voilà quel a été mon droit de réponse ! Qu’est-ce que vous voulez que je fasse ?

A partir de là, la polémique politique était légitime. Simplement si vous voulez bien noter que je démens formellement devant votre commission les propos que l’on m’a prêtés, j’en serai heureux.

Sur Taiwan, je dirai que me suis intéressé aux problèmes des relations avec ce pays, dans les années 88-89. Je suis député d’une circonscription où vit une communauté chinoise très importante - mais ne croyez pas que Taiwan ait une influence considérable dans la communauté chinoise française - et il se trouve que je m’y suis intéressé et que j’ai été sensible à sa situation.

Nous étions et nous restons dans un contexte délicat quant à nos relations diplomatiques entre Paris, Pékin et Taiwan. Sans rentrer dans le détail, puisque ce n’est pas l’objet direct de la commission d’enquête, je dirai simplement qu’avec un certain nombre d’amis, de sensibilités tout à fait différentes, nous pensions qu’il était utile de revigorer les liens avec ce pays qui évolue vers une démocratie - je crois qu’un certain nombre d’entre vous savent ce qui s’y passe - et qui, à mon avis, présente des caractéristiques politiques et économiques utiles et intéressantes.

A ce moment-là, on nous a demandé de mettre en œuvre une association d’amitié France-Taiwan pour tenter de stimuler un peu les relations, notamment culturelles, et il s’est trouvé que, pour établir les statuts et avoir un lieu administratif, il a été décidé - je n’ai pas eu le temps de m’en occuper - de retenir un local de la MNEF puisque c’était un de ses membres qui s’était chargé d’établir le statut - plus exactement, je lui avais demandé d’étudier la chose - mais nous étions des personnalités très diverses puisqu’à l’époque, il y avait MM. Pierre Bergé, François Missoffe, Jacques Cresson, à nous intéresser à ce sujet

Le seul rattachement de la MNEF à cette association a donc été une domiciliation administrative qui n’a jamais correspondu à rien d’autre, avec l’idée - je crois que M. Bourg-Broc mesure tout l’intérêt que cela pourrait présenter - de développer aussi des échanges culturels et scientifiques. L’aspect universitaire était donc une dimension potentiellement intéressante.

M. le Rapporteur : Dans le rapport de la Cour des comptes, il est fait état d’un certain nombre de cumuls de fonctions et de rémunérations d’administrateurs de la mutuelle. Il est également fait état de particularités du contrat de travail de l’ancien directeur général, de frais de déplacement et de subventions à diverses associations ainsi que d’un mauvais fonctionnement de la mise en concurrence de certains fournisseurs, puisqu’il y avait filialisation et que cela a coûté, semble-t-il, plus cher à la mutuelle d’en passer par là que par une concurrence réelle : j’aimerais recueillir votre sentiment sur ces différents points et connaître ce que vous en saviez.

M. Jean-Marie LE GUEN : Pour un temps partiel, un travail à deux tiers de temps, ma rémunération, après douze ans de présence salariale dans l’entreprise, s’élevait 18 000 F nets par mois et je ne cumulais pas d’autres salaires dans cette structure.

Je ne connaissais pas et je ne connais d’ailleurs toujours pas, hormis ce que je peux en lire dans les journaux, les salaires des autres responsables, ni le train de vie qui était le leur.

Par conséquent, rapportant les choses à moi-même, étant donné mon salaire qui n’était pas exagéré pour mon niveau de qualification de deux choses l’une : soit j’étais au courant et j’étais un très mauvais négociateur sur mes propres indemnités, soit, compte tenu d’une telle différence, je n’étais vraisemblablement pas au courant et effectivement je ne l’étais pas - comme je ne le suis pas aujourd’hui. Je ne connais pas exactement les éléments qui sont reprochés. Le rapport que j’ai pu voir, essentiellement à travers la presse, était celui qui portait sur le régime étudiant de sécurité sociale.

Pour le reste, je crois quand même - mais vous me direz que c’est le lot commun - qu’il faut étudier les faits d’assez près parce que je vois bien, dans la presse par exemple, que certaines choses sont avancées qui sont notoirement fausses ou qui résultent d’amalgames tout à fait exagérés.

Pour ce qui est des rémunérations, je peux vous parler de la mienne, mais pour les autres, je n’avais, ni à en décider, ni à en connaître...

M. André ANGOT : Dans votre propos liminaire, vous avez souligné l’importance des mutuelles qui impliquent les étudiants dans la gestion de leur santé et de leurs problèmes sociaux. Or, nous avons reçu la présidente de l’UNEF qui a reconnu et déploré que, dans les années 90-95, la représentation étudiante au conseil d’administration n’avait plus aucune prise sur les décisions et la gestion de la MNEF, qui vivait pratiquement en circuit fermé autour de son directeur général.

M. Jean-Marie LE GUEN : Je n’étais pas au conseil d’administration. Je crois néanmoins savoir que, dans l’histoire politique de la MNEF, l’UNEF-SE n’a effectivement pas toujours été très intégrée.

M. le Président : C’est ce que nous avons cru comprendre hier...

M. Jean-Marie LE GUEN : De son propre point de vue, elle ne peut pas avoir tort. Maintenant est-ce qu’elle représente elle-même l’ensemble de l’UNEF ou l’ensemble du milieu étudiant ? L’affirmer me paraît encore exagéré...

Ce qui est très important pour l’avenir c’est la réunification des deux UNEF qui est en train de s’annoncer : c’est un événement et une étape importante, en tout cas pour la gauche du mouvement étudiant.

Je crois quand même qu’il y a peu de structures mutualistes, quoi qu’on en dise ou qu’on en pense, qui aient été aussi proches des préoccupations, je ne dirai pas de l’ensemble des étudiants, mais d’une bonne partie des étudiants. En tout cas, il y a eu moins de distance entre la MNEF et une grande partie des représentants politiques et syndicaux du milieu étudiant qu’entre telle ou telle autre mutuelle de fonctionnaires avec ses propres organisations syndicales !

A la limite, si j’ai bien compris d’ailleurs, l’un des problèmes reprochés à la MNEF est d’avoir eu des liens peut-être un peu trop proches avec certains syndicats étudiants. Bref, autant je nie pour ce que j’en ai eu à connaître l’existence de liens réels entre la MNEF et le parti socialiste, autant je reconnais la réalité de ceux qui unissent la MNEF et la gauche étudiante : cela est tout à fait clair ! C’est notoire et c’est même institutionellement organisé - nous en avons parlé tout à l’heure avec M. Bourg-Broc - à partir du moment où l’on met des mutuelles concurrentes sur une orbite qui est plutôt d’une certaine sensibilité politique. Je pense que c’est à la fois peu souhaitable mais difficilement évitable, sans poser à nouveau le problème du pluralisme.

Il faut savoir que, dans le milieu étudiant, la tendance spontanée au pluralisme n’est pas si évidente que cela, du moins à travers l’expérience que j’en ai.

M. le Rapporteur : Après votre exposé liminaire et les différentes questions de mes collègues, j’aimerais avoir votre sentiment sur ce qui, selon vous, pourrait constituer les réformes indispensables à réaliser dans le fonctionnement de la mutualité en général et de la mutualité étudiante en particulier, et qui porteraient sur un éventuel recentrage des activités autour de l’esprit qui a présidé à l’élaboration du texte sur la mutualité, car les termes qui datent de 1948 n’ont plus tout à fait la même signification aujourd’hui.

M. Jean-Marie LE GUEN : Je pense qu’il y a une interrogation à avoir sur le niveau de couverture sociale et sur l’action sanitaire et sociale.

Comme j’ai essayé de le démontrer dans mon propos liminaire, la logique doit aller vers une prise en charge beaucoup plus forte, par la collectivité nationale, des besoins de santé des étudiants ce qui ne signifie pas, pour être clair, qu’il faille complètement supprimer la part complémentaire. Je suis également défavorable à la suppression d’une certaine forme de gestion par les étudiants du régime de sécurité sociale étudiante. En revanche, il faut peut-être envisager un niveau de couverture plus important et très certainement la création d’un fonds d’action sanitaire et sociale qui, je vous le signale, n’existe pas alors que les caisses primaires et la caisse nationale en ont un.

Il y a là matière à réflexion et j’estime qu’on ne peut pas laisser, aujourd’hui, à la part complémentaire la satisfaction des besoins de santé quand on sait que plus on est jeune, plus il faut se soigner de façon préventive, quand on sait que les soins dentaires et autres doivent être effectués durant la jeunesse, qu’ils doivent donc être couverts ; or, c’est le contraire qui se passe aujourd’hui, surtout si on est pauvre.

Il y a, selon moi, s’agissant du niveau de couverture, d’une part, et des actions sanitaires et sociales, d’autre part, une réforme d’ampleur à mettre en œuvre, ce qui présuppose que des normes soient adoptées et que la chaîne des procédures d’affiliation qui est infernale et coûteuse - mais je ne veux pas rentrer dans les détails, d’autant que je ne suis pas spécialiste en la matière - soit repensée par rapport à l’affiliation et à l’information des étudiants.

Enfin, je pense qu’il faut sans doute mettre sur pied une intervention plus directe de l’Etat et ou de la Caisse nationale au sein des conseils d’administration.

On peut imaginer des structures de ce type mais je reste pour le maintien de la gestion par les étudiants d’un régime étudiant, même s’il n’est pas totalement aligné sur celui des salariés.

Ces éléments doivent, à mon avis, être pris en compte mais jusqu’à plus amples informations, je dirai qu’il y a peu de structures qui aient été aussi contrôlées que les régimes étudiants de sécurité sociale : si vous considérez l’ensemble des rapports de l’IGAS ou les déclarations annuelles, vous verrez que tout cela est quand même invraisemblable et je ne parle pas ici des éléments qui donnent lieu à enquête de la justice - qu’elle fasse son travail - mais du système général sur lequel, excusez-moi de le dire, mais ce sera peut-être ma conclusion, on découvre quoi ?

On découvre des faits qui étaient notoirement connus alors que, tout à coup, on vient expliquer, campagne de presse à l’appui, contexte politique à l’appui, que tout cela est extraordinairement bizarre et qu’il y a des dérives. Il peut y avoir des dérives, je ne le nie pas mais on en trouvera aussi ailleurs et pas seulement dans le régime étudiant de sécurité sociale ! Pour le reste, les faits sont notoirement connus et contrôlés par les structures.

Je suis plutôt favorable à ce que l’Etat soit présent au conseil d’administration ou à la Caisse nationale mais est-ce, en soi, une garantie ? C’est une autre question ! L’Etat est-il d’ailleurs tellement capable de bien gérer ses propres affaires ?

M. le Président : Nous terminerons sur cette réflexion, Monsieur le député, qui conduira peut-être à la constitution d’une commission beaucoup plus vaste que celle-ci...


Source : Assemblée nationale (France) : http://www.assemblee-nationale.fr