Présidence de Mme Christine BOUTIN, Secrétaire

Mme Cécile RUCKLIN est introduite.

Mme la Présidente lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation de Mme la Présidente, Mme Cécile Rucklin prête serment.

Mme Cécile RUCKLIN : Le GENEPI est une association composée de neuf cents étudiants de l’enseignement supérieur qui a pour objet statutaire de collaborer à l’effort public en faveur de la réinsertion des personnes incarcérées.

Chacun des membres de l’association se rend une fois par semaine, en détention, pour donner un cours d’enseignement général, faire du soutien scolaire individuel ou animer une activité socioculturelle.

Parallèlement à ces interventions en prison, nous essayons d’informer et de sensibiliser tous les types de public sur la prison en tant que réalité carcérale, sans nous appesantir sur l’anecdotique et pour faire réfléchir au sens de la peine. Nous travaillons avec l’administration qui communique très mal et uniquement dans les périodes de crise, comme on l’a vu ces derniers mois. Le GENEPI essaye, quant à lui, de communiquer de façon plus régulière.

La résolution créant la commission d’enquête aborde un grand nombre de points. En regard, je vous livrerai les positions du GENEPI pour terminer sur ce qui nous est plus particulier : l’enseignement en prison et les mineurs.

Les conditions de détention présentent de grandes disparités d’un établissement à un autre. Les conditions et les rythmes de vie varient en fonction des règlements intérieurs et des chefs d’établissement, mais aussi en fonction du type d’établissement - maisons d’arrêts, centres de détention ou maisons centrales. On trouve les situations les plus déplorables en maisons d’arrêt. Elles n’ont pas la maîtrise de leurs effectifs, lesquels dépendent de la politique des juridictions et des pratiques des magistrats.

Selon le GENEPI, le principe d’un détenu par cellule devrait être respecté. Il l’est plus ou moins dans les établissements pour peines et devrait l’être dans les maisons d’arrêt, sauf demande contraire du détenu. Un homme-une cellule est un principe de base, car du surpeuplement des cellules découle un grand nombre des problèmes rencontrés en détention : tension, violence, mal-être, problèmes liés au non-respect de l’intimité. C’est là un principe que nous voudrions voir appliquer partout.

A tous les niveaux, les conditions de vie seraient améliorées par une augmentation des effectifs des personnels pénitentiaires, tout d’abord des surveillants. En effet, notre association constate souvent que le manque de surveillants entrave son action dans les prisons. Cela se traduit par des retards importants, des détenus que l’on ne va pas chercher en cellule, qui ne peuvent donc suivre les activités ou des activités qui ne peuvent avoir lieu par insuffisance de surveillants.

Nous intervenons dans la formation des élèves surveillants à l’Ecole nationale d’administration pénitentiaire. A chacune de nos interventions, nous avons pu constater que, déjà, les surveillants élèves sont sceptiques sur la réinsertion. Ils n’y croient plus dès leur premier stage - en tout cas, ils ne l’intègrent pas du tout dans leur mission, ce qui est dommageable pour la suite. La formation qui leur est dispensée révèle de nombreuses carences sur le rôle de réinsertion des surveillants.

Le nombre de travailleurs sociaux est également très faible. L’année dernière est intervenue la réforme des services pénitentiaires d’insertion et de probation. Il existait auparavant un service socio-éducatif dans chaque prison. On comptabilisait le nombre de détenus, celui des travailleurs sociaux et on procédait à une division pour déterminer le nombre de détenus pour un travailleur social. Ce calcul n’est plus possible, car les travailleurs sociaux travaillent à la fois en milieu fermé et en milieu ouvert. Si l’on ne peut plus faire ce calcul, on sait cependant que les travailleurs sociaux restent en nombre insuffisant. Au surplus, les travailleurs sociaux étaient auparavant en permanence dans l’établissement. Ils y sont, à l’heure actuelle, un ou deux jours par semaine. Ils ont en charge un nombre déterminé de dossiers de détenus. Les détenus qui ont manqué la permanence doivent attendre une semaine pour formuler leur demande au travailleur qui les suit. La réforme des services pénitentiaires d’insertion et de probation n’est pas mauvaise, mais elle reste floue, ce qui pose nombre de problèmes aux détenus.

