Présidence de M. Louis MERMAZ, Président

M. Jean-Marc CHAUVET est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, M. Jean-Marc Chauvet prête serment.

M. le Président : Merci de nous présenter votre rôle à la tête de la direction régionale pénitentiaire de Paris et nous dire comment vous concevez vos relations avec les chefs d’établissement, ce qui vous semble fonctionner et les améliorations que vous jugez utile de concevoir. Nous procéderons ensuite par questions-réponses

M. Jean-Marc CHAUVET : Je suis entré dans l’administration pénitentiaire en 1971.

J’ai été le premier à passer ce concours en venant de l’université ; personne ne l’avait fait auparavant alors que le concours existait depuis 1966. Je suis entré dans cette administration un peu par vocation, puisque c’est au centre Saint-Yves, l’aumônerie de la faculté de droit, que j’ai commencé à me préoccuper des problèmes de délinquance. J’ai connu une carrière assez rapide, en passant deux fois par un poste à l’administration centrale, et également à Fleury-Mérogis et à Poissy comme directeur adjoint. J’ai ensuite dirigé les maisons d’arrêt de Loos et de Bois d’Arcy puis ai été nommé directeur régional en 1987. J’ai exercé cette fonction dix ans à Lille et je l’assume à Paris depuis trois ans.

On ne peut comprendre la crise actuelle du système pénitentiaire français sans observer au préalable les événements qui l’ont marqué ces 25 dernières années. Ces événements sont de nature différente, mais peuvent être regroupés sous quatre grands thèmes : la surpopulation, les changements intervenus dans la population pénale, les mouvements de protestation du personnel, le décloisonnement.

S’ils sont différents par nature, ils ont, par contre, tous contribué à désorganiser profondément l’administration. Une administration par ailleurs confrontée à une économie de pénurie, situation obligeant ses personnels à privilégier la gestion, l’événementiel, au détriment des grands objectifs, mis à part celui de la garde, rappelé parfois avec sévérité. Se trouve là d’ailleurs la source du profond sentiment d’injustice ressenti par le personnel pénitentiaire aujourd’hui. Elle réside dans ce décalage entre un travail effectué, difficile, avec peu de moyens, souvent à la limite des possibilités, et une vision extérieure critique fondée sur les grands principes.

Si la surpopulation est déjà un problème en elle-même, compte tenu du surcroît de travail qu’elle occasionne, ses effets induits sur la crédibilité et l’autorité de l’institution sont encore plus destructeurs. En effet, l’impératif de gestion se fait encore plus prégnant, car, outre le manque de places en cellule, c’est bien souvent l’ensemble des services qui dysfonctionne. Cette situation conduit l’administration à temporiser, à compenser. Les contacts avec la population pénale, l’observation, sont réduits, voire inexistants, laissant le champ libre aux leaders négatifs. On ne sait plus ce qui se passe, on gère des flux, on " fait tourner " selon l’expression souvent employée. Que peut faire le surveillant lorsqu’il entre dans une cellule où il se retrouve face à trois détenus ? La moindre remarque ne peut qu’entraîner une réaction ironique ou violente, car il n’est pas question pour le détenu de perdre la face.

Cette surpopulation se révèle d’autant plus déstructurante pour l’administration que la population pénale a profondément changé. Dans le courant des années 1970, les détenus acceptaient tant bien que mal la sanction infligée ! ils étaient pris, ils payaient. Depuis, la prison apparaît comme le seul lieu d’enfermement, elle est redevenue l’hôpital général d’antan où l’on retrouve pêle-mêle tous les exclus de la société. Diverses études font apparaître que près de 20 % des entrants ont déjà fait l’objet d’une hospitalisation psychiatrique, 50 % sont toxicomanes, la plupart sont sans travail et sans domicile.

Pour tous ces hommes, la prison n’est plus la sanction morale d’un acte délictueux, mais la confirmation de leur condition d’exclus et un certain nombre d’entre eux poursuivent en prison leur conduite de révolte. Ils profitent des espaces de liberté offerts par des régimes de détention plus ouverts - grandes cours de promenade, activités, etc. - pour développer une sous-culture carcérale autour de trafics, de rackets, de drogue, en imposant la loi du silence qui rend difficile la lutte contre ces phénomènes.

Pour ce qui concerne les ressources humaines, les mouvements de personnel au nombre d’une dizaine d’ampleur nationale depuis 1989, même s’ils apparaissent à bien des égards justifiés, qu’il s’agisse du manque d’effectif ou de la recherche de la parité avec la police, ont profondément perturbé l’équilibre de l’institution. Les oppositions qu’ils ont induites ont entraîné une profonde crise de confiance à l’égard des dirigeants, qu’il s’agisse de l’administration centrale ou des personnels d’encadrement. Ils ont également engendré un syndicalisme d’opposition très fort, uniquement tourné vers la satisfaction des réclamations de ses mandants.

En outre, ils se sont soldés bien souvent par des dérives locales. En effet, l’administration centrale, lors de la fin des mouvements, était très attentive aux reprises de travail dans les établissements. Ces reprises donnaient lieu à des négociations locales et, compte tenu du contexte, les demandes étaient le plus souvent acceptées - portes de cellules ouvertes à Saint-Maur, services de nuit revus notamment à la Santé, etc.

Enfin, je citerai le décloisonnement de l’administration pénitentiaire comme le dernier phénomène important de ces 25 dernières années. La décision prise de faire exercer en milieu pénitentiaire un certain nombre de missions par les administrations, services ou entreprises dont c’est l’objet même, n’est pas contestable et reste, sans équivoque, source de progrès. Mais il s’agit de mettre en _uvre un vrai partenariat entraînant une complémentarité des compétences et non leur juxtaposition, d’autant que les logiques peuvent se révéler parfois incompatibles. Il nécessite également de tenir compte du milieu pénitentiaire et de penser de manière généraliste les problèmes. Je ne citerai que deux exemples qui posent aujourd’hui difficulté à l’administration pénitentiaire : l’absence d’enseignants pendant les périodes d’été et les modalités de distribution des médicaments qui multiplient les trafics. Au-delà de la bonne volonté des personnes qui aujourd’hui font vivre le partenariat, il est nécessaire d’institutionnaliser le décloisonnement en créant des structures pluridisciplinaires dans lesquelles l’administration pénitentiaire se voit confier un rôle de coordinateur à l’instar de ce qui se passe aujourd’hui dans certains quartiers mineurs.

Je n’ai pas abordé la question des moyens, non qu’elle soit secondaire, mais les visites que vous avez effectuées sont certainement plus édifiantes que tous les discours. J’insisterai seulement sur l’organisation même de l’administration et particulièrement sur les directions régionales, toujours au nombre de neuf, malgré un doublement des détenus, l’augmentation des personnels, des partenaires et une complexification toujours plus grande des procédures. Ces directions régionales ne peuvent plus remplir leur rôle. Il en va de même des établissements pénitentiaires. La comparaison avec les Pays-Bas est à cet égard riche d’enseignements.

Voici donc décrites, sans être exhaustif, quelques-unes des difficultés qui ont marqué et marquent encore l’histoire de l’administration pénitentiaire. Il faut envisager d’y apporter des solutions. Et je tiens tout particulièrement à vous dire combien nous espérons de vos travaux. Je n’exprime pas là un sentiment personnel, mais celui de très nombreux personnels pénitentiaires qui ont l’espoir de voir enfin leurs difficultés prises en considération.

Comme nous l’avons vu précédemment, la surpopulation est à l’origine de nuisances profondes pour l’institution ainsi que la cause d’atteintes nombreuses aux droits de l’homme. Plusieurs solutions peuvent permettre de la résorber : le développement des peines alternatives, la diminution des détentions provisoires, une meilleure utilisation de la libération conditionnelle, la construction de nouveaux établissements. Mais, toutes ces solutions, risquent de rester sans effet, à défaut d’une volonté forte d’appliquer un numerus clausus pour chaque établissement en permettant le placement en cellule individuelle.

Déjà en 1989, M. Bonnemaison dans son rapport préconisait cette solution, la seule qui permette, selon lui, au service public pénitentiaire d’assurer sa mission. Il subordonnait celle-ci à la mise en place de la surveillance électronique, dont les premières expérimentations vont intervenir sous peu.

Cette mesure est souhaitable, car elle apporterait en plus à l’institution la sérénité nécessaire. En effet, celle-ci, ne maîtrisant pas les flux, se sent constamment soumise à une hypothèque qui entrave sa réflexion et parfois ses projets. C’est vrai d’ailleurs aussi bien de l’administration centrale que des établissements.

Si un reproche majeur peut être adressé à l’administration pénitentiaire, c’est bien celui de n’avoir pas suffisamment pris en compte les changements intervenus dans la population pénale. En effet, si chacun s’accorde à dire que la population pénale a changé, les méthodes de travail, essentiellement fondées sur la sécurité, demeurent inchangées. C’est pourquoi il est nécessaire, dans un premier temps, de réfléchir à la séparation des différentes populations pénales pour que les règles de la sécurité maximale ne s’appliquent pas à tous comme aujourd’hui, notamment dans les maisons d’arrêt.

Il est également nécessaire de réfléchir à la prise en charge des détenus délinquants sexuels. Faut-il les regrouper ? Les laisser en détention normale ? Comment éviter qu’ils soient les otages des autres détenus qui les utilisent pour leurs trafics ?

La détention des malades mentaux appelle également une réflexion particulière. Ils souffrent et sont souvent sujets ou objets de violence. Leur prise en charge ne devrait-elle pas s’effectuer dans des établissements distincts à double tutelle médicale et pénitentiaire comme l’établissement public hospitalier de Fresnes ?

Ne faut-il pas reconsidérer également la réforme de 1975, instituant différentes catégories d’établissements et réhabiliter le régime progressif, régime de nature à donner sa véritable dimension à la fois au projet d’exécution de peine et au partenariat ?

En matière de ressources humaines, je citerai d’abord ce passage extrait du rapport de la Cour des comptes " Tout se passe comme si la direction de l’administration pénitentiaire considérait le personnel de surveillance comme une ressource intermittente et nomade, non comme une communauté de travail au service d’un projet ".

Ce jugement répond comme un écho au slogan souvent entendu lors des mouvements de protestation : " Nous sommes des porte-clefs ". Ce slogan témoigne du malaise ressenti par un personnel appelé uniquement à gérer des flux, dépossédé des missions gratifiantes, à la recherche d’une identité professionnelle qui ne peut se retrouver que dans une redéfinition des objectifs de l’administration et le partage de ces objectifs avec le personnel.

Il est curieux d’ailleurs de voir comment la mission de garde est bien déclinée en gestes professionnels - fouilles, tenue des effectifs, etc. - et, de ce fait, évaluée, alors que la mission de réinsertion ne l’a jamais été.

Le moment n’est-il pas venu de créer des équipes dédiées à la sécurité, assurant le service de nuit et des équipes de proximité chargées de la vie en détention ? Ce nouveau mode de travail, en assurant une certaine permanence des agents, pourrait certainement permettre d’envisager un travail en équipe, constituée autour d’un gradé, une seule équipe étant responsable d’un quartier.

Dès lors et en organisant des rencontres pluridisciplinaires, les agents pourraient pleinement participer à la mission comme cela existe déjà dans les quartiers mineurs.

Cette responsabilisation devrait s’étendre à tous les échelons de la hiérarchie, chefs d’établissements, directeur régional par la mise en place d’une vraie déconcentration.

Le système pénitentiaire aujourd’hui est construit sur la méfiance. Il faut rétablir la confiance à tous les niveaux. Cette confiance, qui doit être d’abord celle de la Nation, doit reposer sur un contrat clair, une grande loi pénitentiaire qui fixerait en quelque sorte le cahier des charges de l’institution.

Il faut qu’au regard de ce cahier des charges, soient fixés les moyens nécessaires au fonctionnement et que l’ensemble des moyens soit décliné jusqu’à l’échelon de l’établissement.

Enfin, la mise en place d’un contrôle extérieur comme celui préconisé par la commission Canivet sera le garant du respect des objectifs.

J’ai de plus l’espoir que cette loi pénitentiaire, en redonnant son identité à l’administration, lui permette également d’être un partenaire véritable et efficace pour tous ceux qui interviennent aujourd’hui dans les établissements.

M. le Président : Merci pour l’intensité de votre témoignage ; votre constat rejoint nos observations et vos propositions seront certainement précieuses à la commission.

Comment concevez-vous le fonctionnement du numerus clausus ? M. Badinter, ici même, avait émis les plus grandes réserves sur un tel dispositif, ce qui avait d’ailleurs étonné plusieurs d’entre nous.

Quel est votre point de vue sur la taille des régions pénitentiaires ?

Comment fonctionne la relation entre les neuf directeurs régionaux et les établissements ? Dans certains établissements, l’on nous a parlé de l’éloignement du directeur et de relations peu faciles entre l’échelon régional et l’échelon local.

M. Jean-Marc CHAUVET : S’agissant du numerus clausus, je partirai de mon expérience de chef d’établissement. Nous comptons toujours dans les établissements des détenus qui peuvent sortir. C’est une impression profonde. Ce qui paraît important, c’est de fixer une capacité par établissement pour que tout le monde soit rassuré sur le fait qu’on ne la dépassera pas. C’est là un élément moteur pour la bonne tenue des établissements du programme 13 000. Comment faire ? M. Bonnemaison prévoyait, au niveau de la Cour d’appel, des rencontres entre le parquet général, la direction régionale et les établissements. Lorsque se profile un surencombrement dans un établissement, il est possible, soit d’opérer des transferts, soit d’utiliser un certain nombre de mesures alternatives. Par exemple, pour des détenus condamnés et à qui il reste un ou deux mois à purger, ce pourrait être l’occasion, dans des cas d’urgence, de trouver des solutions pour organiser une sortie.

Aujourd’hui, certains prévenus attendent leur procès en prison alors qu’ils pourraient sortir avec un bracelet électronique comme le prévoit le projet de loi sur la présomption d’innocence. Plusieurs possibilités de s’organiser existent. Elles sont administratives et judiciaires, il faut certainement raisonner à l’échelon de la cour d’appel pour l’ensemble du dispositif.

Les ressorts des directions régionales n’ont pas changé depuis 1958 ; ce sont par ailleurs les dernières administrations régionales à assurer à la fois la représentation, l’animation, le contrôle, mais également la gestion des structures locales. Je rappelle que les factures d’épicerie des maisons d’arrêt de Montargis, Tours ou Blois sont traitées à la direction régionale !

Je me souviens, lorsque j’étais en fonction à Lille, du passage de la Cour des comptes. A la suite de l’enquête de la Cour, nous avons créé un organigramme qui date de 1994 et accru les effectifs. Je rappelle que pour gérer une région pénitentiaire qui comporte deux régions administratives, quatre cours d’appel, quatorze départements, 6 200 fonctionnaires et 11 000 détenus, le service ne compte pas plus d’une dizaine de personnels de catégorie A.

A Paris, la direction régionale gère en direct 25 établissements, 14 SPIP, et si l’on ajoute la dizaine de cadres travaillant à la direction régionale, cela fait au total une cinquantaine d’interlocuteurs directs avec qui je travaille. Les partenaires, au surplus, souhaitent toujours rencontrer le directeur régional. Ainsi en 1987, à Lille, je passais dans chaque établissement trois fois par an pour des visites qui duraient la journée. Aujourd’hui, à Paris, je ne passe plus qu’une fois dans chaque établissement. Je pense nécessaire d’accroître le nombre de directions régionales et plus encore de revoir le mouvement de déconcentration. Aujourd’hui, nous sommes mobilisés dans les directions régionales par les problèmes de personnel - comme les chefs d’établissements d’ailleurs. Je cite un exemple récent : il manque cinq surveillants à Chartres. Il faut les prendre sur les effectifs d’autres établissements afin de les affecter ; il s’ensuit de longues palabres avec les établissements pour arriver à trouver deux surveillants. Ainsi, continuellement, nous gérons des questions de ce type au détriment de la mission d’animation et de contrôle. Nous sommes continuellement " la tête dans le guidon " pour " faire tourner ".

M. le Président : Comment intervenez-vous pour les affectations de personnel ? Comment s’opèrent les attributions de postes ?

M. Jean-Marc CHAUVET : Un mois avant la déclaration des postes vacants, avant que ne se réunissent les commissions paritaires, nous faisons le point sur les vacances de postes. En général, le nombre de surveillants qui se trouve à l’école s’avère insuffisant par rapport au nombre de postes vacants. Il en résulte une nécessité d’arbitrage sur les lieux qui feront l’objet d’une diminution de moyens. Suite à cela, la liste des postes vacants est publiée et se tient la commission paritaire au niveau du ministère. Les directions régionales n’exercent aucune intervention sur cette répartition. A la suite de cette procédure, un certain nombre de surveillants vont être affectés dans les établissements.

Je dois dire que j’ai dû bloquer la mutation de fonctionnaires pendant plus d’un an, alors que la décision de mutation était déjà prise, à défaut de quoi, je devais fermer certains services. La pénurie est réelle pour quasiment chaque catégorie de personnels.

M. Jacky DARNE : Je voudrais vous poser trois questions.

Vous avez livré quelques informations sur le partage de compétences entre l’administration centrale et la région. Je souhaiterais des éclairages supplémentaires sur la répartition que vous jugeriez souhaitable des compétences entre l’établissement pénitentiaire et la région.

Un directeur d’établissement bénéficie-t-il actuellement des marges de man_uvre adéquates ? En a-t-il trop ou pas assez ?

Je suis frappé de constater des éléments contradictoires. J’ai visité un établissement hier où il manque 100 000 francs pour refaire les douches. Il m’a été dit que seule la région pouvait en décider. J’ai l’impression que parfois l’établissement manque de marge de man_uvre. À l’inverse, je constate que les prix de location des téléviseurs peuvent varier de 70 francs à 210 francs selon la décision interne des directeurs. Quel est donc le bon niveau de partage de compétences ?

Quel est, à votre avis, la durée moyenne satisfaisante de présence du personnel dans un établissement, en particulier du personnel de direction ? J’ai le sentiment qu’il existe une très forte mobilité. Un directeur reste un an ou deux. Comment peut-il prendre la bonne mesure du fonctionnement de son établissement et développer l’idée d’un projet d’établissement alors même que son action est déterminante ? J’ai posé la question à une secrétaire administrative qui, en 18 ans, avait vu six directeurs. Elle estimait que prévalaient de grandes différences de l’un à l’autre et que chacun avait marqué l’établissement par sa présence. Quelle est la bonne durée pour un poste de directeur ou de chef de détention, qui doit jouer aussi un rôle d’animation ?

M. Jean-Marc CHAUVET : Chacun s’accorde sur l’idée qu’une bonne durée se situe entre trois et cinq ans. Pas moins de trois ans.

Membre de la commission Canivet, je me suis rendu aux Pays-Bas. J’ai été très impressionné de voir, à 300 kilomètres, une administration pénitentiaire qui fonctionnait. C’est une interrogation terrible quand on a passé toute sa vie dans une administration.

Nous avons rencontré des détenus qui nous ont précisé que la violence n’existait pas. Pour la direction régionale d’Ile-de-France, je rappelle que cette violence représente cent agressions de surveillants par an, des suicides de détenus ou des automutilations. Aux Pays-Bas, la fonction publique est tout à fait différente. Le directeur recrute son personnel. Il est formé une semaine par mois pendant deux ans tout en travaillant et passe un concours à la suite de cette formation. Le directeur peut licencier même si la mesure est susceptible d’appel.

Le directeur reçoit un budget, calculé par cellule et par place. Il peut reporter le reliquat ou le dépasser dans la limite de 10 %. Ces marges de man_uvre n’existent pas du tout en France. Cela dépend de la taille des établissements mais il peut arriver qu’un chef d’établissement, pour une dépense de 30 000 francs, ait à faire appel à l’administration régionale. Il faut donner des marges de man_uvre aux chefs d’établissement et, dans le même temps, instaurer un contrôle. Il est déstructurant pour l’échelon régional de gérer des établissements en direct.

S’agissant des tarifs de la télévision, la réponse est difficile, parce que ce n’est pas le chef d’établissement seul, mais l’association, qui fixe les prix. Ceux que vous citez me surprennent. Au niveau régional, j’ai demandé que le prix se situe aux environs de 200 francs par cellule.

M. Jacky DARNE : A Lyon, ils sont fixés à 220 francs par détenu alors qu’ils sont trois par cellule.

M. Jean-Marc CHAUVET : Cela me paraît beaucoup. Il existe dans certaines prisons un système mutualiste. Lorsqu’il y a plusieurs détenus par cellule, ce sont ceux qui ont des ressources de travail ou reçoivent des mandats qui payent l’abonnement.

Dans le cas que vous citez, je ne sais pas. Logiquement, eu égard aux paiements que cela occasionne, la location devrait coûter 200 francs environ. Sur ces 200 francs, environ 70 francs reviennent au loueur, 35 francs à la redevance et 35 francs pour l’abonnement à Canal + ; parfois s’y ajoute l’abonnement à d’autres chaînes à péage. En outre, une part de la location alimente l’association pour financer d’autres activités parallèles.

M. Jacky DARNE : Je reviens sur deux des quatre éléments que vous avez évoqués dans votre analyse de l’évolution pénitentiaire de votre propos liminaire : la surpopulation et le changement de population.

Je comprends bien l’argument de la surpopulation que nous avons tous constaté, mais comment le maîtriser ? Les prisons Saint-Paul et Saint-Joseph à Lyon sont en surpopulation sensible. La population réelle approche le double de la capacité théorique. La prison de Villefranche, située à moins de 30 kilomètres, est en sous-capacité bien que neuve. Les détenus sont seuls par cellule. Pour déplacer les détenus de Lyon à Villefranche, il faut cependant procéder par surprise, car les détenus refusent d’y être incarcérés. Les détenus, s’ils déplorent les conditions d’hygiène de Saint-Paul et Saint-Joseph, préfèrent néanmoins cette prison à celle de Villefranche. Cela me conduit à vous interroger sur la pondération qu’il convient de donner à l’argument de la surpopulation.

De même, vous évoquez le changement de population. On ne peut pas rester une heure en prison sans entendre déplorer le comportement des jeunes urbains que l’on ne sait pas gérer. Une fois que l’on a dit cela, que fait-on ? On se retourne vers les formes alternatives à la prison ou on considère indispensable d’introduire des changements en détention ? La question ne vaut pas uniquement pour les mineurs, mais également pour les jeunes majeurs.

Faut-il imaginer d’autres types d’établissements, d’autres types de filières de formation du personnel ?

M. Jean-Marc CHAUVET : Au sujet de la question de la surpopulation, il se peut que les détenus considèrent, entre autres éléments objectifs, qu’être incarcéré à Villefranche pose certains problèmes pour les visites des familles. Mais surtout la surpopulation, par ses effets déstructurants, conduit à l’abandon de la prison par l’administration. La prison surpeuplée n’appartient plus à l’administration, mais aux détenus. Le reportage du magazine " Envoyé spécial " sur les prisons de Lyon l’a bien souligné. Ceux qui vivent, à l’extérieur, de trafics ou autres reproduisent ce mode de fonctionnement en prison. Dès lors, leur proposer un système - Villefranche - où l’administration est plus présente ne les intéresse pas du tout. S’y ajoute le fait que le personnel débordé est peut-être plus tolérant - c’est du moins ce que l’on dit pour un établissement comme la Santé. L’administration est moins pesante, moins présente, le détenu se trouve mieux, mais jouons-nous notre rôle ? Je ne le crois pas ; nous sommes complètement en dehors.

Sur le changement de population, un très bon rapport de M. Pradier prend la juste mesure des malades mentaux. On ne peut pas crier en prison. Vous visitez un hôpital psychiatrique, vous entendez des cris, les malades se déplacent. En prison, ce n’est pas possible et les gens souffrent ; les psychiatres le disent. Que faire ? Les Néerlandais ont résolu la question en ouvrant des établissements différents. Il nous faut des établissements à double tutelle comme l’hôpital de Fresnes, relevant à la fois du pénitentiaire et de la santé, doté d’un statut spécifique. Les psychiatres considèrent dorénavant que la sanction est structurante. L’article 64 du Code pénal, devenu 122, n’est plus utilisé. Si la sanction est considérée comme nécessaire pour soigner, cela signifie que tout le monde arrive en prison. C’est là un problème grave qu’il faut résoudre par la construction d’établissements différents.

S’agissant de la population nouvelle en provenance des banlieues, je crois à la création d’un nouveau type d’établissement qui est le centre pour peine aménagée ; je suis d’ailleurs un peu à l’origine de cette idée. On s’aperçoit que tous les détenus qui purgent de courtes peines se retrouvent en maison d’arrêt et que l’administration pénitentiaire ne s’en occupe pas. Une peine de trois mois est trop brève pour affecter les détenus en atelier ou en formation professionnelle. Pour ces détenus, un établissement particulier serait nécessaire.

De même manière, l’on s’aperçoit que la semi-liberté qui pouvait fonctionner avec un certain type de personnes socialement bien inscrites dans la société fonctionne moins bien avec des personnes en recherche d’emploi, auxquelles il faut un soutien psychologique pour bénéficier de semi-liberté. Je crois à un nouveau type d’établissement, tel que le centre pour peine aménagée où l’on prendrait en charge les personnes pour les préparer à la sortie au cours de stages de mobilisation. Dans cet établissement, le régime de détention pourrait reposer sur la confiance. Dans la prison, le régime fonctionnera toujours sur la défiance, du fait de l’impératif de sécurité. Si l’on souhaite aider à la reconstruction de quelqu’un, établir la confiance est nécessaire. Ce ne peut être le cas que dans un autre type d’établissement. Je crois aux petits établissements qui sont en train de se mettre en place. Un, d’une soixantaine de places ouvrira à Villejuif en 2001. Certains détenus seront placés dans le cadre de la semi-liberté, d’autres non, mais ils pourront sortir quelques heures, avec un soutien appuyé. Surtout, la vie interne de l’établissement sera caractérisée par une forte présence de la ville.

M. Jacques MASDEU-ARUS : Votre présentation initiale était une forme de réquisitoire. Dès lors que cette analyse est très partagée, comment se fait-il que l’administration n’ait pas bougé, n’ait pas réussi à se transformer à partir des exemples de pays voisins et amis ?

Ne risque-t-on pas, du fait de ces problèmes, de rencontrer des difficultés à recruter des surveillants ? Certes, notre commission concourra à améliorer les choses, mais la surpopulation, l’agressivité des jeunes, que nous vivons dans les quartiers, ont de quoi démotiver les jeunes surveillants qui peuvent craindre d’être " emprisonnés " dans une administration. Une solution ne consisterait-elle pas - pour ces fonctionnaires au métier plus que difficile - d’ouvrir l’administration pénitentiaire avec des passerelles vers d’autres administrations où l’on pourrait débuter ou poursuivre sa carrière ?

M. Jean-Marc CHAUVET : Nous parvenons toujours à recruter un certain nombre de personnes qui souhaitent devenir fonctionnaires. Nombre de recrutements s’opèrent par relations au sein d’une même famille, par amitiés. Cela assure des viviers de recrutements, notamment dans le Nord-Pas-de-Calais. En revanche, aujourd’hui, des surveillants de qualité - ils sont parfois remarquables - essaient d’échapper à leur statut de surveillant dès leur première année de fonction, soit par concours pour accéder aux fonctions de chef de service pénitentiaire, soit par la voie d’autres concours. Les recrutements pour la police ou pour les douanes ont des répercussions assez douloureuses sur les effectifs de l’administration pénitentiaire alors même pourtant qu’en allant travailler dans les douanes, les surveillants perdent de l’argent.

Un vrai problème est posé et je suis d’accord avec vous : trente ans en détention ne sont pas envisageables. Il faut trouver des moyens et plus de passerelles doivent être jetées en direction des autres administrations.

S’agissant des raisons pour lesquelles ce constat, établi depuis longtemps, n’a pas suscité de réponses, il faut évoquer des lourdeurs de l’administration et rappeler que des avancées se sont fait jour. Si l’on examine la réforme de la santé en milieu pénitentiaire, après la loi du 18 janvier 1994, tous les établissements ont dû revoir l’ensemble des installations. J’étais à l’époque à Lille. Je me souviens que la grande partie des budgets d’investissement est passée alors dans la construction des unités de soins et tous les autres projets furent retardés d’autant. Même une réforme qui va dans le bon sens peut entraîner des effets très perturbants.

De même, l’investissement de l’administration pénitentiaire en termes de réflexion, d’action et de mise à disposition de moyens dans la réforme des services pénitentiaires d’insertion et de probation est lourd, d’où pour partie, les problèmes que l’on peut rencontrer avec le personnel administratif. Mais il est vrai que les problèmes réglés ne semblent guère compter face à ceux qui subsistent. Avons-nous traité des vrais problèmes ?

M. Robert PANDRAUD : Combien de fonctionnaires représentent les personnels des directions régionales, toutes catégories comprises ?

M. Jean-Marc CHAUVET : Pour chaque direction régionale, entre cent et cent vingt personnes, y compris de grandes équipes informatiques.

M. Robert PANDRAUD : Avec l’arrivée des nouveaux moyens de communication, la multiplication des échelons régionaux n’est-elle pas un facteur de complexité et de déresponsabilisation des directeurs d’établissement ?

Souvent - je ne fais pas allusion à l’administration pénitentiaire - l’on a créé des échelons régionaux pour ouvrir des postes de débouchés aux fonctionnaires. L’absence de toute politique de la fonction publique dans ce pays rendait la mesure nécessaire. Mais j’ai l’impression que l’on ne sait plus vraiment qui est qui et qui fait quoi. Il est très souhaitable de renforcer considérablement l’inspection des services pénitentiaires et de responsabiliser davantage les directeurs. Enfin, je pense que ces directeurs, à l’heure actuelle, comptent déjà parmi ceux qui exercent le plus de responsabilités - non des responsabilités de papiers, mais des responsabilités sur les hommes, ce qui est tout de même plus délicat. Le directeur des Baumettes me paraît exercer des responsabilités humaines plus importantes que le trésorier payeur général des Bouches-du-Rhône. Là aussi, je souhaite une politique de la fonction publique. Le directeur d’établissement pénitentiaire qui a bien réussi pourrait se voir confier des postes de sous-préfet ou de conseiller de tribunal administratif. N’importe quel directeur d’établissement exerce des responsabilités supérieures à celles du sous-préfet de Castellane !

Dès lors, si l’on doit responsabiliser davantage les directeurs, cet échelon régional serait-il encore nécessaire ou suffisant ?

La gendarmerie comptait, il y a quelques années, un seul général. Désormais, l’on y marche sur les pieds des généraux ; il fallait bien que les colonels avancent ! Est-ce que cela fonctionne mieux ? Sûrement pas ! Plus personne ne sait qui fait quoi et l’on se retrouve avec l’affaire de Pornic.

Nos établissements comptent beaucoup d’étrangers qui relèvent de deux catégories. Les premiers ont commis des crimes ou des délits ; ils sont soumis au droit commun. Les seconds s’y trouvent pour n’avoir pas respecté la législation sur le séjour des étrangers. Pour cette seconde catégorie, nous nous trouvons devant une co-responsabilité partagée avec l’Etat, car si l’étranger est entré c’est bien parce qu’on l’y a laissé entrer ! La responsabilité de l’État ne devrait pas le conduire à aller en prison, mais à le faire repartir par une politique plus active d’expulsion.

Faute d’avoir les bons papiers, il se retrouve six mois en prison au terme desquels, rendu à la rue, il n’aura pas commencé par une bonne politique d’intégration ou, s’il repart dans son pays, ce qui arrive parfois, son périple déshonore la famille selon la confidence que m’en faisait le Président Bourguiba. La détention pour absence de papiers est assez difficile à comprendre pour une famille de Ksar-Ouled-Debbab !

Si nous pratiquions une politique beaucoup plus active d’expulsion et si, au lieu de bêler sur l’augmentation des crédits de coopération, on en conditionnait le versement à la reprise des étrangers non munis de droit de séjour, l’on diminuerait d’autant le surencombrement de l’administration pénitentiaire. On réglerait, dans une certaine mesure, le problème du numerus clausus et l’on parviendrait à une situation plus digne pour les intéressés plutôt que de les entasser dans les établissements avec les auteurs de véritables crimes ou de délits.

Mes propos, monsieur le directeur, n’appellent pas de réponses précises, mais je les tiens pour le procès-verbal et parce que ces commissions d’enquête permettent de s’exprimer très librement.

M. Jean-Marc CHAUVET : Je veux essayer de répondre. S’agissant de l’échelon régional, je partage un peu votre avis. Il faut renforcer l’établissement ; c’est là où les choses se passent. Il convient de dégager des marges de man_uvre pour redonner au niveau de la région un contrôle qui ne s’exerce plus. Mais il me semble impossible de n’avoir qu’une direction centrale et 180 établissements. Il faut revenir à la vraie mission des directions régionales qui serait davantage d’animation et de contrôle que de gestion.

Le renforcement de l’inspection doit venir enrichir les contrôles extérieurs. L’évaluation doit être opérée en interne. Il faut connaître ses personnels et savoir les évaluer, ce qui n’est pas réalisé aujourd’hui, à l’heure où les réputations s’établissent davantage sur l’accessoire que sur la réalité. A tout échelon, il est nécessaire d’opérer une bonne évaluation interne et il faut, par ailleurs, un contrôle extérieur. L’échelon régional peut être moins doté en personnel, mais avec des missions plus claires et plus réalisables.

S’agissant de la détention des étrangers, vous soulevez une question importante, mais qui met en jeu une autre administration. Un certain nombre de conventions sont passées avec des pays étrangers - Royaume-Uni, Pays-Bas... - pour que les ressortissants du pays puissent purger leur peine dans leurs pays d’origine. L’application de ces conventions réclame un travail considérable avec les consulats, mais tout cela bute sur le montant de l’amende douanière, souvent de l’ordre du million de francs. Pourtant, le détenu arrive en fin de peine et sort pour 20 000 francs du fait d’un arrangement. Je trouve que l’opération coûte, au total, cher à l’Etat. Le seul nombre de ressortissants britanniques ou néerlandais dans les prisons surencombrées du Nord-Pas-de-Calais incite à entreprendre quelque chose.

M. Robert PANDRAUD : J’avais effectué une tournée des chefs d’Etat du Maghreb pour leur demander s’ils étaient d’accord pour que leurs ressortissants effectuent une partie de leur peine dans leur pays d’origine. J’avais recueilli un accord de principe chaleureux du Président Bourguiba, un accueil ouvert du Roi du Maroc et une réponse extrêmement défavorable du Président Chadli en Algérie. Les conditions humaines, l’environnement, voire le rapprochement de leurs villages d’origine, ne seraient pas une épreuve inhumaine. Ce n’est pas là l’unique solution, mais une piste que nous devrions essayer d’envisager dans notre rapport, car notre but est bien d’obtenir la diminution du nombre de détenus. Pour cet objectif, je ne souhaite pas que nous nous axions trop sur la pratique de certains parquets en matière de délinquance de banlieue. Car faute de sanctions, il est très décourageant pour les habitants de ces quartiers de constater que les délinquants condamnés à trois ou six mois ne font jamais leur peine et retournent dans leurs cités. L’on contribue ainsi à multiplier les difficultés des banlieues. Tout ce qui relève de l’éloignement du territoire national me semble être une assez bonne chose.

M. le Président : Vous posez plusieurs questions. Pour les mineurs, la piste des unités renforcées évite de les mélanger aux adultes, de leur faire perdre leur temps, car ils apprennent quelque chose. Mais la question des peines purgées dans les pays d’origine et celle des sans-papiers sont tout à fait différentes.

M. Jean-Marc CHAUVET : Je n’ai pas de réponse sur ce dernier point.

M. le Président : Seuls les irresponsables répondent à tout !

Malgré la surcharge de travail, arrivez-vous à avoir des relations avec des élus et des magistrats ?

M. Jean-Marc CHAUVET : Avec les magistrats un peu, avec les élus très peu.

M. le Président : Vous nous avez parlé des relations entre le directeur régional et les établissements du ressort. Quelle est votre liberté de man_uvre, votre autonomie, par rapport à la direction centrale ?

M. Jean-Marc CHAUVET : Sur le personnel, je n’ai quasiment aucun rôle du fait des commissions administratives paritaires et des conseils de discipline qui se réunissent au niveau du ministère.

Par rapport à l’élaboration des budgets, de plus en plus d’opérations sont fléchées à côté d’un budget de reconduction sur lequel nous n’avons pas de marge de man_uvre. A cet égard, nous bénéficions de peu de liberté.

Notre rôle de remontée d’information et d’animation qui fait l’objet d’un échange est assez satisfaisant.

M. le Président : De quelle marge de man_uvre disposez-vous dans la gestion de la population pénale, notamment dans l’organisation des transferts ? Jouez-vous un rôle dans la gestion des flux au sein et entre les régions ?

M. Jean-Marc CHAUVET : Pour tous les condamnés à moins de cinq ans qui sont affectés en centre de détention régional, nous bénéficions de places et nous les gérons librement ; nous sommes seuls comptables de l’affaire. Pour les prévenus, nous sommes tenus de demander au juge d’instruction.

Pour des condamnés à des peines de plus de cinq ans affectés soit en centre de détention, soit en maison centrale, l’accord du ministère pour les transférer s’impose, mais nous travaillons là en bonne intelligence.

M. le Président : Que pensez-vous d’un statut d’établissement public administratif pour les établissements ?

M. Jean-Marc CHAUVET : J’y suis favorable. La possibilité est déjà offerte par la loi. Elle permet de bien institutionnaliser le dialogue social avec les personnels, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, puisque les conseils d’établissement ont été annulés. C’est un moyen de donner des marges de man_uvre financières et de faire participer d’autres personnes à la gestion par le biais du conseil d’administration. Je crois que c’est un moyen positif.

M. le Président : Nous avons reçu un architecte qui a participé au programme précédent de construction ainsi qu’au programme 4 000. Quelle est votre opinion sur la taille des établissements et sur leur structuration interne ?

M. Jean-Marc CHAUVET : Je crois que des établissements recevant entre 400 et 600 détenus ont la bonne taille pour pouvoir organiser des activités.

M. le Président : Pourquoi le système de conseil d’établissement a-t-il été supprimé ?

M. Jean-Marc CHAUVET : Le Conseil d’Etat a annulé cette création, parce qu’elle avait été décidée par arrêté. C’est une annulation pour des motifs de forme.

M. le Président : Quel jugement portez-vous sur la réforme des SPIP, services pénitentiaires d’insertion et de probation, et sur les moyens dont ils disposent ?

M. Jean-Marc CHAUVET : C’est une excellente réforme pour les départements de province de taille petite ou moyenne, où le représentant de l’administration pénitentiaire peut, auprès du préfet et sur un certain nombre de questions, jouer un rôle. Auparavant, parfois, nous n’en avions pas ; parfois, nous étions représentés par un directeur de probation ou un chef d’établissement. La formule pose toutefois des difficultés considérables sur les grands établissements parisiens où l’on constate des réticences des personnels qui craignent d’être envoyés indifféremment en milieu fermé ou ouvert. Dans la mesure où nous sommes obligés de reconstruire des entités en milieu ouvert et d’autres en milieu fermé, la réforme perd là quelque peu de sa chair.

M. Robert PANDRAUD : Les conseils d’établissements furent supprimés pour vice de forme, mais la direction n’y tenait guère, car sinon elle aurait su, dès le départ, passer par la voie réglementaire ou aurait pu, pendant la durée du contentieux, purger cette irrégularité de forme. Le lendemain de la publication de la décision du Conseil d’Etat, elle pouvait lancer dans le circuit des signatures, un décret. En définitive, on a l’impression que syndicats comme direction sont contents de leur suppression.

M. Jean-Marc CHAUVET : Effectivement, tout le monde en était plus ou moins satisfait. En revanche, subsiste une demande des organisations syndicales pour la création de véritables comités techniques locaux. Ils souhaitent que ces CTPL fassent l’objet d’un procès-verbal et d’autres éléments non prévus. Il faut le faire et chacun s’accorde en ce sens.

M. le Président : Nous avons entendu des analyses de nature très différente sur l’hôpital de Fresnes à double tutelle, pénitentiaire et médicale. Comment appréciez-vous cette double tutelle ? Que pensez-vous des moyens de l’hôpital ?

M. Jean-Marc CHAUVET : L’hôpital de Fresnes part de très loin et a souffert de tant de tergiversations autour de son existence, de sa nature juridique et de la composition de ses services que tout cela a profondément perturbé son évolution. Aujourd’hui, un projet doit être soumis au conseil d’administration et aux différentes assemblées du personnel. Les tutelles sont d’accord sur ce projet qui va parfaitement de pair avec la mise en place des UHSI (unités hospitalières de soins intensifs). Nous allons pouvoir donner à cet hôpital sa vraie place.

Le problème tient aussi aux progrès de la médecine qui appellent des équipements que l’hôpital n’a pas mis en place.

M. le Président : Vous avez souhaité une grande loi pénitentiaire. Pourquoi ? Quels en seraient la forme et les objectifs ?

M. Jean-Marc CHAUVET : J’ai été conduit à résoudre autoritairement une difficulté avec les services médicaux à Meaux. Les services du ministère de la Santé m’ont interrogé : quels sont les textes qui permettent de faire cela ? On s’aperçoit alors que ce ne sont que des textes " pénitentiaires ".

Si le Parlement adopte une grande loi pénitentiaire, cela contribuera - avec les débats qui la préparent - à afficher vraiment la notion de service public, à réellement reconnaître cette administration comme une véritable administration et à avancer à l’égard des tiers avec une identité forte. Je souhaite que cela se réalise en pleine connaissance de cause.

Avec la loi du 12 avril 2000 sur les droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, on va pouvoir donner la possibilité aux détenus d’obtenir un défenseur au prétoire. Sans me prononcer sur le fond de l’affaire, de telles évolutions ne doivent pas s’opérer par interprétation d’une loi, mais par l’affichage clair d’une volonté.

M. le Président : Merci de ce témoignage très dense et très intéressant.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr