Au nom de l’ensemble des associations Mme Marie-Line Ramackers a indiqué que les personnes présentes aujourd’hui représentaient des organisations non gouvernementales qui travaillent sur ce sujet de différentes manières : regroupant et diffusant des informations, proposant des moyens d’actions afin de sensibiliser et mobiliser l’opinion publique. Des campagnes de cartes postales adressées aux compagnies pétrolières ont notamment été réalisées, elles ont ciblé différentes entreprises et différents pays.

En premier lieu, sera présentée la situation au Tchad et au Cameroun où un consortium international composé d’Elf, d’Exxon et de Shell s’est lancé dans un gigantesque projet pétrolier. Les graves répercussions sur le plan social et écologique engendrées par ce projet seront présentées par "Agir ici pour un monde solidaire", "Les amis de la Terre" et le Centre d’environnement et de Développement (CED) du Cameroun.

En second lieu, dans le cadre d’une campagne menée en 1996 "Nigeria, Birmanie, les dictatures carburent au super !", sera abordée brièvement la situation du Nigeria puis plus longuement celle de la Birmanie.

Des représentants de l’association "Info Birmanie" présenteront plus particulièrement la situation de ce pays où Total, première entreprise française depuis qu’elle a acheté le groupe Fina, est majoritaire au sein du consortium chargé de construire un gazoduc dit projet Yadana.

En dernier lieu, en tant que représentants de la société civile, quelques pistes d’amélioration seront proposées, susceptibles d’être discutées ultérieurement.

En effet, sur le plan français, pour un plus grand respect des droits de l’Homme et de son environnement, l’opinion publique doit se mobiliser. Pour cela, il faut à la fois plus d’information et une évolution des mentalités afin que chaque citoyen et chaque élu considèrent légitime de demander des comptes aux responsables concernés.

Ainsi, au moment de la campagne sur la Birmanie et le Nigeria, une députée norvégienne Kaci Kullmann Five affirmait qu’en Norvège, il était possible d’appeler à ne plus acheter un produit si une entreprise avait un comportement négatif. De plus, les responsables politiques pouvaient prendre position. Aussi un ministre avait-il publiquement annoncé qu’il n’achetait plus son essence chez Shell.

Aujourd’hui, en France ce n’est pas possible, aucune loi n’interdit formellement cette forme d’action appelée boycott mais elle est très risquée. Appeler par exemple à ne pas acheter un produit d’une compagnie pétrolière si celle-ci ne respecte pas les droits de l’Homme dans un autre pays ou détruit l’environnement ou soutient indirectement une dictature est difficile. Selon le peu de jurisprudence existante, il n’y aura pas de lien direct entre l’objet acheté et la situation dénoncée (un boycott n’est légitime que si par exemple l’essence était frelatée !). Or cette forme de pression est un moyen efficace de faire évoluer le comportement des entreprises. C’est grâce à des années de mobilisation que la compagnie Shell met actuellement en place un code de bonne conduite. Bien sûr, ce code ne pourra être efficace que si des procédures de vérifications indépendantes sur les sites de production sont mises en place.

En dernier lieu, une législation plus stricte pourrait être introduite, sur le plan national mais avec la volonté de la mettre en application sur le plan européen et international pour que toute entreprise qui s’installe ou investisse dans un pays ne puisse le faire que si ce pays respecte les libertés publiques, qu’une opposition politique existe ainsi que la liberté de la presse.

De plus, les parlementaires représentants directs des citoyens doivent avoir un réel droit de regard sur le comportement social et environnemental des entreprises en France et à l’étranger car elles aussi représentent la France.

Mme Annick Jeantet, au nom "d’Agir ici pour un monde solidaire", a fait savoir que les projets d’exploitation de combustibles fossiles dans les pays en voie de développement, notamment l’exploitation du pétrole par des sociétés transnationales, avaient entraîné des graves violations des droits de l’Homme, la corruption des fonctionnaires et une destruction de l’environnement.

Le niveau de vie des populations locales n’a pas profité de l’utilisation des ressources naturelles. Au contraire, les droits des communautés vivant dans les régions de ces projets ont été constamment violés. En Afrique, la politique industrielle des multinationales, notamment celle menée par Shell et Elf, est en réalité fondée sur les gains économiques et financiers provenant de l’extraction du pétrole liée aux intérêts politiques et financiers des pays du Nord.

Un consortium composé de Exxon, Shell et Elf prévoit d’exploiter des champs pétrolifères dans le bassin de Doba, au sud du Tchad. Elf détient 20 % des parts du consortium ; Exxon et Shell, 40 % chacun. Environ 300 puits d’une dimension moyenne de 45 mètres sur 60 seront creusés. La production attendue est estimée à 225 000 barils de pétrole par jour (11 millions de tonnes/an). Le Tchad deviendrait ainsi le quatrième pays producteur de pétrole de l’Afrique subsaharienne après le Nigeria (94 mt/an), l’Angola (31 mt/an) et le Gabon (18 mt/an). Afin d’exporter le pétrole, un oléoduc long de 1 100 km et quatre stations de pompage doivent être construits à travers le Tchad et le Cameroun. Des infrastructures marines telles que des stations de stockage et de chargement seront créées au large de la côte camerounaise, à Kribi.

Le financement de ce projet est actuellement examiné par la Banque mondiale. Sa participation consisterait en un prêt de 250 millions de dollars et un montant supplémentaire de 120 millions pour permettre la participation des gouvernements tchadiens et camerounais aux coentreprises du projet. Le coût total du projet est estimé à 3,5 milliards de dollars et la participation de la Banque mondiale, selon le consortium, est essentielle pour attirer des capitaux supplémentaires en provenance d’investisseurs privés (environ 1,3 milliard de dollars).

L’accord de la Banque mondiale est soumis à des obligations de la part de l’emprunteur. En effet une série d’études sur les impacts environnementaux, sociaux et économiques du projet doit être réalisée et remise à la Banque mondiale. Ce sont sur ces documents que celle-ci s’engage à participer à un projet.

En 1996, suite aux interrogations soulevées par des ONG tchadiennes et camerounaises concernant le caractère secret de la mise en place de ce projet, plusieurs ONG internationales se sont mobilisées pour dénoncer l’implication de la Banque mondiale dans un projet ne respectant pas ses propres directives et objectifs. En France, "les Amis de la Terre" et "Agir ici" ont lancé la campagne "Banque mondiale pompe Afrique des compagnies pétrolières" en juin 1997 avec comme objectif principal de demander aux compagnies pétrolières des garanties sur le respect des populations locales et de l’environnement.

L’implication d’Elf dans le projet pétrolier est avant tout liée aux intérêts politico-stratégiques de la France. En 1978, le consortium américano-britannique composé d’Exxon 60%, Chevron 32 % et Shell 20 %, entreprend une prospection pétrolière au sud du Tchad qui révèle des réserves importantes. Si l’ancien Président Hissène Habré avait choisi d’avantager les Américains, leur octroyant la majeure partie des concessions pétrolières, le Président Idriss Déby, au pouvoir depuis 1990, a préféré remercier ses amis français.

Dans son interview à l’Express du 12 décembre 1996, M. Le Floch-Prigent affirme : "Mon rôle en Afrique est, entre autres, de s’intéresser à la présence française au Tchad et au Cameroun. C’est la raison pour laquelle Elf entre dans le consortium pétrolier tchadien à la place de Chevron. Mon rôle est de persuader les Américains, discrètement, de traverser la partie francophone du Cameroun." Dans La Lettre du Continent du 9 février 1995, on peut lire "les militaires français voient dans le tracé de l’oléoduc une formidable voie d’accès au sud du Tchad en cas de crise. Si Limbé (en zone anglophone) avait été choisi, l’axe aurait longé la frontière nigériane ce qui aurait rendu les mouvements militaires français plus difficiles."

Sur le plan juridique, les conventions signées entre les compagnies et les pays producteurs sont des instruments juridiques qui donnent carte blanche aux compagnies pétrolières. Une étude critique de la Convention d’établissement entre le Cameroun et le consortium a été réalisée par l’association FERN. La Convention d’établissement représente le principal cadre normatif qui régule la section du projet concernant le Cameroun. La Convention conclue entre la République du Cameroun et la COCTO a été approuvée par la loi camerounaise n° 97-16, le 7 août 1997. Le capital de la société COCTO est réparti de manière égale entre la République du Tchad et la République du Cameroun d’un côté (5 % chacune) et le consortium de l’autre (90 % des parts).

L’article 2.25 souligne que le projet comprend la production et le transport de pétrole provenant de la zone du permis H. Le permis H inclut les zones suivantes : le bassin du lac Tchad, le bassin du Bongor, le bassin du Salamat et le bassin de Doba. Or, seul ce dernier est concerné dans les études environnementales du consortium. Par conséquent, le projet peut inclure des objectifs plus étendus que ceux de la production des gisements de Doba. Cela signifie que, à long terme, l’impact du projet sur la population et l’environnement dépassera largement les effets évalués jusqu’ici par le consortium. Il n’y a aucune obligation de consultation et d’information des populations concernées, ni d’évaluer les conséquences sur l’environnement. Or, une fuite de pétrole dans ces zones peut avoir des conséquences désastreuses sur les cours d’eau de l’ensemble du pays, en raison des lacs et fleuves qui traversent le Tchad.

Article 3 : les termes de la Convention
La validité de la Convention est de 25 ans à dater du commencement des opérations et sera renouvelée automatiquement sur la demande de COCTO pour une autre période de 25 ans. Aucune consultation n’est envisagée avec les populations ou les groupes concernés par le projet avant son renouvellement.

Article 6.3 : les droits et les obligations de la COCTO
L’autorisation pour le transport du pétrole dont la COCTO est devenue titulaire avec la Convention d’établissement permet à la compagnie, sans aucune autorisation ou permis, de mener, entre autres, les activités suivantes sur la zone en concession :
 couper des arbres et arbustes pour des travaux de construction et de transport ;
 utiliser les sources et les cascades d’eau qui n’ont pas été exploitées (il existe une loi nationale qui protège les eaux non exploitées).

Ainsi aucun contrôle ne sera exercé sur ces activités, ce qui laissera la porte ouverte à des abus et une possible dégradation de l’environnement sans que personne ne puisse intervenir pour limiter les excès.

L’article 14.1 stipule que la COCTO peut être soumise à un contrôle sur la sécurité et la protection de l’environnement et de la population. Ce contrôle est prévu par la législation du Cameroun à laquelle se réfère l’article 30. Or l’article 30 ne contient aucune loi faisant référence à la protection de la population et de l’environnement. Une fois encore cela prouve qu’au niveau national, il n’y a pas de structures juridiques qui fassent autorité sur cette société.

Aux termes de l’article 14.14, le personnel de la COCTO doit vérifier les conditions de sécurité des valves, contrôler la corrosion interne et surveiller l’analyse des effluents une fois par an. Cette obligation n’est nullement suffisante pour anticiper une dégradation du matériel et ses inévitables conséquences sur l’environnement ou la population en cas de pollution.

L’article 27.8 spécifie qu’aucune personne, sauf celles employées par le Consortium ou par le gouvernement, ne peut contrôler comment le projet est mené.

Aucune vérification ni évaluation indépendante des activités du consortium ne peut être réalisée.

Articles 30 et 41 : prévoient la supériorité des dispositions de la Convention sur les lois nationales et internationales en cas de conflits. Dans l’étude d’impact sur l’environnement, il est spécifié que "les lois camerounaises seront utilisées dans la mesure où elles ne sont pas contraires aux dispositions prises dans la Convention d’établissement."

Dans l’étude du plan d’aménagement, il est clairement spécifié que la Convention d’établissement prévaut en cas de conflit et de divergences entre la convention et les lois nationales.

Sur le plan social et s’agissant du respect des droits de l’Homme, une fois encore les projets pétroliers ont des conséquences considérables sur la politique intérieure des pays dans lesquels ils interviennent. Au Tchad comme au Cameroun, l’un des soucis majeurs des associations locales et internationales concernant la mise en œuvre de ce projet est de voir augmenter les tensions, les conflits inter-ethniques et les violations des droits de l’Homme. Le projet conduit et conduira à une augmentation des conflits dans le sud du Tchad, malgré un accord de paix signé entre les FARF (Forces armées pour la République fédérale) et le Gouvernement en avril 1997, le climat politique est encore très incertain. L’accord de paix a volé en éclat en octobre 1997, provoquant la mort d’une centaine de personnes dont 52 civils. En mars, plus de cent personnes ont été exécutées, dont une majorité de civils. Les FARF demandaient que 50 % des revenus pétroliers leur soient redistribués. Des rapports complets d’associations des droits de l’Homme sur place, ainsi que ceux d’Amnesty, sont disponibles sur la question. En mars 1998, des coopérants français ont été évacués de la zone et plusieurs d’entre eux ont exprimé leur indignation et leurs inquiétudes concernant la situation sur place. Certains nous ont affirmés aussi avoir vu l’armée française apporter un soutien logistique à l’armée tchadienne lors de ses interventions pour "nettoyer" la région.