Nous avons travaillé cette année sur le maintien du lien familial et social et sur l’incarcération des femmes.

Nous formulons des propositions sur le sujet du maintien du lien familial et social. C’est, on ne peut le nier, un facteur de réinsertion, mais les détenus sont en complet décalage avec l’extérieur. Avant son entrée en détention, le détenu, dans sa vie quotidienne, a un certain nombre de statuts : il assume le rôle de père, de mère, de mari, d’épouse, de fils, de fille et, au plan social, il a un statut de citoyen, de travailleur, d’ami, etc., autant de rôles que l’incarcération fait perdre. Nous proposons donc une généralisation des permissions de sorties et des placements en semi-liberté. Autrement dit nous souhaitons que le maximum de contacts soit établi avec l’extérieur au cours de la détention.

Nous sommes favorables au projet de création d’unités de vie familiale qui sera prochainement expérimenté, à l’augmentation de la fréquence des parloirs et à un meilleur aménagement des locaux. L’accès au téléphone doit être généralisé dans tous les établissements. Par ailleurs, s’agissant du courrier, nous pensons que dans les établissements pour peines, il est un moment où les mesures sécuritaires n’ont plus lieu d’être. Le détenu doit toujours rendre son courrier ouvert. Il peut être lu par l’administration à tout moment ou être photocopié pour être conservé dans son dossier. Dès lors que la personne est condamnée, nous pensons que le courrier ne doit pas être lu. Cela participe du maintien du lien familial. L’impossibilité pour une personne incarcérée pendant plusieurs années de dire à sa famille qu’il a le sida ou de ne pas oser dire "je t’aime", par exemple, parce qu’il sait que son courrier sera lu, est très dommageable. Cela peut paraître un point mineur, mais il ne l’est pas à nos yeux.

Nous pensons également que tout doit être mis en _uvre pour réduire au maximum la distance entre le lieu de détention et le lieu de résidence de la famille du détenu. Les établissements du programme 13 000, les prisons les plus récentes sont souvent construites très loin des villes, ce qui pose des problèmes aux familles et aux intervenants extérieurs. Le GENEPI n’intervient quasiment pas dans les établissements 13 000.

Nous sommes favorables au maintien des prestations sociales et à l’instauration d’un revenu minimum en détention, car ils contribueraient au maintien de la dignité de la personne et éviteraient les problèmes liés à l’indigence. Que le détenu puisse vivre, cantiner, acheter des produits en prison, éventuellement envoyer une partie de ses revenus à sa famille, est important.

Nous nous sommes attachés cette année à travailler sur l’incarcération des femmes.

Les femmes sont peu nombreuses en prison. Elles sont souvent incarcérées dans de petites structures, ce qui, a priori, pourrait constituer un atout pour leur suivi. Toutefois, ces petites structures, de par leur taille, manquent de moyens et ne sont pas en mesure de procéder à des investissements adaptés à la situation. L’accès à la formation et au service socio-éducatif est souvent très limité.

Il n’existe pas non plus de Centre national d’observation pour les femmes qui pourrait les orienter vers tel ou tel établissement. Nous souhaiterions donc la création d’un tel centre.

Pour remédier au déséquilibre géographique, nous proposons l’ouverture d’une structure spécifique aux femmes dans le sud de la France, à la condition que le nombre de places soit d’autant réduit dans les structures situées dans le nord.

Les formations proposées aux femmes sont peu diversifiées et se cantonnent souvent aux rôles sociaux traditionnels avec des formations à la couture, à la cuisine, etc. Nous demandons la possibilité d’adapter les offres de formation aux demandes des détenues et, dans la mesure du possible, de proposer des formations qualifiantes et pouvant déboucher sur un diplôme.

La législation ordonne la séparation des détenus majeurs et mineurs. Vu leur faible effectif, soit la séparation est totale, en général, les mineurs sont seuls, soit l’assimilation est totale, ce qui n’est pas permis.

Les femmes rencontrent des problèmes d’accès à la santé et de suivi médical, notamment dans le domaine de la gynécologie.

Bien qu’il soit en voie de disparition, le manque de respect du principe de laïcité subsiste. Beaucoup de religieuses intervenaient dans les centres de détention pour femmes. Or les personnes qui exercent une fonction publique doivent être titulaires d’un diplôme d’Etat. Religieuses ou non, elles doivent accomplir leur mission dans le respect total de la laïcité.

Enfin, le manque de structures aptes à accueillir des mères en prison qui gardent leur bébé avec elles et des femmes enceintes, est grand.

Sur un plan plus général, je voudrais parler des maisons d’arrêt.

La population carcérale dans les maisons d’arrêt est trop importante et les prévenus sont trop nombreux. Les juges ont " la main lourde " s’agissant des détentions provisoires. Le GENEPI a fixé sa position sur la mise en détention en mars 1998.

" Selon l’enquête du GENEPI sur les connaissances et représentations des Français sur la prison, 88,2 % des Français connaissent l’existence de la détention provisoire sans avoir d’idée précise de son ampleur, tant sur le nombre de prévenus que sur la durée de la détention provisoire.

Au 1er juillet 1997, près de 40 % des personnes incarcérées l’étaient au titre de la détention provisoire pour une durée moyenne de 4,8 mois. En 1996, 30 % des personnes mises en examen ont fait l’objet d’un placement sous contrôle judiciaire et 37 % ont fait l’objet d’une mise en détention provisoire. Pourtant, d’après la loi, la liberté est le principe et la détention provisoire l’exception. On peut se demander si la protection de la collectivité ne prime pas sur le respect des libertés individuelles, ce qui légitimerait dans l’opinion la large utilisation de la détention provisoire. Le GENEPI considère que ce large recours à la détention provisoire est excessif et a décidé d’inscrire à l’ordre du jour de ses assises nationales en 1998 une réflexion sur la détention provisoire."

Les propositions qui en sont ressorties sont les suivantes :

" Sur le contexte social de la détention provisoire, la présomption d’innocence est bafouée par la violation du secret de l’instruction du fait de l’ingérence de la presse dans les affaires pénales. De plus, suite à la présentation journalistique de l’affaire, le public interprète souvent mal le sens des mesures prises par le juge d’instruction, notamment une mise en examen ou un placement en détention provisoire.

Le GENEPI reconnaît la nécessité d’informer le public des actes de délinquance et de leurs suites judiciaires par les média, mais cela doit rester dans le respect du secret de l’instruction et de la présomption d’innocence : anonymat, pas de photos, etc.

Même si les termes de "détention provisoire" sont venus se substituer, de par la volonté du législateur, à ceux de "détention préventive" comme ceux de "mise en examen" à celui "d’inculpation", ils conservent aux yeux du public une connotation de culpabilité. Il y a donc une nécessité de faire évoluer l’opinion publique sur ses préjugés. Le GENEPI a un rôle à jouer dans l’évolution de la connaissance et des mentalités sur la détention provisoire, notamment au travers de ses actions d’information et de sensibilisation du public.

Au niveau du vécu, la détention provisoire a pour conséquence une rupture néfaste avec la vie sociale, familiale et professionnelle du prévenu. De plus, le fait même d’être incarcéré constitue un préjudice persistant après la sortie du prévenu et pour son entourage.

Le GENEPI exige le maintien de tous les droits sociaux des prévenus, puisqu’ils sont présumés innocents et qu’ils doivent préserver au mieux leur situation antérieure à l’incarcération. Le GENEPI demande à ce que la séparation entre les prévenus et les condamnés soit respectée pour renforcer la notion de présomption d’innocence.

Dans la logique de la chronologie judiciaire, la peine doit avoir lieu après le jugement. Il arrive que la peine prononcée couvre strictement la détention provisoire. Dans ce cas, le sens de la peine s’en trouve affecté.

Le GENEPI rappelle l’importance de la reconnaissance du préjudice subi pour une détention provisoire arbitraire ou abusive.

Au niveau de l’organisation de la justice, le GENEPI trouve anormal que le juge d’instruction ait, à lui seul, le pouvoir de placer en détention provisoire. Il demande une obligation de motivation précise et stricte du trouble à l’ordre public, qui est un critère flou et subjectif, qu’il convient de restreindre.

Le GENEPI déplore les carences d’information sur les voies de recours au placement en détention provisoire - référé libertés, demande de mise en liberté, etc. En ce sens, il serait souhaitable de revaloriser le statut des avocats commis d’office - au niveau de leur formation, de leur rémunération - et d’envisager une permanence juridique en prison.

Dans le but de réduire le nombre de personnes en détention provisoire, il serait souhaitable de réfléchir à un moyen terme, accepté par le prévenu, entre le contrôle judiciaire et l’incarcération - par exemple, l’assignation à résidence, le placement sous surveillance électronique... - dans le respect des critères motivant la mise en détention provisoire.

La loi du 30 décembre 1996 sur la réforme de la détention provisoire énonce un délai raisonnable des procédures. Le GENEPI souhaite que tous les moyens soient mis en _uvre pour que cette loi soit effectivement appliquée dans les meilleurs délais."

Ce texte date de 1998. De grandes avancées sont intervenues depuis. Nous espérons beaucoup des textes à venir sur la détention provisoire, mais elle reste un problème considérable. L’effet déstructurant et désocialisant de la détention n’est plus à prouver et les peines qui couvrent juste la détention provisoire effectuée affectent sans aucun doute le sens de la peine.

Les projets de construction de nouveaux établissements pénitentiaires sont une erreur, sauf si cela s’accompagne de fermetures des vieux établissements. Il n’est pas nécessaire d’augmenter le nombre de places disponibles en prison. Au cas où de nouveaux établissements seraient construits, ces constructions devraient s’accompagner des plus grandes précautions sur le choix de leur implantation, comme je l’évoquais au sujet des établissements 13 000.

La prison doit se situer dans la ville ou à sa proximité. Autrement, c’est une façon de mettre les détenus à l’écart de la société civile, qui ne prend pas part à la justice, pourtant rendue au nom du peuple français.

Les conditions de détention dans les établissements pour peines sont meilleures. Toutefois, les très grands centres ne permettent pas la connaissance des individus. Ce sont des usines et il n’est pas souhaitable d’en construire de nouvelles.

Sur l’accès au droit des détenus et sur le contrôle des établissements pénitentiaires, nous nous en remettons entièrement aux conclusions de la commission Canivet avec lesquelles nous sommes tout à fait d’accord. Au-delà des autorités judiciaires et administratives, la société civile doit pouvoir entrer davantage dans les prisons et y porter son regard. Le fonctionnement et les conséquences de l’incarcération doivent être transparents.

La société doit aussi être préparée à accueillir les sortants de prison en tant que citoyens ayant effectué leur peine. M. Nicolas Frize, de la Ligue des droits de l’homme, soulignait le fait que la fonction publique est fermée aux personnes ayant un casier judiciaire. Or l’Etat ne peut demander au secteur privé et aux individus une reconnaissance et une confiance que lui-même n’accorde pas aux personnes qui ont connu des problèmes avec la justice.

J’évoquerai le sujet des mineurs en prison en citant l’ordonnance de 1945 aux termes de laquelle l’éducatif doit primer sur le répressif. Or, de plus en plus de mineurs sont incarcérés et de plus en plus jeunes. On peut considérer que l’éducatif a échoué.

L’incarcération qui constituait un dernier recours devient le plus souvent la règle. Il faut remettre en cause le fonctionnement de la protection judiciaire de la jeunesse, en tout cas lui donner plus de moyens pour fonctionner, penser à des mesures d’éloignement, non des familles, mais des milieux engendrant la délinquance. Que des mineurs soient en prison est un grave constat d’échec. Dans les quartiers mineurs, la prison construit des fauves. Elle détruit les individus de treize ans à dix-huit ans et même au-delà.

Dans les quartiers mineurs, les surveillants sont désemparés, ils ne savent plus quoi faire, ils n’ont plus envie d’y aller, les travailleurs sociaux non plus et les enseignants ne sont guère plus rassurés.

L’administration, dans le souci d’éviter les émeutes et les problèmes, est parfois un peu laxiste. En tout cas, elle ferme les yeux sur la circulation de la drogue et sur l’usage tout à fait abusif de la télévision, dans un souci de maintenir un maximum de calme dans les quartiers mineurs. Très souvent, on nous demande d’intervenir dans les quartiers mineurs au prétexte que nous sommes jeunes et que nous pourrons lier plus facilement contact. Tel n’est pas notre objet. Le GENEPI intervient toujours en complémentarité des travailleurs sociaux et des enseignants. Alors que la scolarité est obligatoire jusqu’à seize ans, il y a trop peu d’enseignants pour faire suivre cette scolarité. On envoie donc des intervenants bénévoles, les génépistes. Dorénavant, nous refusons d’intervenir là où les professionnels n’interviennent pas.

En prison comme ailleurs, les mineurs ont l’obligation de scolarité, mais les enseignants sont souvent débordés dès qu’il y a plus de cinq mineurs dans la classe. Ils ne prennent pas la peine de contraindre ceux qui ne veulent pas venir sous peine de compter des éléments très perturbateurs dans les classes qui viendraient gêner les rares mineurs motivés. C’est un fait extrêmement grave. Nous dressons ce constat, sans, toutefois, proposer de réponse, car nous sommes aussi désemparés que les surveillants et les travailleurs sociaux. Nous sommes confrontés à des situations et à des individus dont nous ne comprenons pas le fonctionnement.

Je terminerai par l’enseignement en prison, notre principal domaine d’intervention, et je soulèverai un point sur lequel des avancées sont nécessaires. L’administration y travaille actuellement. Il s’agit du conflit entre l’enseignement, la formation et le travail. Les détenus les plus pauvres économiquement sont aussi les plus pauvres culturellement et scolairement. Ils ont donc besoin de travailler en prison pour accéder à un minimum de revenus pour cantiner. Quand il s’agit de faire le choix entre aller à l’école, apprendre à lire et à écrire, ou travailler à l’atelier pour gagner de l’argent, le choix est vite fait ! Les illettrés, ceux ayant un faible niveau scolaire, vont immédiatement travailler et ne suivent pas les enseignements. Nous ne croyons plus vraiment à la réinsertion par le travail en prison. La réinsertion passe par la culture, par des minimums de base, savoir lire et écrire. Le pourcentage d’illettrés en prison est énorme. Il faut absolument orienter les moyens vers la réinsertion par l’enseignement, en d’autres termes que les détenus soient rémunérés pour se former. Même s’il s’agit d’une " carotte ", il ne sera pas possible autrement d’assurer une mission de réinsertion en prison.

Mme la Présidente : Je vous remercie chaleureusement de vos propos, de vos constats et de vos propositions.

J’ai bien compris que vous étiez favorable au numerus clausus.

Depuis combien de temps existe le GENEPI ?

Mme Cécile RUCKLIN : Le GENEPI a été créé en 1974-1975. A cette époque, de graves mutineries avaient éclaté dans les prisons, souvent sanglantes, parfois mortelles. Le gouvernement de l’époque avait souhaité ouvrir les prisons sur l’extérieur. Les statuts de l’association ont été déposés en 1976 par la volonté de Valéry Giscard d’Estaing. Au début, nous étions placés sous la tutelle de l’administration pénitentiaire. Le GENEPI avait été créé pour les étudiants des grandes écoles, car l’on voyait en eux de futurs décideurs. Très rapidement, la tendance s’est inversée et nous comptons aujourd’hui des étudiants de tous horizons. Par ailleurs, nous nous sommes complètement détachés de la tutelle de l’administration pénitentiaire, qui est devenue partenaire et non plus tuteur.

Mme la Présidente : L’origine des étudiants est donc très diverse.

Mme Cécile RUCKLIN : Tout à fait. L’investissement des étudiants dans le GENEPI n’a rien à voir avec leur carrière. Il s’agit d’une motivation personnelle.

Mme la Présidente : Je partage votre analyse sur le problème de l’enseignement et sur le conflit entre apprendre à lire et travailler. La situation économique du détenu le contraint à choisir le travail. Je trouve dommage - ce n’est pas une critique, mais un constat de l’état de la société - que nous ne trouvions comme réponse qu’une incitation financière. C’est en soi quelque chose de choquant. Peut-être convient-il de donner aux détenus cette liberté économique sous la forme du RMI pour créer une véritable liberté de choix. Nous sommes dans une société où chaque fois que se pose un problème, nous retombons toujours sur l’argent comme moyen incitatif.

Mme Cécile RUCKLIN : Il est vrai que c’est très dommage. La prison n’est pratiquement que contrainte. C’est pourquoi je ne suis pas prête à entendre l’administration pénitentiaire déclarer qu’elle ne peut contraindre les gens à se rendre en cours. Elle n’a qu’à les motiver d’une façon ou d’une autre. Le détenu étant dans une situation où il doit absolument travailler pour gagner un peu d’argent et où il ne peut se former, il convient de lui donner les moyens.

Mme la Présidente : Pourquoi ne pas prévoir une réduction de peine pour celui qui voudrait apprendre ?

M. le Rapporteur : C’était l’une des conditions de la liberté conditionnelle.

Mme Cécile RUCKLIN : Cela existe déjà en effet pour les libérations conditionnelles.

Mme Nicole BRICQ : S’engager dans une formation, y compris un cursus scolaire, n’est pas toujours pris en compte pour les remises de peine, ce qui est absolument anormal. J’ai rencontré un directeur de prison qui a dû se battre avec un juge de l’application des peines pour lui faire reconnaître que c’était là un motif de réduction de peine. Il n’y a donc pas que le seul aspect financier.

Mme la Présidente : Une incitation passant par une réduction de peine, véritablement appliquée, me satisfait bien davantage. Elle peut même se révéler beaucoup plus incitatrice qu’une incitation pécuniaire.

M. le Rapporteur : Certains juges de l’application des peines ou certains responsables de l’administration pénitentiaires estiment que si l’on attribuait les remises de peines aux personnes ayant suivi des cours, une formation professionnelle ou passé des examens, on favoriserait celles qui, culturellement, sont plus évoluées que les autres. Celui qui est illettré, parce qu’il n’a pas compris que le savoir pouvait lui ouvrir des portes, déclare ne vouloir rien faire. Autrement dit, une injustice serait commise. On essaye ainsi de corriger une injustice par une autre. Sur ce point, je pense que nous serons amenés à formuler des propositions.

Dans les établissements que j’ai visités, j’ai appris que lorsque l’on propose à certains jeunes de dix-sept ou dix-huit ans, qui n’ont plus d’obligation scolaire, de suivre des cours au lieu de passer leur journée entière devant la télévision - d’autant qu’il est des sujets qui peuvent les intéresser comme l’informatique - ces jeunes répondaient : "Je ne suis pas obligé.", "Mon avocat m’a dit que je n’étais pas obligé". Nous nous posons la question de savoir si nous n’allons pas prolonger l’obligation de scolarité parallèlement à la mise en place d’un minimum d’incitation : une remise de peine, une amélioration des conditions de détention ou des permissions, et ce suite à un effort de formation.

Mme Cécile RUCKLIN : Quitte à être contraignant, autant limiter l’utilisation de la télévision dans les cellules au cours de la journée.

M. le Rapporteur : Pour l’anecdote, à la prison de La Roche-sur-Yon, le circuit électrique alimente la télévision, le système de sécurité et le réfrigérateur. C’est dire que coupant la télévision, l’on coupe tout le reste !

Mme la Présidente : A contrario, à Bois-d’Arcy, la direction a trouvé un moyen d’incitation que je caricature pour faire court : "Si vous venez suivre les cours, vous aurez accès à la play station." C’est un moyen très efficace.

M. le Rapporteur : Quelle est l’origine sociale des étudiants du GENEPI ?

Mme Cécile RUCKLIN : Celle des étudiants en général, de la première année à la thèse, indifféremment. Tel était l’objet de la création du GENEPI : des étudiants, de par le fait même qu’ils sont étudiants, sont beaucoup plus favorisés qu’une grande majorité des jeunes. C’était également un réflexe de solidarité que d’aller partager en prison les savoirs dispensés par l’université. Les génépistes sont souvent d’une origine sociale plus favorisée que celle des détenus.

M. le Rapporteur : Cela pose-t-il des problèmes de compréhension ?

Mme Cécile RUCKLIN : Pas du tout, jamais.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Madame la présidente, vous n’avez pas abordé la question de la sexualité. Vous pose-t-on des questions sur ce sujet ?

Mme Cécile RUCKLIN : Si l’on s’en tient au temps limité d’incarcération dans les maisons d’arrêt, si on réduit les détentions provisoires, si les détenus, après leur jugement, sont condamnés et partent rapidement en établissement pour peines, on pourrait presque éluder la question.

Dans les établissements pour peines, l’administration s’attache à conserver un rythme de sommeil, de travail, de loisirs, organisé sur le modèle de l’extérieur, mais ce rythme est factice, car il n’existe aucun temps de vie privée. Les unités de vie familiale sont là pour compenser cette situation et pour que, de temps en temps, s’instaure un temps de vie privée. Il ne faut pas considérer les UVF comme des parloirs sexuels ainsi que certains les perçoivent. C’est aussi un moment pour rencontrer le conjoint, les enfants, la famille. Bien sûr, elles comprennent la notion de sexualité.

Si les UVF se généralisent, peut-être une part du problème sera-t-elle réglée.

Pour ce qui est de la sexualité en prison, entre les détenus, c’est là un sujet tabou. Nous ne disposons d’aucune donnée, les détenus ne parlent pas. L’homosexualité existe en prison - nous le savons par les témoignages des détenus -, homosexualité contrainte en quelque sorte. Existe également de la sexualité violente, mais je ne puis m’exprimer sur le sujet, car je ne dispose d’aucune donnée. Des détenus ont écrit sur la question. Je pense à "La guillotine du sexe" de Jacques Le Sage de Lahaye. Mais l’on ne dispose que de peu d’éléments. Ensuite, cela pose la question de la contamination. Des préservatifs sont disponibles à l’infirmerie où le détenu doit se rendre pour en demander ou alors se servir dans la corbeille au vu et au su de tous. Cela fait partie des facteurs de l’incarcération qui coupe de toute vie privée. Je crois aux UVF, j’espère que la mesure sera développée et que les autorisations seront délivrées fréquemment.

Mme Nicole BRICQ : Madame la présidente, vous avez évoqué le décalage entre la présence des travailleurs sociaux et des équipes socio-éducatives et le nombre de surveillants. Je l’ai également constaté. Vu par les surveillants, par ceux qui assument la fonction de "gardiennage", vous posez un problème pour l’organisation de la prison plutôt que vous n’apportez une solution.

Mme Cécile RUCKLIN : Les surveillants sont réduits à un rôle de porte-clefs et de surveillance des allers et venues. Plus il y a d’allers et venues, plus il y a d’intervenants bénévoles, plus ils ont de travail. Nous leur répondons que la présence d’intervenants bénévoles, l’organisation d’activités socioculturelles ou d’enseignements, sous forme non-scolaire, contribuent largement à faire baisser la tension dans les établissements pénitentiaires et qu’au bout du compte ils sont gagnants. Nous ne sommes pas en conflit avec les surveillants, mais nous ne sommes pas non plus dans la meilleure entente qui soit avec eux. Le plus souvent, cela se passe dans l’indifférence, sinon avec de petites anicroches. Un jour où un surveillant sera de mauvaise humeur, on pourra attendre une demi-heure ou trois quarts d’heure devant une porte avant que l’on ne vienne nous ouvrir. C’est autant de temps pris sur l’intervention.

Mme Nicole BRICQ : Lorsque j’ai visité des prisons, j’ai relevé le manque de coordination entre les acteurs qui s’occupent du détenu. J’ai demandé s’ils ne disposaient pas, pour le moins, d’une heure tous les quinze jours ou par semaine pour se réunir et parler du détenu. Dans la vie active, on entend "Le client est au c_ur de la démarche des entreprises." En l’occurrence, il se trouve que le client est le détenu, celui auquel on offre des services, de plus ou moins bonne qualité. Je pense que de telles discussions permettraient une compréhension mutuelle entre les équipes, qui, d’une manière ou d’une autre, ont chacune un rôle à jouer. On sait très bien que les surveillants jouent un rôle majeur, car ils sont présents en permanence et le plus au contact des détenus.

Mme Cécile RUCKLIN : Cette situation est en voie d’amélioration avec la mise en place des services pénitentiaires d’insertion et de probation, mais ce n’est pas vrai dans tous les établissements. Je coordonne tous les groupes du GENEPI sur les régions pénitentiaires de Dijon et Strasbourg. J’ai précisément constaté à Dijon comme à Strasbourg l’organisation de réunions mensuelles, en présence du chef de la détention. À Strasbourg, a été mis en place un comité de coordination réunissant l’ensemble des acteurs : travailleurs sociaux, enseignants, personnels pénitentiaires. Voilà deux prisons où je pense que la situation va évoluer dans le bon sens. Cela dépend de la bonne volonté du directeur et du SPIP.

M. le Rapporteur : Etes-vous toujours étudiante ?

Mme Cécile RUCKLIN : J’ai interrompu mes études, car le GENEPI ne compte pas de salariés. Nous sommes une équipe de dix permanents, qui travaillons à temps plein et plus qu’à temps plein dans l’association. Les dix permanents sont, soit objecteurs de conscience, soit détachés militaires. J’ai fait ce choix pour un an pour bénéficier d’un statut.

Mme la Présidente : Vous ne pouvez que recevoir les félicitations et l’admiration de l’ensemble des membres de la commission d’enquête.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Comment les mères vivent-elles la séparation d’avec leur enfant à l’âge de dix-huit mois ? Il s’agit d’une véritable souffrance. Le fait d’avoir accès au parloir est-il suffisant ?

Mme Cécile RUCKLIN : Les rencontres aux parloirs ne sont pas suffisantes. Je ne suis pas spécialiste de la question ; je pense qu’il faudrait interroger les médecins ou les surveillantes.

Passer les dix-huit premiers mois de sa vie en prison est-elle une bonne chose pour l’enfant ? Est-ce une bonne chose pour la mère de vivre avec son enfant pendant dix-huit mois, sachant que la plupart des mères se servent un peu de cet enfant comme otage ? Il y a de vraies questions à se poser, mais je ne suis pas suffisamment spécialiste pour vous répondre plus au fond.

Bien sûr, au bout de dix-huit mois, la séparation est une déchirure. Pendant ce temps, la mère aura utilisé un peu son enfant comme objet de négociation.

M. le Rapporteur : Un accord a été passé entre la ville de Rennes et le centre de détention : les mères sortent au moins une fois par semaine pour se rendre dans une crèche municipale à proximité du centre de détention, ne serait-ce que pour que les enfants soient en contact avec d’autres enfants.

Quand l’enfant sort en même temps que la mère, il n’y a pas de problème. Quand la mère sort avec quelques jours, quelques semaines, voire quelques mois de différence, cela se passe encore relativement bien. Le problème se pose pour toutes les femmes ayant à purger une peine supérieure à cinq ans. La séparation est alors très difficile, même s’il existe la possibilité, puisqu’il s’agit d’un centre de détention, que l’enfant rencontre sa mère une fois tous les quinze jours. Des dialogues que nous avons pu engager avec deux mères et les surveillantes, il est ressorti que certaines utilisaient l’enfant comme un objet de négociation. Mais on ne peut non plus le leur reprocher.

Mme la Présidente : Madame la présidente, nous vous remercions et vous félicitons une nouvelle fois. Nous avons une belle jeunesse en France !

Mme Cécile RUCKLIN : Nous croyons vraiment en cette commission d’enquête. La vague médiatique sur les prisons est retombée. Nous n’avons pas à vous dire ce que vous devez faire, mais si des mesures importantes ne sont pas prises maintenant, il faudra encore attendre des années avant que quoi que ce soit ne soit entrepris.

Mme la Présidente : N’étant pas présidente de la commission en titre, je puis vous dire simplement que la volonté de l’ensemble des parlementaires de la commission va dans ce sens.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr