Présidence de M. Alain TOURRET, Président

M. Warsmann est introduit.

M. le président lui rappelle que les dispositions relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du président, M. Warsmann prête serment.

M. Jean-Luc WARSMANN : Vous avez souhaité que je vienne devant la commission au titre des fonctions de directeur de la MGEL que j’ai exercées jusqu’en mars 1996, mais tout d’abord, quelques mots pour présenter la MGEL. Lorsque la loi sur la sécurité sociale étudiante a été votée en 1948, deux mutuelles ont été créées en France, la MNEF et la mutuelle générale des étudiants de Lorraine (MGEL). En dépit de quelques velléités d’organisation régionale, le paysage a été pendant quelques décennies celui d’un monopole de la MNEF partout en France, sauf en Lorraine, à Nancy, où la MGEL était la seule mutuelle, jouant à la fois le rôle de section de sécurité sociale et de mutuelle complémentaire.

Les années 70 ont vu la situation évoluer avec la création de huit mutuelles étudiantes régionales, qui ont été agréées chacune dans sa région. La mutuelle générale des étudiants de Lorraine, pour sa part, est devenue la mutuelle générale des étudiants de l’Est et s’est étendue sur les régions Alsace Lorraine et Champagne-Ardenne. Aujourd’hui, chaque étudiant, lorsqu’il s’inscrit, peut choisir entre la MNEF ou une mutuelle régionale.

J’interviendrai sur deux thèmes, celui de la diversité des services qui peuvent être offerts par les mutuelles étudiantes aux étudiants et celui du niveau des remises de gestion.

Le problème de la diversité des services est un sujet important. Il est d’ailleurs l’une des clés d’explication du succès de la MGEL, qui est la mutuelle régionale la plus implantée de France, puisque sept à huit étudiants sur dix y sont affiliés dans sa zone. Comment une mutuelle complémentaire, qui a un rôle de sécurité sociale et de mutuelle, peut-elle être amenée à mettre en place des services qui ne relèvent pas strictement du secteur de l’assurance maladie ?

Je vous citerai deux ou trois exemples que j’ai pu connaître dans les fonctions que j’ai occupées.

Le premier est celui du logement. En début d’année universitaire, il existe une forte demande étudiante. Un organisme public, le CROUS, qui gère les résidences universitaires, est chargé d’y répondre. Dans les années 80, années pendant lesquelles le nombre d’étudiants augmentait, il existait une forte tension sur ce marché du logement étudiant. Nous avons alors vu se développer ce que l’on appelle les boîtes à fichiers. Je ne veux jeter l’opprobre sur aucun métier mais, dans cette profession, vous avez des personnes qui profitent de la détresse de l’étudiant pour lui faire payer une cotisation de 300, 400 ou 500 francs qui lui donne accès à un fichier de logements. Lorsqu’on n’a pas beaucoup de principes et de déontologie, ce fichier provient des journaux de petites annonces.

Je me souviens très bien de la fureur des administrateurs de ma mutuelle, face à ce phénomène que l’on croyait exclusivement parisien. La motivation de la mutuelle a été de contrer le développement de ce type de services en proposant elle-même gratuitement un fichier de logements disponibles à la location à tous les étudiants de la mutuelle. Pour répondre à ce besoin et empêcher qu’il soit exploité de manière commerciale, l’idée initiale avait donc été de dire qu’il fallait occuper le terrain et rendre service.

Puis, en ces années de très forte croissance du monde étudiant, le besoin de résidences étudiantes et de construction de résidences étudiantes est apparu de façon criante. Mais il ne s’agissait pas de construire n’importe quoi, il fallait respecter un bon rapport qualité-prix. La MGEL a été contactée par des sociétés HLM pour assurer la gestion de résidences étudiantes. Les HLM avaient avec la mutuelle un interlocuteur unique auquel elle pouvait louer l’ensemble de la résidence sans avoir à connaître les problèmes d’impayés ou de remplissage, que la mutuelle assumerait. La société HLM avait ainsi la certitude d’avoir un revenu mensuel garanti par la solidité de la mutuelle, celle-ci de son côté pesait de tout son poids pour essayer d’obtenir des résidences de qualité. Mais à ce stade se posait déjà un problème de compétence. Le personnel d’une mutuelle est composé essentiellement de liquidateurs, qui connaissent la législation de la sécurité sociale, sont capables de traiter les feuilles de soins mais qui ne peuvent pas véritablement conseiller les étudiants qui rencontrent des problèmes juridiques pour trouver un logement, et encore moins gérer les résidences étudiantes. Cette gestion est d’autant moins facile qu’il s’agit d’une profession réglementée. Pour gérer une résidence, il faut être agent immobilier, posséder une carte professionnelle, avoir un cadre qui soit à la tête de cela, doté de compétences professionnelles appropriées.

A partir d’une simple réaction conduisant à la mise en place de fichiers, la MGEL a été amenée à mettre en place une structure filialisée, MGEL-logement, qui a la carte d’agent immobilier et gère quelques résidences étudiantes.

Le deuxième exemple est celui de l’assurance avec le problème de l’assurance auto des étudiants qui n’est pas un bon risque. Sur dix jeunes, huit sont et seront de très bons conducteurs, que toutes les compagnies veulent avoir, et deux sont de mauvais conducteurs. Une fois que les étudiants ont été assurés pendant deux ans, les mauvais conducteurs sont, hélas, déjà repérés avec un malus, tout comme les bons conducteurs. Les assureurs se battent alors pour les avoir, mais pour essuyer les plâtres et assurer au départ tous les étudiants à des tarifs intéressants, vous ne trouverez personne. Le problème existe encore aujourd’hui avec les surprimes pour les jeunes conducteurs, il se posait de manière aiguë dans les années 80.

Le hasard a voulu que, dans les garanties de certaines mutuelles régionales, une prestation d’assistance était offerte par une société qui s’appelle France secours international, FSI, qui faisait partie d’une société anglaise, Prudential. C’est ainsi que les mutuelles régionales ont commencé à essayer de négocier auprès de compagnies des tarifs d’assurance auto intéressants. Il a été difficile de trouver une compagnie française, ce fut la Lilloise d’Assurances. Pour vous donner un ordre d’idée, le tarif proposé était de deux à trois fois inférieur au tarif moyen du marché. Une dizaine d’années après, pratiquement toutes les compagnies ont commencé à mettre en place des tarifications destinées aux jeunes et aux étudiants. L’écart qui existait au début de ces années s’est en bonne partie estompé.

Cet exemple montre que la mutuelle étudiante s’attache à résoudre un problème de ses adhérents et essaie de trouver une solution, même si cela ne va pas sans difficultés, toujours les mêmes, de compétences, mais aussi de réglementation. Vous n’avez pas le droit de faire un acte d’assurances si vous n’êtes pas un professionnel de l’assurance, un agent ou un courtier, il vous faut une carte et une compétence qu’une mutuelle n’a pas.

Dans les faits, la compagnie d’assurances avec laquelle les mutuelles avaient un accord mettait en place un téléphone avec un minitel dans les agences. La mutuelle ne faisait pas d’actes d’assurance, mais l’étudiant venait, tapait sur le minitel et souscrivait de cette façon. Cela marchait plus ou moins bien et posait des problèmes évidents de gestion. L’étudiant qui, ayant fait jouer la concurrence au moment de son inscription, s’était adressé à sa mutuelle pour souscrire, continuait de s’adresser à elle quand il avait à un accident. Celle-ci était incapable de lui répondre, ou de désigner un expert, et le renvoyait à des courtiers à Paris. Naturellement, quand vous tirez les prix, vous n’avez pas toujours un service impeccable, si bien qu’en toute objectivité, nous connaissions des problèmes de fonctionnement.

Puis se posait un autre problème, plus grave, celui de la pérennité du contrat. Je vous ai parlé d’une compagnie anglaise, avec laquelle nous avons travaillé deux ans, puis d’une autre compagnie, etc. Quand vous développez un contrat d’assurance, les assureurs vous expliquent au bout d’un an que le rapport sinistres/primes est désastreux et quand vous n’êtes pas courtier, vous ne savez que leur répondre. Vous dites aux étudiants de souscrire des contrats, mais vous n’avez aucune idée du nombre de sinistres et du prix que cela coûte.

Il y a des habitudes de professionnels dans le monde de l’assurance, comme, par exemple, celle de provisionner en cas de sinistre, cette provision ne sera remplacée par le coût réel que le jour où le dossier sera liquidé. Naturellement, lorsque vous allez négocier des tarifs l’année suivante, on vous dit que la situation est apocalyptique et qu’il faut augmenter les tarifs. Mais quand on n’a pas l’outil professionnel dans la négociation, on est bloqué.

A l’époque, l’un de mes grands combats avait porté sur un point qui va peut-être vous sembler de détail, mais qui est important pour les étudiants, l’assurance habitation sans franchise. C’est un bel exemple de quasi arnaque car, généralement, les étudiants logent dans des studios ou des F1 où le sinistre courant correspond à 1 000 F ou 2 000 F de dégâts. Si les contrats d’assurance sont proposés avec des franchises de 1 000 ou 2 000 F, cela veut dire que l’assureur ne rembourse généralement rien. Nous avons obtenu l’assurance habitation sans franchise avec remboursement dès le premier franc de dégâts.

Donc, ces problèmes de professionnalisation, de poids face aux compagnies et de compétence ont conduit en 1992 à la création d’une société de courtage d’assurance et à l’ouverture de bureaux dans les principales villes universitaires, loués par la société de courtage d’assurance et situés généralement à proximité immédiate de la mutuelle, où étaient proposés et gérés divers systèmes d’assurances.

Cette solution a permis de rapporter la valeur ajoutée qui était acquise auparavant par des courtiers extérieurs, de constituer des équipes de professionnels sachant gérer des contrats et une amélioration assez considérable de la qualité des services proposés car l’étudiant qui subissait un sinistre se rendait au bureau de sa ville et avait immédiatement le renseignement, la désignation d’expert, et très souvent le remboursement. C’était un énorme progrès par rapport à l’obligation de s’adresser à un courtier parisien.

Troisième exemple, le voyage. Chez nous, dans l’Est, la chute du mur de Berlin a entraîné un développement massif d’une nouvelle forme de voyage étudiant, les voyages en bus. Ce n’était pas cher, le week-end à Prague ou dans un pays de l’Est coûtait de l’ordre de 400 francs. Ce sont des milliers, des dizaines de milliers d’étudiants qui, dans les mois qui ont suivi, ont fait ces voyages à l’Est. Dans un esprit de partenariat que la mutuelle entretient avec divers organismes, des démarches ont été entreprises avec des associations spécialisées dans ce domaine. Là encore, nous sommes à la limite de la légalité parce que l’acte de vendre du voyage est une profession réglementée. Il faut être agent de voyage, avoir un personnel qui ait une certaine ancienneté et une compétence professionnelle, qui puisse être agréé dans chaque lieu où vous faites du voyage. C’est la démarche qui a conduit à la logique d’agence de voyages qui offre des garanties au consommateur.

Je vous ai donné ces trois exemples car ce sont les trois services qui ont été " filialisés " à la MGEL durant les années où j’y étais. Ce ne sont d’ailleurs pas les seuls services non complémentaire maladie qui existent, puisque la mutuelle a développé de nombreux partenariats en matière culturelle, associative, avec les commerçants dans un grand nombre de domaines.

La question que l’on peut se poser est celle de savoir si cela est bien légal. Si je me réfère à un texte qui a dû être, au moins au début des travaux de la commission, votre Bible, c’est-à-dire l’article L. 111-1 du code de la mutualité, qui fixe l’objectif des mutuelles : " Les mutuelles sont des groupements à but non lucratif qui, essentiellement au moyen de cotisations de leurs membres, se proposent de mener dans l’intérêt de ceux-ci, de leurs familles, une action de prévoyance, de solidarité et d’entraide en vue d’assurer notamment, la prévention des risques sociaux liés à la personne et la réparation de leurs conséquences ; l’encouragement à la maternité et la protection de l’enfance, de la famille, des personnes âgées ou handicapées ; le développement culturel, moral, intellectuel et physique de leurs membres et l’amélioration de leurs conditions de vie. ", j’en déduis que cela est légal et répond véritablement à une demande des étudiants. On peut d’ailleurs se demander à ce sujet si d’autres structures jouent le rôle qu’elles pourraient jouer, mais force est de constater que cela répond à une demande des étudiants. Enfin, il me semble légitime qu’une part de la cotisation mutualiste soit justifiée par la couverture d’un risque complémentaire maladie, risque qui se calcule très bien parce que l’on sait pour chaque garantie choisie combien ont été remboursés de francs de prestation, mais aussi qu’une partie de cette cotisation serve au développement de ces services.

Se pose le problème de la forme, notamment celle de la constitution de filiales. J’ai expliqué pourquoi, à chaque fois, nous en étions arrivés à la constitution d’une filiale : pour des raisons d’efficacité, pour des raisons de légalité et pour satisfaire les obligations contenues dans les directives européennes qui allaient imposer aux mutuelles de se concentrer sur l’activité complémentaire maladie. Beaucoup de nos collègues des mutuelles interprofessionnelles voyaient là une menace pour tous leurs centres sociaux et nous estimions condamnés tous ces services qui n’avaient pas leur place dans une telle conception.

C’est ce cheminement qui nous a amenés à filialiser. Le fait de créer des filiales présente des avantages certains. En termes de gestion, j’en voyais un certain nombre. Le premier est que cela vous évite d’avoir des danseuses, parce que vous savez combien cela vous coûte. Lorsque vous filialisez correctement et que les commissaires aux comptes font bien leur travail, vous imputez le loyer, le personnel, les coûts de fonctionnement. Et vous savez dire, à la fin de l’année que l’activité d’assurance ainsi individualisée a dégagé tant de chiffre d’affaires pour tant de coûts.

Sur le principe, je pense qu’il est assez difficile de contester la démarche de filialisation. Maintenant, évidemment, cela pose un problème de contrôle à plusieurs niveaux. Un problème de contrôle démocratique parce qu’il faut que les instances qui dirigent la mutuelle gardent le contrôle de ce qui se passe dans les filiales et un problème de contrôle, au moins aussi important, en termes de gestion.

Quel est le " pépin " de gestion qui peut arriver à une mutuelle ? Je vais vous citer l’exemple du plan Veil sur l’assurance maladie, qui fut un désastre pour les mutuelles comme nous. Ce plan a été lancé au mois de juin 1993, or, pour nous qui travaillons par année universitaire, les tarifs et les taux de remboursement sont fixés pour l’année au mois d’avril ou de mai. Au mois de juin, vous les avez annoncés à toutes les universités dans vos dépliants qui seront valables du 1er octobre suivant au 30 septembre de l’année suivante.

Quand on vous annonce, une fois les dépliants imprimés, que les taux de remboursement de la sécurité sociale baissent de 5 %, vous ne pouvez plus relever vos prix qui sont annoncés partout. Vous ne pouvez plus changer vos taux de remboursement, parce que vous vous êtes engagés envers les étudiants sur un remboursement à 100 % de tous les soins, sécurité sociale + mutuelle, car on ne fait jamais la différence, on explique les taux globalement. Sur telle autre garantie, vous offrez 100 % sur les risques graves et courants. Il s’est passé que nous avons bu un bouillon. Nous avons maintenu le 100 % et nous avons assumé les 5 % de baisse de la sécurité sociale, sans augmentation de la cotisation pendant quinze mois. Pour une structure de la taille de la MGEL, cela représente quelques millions de francs de pertes.

Dans les filiales, les risques sont largement du même ordre. Ainsi, en matière de logement, quand votre filiale loue une résidence étudiante, de 80 à 100 logements, le loyer que vous vous engagez à payer tourne entre 1,5 et 2 millions de francs par an. Comme l’investisseur ne veut pas vous voir vous en aller, il vous fait signer pour trois ans si vous négociez bien ou plus couramment pour six ou neuf ans. Dans les années 80, c’était simple, toutes les résidences se remplissaient. Mais quand vous avez un peu de relâchement sur le marché du logement, tous les critères comptent et surtout la taille du logement, si vous proposez du 18 m ?, vous allez passer après ceux qui offrent 20 m ? et vous n’arriverez plus à remplir. Tout l’art est d’avoir un bon rapport qualité-prix qui fasse que l’étudiant ne résilie pas son bail l’été pour garder son logement pour la rentrée prochaine. Si vous prenez à bail n’importe quel immeuble, vous pouvez boire un bouillon de plusieurs millions de francs sur une résidence.

En matière d’assurances, notre hantise était d’avoir un gros pépin en responsabilité civile. Il suffit par exemple que votre secrétaire à l’accueil ait vendu une assurance auto à un étudiant en oubliant de la transmettre à la compagnie. S’il y a un sinistre, la compagnie vous dira qu’elle n’assure pas et le courtier, donc la mutuelle, se retrouve en première ligne de responsabilité.

Pour moi, le premier risque se situe en matière de gestion. Il faut que la mutuelle contrôle la gestion de ses filiales parce qu’à la limite, le risque à ce niveau peut être largement aussi important que le risque qu’il peut y avoir dans l’activité principale. A la MGEL, le système mis en place était double.

Premièrement, à l’ordre du jour de chaque conseil d’administration de la mutuelle et de chaque assemblée générale figurait le point sur la situation de toutes les filiales avec communication des rapports de gestion des différentes filiales. Deuxièmement, avant de décider d’une prise de gestion d’une résidence étudiante, les représentants de la filiale logement allaient devant l’assemblée générale. Juridiquement, une filiale indépendante peut décider de signer un bail avec une société HLM, sans qu’il soit nécessaire d’aller demander à l’assemblée générale de l’actionnaire principal s’il est d’accord ou pas. Mais la crainte d’avoir une décision qui puisse ne pas avoir été mûrement réfléchie nous avait fait adopter ce système.

Depuis la création de la commission d’enquête, je me suis reposé le problème de savoir comment on pourrait améliorer le système et mieux se prémunir. Je n’ai certainement pas de solution miracle, mais je vous livrerai une ou deux pistes. La première est que, dans le code de la mutualité, vous avez une obligation, à chaque assemblée générale de mutuelle, de présenter un rapport moral du président et un rapport sur la situation financière de la mutuelle. Je pense qu’il serait d’intérêt général d’améliorer la qualité de ces rapports et de les normaliser. Pour le contrôle, le premier élément est l’information. A partir du moment où l’information est disponible, le contrôle peut s’exercer parce que quelqu’un posera une question. Cela joue sur la qualité de l’information que donne la mutuelle sur sa gestion. L’expérience que j’ai montre que le degré d’information le plus efficace consiste, pour les comptes de la mutuelle, dans la présentation du compte d’exploitation, compte de charge par compte de charge, compte de produits par compte de produits. Ce n’est pas très compliqué quand vous justifiez chaque compte, qu’il s’agisse de l’électricité, de la promotion ou des loyers, vous présentez le montant de l’année précédente et le montant de l’année actuelle, en expliquant son évolution en trois phrases. Vous avez ainsi une qualité d’information qui fait que toute décision a une traduction financière. Il faudrait donc veiller à la qualité de ces rapports.

Il faudrait de plus joindre systématiquement à ces rapports les rapports sur la gestion des différentes filiales et sous-filiales, la composition des capitaux des différentes filiales et sous-filiales, et indiquer les doubles fonctions, de certains salariés de la mutuelle dans des filiales de la mutuelle. Si tel est le cas, il faudrait préciser si ces fonctions dans une ou plusieurs filiales s’exercent à titre gratuit ou rémunéré.

Il faudrait définir réglementairement un cadre général de ce rapport présenté à l’assemblée générale et qui serait soumis aux tutelles. Aujourd’hui, les tutelles demandent la communication des procès-verbaux des assemblées générales, donc des rapports, mais je ne sais pas jusqu’où elles vérifient la qualité de l’information qui figurent dans ces documents. Quand l’évolution des comptes vous est décrite, ce qui se passe se voit comme le nez au milieu de la figure. Si vous avez la même qualité d’information au niveau des filiales, cela aide réellement à comprendre les activités.

Je me suis également posé une question sur l’information des adhérents, parce qu’aujourd’hui, finalement, un adhérent de mutuelle est moins informé qu’un actionnaire minoritaire de société. On est certes parti de l’idée que l’adhérent est copropriétaire de la mutuelle, mais il n’exerce pas le pouvoir directement, il l’exerce par l’intermédiaire de ses élus. L’adhérent seul, s’il veut savoir quelque chose, n’a pas beaucoup de droits. Un des principaux droits qu’il a acquis est dans les statuts types définis par décret en Conseil d’Etat. Dans ces statuts, figurent un certain nombre d’articles obligatoires.

A propos de l’information de l’adhérent, une disposition obligatoire prévoit que " chaque adhérent reçoit un exemplaire des statuts. Les modifications statutaires sont portées à sa connaissance. Il est informé des services et établissements d’action sociale gérés par la mutuelle et de ceux auxquels il peut avoir accès en vertu des conventions passées en application du livre IV du code de la mutualité, des organismes auxquels la mutuelle adhère ou auxquels elle est liée, et des obligations de droit qui en découlent. "

Je constate que cet article n’est pas très bien appliqué. Il est un peu fictif, d’une part, parce que les statuts d’une mutuelle sont un véritable pavé - je ne suis pas sûr que ce soit ainsi que l’on accroît l’information - et, pour des problèmes matériels, je suis persuadé qu’un grand nombre de mutuelles de France ne respectent pas cette obligation. Par ailleurs, cet article fait référence à la mutualité d’il y a une cinquantaine d’années, lorsque l’essentiel des actions communes se faisait par les systèmes d’union ou de fédération. A l’époque, l’accent avait été mis sur ce point, mais rien n’est dit du recours à l’utilisation de filiales par les mutuelles.

Plutôt que de remettre systématiquement un exemplaire des statuts, reconnaissons plutôt un droit automatique et élargi à l’accès à l’information et le droit, sur simple demande, d’avoir non seulement les statuts, mais aussi les rapports sur la situation financière de la mutuelle ainsi que les rapports des assemblées générales. Il y a quatre ou cinq ans, je n’aurais pas pensé cela. En effet, je me suis trouvé à diriger une mutuelle à l’époque où les remises de gestion n’étaient pas réévaluées et où la mutuelle se trouvait dans une situation difficile. Si j’avais eu à présenter au banquier - à l’époque le Crédit Lyonnais, qui était peut-être assez tolérant pour les sociétés qui pouvaient connaître des difficultés passagères - le fait que l’Etat nous devait des millions de francs, il n’aurait pas été obligé de me croire. A l’époque, j’aurais réagi en disant que la non publicité avait des avantages. Aujourd’hui, du point de vue de l’intérêt général, peut-on défendre le fait qu’en composant Infogreffe, on a accès à de l’information, et qu’un adhérent de mutuelles n’ait quasiment pas cette possibilité ? Comparaison n’est pas raison, mais cela pose tout de même un problème de cohérence entre les droits de l’adhérent de la mutuelle et ceux de l’actionnaire de société.

Le deuxième thème que je voulais aborder devant vous a trait aux remises de gestion. Elles ont occupé une grande partie de mon temps. Quand un étudiant choisit son centre de sécurité étudiante, il fait une croix sur un dossier où figurent deux cases. Changer n’est pas difficile, si vous n’êtes pas content, il suffit, l’année suivante, de cocher la case voisine et vous avez changé de centre de sécurité sociale, en toute liberté, en toute simplicité, en application de la concurrence sans aucun transfert de dossier.

Jusqu’en 1985, les mutualités étaient rémunérées par tête d’étudiants. La mutuelle percevait 90 % de la cotisation de sécurité sociale payée par l’étudiant. Celui-ci payait sa cotisation qui allait à l’établissement, l’université ou l’école, qui la transmettait à l’URSSAF, puis la mutuelle percevait 90 % du montant. Si la cotisation était de 100 francs, vous receviez 90 F par étudiant. Vous aviez mille étudiants, vous receviez 90 000 F et ainsi de suite.

En 1985, il y eut un changement de système, basé sur le budget global. L’idée était de figer le montant des remises de gestion au niveau atteint la dernière année de la capitation et d’avoir ensuite une évolution définie par un double taux, un taux d’évolution annuelle et un taux qui dépendait de l’activité de la mutuelle. Ce dernier était la moyenne mathématique de trois données : l’évolution du nombre de cellules actes, qui prenait en compte l’augmentation du nombre de remboursements ; l’augmentation du montant des prestations que vous remboursiez ; l’augmentation du nombre de vos affiliés, mais celui-ci n’était pas pris en compte totalement - entre 0 et 2 %, tout était pris en compte, entre 2 et 4 %, la moitié, au-dessus de 4 %, le quart, bref, on écrêtait. On faisait la moyenne de tout cela et on appliquait un correctif. Mais l’arrêté précisait que si ce correctif était supérieur à 4, les ministres étaient alors chargés de définir librement le montant de la revalorisation.

Le système était tellement compliqué qu’il n’a été appliqué qu’un ou deux ans correctement, puis il ne l’a plus été.

Les mutuelles qui se développaient enregistraient de plus en plus de pertes au point que la MGEL s’est trouvée en 1992 au bord de la mort. La situation de nos comptes était celle que je vous ai décrite. La remise de gestion par étudiant était de l’ordre de 140 F quand la MNEF avait 280 F. La MNEF avait, elle-même, un niveau de remise de gestion qui baissait, puisque ses effectifs croissaient, à niveau constant des remises de gestion. Il est donc arrivé un moment où nous n’étions plus seuls à protester, où la MNEF est allée expliquer aux pouvoirs publics qu’à 280 F, la situation n’était plus tenable.

Il y a eu de vives discussions à l’époque, auxquelles j’ai largement participé, qui ont abouti à un arrêté daté du 31 mars 1992, publié au Journal officiel le jour même de la démission du Gouvernement de l’époque, c’est-à-dire signé in extremis par des ministres démissionnaires.

A cette époque, je n’avais pas de mots assez durs pour dénoncer cet arrêté scandaleux qui revalorisait les remises de gestion des années passées, mais sur la base du même taux. La MNEF est donc passée de 280 à 340 F et la MGEL de 140 à 170 F. A 170 F, nous étions dans une situation apocalyptique. Plus les étudiants nous choisissaient, plus nous nous enfoncions ; nous étions au bord de la faillite.

Naturellement, nous avons essayé d’expliquer le caractère inéquitable et scandaleux de la situation qui figeait pour neuf ans des mutuelles travaillant en concurrence avec un niveau de un à deux. Nous avons, grâce à ce que nous appelons une mesure balai, je crois même que j’en avais été à l’origine, obtenu dans le non droit le plus absolu, que soient accordés 235 F à toutes les mutuelles régionales afin de réduire l’écart avec la MNEF à 100 F par étudiant. Cela ne semble pas beaucoup mais pour une mutuelle comme la MGEL, cela représentait quelques millions de francs. Nous espérions obtenir un ballon d’oxygène mais les discussions n’en finissaient pas. Nous n’arrivions pas à faire appliquer la mesure, lorsque les parlementaires se sont emparés de la question et ont voté le principe d’égalité.

Mais, quand les mutuelles régionales reçoivent 235 F de remise de gestion et la MNEF 340 F, sur quelle base réaliser l’égalité, fallait-il faire une moyenne ? La solution a consisté à demander un petit effort à la MNEF, qui a accepté une réduction volontaire de 5 millions de francs parce que l’aspect amoral d’une telle différence apparaissait à tout le monde. Puis, en trois ans, les remises de gestion des mutuelles régionales ont été revalorisées.

Le niveau des remises de gestion auquel on a abouti est le fruit de cette histoire chaotique dans laquelle il a fallu ramener un peu de cohérence. Le système avait prévu un montant unique par affilié avec un taux dégressif. Tout affilié supplémentaire qui arrivait dans la sécurité étudiante ouvrait le versement d’une remise de gestion inférieure de 40 %. Avec un taux moyen de 320 F, pour 100 000 étudiants supplémentaires, vous n’aviez pas 100 000 fois 320 F, mais 100 000 fois 320 F moins 40 %.

Aujourd’hui, je ne pense pas qu’il existe une solution magique. On peut, certes, s’appuyer sur des comparaisons, mais l’exercice est beaucoup plus facile intellectuellement que dans les faits.

En effet, premièrement, la sécurité étudiante présente des spécificités évidentes. Elle renouvelle son fichier à 100 % tous les ans, ce que ne fait aucun autre centre de sécurité sociale. De surcroît sur ces 100 % d’ouverture de droits tous les ans, vous aviez à l’époque une proportion de l’ordre de 30 %, qui a dû légèrement baisser aujourd’hui, avec les ayants droit majeurs autonomes.

Deuxièmement, les mutuelles étudiantes jouent un rôle considérable, peu connu de ceux n’ayant jamais appartenu à une mutuelle étudiante, d’éducation à la sécurité sociale. Quand vous êtes lycéen, ce sont vos parents qui s’occupent des feuilles de sécurité sociale. Quant il faut expliquer à un étudiant comment remplir correctement sa feuille de sécurité sociale pour pouvoir être remboursé, cela prend un temps et une énergie assez considérables. C’est ce que l’on appelle l’éducation à la sécurité sociale qui entraîne un travail d’accueil important.

On peut faire la comparaison sur d’autres points. Par exemple, si vous partez sur une logique de comptabilité analytique, vous avez plusieurs manières de voir les choses. Soit on considère qu’il faut examiner les frais de fonctionnement d’une mutuelle comme ceux d’un centre de sécurité sociale et on reconstitue comptablement les frais de fonctionnement de l’activité mutuelle. Il y a des comparatifs. Les centres de sécurité sociale, les caisses primaires d’assurance vendent à des mutuelles les " images décompte " c’est-à-dire une liquidation préfaite, toute mâchée. Il n’y a plus de travail de liquidation à faire dans la mutuelle complémentaire. Il suffit de faire tourner un programme et vous payez vos adhérents. Doit-on considérer que les frais de gestion du centre de sécurité sociale étudiante sont constitués par les frais de la mutuelle moins ce que les caisses de sécurité sociale facturent aux mutuelles complémentaires quand elles leur vendent une image décompte ? Si l’on considère lorsqu’une mutuelle dépense cent francs, que la valeur marchande qu’a la mutuelle en ayant les décomptes préfaits vaut x franc le décompte, peut-on en déduire que le reste représente votre coût pour l’activité sécurité sociale ? On peut aussi raisonner en disant que vous êtes une mutuelle complémentaire et essayer de recalculer ce que vous coûte, en plus, le fait de faire la gestion du régime général obligatoire de sécurité sociale.

On ne peut avancer que par une négociation. Du point de vue de l’intérêt général, il est légitime que les pouvoirs publics demandent aux caisses de sécurité sociale étudiante de faire des gains de productivité parce qu’il existe un problème d’assurance maladie en France et que tous les centres doivent faire des efforts. Je pense d’ailleurs que les efforts de productivité demandés, donc l’effort de réduction des remises de gestion, seraient d’autant plus cohérents qu’ils seraient généraux. Les mutuelles étudiantes ne sont pas les seules à bénéficier de remises de gestion. Plus une solution est générale, moins elle est polémique et plus elle est longue, mieux elle est. Il ne faut surtout pas maintenir un système de négociation du montant des remises de gestion comme celui que j’ai connu, d’une durée de trois ans avec des négociations qui n’en finissaient pas, où, pendant et des mois et des mois, vous receviez des versements provisionnels sans connaître le montant des remises de gestion. Il faut adopter un système beaucoup plus durable ; un système équilibré consisterait à demander à l’ensemble des gestionnaires de sécurité sociale un gain de productivité de tant par an, annoncé dès maintenant sur cinq ou dix ans afin que les choses soient claires et que chacun puisse organiser ou réformer ses méthodes de gestion.

Il faut rechercher cette notion de contrat. Il n’y aura jamais d’accord complet parce que les représentants des mutuelles sont là pour défendre leurs intérêts de même que ceux des caisses primaires d’assurance maladie. A chacun son rôle mais je n’ai pas de solution magique sur ce sujet.

M. le Président : Je vous remercie, monsieur le député, de cet exposé très complet.

Nous avons entendu M. Johanet, directeur général de la CNAM. D’après lui, la seule solution serait la suppression des mutuelles étudiantes qui représentent des dépenses inconcevables qui viennent appauvrir le système général. Cela permettrait une économie de l’ordre de 240 millions de francs. Quelle est votre opinion sur cette position ?

M. Jean-Luc WARSMANN : Très objectivement, c’est un serpent de mer. Lorsque vous discutez avec les représentants de l’assurance maladie, il y a toujours un moment où quelqu’un vous fait sentir qu’en tant que représentant d’une mutuelle, vous êtes illégitime parce que l’assurance maladie pourrait intervenir à votre place.

En 1948, lorsque le législateur a mis en place ce système, quels ont pu être ses objectifs ? A mon avis, il y en a eu plusieurs.

Il y a certainement eu un objectif de simplicité parce qu’à l’âge où l’on se familiarise avec le système de la protection sociale et de l’assurance maladie, c’est un gros avantage d’avoir une gestion unique de sa sécurité sociale et de sa mutuelle complémentaire au même endroit.

Mais je pense aussi qu’un autre objectif a été de créer des structures à forte vocation sociale dans le monde étudiant. Car dans ce monde étudiant, le monde associatif, qui est un des versants de l’économie sociale étudiante, est relativement faible et dispersé. De l’autre côté, vous avez les mutuelles étudiantes. Vous avez employé un bon mot en disant que le retrait par la sécurité sociale de la gestion du régime obligatoire signifierait la disparition des mutuelles. Le problème est bien là. Le fait d’avoir confié la gestion de la sécurité sociale étudiante a musclé les mutuelles étudiantes par rapport à ce qu’elles auraient pu être, même à l’époque, et a permis d’en faire des structures qui développaient des actions à vocation sociale et à vocation d’intérêt général, fortes dans le monde étudiant.

L’intérêt général qui prévalait peut toujours être reconnu aujourd’hui et l’existence de la sécurité sociale étudiante peut toujours se défendre. Par contre, je pense aussi que l’Etat peut légitimement demander des gains de productivité.

M. le Président : M. Johanet proposait, à titre subsidiaire, que les remises de gestion soient ramenées à 260 F.

En ce qui concerne les conseils d’administration, quel est rôle du directeur général que vous pouviez être par rapport au président et au trésorier ? Ces derniers sont-ils des potiches ?

M. Jean-Luc WARSMANN : Le président, le trésorier, et le conseil d’administration font plus que servir à quelque chose. Ce sont tout simplement eux qui prennent les décisions et la responsabilité d’engager des actions. Quand vous êtes directeur, vous êtes là, comme dans d’autres structures où existe un conseil d’administration, pour servir les choix politiques, d’orientation qui sont faits par vos instances élues. Un conseil d’administration doit prendre des décisions telles que par exemple la fixation des cotisations, le vote du budget prévisionnel. Dans les moments graves qu’a connus ma mutuelle, le conseil d’administration n’a pas défailli lorsque les remises de gestion n’ayant pas été réévaluées, les prévisions budgétaires faisaient apparaître 3 ou 4 millions de déficit et que le choix était soit de se saborder en augmentant considérablement le tarif des cotisations, ce qui aurait fait chuter le nombre d’adhérents, soit de refuser cette hypothèse en pariant que la négociation avec les pouvoirs publics devait permettre d’arriver à une solution plus équitable. Ce sont des débats qui ont une importance considérable.

La deuxième chose, c’est l’information. A la MGEL, des rapports d’activité étaient établis, dont le président était destinataire...

M. le Président : Qui rédigeait ces rapports ?

M. Jean-Luc WARSMANN : Concernant la trésorerie, par exemple, le service de la comptabilité faisait toutes les fins de semaine, le vendredi, un point sur la situation financière de la mutuelle ainsi que sur celle des filiales. La note était sur le bureau du président toutes les semaines.

Nous avions mis également en place un second tableau de bord sur l’état de la liquidation. Chaque responsable d’agence devait faxer au siège de la mutuelle une fois par semaine un état de la liquidation, donnant la date d’arrivée des dernières feuilles liquidées et l’état du stock des feuilles de soins. C’est un indicateur très fiable du niveau de qualité des services rendus à l’étudiant. Lorsque vous avez un problème de personnel ou de fonctionnement, vous le voyez immédiatement parce que vous prenez tout de suite du retard dans le traitement des feuilles de soins.

Un autre système de tableau de bord avait été aussi mis en place concernant les filiales dont le président était également destinataire. Cela permettait d’avoir, agence par agence, l’évolution du chiffre d’affaires et la comparaison par rapport à l’année précédente. De mémoire, la filiale assurances établissait par ville des statistiques comparatives. En matière de voyage, on présentait les chiffres d’affaires par catégorie.

Toutes les situations existent, je ne vais pas tomber dans les généralités, mais vous avez tout de même un conseil d’administration et une assemblée générale qui s’expriment par des votes obligatoires et fondamentaux. Lorsque vous votez un budget prévisionnel, la fixation des tarifs ou un budget définitif, vous avez le pouvoir de décider, celui de dire oui ou non.

M. le Président : Les administrateurs de la MGEL étaient-ils tous étudiants et étaient-ils rémunérés ?

M. Jean-Luc WARSMANN : Il n’y a jamais eu de rémunération versée aux administrateurs de la MGEL pendant toutes les années où j’y étais. Aujourd’hui, je ne peux vous répondre, mais je ne le pense pas parce que c’était dans la philosophie de la mutuelle.

M. le Président : Estimez-vous qu’il ne faut pas de rémunération des administrateurs ?

M. Jean-Luc WARSMANN : Je pense effectivement qu’il vaut mieux qu’il n’y en ait pas, comme dans une association. Il y a deux rôles : celui de salarié et celui de bénévole. Ce n’est pas la même chose. On ne demande pas à un administrateur d’aller faire des feuilles de soins et des remboursements. Ce n’est pas son travail. Il faut que les rôles soient assez séparés. Je ne pense pas que cela serait très sain.

Je sais bien que les textes en prévoient la possibilité. Mais on est administrateur de mutuelle comme on est administrateur d’association, de corpo, de bureau des élèves ou de bureau des sports. Je mets un peu cela sur le même plan. Les bureaux d’élèves ont des chiffres d’affaires de l’ordre de quelques centaines de milliers de francs ; celui de la mutuelle est un peu plus important, mais elle est aussi plus contrôlée, fort heureusement.

En ce qui concerne la question des membres, il existe deux catégories, les membres participants et les membres honoraires. Le code de la mutualité prévoit d’ailleurs de telles dispositions. Les membres honoraires sont généralement des membres qui ont été engagés dans la mutuelle à un titre ou un autre durant leurs années d’études et qui restent disponibles ou intéressés par la vie de la mutuelle.

Dans les mutuelles, vous êtes confrontés à deux problèmes, un problème de renouvellement et un problème de stabilité. Il faut que les passations de pouvoirs se fassent correctement d’une génération à l’autre.

M. le Président : Je vous ai posé cette question parce que le président de la MGEL que nous avons rencontré n’était plus étudiant mais nous a expliqué que cette situation était temporaire.

Selon le rapport de l’IGAS et de l’inspection générale des finances, la MGEL aurait investi un million de francs dans du matériel d’impression. Un tel investissement vous paraît-il normal et doit-il être poursuivi ?

M. Jean-Luc WARSMANN : Le problème était un problème récurrent. L’idée de la MGEL a toujours été de développer un grand nombre de partenariats, dans des domaines très variés. Avec les compagnies de bus, nous avons obtenu une véritable victoire le jour de l’obtention de tarifs réduits pour les étudiants adhérant à la MGEL. Nous avons des accords partenariaux dans le secteur culturel, avec les cinémas, les salles de concerts ; des accords avec des entreprises qui peuvent offrir des services au monde étudiant, des accords avec le monde associatif.

L’idée du partenariat est de refuser des négociations ponctuelles basées sur la concurrence lors de chaque manifestation associative pour conclure des conventions annuelles, par lesquelles la mutuelle s’engage à apporter une aide en contrepartie d’un échange de services, par exemple des réductions pour les adhérents de la mutuelle lors des soirées étudiantes.

La politique de la MGEL a toujours été de privilégier l’aide en nature à l’aide financière. L’idée a toujours été de dire que l’on préfère participer à des manifestations, par exemple, le marathon de l’école d’ingénieurs, la soirée de gala de l’Institut commercial de Nancy, en nature plutôt qu’en argent, en offrant les affiches.

Comment le faire à moindre frais ? La première décision a été de créer en interne un studio de création. Auparavant, tout était confié au privé, avec appel d’offres, etc., si, par exemple, le bureau des élèves de l’école d’ingénieurs de Metz organisait un semi-marathon, la MGEL fournissait cent affiches 40 x 60.

La première décision a donc été d’internaliser un studio PAO. Nous avons acheté un outil informatique avec le logiciel Xpress me semble-t-il, qui permettait de faire les maquettes. Il ne restait que la réalisation du film à confier en sous-traitance. La mutuelle fournissait la disquette à une société qui éditait les films, puis à un imprimeur qui les imprimait. L’étude avait été faite à plusieurs reprises, mais avait été bloquée pour un problème de locaux, et le choix a été d’acheter une imprimerie avec un salarié spécialisé dans l’imprimerie pour faire tout ce travail en interne.

Le premier avantage est que cela permet d’avoir un meilleur coût que lorsque l’on traite avec le privé ; le deuxième est que la mutuelle a un certain nombre de travaux qui ne sont pas datés, notamment les travaux d’imprimés de la mutuelle, du papier à en-tête, tous les papiers administratifs, qui peuvent se faire quand on veut, en quinze jours ou un mois, et cela permet de mieux rentabiliser la charge de travail de la machine de façon plus permanente. Cela s’est fait dans l’idée de rationaliser et d’obtenir le meilleur rapport qualité-prix. Il n’a jamais été, à ma connaissance, question de travailler pour des clients extérieurs. Ce n’est pas une imprimerie, c’est un service intégré. Le même débat se pose pour l’informatique. Faut-il traiter l’informatique en interne ? Faut-il la sous-traiter ? A mon avis, il faut être purement gestionnaire et tenter d’obtenir le meilleur rapport qualité-prix.

M. le Rapporteur : Concernant le contrôle des mutuelles étudiantes, nous avons auditionné des membres de la Commission de contrôle des mutuelles. Il semblerait qu’une des difficultés majeures qu’ils aient rencontrées serait de ne pas avoir accès de façon automatique à la gestion des filiales, procédure à laquelle les mutuelles ont largement eu recours. Avez-vous une idée sur l’étendue du contrôle exercé par cet organisme qui n’a pas du tout les mêmes prérogatives, semble-t-il, que la commission de contrôle des assurances, même si elles sont présidées par la même personne ?

M. Jean-Luc WARSMANN : Franchement non. Dans les années où j’étais à la MGEL, j’ai eu énormément de contrôles. Nous disions parfois qu’il ne se passait pas une semaine sans un contrôle. Mais je n’ai jamais dû recevoir la commission de contrôle. Je suis donc désolé, je ne suis pas en mesure de vous répondre là-dessus.

En réfléchissant à cette question du contrôle, je me suis dit qu’il y avait un premier stade qui n’était pas bon, celui de l’information. Ensuite, je me suis demandé s’il fallait interdire les sous-filiales. Dans les années où j’étais responsable de la MGEL, nous n’en avons jamais eu. Nous n’en avons jamais ressenti le besoin. Mais je ne sais s’il serait légal d’interdire des sous-filiales. C’est la raison pour laquelle je n’en ai pas parlé tout à l’heure. C’est pour cela que je me suis dit que le verrou était dans le fait d’être sûr que les instances dirigeantes de la mutuelle ainsi que l’administration de tutelle recevaient une information de qualité. Tout de même, la DDASS reçoit les dossiers. Avant de déclencher un contrôle, je pense qu’elle les épluche. Si l’inspecteur spécialisé reçoit un dossier contenant une information de qualité sur son bureau, il peut voir qu’il y a un problème et cela permet d’éviter toute catastrophe.

M. Bruno BOURG-BROC : Nous avons eu, en vous entendant, le sentiment d’avoir un mouvement mutualiste très dynamique, très fort. Pourtant, on assiste à une certaine démutualisation. Comment expliquez-vous cela ? Je suis élu de Champagne-Ardenne. La MGEL est très puissante dans ce secteur, en situation de quasi-monopole. Comment expliquer le succès de cette mutuelle ?

Par ailleurs, vous avez déjà abordé cette question au travers de votre exposé liminaire, les dépenses de communication sont élevées dans une mutuelle, c’est un problème que nous avons abordé ici à plusieurs reprises. Pensez-vous qu’elles soient toutes justifiées ? C’est peut-être l’une des principales critiques que nous avons pu entendre : la concurrence crée la nécessité de la communication, celle-ci coûte cher et engendre des coûts que le directeur de la CNAM, M. Johanet, notamment, réprouve.

M. Jean-Luc WARSMANN : Pour ce qui concerne la démutualisation, c’est un fait que lorsque l’on examine le rapport entre le nombre d’étudiants gérés au régime de base de sécurité sociale par les mutuelles et celui des étudiants inscrits au régime complémentaire, on constate une baisse constante depuis un certain nombre d’années, incontestablement due à la démocratisation de l’enseignement supérieur. Une partie de l’augmentation du nombre des étudiants vient de la progression du nombre d’étudiants issus de milieux modestes, pour lesquels les études coûtent cher, la rentrée coûte cher, d’autant plus cher aujourd’hui que la cotisation de sécurité sociale étudiante tourne aux alentours de 1 000 F par an ; si vous voulez une mutuelle complémentaire qui vous couvre correctement, il faut compter entre 1 000 et 1 200 F supplémentaires. Ce sont des sommes importantes. La réaction de nombreux étudiants est de dire que cela coûte trop cher, qu’ils ne sont jamais malades et qu’ils verront plus tard pour la mutuelle.

Donc, incontestablement, il y a une tendance à moins prendre de mutuelle ou à souscrire à des mutuelles offrant des taux de remboursement de moins en moins élevés.

En outre, il n’y a pas que la démutualisation, il y a aussi une mutualisation par ailleurs. Je réponds en partie à votre troisième question. Je me souviens que nous disions que notre principal concurrent n’était plus la MNEF, mais les mutuelles parentales.

Certaines mutuelles parentales ne font plus apparaître le coût de la cotisation pour les jeunes, comme, par exemple, les mutuelles de cadres qui couvrent gratuitement ou du moins sans faire payer de cotisations supplémentaires - c’est inclus dans la cotisation des parents - pour les jeunes jusqu’à vingt-cinq ans, ou encore certaines mutuelles interprofessionnelles qui ont des problèmes d’effectifs et surtout de vieillissement, chez lesquelles on assiste à une tendance consistant à essayer d’attirer les jeunes. Pour cela, vous essayez de garder les enfants de vos adhérents et pour garder les enfants de vos adhérents, vous jouez sur plusieurs faits. Le premier, c’est maman, qui a toujours envoyé les feuilles de maladie de ses enfants à sa mutuelle complémentaire. Si la mère ne voit pas les avantages d’une cotisation sécurité sociale plus mutuelle étudiante, elle aura tendance à garder ses enfants inscrits sous sa mutuelle. La mutuelle cultive ce réflexe en proposant des garanties qui sont souvent à la limite du dumping, pour ne pas dire en dessous du prix de revient. C’est quelque chose de symbolique qui permet de garder les adhérents.

Les mutuelles jouent également sur le fait qu’elles ne fonctionnent pas par année universitaire, mais par année civile. Ce sont des garanties avec tacite reconduction au 31 décembre. Une fois que l’enfant étudiant a été pris dans la garantie des parents, comme les dates ne coïncident pas, la mutuelle étudiante rencontre de grandes difficultés pour prendre la suite, puisque nous proposons une couverture du 1er octobre au 30 septembre.

Cette conjonction de faits crée la concurrence. Je me souviens que j’avais mis en place à l’époque, sur la fiche d’adhésion à la mutuelle, une question visant à savoir quelle était la mutuelle de l’adhérent l’année précédente pour connaître le nombre d’étudiants qui quittaient la MNEF pour venir à la MGEL, mais aussi celui des étudiants qui étaient couverts par une autre garantie complémentaire. Cela est assez intéressant puisqu’une des garanties qui s’est développée, c’est la garantie de base, la responsabilité civile individuelle accident assistance avec l’accès à tous les services. Cette garantie est proprement faite pour les étudiants couverts par la mutuelle de leurs parents. Or, elle se développe et lorsque vous demandez aux étudiants quelle est leur mutuelle, la plupart vous répondent qu’ils en ont une.

Il y a donc à la fois un phénomène de démutualisation, qui existe certainement, mais également un phénomène de mutualisation par d’autres.

C’est la raison pour laquelle lorsque vous parliez tout à l’heure de la suppression de la gestion du régime obligatoire de la sécurité sociale étudiante, je pense que si tel était le cas, les mutuelles étudiantes seraient pratiquement rayées de la carte parce que tout le monde se lancerait dans la course aux fichiers pour s’emparer des fichiers des jeunes et les fidéliser. Quand vous avez affaire à des groupes où les étudiants ne représentent que 5 % de l’effectif, vous pouvez faire du dumping et casser les prix et vous arriverez à une situation qui déstabilisera le système.

Vous m’avez par ailleurs interrogé sur le taux de pénétration de la MGEL. Il est certes important, mais rien n’est jamais acquis. Le taux de nouvellement est de l’ordre de 25 à 30 %, c’est-à-dire que tous les ans, vous avez 20, 25 ou 30 % d’étudiants nouveaux qui arrivent et qui ont un peu à peu près une chance sur deux de venir à la MGEL. Et quand on est à 70 ou 80 % d’une chance sur deux, ce n’est pas beaucoup. Après, il faut expliquer les services. La qualité des services et des remboursements joue. L’étudiant est quelqu’un qui n’a pas de revenu régulier. Il ne faut pas qu’il y ait des problèmes de trésorerie. Le système qui a été mis en place est celui du remboursement immédiat : quel que soit le montant de vos soins, vous vous présentez dans un bureau et vous recevez immédiatement un chèque de remboursement, payable même en argent liquide dans les agences bancaires. Le problème du tiers payant est même dépassé, car si vous payez votre praticien en chèque ou en carte bleue, vous touchez l’argent du remboursement alors même que la somme ne vous a pas encore été débitée.

Le deuxième élément est celui de l’amplitude des heures d’ouverture. Nous avons été les centres de sécurité sociale qui ont lancé l’ouverture de 9 heures à 18 heures, sans interruption, et le samedi toute la journée. Je ne suis pas sûr qu’il y ait beaucoup de caisses primaires de sécurité sociale qui aient ces horaires d’ouverture, indispensables pour les étudiants. Vous êtes en IUT, vous avez les horaires d’un plein temps. Si l’IUT est situé à la périphérie de la ville et si votre mutuelle n’est pas ouverte à l’heure du déjeuner ou le soir, vous ne pouvez jamais aller à votre mutuelle.

A cela s’ajoute, chez nous, le phénomène régional. Un étudiant à Nancy, qui habite à Epinal, où il rentre le week-end, va au bureau secondaire d’Épinal le samedi pour se faire rembourser. Cela a été un des grands progrès résultant du traitement informatique qui permet à n’importe quel adhérent d’aller dans n’importe quel bureau de la mutuelle pour obtenir tous les remboursements et tous les renseignements.

Enfin, je pense que la qualité de l’ensemble des autres services joue aussi son rôle. La MGEL est une mutuelle qui offre beaucoup de services aux étudiants et à l’inverse, les structures qui veulent développer des services en direction des étudiants voient en la mutuelle un partenaire qui leur permet de faire le relais.

Je me souviens de la négociation avec la compagnie des bus de Nancy, la CGFTE, qui a considéré qu’en terme d’image et de pénétration du monde des étudiants, le fait de se marier avec une mutuelle comme la MGEL lui offrait une garantie de sérieux. Inversement, lorsque les étudiants viennent s’inscrire, pouvoir leur expliquer qu’ils vont bénéficier d’une réduction sur leurs billets de bus est un élément intéressant. L’éthique a toujours été de ne pas se battre pour du chiffre d’affaires. Par rapport à un étudiant, l’idée est bien sûr de le faire venir à la MGEL, mais elle n’est pas de chercher à lui vendre une grosse garantie plutôt qu’une petite. Nous essayons d’avoir la palette de garanties la plus large possible afin que chacun trouve une solution adaptée à ses moyens financiers. Mais le mot de monopole me hérisse parce que la concurrence est extrêmement âpre. Les mutuelles étudiantes fonctionnent sous la menace d’un choix qui s’exprime par une simple croix sur un formulaire. Ce n’est vraiment pas difficile, extrêmement précaire. C’est ce qui rend sans doute l’aventure passionnante.

M. le Président : Monsieur le député, je tiens à vous remercier pour cet échange très fructueux. Votre verve et votre allant nous laisseront incontestablement des marques lorsque nous rédigerons notre rapport sur l’avenir du système mutualiste étudiant.


Source : Assemblée nationale (France) : http://www.assemblee-nationale.fr