Le consortium, dans ses études d’évaluation du projet, n’a fait aucune évaluation du contexte politique et sociologique de la région, n’a pas mentionné les possibles conflits inter-ethniques liés à l’exploitation du projet pétrolier et à la répartition des revenus. Un courrier envoyé à la société Elf à la suite de ces massacres est resté sans réponse. Que ce soit les compagnies pétrolières ou la Banque mondiale, la question des droits de l’Homme est toujours évacuée au titre de la non ingérence dans les affaires intérieures du pays. Par contre l’ingérence dans le domaine de la gestion économique ne leur pose aucun problème.

L’impunité des compagnies pétrolières en cas de violation des droits de l’Homme, est patente. Au Tchad, en novembre 1994, un paysan qui amenait ses deux enfants voir l’atterrissage d’un avion a été tué par les gardes de sécurité d’Exxon. Les villageois ont témoigné que le paysan était l’un d’entre eux et qu’il voulait juste voir l’avion. Le chef militaire a préparé un rapport disant que l’homme était un rebelle et a clos l’affaire. Exxon s’est retranché derrière les militaires et aucune indemnisation n’a été versée à la famille, ni aucune enquête menée à ce sujet.

La situation du député Yorongar, condamné à trois ans de prison ferme pour avoir exprimé une forte opposition à la mise en place du projet et pour avoir dénoncé la corruption de certains membres du Gouvernement par la compagnie pétrolière Elf, est particulièrement sérieuse. Le Parlement européen a adopté une résolution urgente en juin 1998 demandant sa libération immédiate, le respect des droits de l’Homme, la primauté du droit dans le sud du Tchad et le respect des droits des communautés locales à l’information et à la participation au projet. M. Yorongar, député, a notamment dénoncé "la braderie du projet pétrolier, les éventuels dégâts néfastes de l’exploitation du pétrole sur les hommes, la flore et la faune, la formation des parents du Président Idriss Déby dans le domaine pétrolier chez Elf en France, aux Etats-Unis, en Algérie, en Iran, en Irak... en vue de monopoliser l’exploitation du pétrole, le financement des campagnes électorales de certains candidats aux présidentielles de 1996 par Elf, l’obsolescence du code pétrolier, l’absence de code forestier et de l’environnement au moment de la négociation et de l’adoption des projets de loi du 17 juillet 1997, l’intrusion d’Elf dans le consortium en échange du financement du régime de M. Déby au pouvoir au Tchad. L’Union interparlementaire à Genève s’est saisie du cas du député Yorongar et doit rendre ces jours-ci son rapport après la visite qu’elle a effectuée sur place en novembre.

En conclusion, dans des pays où l’instabilité politique est constante et où la démocratie est faible, ce type de projet ne fait que renforcer les inégalités, augmenter les tensions inter-ethniques et la violation de droits de l’Homme. Le manque de cadre juridique sur l’environnement laisse libre court à des abus et ne permet pas d’anticiper les dégradations environnementales que le projet risque d’engendrer.

Il laisse une marge de manœuvre considérable aux entreprises pétrolières qui peuvent imposer leurs politiques, couvrir leurs responsabilités en cas de problèmes environnementaux et/ou humains. Sous couvert des conventions, les compagnies portent directement atteinte à la souveraineté d’un Etat et de sa population.

Il est donc indispensable que les compagnies pétrolières se dotent de critères sociaux et environnementaux avant de réaliser des projets de grande envergure qui auront des conséquences fondamentales sur la vie des populations et sur l’environnement. Evidemment, des organismes indépendants doivent être créés pour contrôler les éventuels codes de conduite mis en place par des compagnies pétrolières.

Mme Hélène Ballande, au nom des "Amis de la Terre", a souligné les conséquences néfastes sur le plan environnemental du projet tchadien.

S’agissant de l’étude d’impact sur l’environnement du projet Tchad Cameroun, la Banque mondiale ne peut financer le projet dans les conditions actuelles qui violent ses directives internes. Elle s’exposerait à un recours devant le panel d’inspection (tribunal administratif interne ouvert aux populations affectées par un projet).

Le gouvernement français doit montrer son attachement aux politiques internes de la Banque mondiale. Il pourrait soutenir les efforts nécessaires de la part du gouvernement tchadien en prenant en charge financièrement certains surcoûts que le respect des populations et de l’environnement implique. Le département environnement de la Banque a confirmé la pertinence des critiques émises par les populations locales et relayées par les ONG internationales. Il a émis des recommandations aux opérateurs du projet, reprises en partie ci-dessous.

Les ONG ont noté de nombreux progrès dans la préparation du projet qui restent néanmoins insuffisants pour garantir que le projet bénéficiera au développement du Tchad et du Cameroun. Les ONG écologistes et de solidarité internationale maintiendront leur pression sur les bailleurs de fonds tant que les demandes des populations locales n’auront pas été satisfaites. Des études supplémentaires sont nécessaires portant en particulier sur : la collecte de données statistiques sociales et environnementales récentes dans la zone du projet (par exemple revenus de la population), les cartes précises montrant les cours d’eau et nappes phréatiques qui seront affectés par le projet, la carte des concessions forestières le long de l’oléoduc, l’analyse des impacts indirects du projet (émissions atmosphériques...), le bilan des déplacements de population qui ont déjà eu lieu pour l’installation des premières infrastructures au sud du Tchad depuis 1995, et le budget nécessaire à la mise en œuvre du plan d’atténuation qui doit être intégré dans le budget global du projet.

Le processus d’information et de consultation est défaillant. Les études d’impact n’ont pas fait l’objet d’une information et d’une consultation suffisantes de la population (violation des directives internes de la Banque mondiale). Les études complémentaires nécessaires devront respecter l’exigence de consultation et d’information publiques sans intimidation armée comme cela a pu être le cas auparavant. Les foyers devant être déplacés doivent être identifiés précisément ainsi que leurs revenus dont le niveau ne devra pas baisser du fait du projet. La population doit être informée des éléments qui ont conduit au choix du tracé de l’oléoduc et à repousser les alternatives possibles ainsi que sur le choix de la construction des installations offshore pour le terminal.

Des rectifications doivent être apportées à ce projet qui doit éviter toutes les zones écologiquement sensibles et les habitats naturels notamment le Rift du Mbere et la forêt de Deng Deng au Cameroun. Le terminal de l’oléoduc doit être déplacé dans une zone où existent déjà des infrastructures afin d’éviter les zones de forêt près de la côte atlantique camerounaise.

Des améliorations sont par ailleurs nécessaires. Un plan de développement des populations affectées par le projet doit être défini en concertation avec ces populations (Pygmées, Bantous, paysans du sud du Tchad). Le renforcement des capacités institutionnelles locales est nécessaire en cas d’accident et pour mettre en œuvre les plans d’atténuation. Il faut mettre en place un mécanisme indépendant de surveillance et d’évaluation des impacts du projet sur les populations et l’environnement local par un groupe d’experts indépendants comprenant des Tchadiens et des Camerounais. Les études et les résultats des enquêtes présentées par ce groupe devront être publics et non la propriété du gouvernement ou du consortium. Des mesures d’atténuation des conséquences de la pression démographique doivent être prises. Les mesures d’atténuation des dommages présentées par le consortium et les gouvernements doivent être précisées. Des infrastructures doivent être construites dans la zone du projet afin de profiter à toute la population (routes, ponts, etc.).

Le rôle de la société civile des pays occidentaux, mais également et surtout des pays concernés a été déterminant pour l’évaluation de la procédure d’étude d’impact suivie dans le cadre du projet Tchad-Cameroun. Il est apparu une fois de plus que les seules prescriptions réglementaires n’ont qu’une portée très limitée en l’absence de tout contre-pouvoir libre de s’exprimer et d’en contrôler le respect.

Au risque parfois de leur liberté et de leur vie, des personnes ont exprimé des critiques sur la procédure de préparation du projet et le résultat des études d’impact, présenté aux bailleurs de fonds. Les Amis de la Terre aux Pays-Bas ont réalisé une évaluation de la première étude d’impact sur le Tchad. Puis l’association Environmental Defense Fund avec le Centre pour l’environnement et le Développement à Yaoundé ont fait une étude critique pour la partie camerounaise du projet. A l’occasion de diverses rencontres, les associations et représentants des populations locales ont également critiqué certains aspects des études présentées par le consortium qui n’avait eu pratiquement aucun recours à des expertises locales. Trop peu de contrôle est réalisé par les actionnaires de la Banque mondiale quant au respect des politiques et directives internes. Il serait en effet de la compétence des administrateurs de se montrer exigeant et rigoureux sur les orientations qu’ils ont eux-mêmes votées au sein de leur Conseil.

Il faut notamment souligner le peu d’intérêt montré par l’administrateur français pour le respect des règles environnementales internes de la Banque mondiale. M. Autheman, alors administrateur, n’a jamais pris contact ni répondu aux courriers envoyés par les associations françaises sur le projet pétrolier Tchad Cameroun depuis 1997. Celui-ci a pourtant été le destinataire de plus de 20 000 cartes postales adressées par les membres des associations "Agir ici", "les Amis de la Terre" et de toutes les ONG qui soutiennent la campagne sur le projet d’oléoduc. On peut souligner qu’à l’inverse les associations françaises ont été en contact avec les administrateurs d’autres pays et ont notamment reçu des réponses circonstanciées et promptes de l’administrateur anglais.

Certains administrateurs européens sont plus sensibles à l’interpellation des citoyens, comme aux Pays-Bas où la mobilisation de la base militante a pourtant été plus faible qu’en France. Le gouvernement hollandais a sollicité une contre-expertise de l’étude d’impact présentée par le consortium afin de se forger un avis indépendant de celui de la Banque mondiale qui peut être amenée à jouer un double rôle de juge et partie, puisque sa logique veut que ses performances soient calculées en fonction du volume de l’encours des prêts qu’elle accorde.

Les instructions qui sont données par le gouvernement français à l’administrateur ne sont par ailleurs pas transparentes contrairement à celles d’autres pays (notamment les Etats Unis) et le Parlement ne discute pas vraiment des orientations de la politique d’aide multilatérale à l’occasion du vote du budget du Trésor. Les administrateurs français à la Banque mondiale ne présentent pas le bilan et les orientations de leur travail à la Commission des Affaires étrangères. Les institutions publiques françaises qui sont sollicitées en tant que "bailleurs de fonds" pour les projets réalisés à l’étranger par des entreprises pétrolières, n’ont pas institué de procédure d’évaluation écologique. En effet, la réglementation française sur les études d’impact et les installations classées, auxquelles pourraient être assimilés les projets d’exploration et d’exploitation pétrolière, n’a aucune portée extra-territoriale.

Une procédure d’étude d’impact écologique participe à l’application du principe de précaution et de prévention puisqu’elle vise à prévenir la pollution et les atteintes à l’environnement en évaluant à l’avance les effets d’un projet. M. Michel Prieur souligne que cette procédure "contraint les autorités publiques à changer de mentalité et d’attitude" ; cette évolution, bien que difficile, est absolument urgente en ce qui concerne les institutions qui gèrent l’aide bilatérale et multilatérale française. Elle conduirait à ce que ce même professeur appelle "la socialisation des actions d’investissements publics".

Pour ce faire, une des pistes envisageables serait la modification de la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature afin d’en étendre l’application à tous les projets financés par un établissement public ou bénéficiant d’une garantie d’une collectivité, d’un établissement public ou de l’Etat français sans limitation territoriale.

Les entreprises ont réussi à réduire considérablement la portée de la loi du 10 juillet 1976 en invoquant notamment le coût des études d’impact écologique et leur incompatibilité avec les exigences et contraintes économiques. Cependant, est-il normal que le coût écologique (sur la santé publique et l’environnement par exemple) des installations polluantes soit payé par la collectivité alors que les entreprises retirent le plus grand profit de leur exploitation ? L’autre argument invoqué par les entreprises est relatif à la concurrence internationale. Cependant, les institutions publiques des autres pays industrialisés ont déjà adopté, sous la pression de leur Parlement, des réglementations exigeant des études d’impact écologiques pour les projets réalisés à l’étranger.

Ainsi, les équivalents américains de l’Agence française de développement, sa filiale la Proparco, et de la Coface qui sont respectivement l’Overseas Public investment corporation (OPIC) et l’Export Import Bank (Eximbank) ont depuis 1985 des instructions en matière sociale et environnementale et ont adopté des "guides environnementaux" (environmental handbook) ou des directives internes en matière d’environnement (environmental guidelines). Ces exigences ont été posées par des lois fédérales votées par le Congrès, notamment les sections 117, 118 et 199 du "Foreign Assistance Act" et le "Jobs through Exports Act" de 1992, ainsi que l’Executive Order n° 12114. Ces procédures reprennent largement celles adoptées par la Banque mondiale au début des années 1990 sous la pression des associations écologistes américaines. Les dernières modifications de ces procédures en 1997 et 1998 résultent d’un processus consultatif des acteurs concernés, y compris la société civile.

Les projets financés sont classés en quatre catégories : les projets sans conséquence pour l’environnement (exemple : les marchés de fourniture de service) qui ne sont soumis à aucune procédure environnementale ; les projets qui ont une faible conséquence sur l’environnement sont soumis à une procédure succincte ; les projets qui présentent un danger pour l’environnement et sont soumis à une procédure d’évaluation d’impact sur l’environnement exhaustive ; les projets interdits car ils engendrent le déplacement de plus de 5 000 personnes et/ou menacent des forêts primaires, des réserves de faune ou de flore, des sites déclarés par l’UNESCO, patrimoine mondial de l’humanité, etc.

Les recherches de l’association sont restées infructueuses sur les obligations et exigences de l’Agence française de développement qui dispose d’un secteur minier et pétrolier et étudie actuellement le financement du projet d’oléoduc au Tchad et au Cameroun. De même, la Coface ne semble absolument pas prendre en compte des critères sociaux ou environnementaux lorsqu’elle garantit au nom de l’Etat français les projets des entreprises pétrolières.

A l’occasion du sommet du G7 de Denver en 1997, les pays industrialisés avaient reconnu l’impact des flux financiers du secteur privé dans les pays en développement et la nécessité pour les gouvernements de tenir compte des facteurs environnementaux lorsqu’ils apportent un soutien financier aux investissements d’infrastructure et d’équipement. Ce langage extrêmement faible adopté dans le communiqué final du sommet visait en fait l’harmonisation des politiques des agences de crédit à l’exportation (Coface pour la France). Il résultait en fait d’une pression très forte des "sherpas" français qui ont bloqué toute proposition des autres pays industrialisés et de la société civile contenant des engagements plus précis. Au contraire, les assurances de crédit aux exportations semblent s’appuyer sur des critères différents moins exigeants pour les projets pétroliers. En effet, les risques pays pour le Cameroun et le Nigeria sont diagnostiqués en ces termes par la Coface : "A moyen terme : risque très élevé sauf secteur pétrolier".

Il serait intéressant de comprendre sur quel fondement se base cette "exception pétrolière" en matière d’assurance publique à l’exportation. Du point de vue social et environnemental, ces projets semblent comporter des risques beaucoup plus importants comme le démontrent actuellement les manifestations des femmes Egi au Nigeria qui réclament le départ de la société Elf mais également les guerres civiles au Congo et en Angola.

Il est de la compétence du Parlement de contraindre ces institutions publiques à se soumettre à des exigences sociales et environnementales lorsqu’elles accordent des subventions publiques. En matière d’assurance-crédit aux exportations réalisée par la Coface pour le compte de l’Etat conformément aux articles L 432-1 du Code des assurances, le Parlement pourrait modifier le régime législatif de ces interventions en exigeant le respect minimum d’une procédure d’étude d’impact écologique des grands projets.

Le Parlement a le pouvoir de limiter les interventions publiques dans le financement des projets pétroliers puisque les banques privées sont réticentes à intervenir dans les "dictatures pétrolières", mais la pression directe de la société civile sur les sociétés pétrolières privées doit se développer car l’intervention publique se réduit toujours un peu plus.

M. Roland Blum a demandé des explications sur le lien existant entre la rupture de la paix au Tchad et la mise en place des accords pétroliers et sur le rôle de la communauté internationale dans ce conflit.

Il s’est interrogé sur la violation par la Banque mondiale de ses propres règles.

Il s’est étonné de la hiérarchie des normes décrites entre Convention d’établissement, lois nationales et traités internationaux.

Evoquant la possibilité de mettre en œuvre une responsabilité pénale des personnes morales en droit international, il a souligné sa difficulté et la faiblesse des moyens dont dispose le Parlement à cet égard en l’absence de convention internationale.

M. Pierre Brana a souhaité des précisions sur les correspondances des "Amis de la Terre" avec la Banque mondiale et avec son administrateur français et sur la nature concrète des atteintes à l’environnement constatées ou prévisibles, notamment sur le tracé de l’oléoduc Tchad-Cameroun.

Insistant sur l’absolue nécessité d’obtenir la libération de M. Yorongar, député emprisonné au Tchad pour son opposition, Mme Marie-Hélène Aubert a voulu mieux comprendre le rôle d’Elf et le lien entre l’arrivée au pouvoir de M. Idriss Déby et le développement du projet d’oléoduc ; elle s’est interrogée sur les rapports entre la sécurité d’Exxon et les forces françaises basées au Tchad.

Elle s’est renseignée sur la nature des relations entre d’une part, les ONG et le consortium pétrolier et d’autre part, les ONG et l’administration française.

Elle a souhaité savoir si le projet faisait l’objet de financements publics français, si la perspective d’un retrait de la Banque mondiale du projet était sérieuse et si des demandes de contre-expertise avaient été adressées au Gouvernement français à l’instar de celles faites en Allemagne et aux Pays-Bas.

S’agissant de l’existence de codes de bonne conduite des entreprises pétrolières, elle a voulu en connaître l’impact.

Mme Annick Jeantet a apporté les précisions suivantes.

Le mémorandum sur l’historique du projet souligne la coïncidence entre les accords pétroliers et la rupture des accords de paix au Tchad. Dans ses réponses, Elf indique systématiquement qu’ils ne sont pas opérateurs, ce rôle revenant à Exxon. Le Premier ministre s’est déclaré "attentif" au projet et M. Charles Josselin a reçu les ONG avant son voyage au Tchad, en septembre 1998. Mais aucune suite réelle n’a été constatée, notamment concernant le cas du député Yorongar. Il est difficile d’avoir des informations sur les liens éventuels entre les gardes de la sécurité d’Exxon et les militaires français. Certains coopérants indiquent que des transports sont effectués par la France.

Mme Hélène Ballande a ajouté que la convention d’établissement entre le Consortium et le gouvernement tchadien s’analysait comme un contrat de droit privé, qui peut donc contenir des exceptions aux lois et conventions internationales, sauf dans la mesure où celles-ci sont d’ordre public.

Le panel d’inspection voit ses actions limitées par le fait que le Conseil d’administration statue sur la recevabilité des plaintes. Celui-ci est alors juge et partie, puisque les performances de la Banque mondiale sont évaluées par le volume d’encours des prêts accordés. Il ne souhaite donc pas trop limiter cet encours pour ne pas remettre en cause sa capacité d’emprunt sur le marché international des capitaux.

La responsabilité pénale des personnes morales paraît relever du rêve, puisqu’on ne peut pas même mettre en cause celle des personnes physiques et on constate, comme dans le cas de l’ex-Yougoslavie, qu’il est très difficile de faire appliquer le droit pénal international. C’est peut être plus efficace de faire appliquer le droit pénal au niveau international en donnant une portée extra-territoriale à certaines lois, comme c’est le cas aux Etats-Unis.

Le choix d’installer le terminal pétrolier dans la région de Kribi est absurde, car il existe déjà un terminal à Limbé.

Elle a souligné les inquiétudes que suscitait pour les populations, la militarisation de la zone d’exploitation au Tchad. Le Trésor intervient dans le projet au titre de l’Aide publique au Développement multilatéral qui passe par la Banque mondiale.

Seule la compagnie Shell disposerait d’un code de conduite et il n’y aurait pas de projet conjoint des compagnies sur ce sujet.

Le soutien financier français provient de l’Agence française du développement et de la Coface ; par ailleurs, le Crédit agricole et Indosuez étudient le projet d’oléoduc. Quant aux soutiens du Trésor, ils passent par la Banque mondiale.

M. Stéphane Hessel, porte-parole d’Info Birmanie, a exposé qu’il se réjouissait de l’existence de cette mission d’information.

A la demande des associations France Libertés et Info Birmanie, il s’est rendu en Birmanie pour rencontrer Mme Aung San Suu Kyi, mais l’autorisation lui en a été refusée. En revanche, il s’est entretenu avec, d’une part ses geôliers, d’autre part, quelques-uns de ses représentants. Il a voulu s’assurer de son opinion sur l’implantation de compagnies pétrolières en Birmanie. Mme Aung San Suu Kyi s’est toujours prononcée contre le projet Yadana, ce qui porte sans doute préjudice à l’avenir de ce projet. Elle estime qu’il conforte la Junte au pouvoir, qui en bénéficie directement. On soutient ainsi un gouvernement qui bafoue les droits de l’Homme et les principes démocratiques, car Mme Aung San Suu Kyi et les forces politiques qu’elle représente ont été élues démocratiquement par le peuple birman.

Pendant son séjour, il a rencontré les responsables de Total, qui lui ont organisé une visite des sites du projet Yadana. La compagnie Total prétend qu’elle fait tout pour apporter son soutien aux populations qui vivent sur le site, mais cette zone est protégée par la compagnie et par la Junte militaire. Elle est souvent déserte, ce qui implique des déplacements de populations. L’argument invoqué par Total "si ce n’est pas notre compagnie, c’est d’autres" ; "on représente les intérêts français", n’est pas convaincant. Cette présence n’est pas vraiment justifiée. A son retour du site de Total, il a exprimé sa gratitude aux responsables de Total qui ont organisé sa visite et leur a fait part de son appréciation des efforts faits pour subvenir aux besoins de la population qui vit sur le site. Cela n’enlève rien à sa conviction que, dans son ensemble, l’opération est contraire aux intérêts des populations de cette région et donc au bon renom de la France dans l’Asie du Sud-Est.

M. Stéphane Hessel a douté également de la position des dirigeants de l’ASEAN, qui considèrent qu’il ne faut pas isoler la Birmanie, qu’il vaut mieux que ce pays en soit membre. Le ministère des Affaires étrangères, dont il a rencontré les représentants sur place, estime de son côté qu’il ne faut pas relâcher la présence de la France, et qu’il ne lui appartient pas d’aller à l’encontre des intérêts de Total. L’Ambassadeur de France en Birmanie affirme en même temps qu’il fait tout son possible pour appuyer les efforts de démocratisation. La Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale a un rôle à jouer dans ce domaine.

Il convient de s’intéresser à l’impact des grands travaux pétroliers sur l’environnement. Le financement par la France de certains projets pétroliers par le biais des garanties accordées est un sujet sur lequel le Parlement devrait être plus directement informé, car le débat budgétaire n’y suffit pas. Il faudrait rendre nos sociétés, opérant en Birmanie, plus attentives au fait que Mme Aung San Suu Kyi jouera un rôle important quand la démocratie sera de retour dans ce pays. Il serait opportun d’attendre et de geler les projets en cours, d’autant que celle-ci s’est largement prononcée sur la nocivité de la présence de Total.

M. Michel Diricq, membre "d’Info Birmanie", a précisé que les principales accusations portées contre Total visaient la collusion avec l’armée birmane, le travail forcé, et le blanchiment de l’argent de la drogue. Un rapport d’une certaine commission "Justice et Paix", du Bangladesh, qui n’a pas de lien avec l’ONG connue sous ce nom en France, ferait justice de ces accusations, mais ses membres ne connaissent pas la Birmanie et n’ont passé que cinq jours dans ce pays avec un interprète appartenant à la Myanmar Oil and Gas Enterprise (MOGE), partenaire de Total. Ainsi, ils prétendent n’avoir pas vu de présence militaire pendant leur séjour, alors que chacun sait que la situation est telle que même si les armes sont cachées quelques jours, les intimidations sont permanentes et présentes dans tous les esprits. "Justice et Paix" ne semble pas s’être rendue du côté de la frontière thaïlandaise alors que, d’après ce qu’en disent les rapports des ONG et de l’opposition, elle aurait pu y voir cinq camps militaires birmans. Enfin, s’ils avaient traversé la frontière, ses "évaluateurs" auraient peut être pu voir également les Thaïlandais qui manifestent contre le gazoduc, la crise économique rendant pour l’instant ce projet inutile, et aussi les réfugiés birmans qui ont fui les exactions de l’armée birmane et le projet de développement local de Total.

M. Cyril Payen, journaliste basé à Bangkok, est intervenu à la demande de l’association "Info Birmanie". A la suite de la publication dans la presse des derniers démentis des sociétés Total et Unocal concernant leur collusion avec l’armée birmane il a effectué plusieurs voyages dans la région du gazoduc, pénétrant même, début décembre, dans le périmètre birman de ce projet.

Il s’est inscrit en faux contre les démentis de Total concernant la collusion avec les militaires. Il a rapporté avoir recueilli de sources militaires thaïlandaise, birmane et karen, comme de la part de salariés birmans de Total, des témoignages permettant d’établir que cette société a offert à chacun des douze bataillons de l’armée birmane opérant dans la zone du projet, tous les mois, de juillet à décembre 1998, 5 millions de kyats, ce qui représente une très grosse somme dans ce pays. Elle a offert également, au mois de décembre 1998, à deux chefs de bataillons de la zone, deux voitures neuves et de l’essence - un produit rare là-bas qu’ils n’auraient pratiquement pas pu se procurer sinon.

Il a pu discuter sur place avec des membres de l’armée birmane et avec des agents du service de sécurité de Total qui ignoraient qu’il était journaliste. Ils lui ont expliqué que des avions de Total avaient été utilisés pour transporter des troupes vers le gazoduc en vue d’une offensive prochaine lors de la saison sèche, troupes qui ont été massées entre Kanbauk et la frontière thaïlandaise. Les directions de Total et d’Unocal ont démenti ces assertions à la suite d’articles parus le 6 décembre 1998 dans le Bangkok Post, mais tous les témoignages confirment cette militarisation à outrance de la région en vue de l’offensive qui doit commencer en janvier.

En décembre 1997, l’offensive de l’armée birmane, qui se déroule à chaque saison sèche, a entraîné l’exode de 20 000 Birmans. L’armée birmane a démenti cet état de fait mais aujourd’hui chacun peut voir tous ces Birmans peuplant quinze camps, appelés "villages birmans" en Thaïlande, qui ne bénéficient pas du statut de camps de réfugiés et qui s’ajoutent aux camps de réfugiés de l’UNHCR. Il est à craindre qu’une nouvelle offensive ait bien lieu prochainement, d’après les témoignages qu’il a pu recueillir auprès du personnel même de Total. Enfin, quant au "développement local" lié au projet Yadana, la route de 60 km construite parallèlement au gazoduc traverse en fait un désert ; aucun village n’est desservi et elle n’est utilisée que par le personnel de Total.

M. Pierre Brana s’est étonné qu’une route de 60 kilomètres ne desserve aucun village, et a voulu savoir si les accusations de prêt d’hélicoptères et de pilotes par Total à l’armée birmane, et de transmission à cette dernière des images satellitaires prises par Total sont crédibles.

Il a demandé si l’embargo contre la Birmanie avait été évoqué comme arme ultime. Il a estimé fort l’argument du retour à la démocratie pénalisant les entreprises qui avaient aidé un régime condamnable.

M. Roland Blum a rappelé qu’un autre intervenant devant la mission avait indiqué que le gazoduc de Yadana n’avait aucune raison d’être dans la mesure où il doit alimenter une usine en Thaïlande dont la construction est arrêtée. Il s’est demandé si cela ne constituait pas un moyen de porter un coup à la Junte birmane.

Mme Marie-Hélène Aubert s’est interrogée sur le contrat entre Total et la MOGE, sur les contacts de Total avec les autorités françaises. Elle a fait également justice de l’argument "si c’est pas nous c’est d’autres". Elle a évoqué à ce sujet le rapport de la Chambre des Communes sur les multinationales et les droits de l’Homme qui démontrait que ces sociétés hésitaient à se rendre en Birmanie, pays qu’elles citaient comme étant l’un des seuls où elles ne souhaitaient pas travailler.

Elle s’est demandé comment faire évoluer la diplomatie française et quelle devrait être l’attitude de la France face à la Junte birmane.

M. Cyril Payen a apporté les précisions suivantes.

Il a qualifié de crédible la rumeur concernant les prêts d’hélicoptères et de pilotes à la Junte mais s’est montré plus réservé sur l’intérêt qu’aurait eu Total à transmettre des images satellitaires, car la route qui longe la frontière est bonne et permet une surveillance suffisante.

Il a indiqué que lors du prochain sommet ASEAN/Union européenne, la Grande-Bretagne avait refusé d’être présente si la Junte birmane était représentée.

M. Stéphane Hessel a donné les indications suivantes.

Si l’on souhaitait s’associer à des sanctions contre la Junte, l’acte le plus courageux serait d’interrompre le projet de Yadana. Néanmoins, il n’est pas favorable aux embargos qui font plus de tort au peuple qu’à ses dirigeants. Il y a peu d’outils contre les gouvernements dictatoriaux. Pour les dirigeants de Total le projet de Yadana doit être jugé à long terme c’est-à-dire en 2002. Ils considèrent que d’ici là, la Thaïlande aura évolué et que les premiers bénéficiaires en seront les Birmans. Il se demande si on peut donner au gouvernement birman l’apport symbolique que représente la présence de Total. Aux yeux des dirigeants locaux de Total, leur lien avec la MOGE est conventionnel, il est nécessaire à l’exploitation du pétrole. Ils sont convaincus qu’il y aura un jour la démocratie en Birmanie et estiment que c’est pour cela qu’il faut y travailler. Ils savent qu’ils ne peuvent pas échapper aux critiques de collusion et reconnaissent que le gouvernement a déplacé les Karens. L’Ambassade de France en Birmanie entretient des rapports amicaux avec Mme Aung San Suu Kyi. La France part du principe qu’il faut être présent partout dans le monde, sous-estimant ainsi le caractère extra-démocratique extrêmement fort de la Junte birmane très mal vue de la population. Les élections démocratiques l’ont montré.

Ce régime ne se maintient que grâce à la drogue. Il faut donc réfléchir à la présence de la France dans ce pays. Dans son rapport sur les pays du Sud, M. Stéphane Hessel a rappelé qu’il avait souligné l’importance de la défense des droits de l’Homme par la France. Celle-ci aurait une position plus forte si elle assurait cette défense avec plus de fermeté, même si son expansion économique en serait affectée. Le Parlement a une mission dans la définition de la politique étrangère de la France. Le Gouvernement français a annoncé des modifications à ce sujet, il en attend les résultats.

M. Michel Diricq a précisé qu’ "Info Birmanie" estimait que Total devait se retirer de la Birmanie, à la suite des déclarations des élus birmans. L’Association souhaite que la Mission parlementaire rencontre les représentants légitimes du peuple birman. "Info Birmanie" est sur ce point d’un avis différent d’ "Agir ici" et estime que la France adopterait une attitude plus digne en reconnaissant qu’il est inacceptable de traiter avec la Junte de Rangoon qui est un régime illégitime. Même s’il est important pour la diplomatie française de défendre les entreprises du pays, il faut reconnaître qu’il y a des pays, la Birmanie et le Soudan notamment, où il ne faut pas être présent.

L’implantation de Total accroît la présence militaire dans la région et différents rapports d’ONG démontrent que si la région ne comptait que quelques bataillons de l’armée birmane avant l’arrivée de Total, ils sont à présent au nombre de dix à quinze pour assurer la "sécurité" du projet gazier. Ces troupes pratiquent la tactique dite des "quatre coupures" qui consiste, pour empêcher tout appui des populations à l’opposition armée, à "couper" tout soutien possible en munitions, recrues, nourriture et informations ; autrement dit cette tactique a amené l’armée birmane à pratiquer une guerre totale. Ce type de conflit armé était prévisible car l’armée birmane s’est comportée dans la région du gazoduc comme elle l’avait fait auparavant contre ses autres opposants ailleurs dans le pays. Total aurait pu anticiper ce conflit armé car, notamment en 1991, la Banque mondiale avait refusé d’accorder un crédit pour le projet en conseillant une modification du tracé du gazoduc qui allait traverser une zone où la guérilla durait depuis l’Indépendance, à la fin des années quarante.

L’agence Interpol organise à Rangoon, avec la Junte, un congrès sur l’héroïne à la fin du mois de février 1999. "Info Birmanie" a appris d’après certaines sources qui demandent confirmation, que la Fondation Total aurait accepté de financer une partie de l’organisation en payant les interprètes. "Info Birmanie" souhaiterait savoir si la Fondation Total confirme cette information et elle voudrait dans le même temps que la Fondation Total précise l’ensemble de son programme et de ses objectifs en Birmanie. L’Association souhaiterait en particulier avoir des précisions sur le projet de parc naturel de Myinmoletkat, qui s’étend au-delà de la seule région du gazoduc, indiquant que Total est bien présent au delà du simple "couloir" du gazoduc.

"Info Birmanie" revient enfin sur deux des accusations les plus graves portées contre Total : déplacement de population et travail forcé. "Info Birmanie" ne dit pas que Total est esclavagiste, comme le reprochent souvent les dirigeants de cette société à leurs accusateurs, mais que la Compagnie est engagée dans une spirale de collaboration scandaleuse avec la Junte. Sur la première accusation, même les auteurs du rapport de la commission "Justice et Paix" du Bangladesh, qui tentent de défendre le projet gazier, ont noté que des habitants de Migyaunglaung ont été forcés de quitter leur village et ils ajoutent que Total leur a donné de l’argent en 1997 pour qu’ils reconstruisent leurs maisons ; ce qui indique que ce village a en fait été en partie détruit. Les autres rapports faisant état de déplacements de population font bien mention de destruction dans ce village, mais, d’après "Justice et Paix", la population de ce village aurait été déplacée en 1991, pour raison de sécurité sans qu’il y ait de rapport avec Total. "Justice et Paix" s’est-elle vraiment donné les moyens d’investigation lui permettant d’affirmer cela ? Il reste qu’une destruction de village a bien été constatée.

Sur l’accusation de travail forcé, on sait que la plupart des dénonciations tiennent au lien entre deux projets d’infrastructures : le gazoduc et la voie ferrée Ye-Tavoy.

Il serait important que la Mission parlementaire française puisse recueillir, au moins sur ce point précis, les informations rendues publiques dans le cadre du procès en cours, aux Etats-Unis, contre le partenaire Unocal de Total. "Info Birmanie" ne possède que peu d’informations sur ce procès mais elle croit comprendre que, pour se défendre, les responsables d’Unocal ne nient pas qu’il y ait bien eu des exactions commises dans le cadre du projet de gazoduc mais que la plupart de celles-ci seraient dues, non pas au gazoduc, mais au chantier de la voie ferrée Ye-Tavoy. Il est en fait impossible de nier qu’il y ait eu du travail forcé sur le chantier de la voie ferrée Ye-Tavoy, comme sur tous les travaux d’infrastructures en Birmanie. D’après le "Karen Human Rights Group", une ONG qualifiée de "très crédible" par la Mission d’enquête sur le travail forcé de l’Organisation internationale du travail, c’est la moitié de la population birmane qui est touchée par le travail forcé si l’on compte ceux qui paient pour y échapper. Sur le chantier de la voie ferrée Ye-Tavoy, même la Junte a écrit dans son journal "The New Light of Myanmar" qu’en janvier 1994, plus de 44 000 personnes avaient apporté leur contribution "volontaire" à ce chantier, et l’on sait que cette appellation sert à masquer le travail forcé. Selon le KHRG, de 1993 à 1997, ce sont 300 000 personnes qui ont été obligées de fournir du travail forcé sur ce chantier de voie ferrée, et l’on sait que cela dure toujours. La commission "Justice et Paix" du Bangladesh a bien vu le site de cette voie ferrée mais elle n’y a vu aucun ouvrier. Faute de pouvoir interroger des Birmans, c’est à un responsable de Total qu’elle a alors posé des questions sur la voie ferrée et celui-ci aurait dit que la voie ferrée n’avait aucun rapport avec le gazoduc. C’est ce rapport qui est censé faire la preuve qu’il n’y a pas eu de travail forcé dans le cadre du gazoduc et Total l’a même donné à la Mission d’enquête de l’Organisation mondiale du travail. Si au moins 300 000 personnes de la région ont dû fournir du travail forcé et ont été touchées par les exactions de l’armée birmane à cause de la voie ferrée Ye-Tavoy, à quoi peut dès lors servir le projet de développement local de Total ?

Mme Marie-Line Ramackers a rappelé que "Agir ici" demandait le gel des activités de Total en Birmanie, non son retrait, car cette ONG est consciente que cette entreprise a fait des investissements qui ne sont pas encore rentables. Le gel du projet Yadana est réalisable. Il existe un lien entre Total et la MOGE. Sur le projet Yadana, Total a 31,25 %, Unocal 28,26 %, la PTE 25,50 %, la MOGE 15 %. Sans la MOGE, Total ne pourrait pas exploiter les gisements. Si Total estime qu’une entreprise ne doit pas faire de politique, il reste qu’en commerçant avec la Junte, elle la reconnaît.

Il est difficile pour les ONG de se rendre en Birmanie comme observateurs, car elles obtiennent difficilement des visas. Cependant, fin 1996 des journalistes ont pu se rendre sur le site de Total qui leur avait organisé le voyage. Ils ont pu voir des installations, des fermes modernes qui ne servent pas directement à la population locale.

M. Ben Lefetey a estimé que l’action des élus était importante pour les acteurs locaux. En effet, grâce à la pression des ONG, on constate des évolutions au niveau international. Des études d’impact ont ainsi été rejetées par la Banque mondiale sur le projet Tchad-Cameroun ; ce refus a eu un impact direct. Le vote sur ce projet n’aura lieu qu’à la mi-1999. Il n’est donc pas trop tard pour le changer. Pour les acteurs locaux, souvent des opposants, la protection de parlementaires étrangers et d’ONG revêt une grande importance. Il faut tenir compte du contexte politique dans lequel les acteurs locaux s’expriment. Ils sont fréquemment l’objet de menaces.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr