" Les personnels pénitentiaires se plaignent à juste titre de la mauvaise diffusion de l’information et de l’insuffisance de la concertation.

En outre, l’opacité de l’administration pénitentiaire vis-à-vis de l’extérieur est une des causes de la difficulté pour cette institution d’être reconnue à sa juste place par la société. Il ne sert à rien de se plaindre des médias. Tant qu’une institution ne fait que réagir à la demande, le plus souvent à la suite d’incidents, elle ne peut évidemment faire passer aucun message valorisant pour elle-même et ses personnels. Une institution comme l’administration pénitentiaire se doit de produire une communication positive régulière. Ce sera la seule façon de changer progressivement son image. "

Ce constat dressé par M. Gilbert Bonnemaison en 1989 reste largement valide.

A) LES CLOISONNEMENTS DE L’ADMINISTRATION

Coexistent, au sein de l’administration pénitentiaire, différentes entités : entité centrale, entités régionales et locales, qui ne marchent pas forcément d’un même pas.

Il en résulte un décalage, très fortement ressenti, entre les politiques définies par l’administration centrale et leur application sur le terrain.

" Ce décalage va croissant. En effet, on constate un fossé de plus en plus large entre les différents niveaux d’administration, aussi bien sur le fond - la philosophie des réformes, le sens que l’on veut donner à la peine et à la prison - que sur la forme - la méthode, la manière technocratique de les présenter - en oubliant d’ailleurs souvent le corps des surveillants, qui constitue pourtant le personnel le plus important parce que le plus nombreux et situé véritablement au coeur de la détention, ainsi que les moyens humains nécessaires à la mise en _uvre des réformes. L’administration centrale semble éloignée du terrain qu’elle ne connaît pas forcément bien ; les directions régionales sont si grandes qu’elles ne peuvent parvenir à impulser toutes les réformes et souvent se cantonnent à jouer un rôle de " petit télégraphiste " ou de boîte aux lettres pour la transmission des directives vers les établissements ; enfin, les établissements où les équipes de direction, quand elles sont au complet et qu’il existe une notion d’équipe de direction, ce qui est rarissime, doivent, le plus souvent, gérer toutes les réformes, parfois contradictoires, sans que soient donnés véritablement des contrats d’objectifs à atteindre. " (M. Louis Leblay, directeur du centre pénitentiaire de Nantes, CFDT-justice)

Ce constat pose la question de l’organisation administrative et des modes de gestion des établissements (Cf. 2)

Il traduit aussi l’absence de prise en compte du vécu professionnel de ceux qui, à toutes les étapes de la hiérarchie, font, tous les jours, fonctionner les établissements.

" Notre vécu professionnel n’est, à aucun moment, hormis en tant que syndicaliste, pris en compte.

C’est un véritable problème au vu de la comparaison que l’on peut faire avec d’autres institutions ou ministères. Ce vécu professionnel est aussi un vécu de citoyen, au coeur de la conception qu’on se fait de la vie. En effet, lorsqu’on est confronté au phénomène de l’incarcération, des prisons et des libertés, on est forcément confronté à l’essentiel de ce qui fait la vie. " (M. Pierre Duflot, adjoint au directeur régional des services pénitentiaires de Lille et membre du syndicat CFDT-justice)

L’intérêt qu’il y aurait à mutualiser les multiples expériences développées par les établissements (organisation de l’accueil des détenus, points d’accès au droit, soutien au personnel après le suicide d’un détenu...) est apparu avec constance dans les contacts établis lors des visites d’établissement. Le désir de connaître et de profiter des innovations est réel, la somme des expériences accumulées est considérable.

Ce capital n’est pas exploité comme il le devrait. La non-association des personnels à la conception des nouveaux établissements est à ce titre symptomatique. Pas plus que le personnel médical pour les unités de consultation installées dans les établissements, les surveillants et leur hiérarchie n’ont leur mot à dire, au-delà des consultations des syndicats représentatifs.

Il n’est pas inutile de rappeler que le rapport Bonnemaison préconisait, avant chaque projet de restructuration ou de construction neuve, la mise en place, au niveau local, d’un groupe consultatif ad hoc rassemblant des personnels de tous corps et de tous grades, chargés de donner un avis sur les projets, de suivre l’évolution des chantiers et de remettre un rapport final après l’achèvement des travaux. " Cela évitera peut-être à terme les défauts majeurs que l’on constate encore aujourd’hui dans la réalisation des établissements neufs ou dans les travaux d’adaptation. "

L’administration centrale fonctionne, au contraire, par des procédures très formelles de remontée de l’information, procédures très centrées d’ailleurs sur les problèmes de sécurité ou d’équipement.

Aux demandes d’éléments d’information sur les établissements pénitentiaires formulées par les parlementaires, dans l’objectif de disposer d’un dossier établissement par établissement, des fiches signalétiques par établissement 14 ont été envoyées à la commission.

La directrice de l’administration pénitentiaire a indiqué que, au-delà de ces fiches, " ...pour beaucoup d’établissements, nous disposons d’un dossier technique, il s’agit de dossiers de travail, énormes et non synthétiques. Nous disposons de dossiers synthétiques seulement pour certains établissements. En général, ils se trouvent plutôt dans les directions régionales, qui gèrent les crédits de gros entretien des établissements.

Une base de données est en cours de constitution à la délégation générale pour le programme pluriannuel d’équipement du ministère de la Justice, qui construit à la fois les établissements pénitentiaires neufs et les tribunaux, pour constituer une base de données des établissements neufs. Nous avons une base de données très technique et sophistiquée. Les établissements anciens n’y figurent pas encore. "

La procédure de remontée des informations relatives aux incidents reflète assez bien le fonctionnement fortement hiérarchisé de cette administration, à la fois peu informée et tatillonne.

" La gestion des incidents relève en premier lieu de la responsabilité du chef d’établissement. [...] Pour la remontée des informations, en revanche, la prégnance de la hiérarchie est plus forte :tout incident donne lieu à une remontée d’informations vers la direction régionale qui, elle-même, transmet à la direction centrale. La remontée n’est immédiate vers l’administration centrale que pour les incidents les plus graves. Nous avons fixé par écrit une procédure de remontée de l’information, que je pourrai vous adresser, pour les incidents sur lesquels nous voulons être informés rapidement. Personnellement, j’interviens peu sur les incidents. Je sais que certains de mes prédécesseurs intervenaient davantage sur la gestion directe de l’incident au moment même où il se produisait alors que j’estime que nous sommes loin et donc moins bien placés pour agir. Au surplus, il faut responsabiliser l’échelon de proximité qui a en main l’ensemble des données pour agir. En revanche, j’analyse les incidents importants et lorsque j’estime que l’un d’entre eux traduit un dysfonctionnement, je demande un compte-rendu plus détaillé et, le cas échéant, j’envoie l’inspection de l’administration pénitentiaire. " (Mme Martine Viallet, directrice de l’administration pénitentiaire)

Le manque d’information est manifeste lorsque l’on parle d’évaluation des actions. La carence la plus critiquable concerne l’absence d’évaluation récente de la récidive par le ministère de la Justice.

La dernière étude sur ce sujet porte sur les sortants de prison de 1982 - il y a donc vingt ans - initialement condamnés à trois ans et plus. Un examen a été effectué ultérieurement, en 1988, sur le casier judiciaire 15.

Comment, dans ces conditions, élaborer des outils d’insertion, fixer des modalités de prise en charge, mobiliser les personnels qui se plaignent tous de l’absence de retour d’information sur les personnes dont ils ont eu la charge, une fois celles-ci libérées ? Ils investissent finalement à fonds perdus, sans savoir ce qu’il advient des actions qu’on leur demande d’entreprendre.

De même, l’analyse du bilan des établissements du programme 13 000 apparaît aussi parcellaire, alors que paradoxalement, des indicateurs ont été élaborés pour suivre les marchés de fonctionnement et que la connaissance qu’a l’administration de ces établissements est plutôt meilleure que celle qu’elle peut avoir du parc classique.

Seules existent deux études réalisées dans la perspective du renouvellement des contrats de fonctionnement : l’une portant sur les aspects immobiliers et de gestion, l’autre sur l’organisation du système de soins.

Dans le cadre de la réorganisation de l’administration centrale à laquelle il vient d’être procédé, un nouveau bureau a été créé au sein de la sous-direction de l’organisation et du fonctionnement des services déconcentrés : chargé du contrôle de gestion et du suivi des politiques afin d’évaluer les dossiers budgétaires de l’année pour chaque direction régionale, il pourra également effectuer des audits sur les établissements ou sur des dossiers transversaux. Cette réorganisation devrait permettre un meilleur suivi.

Au moins sur les deux points évoqués, la récidive et les établissements 13 000, la nécessité d’évaluations poussées et régulières est incontournable.

B) DES RELATIONS CONFLICTUELLES AVEC L’EXTERIEUR

Il faut, au préalable, souligner que démentant la critique traditionnelle d’opacité de l’administration pénitentiaire, les personnels, les chefs d’établissement, les syndicats ont parfaitement compris et soutenu l’enjeu que constituaient pour leur métier et pour la prison, les travaux de la commission d’enquête. Pas une fois, un député n’a rencontré d’obstacles dans les visites auxquelles il a procédé. Au contraire, elles ont été une occasion précieuse de contact, d’analyse des difficultés et de recueil des propositions.

On peut toutefois s’étonner que l’administration centrale ait jugé bon de faire transiter par son intermédiaire le questionnaire écrit adressé aux chefs d’établissement et parfois, comme cela a été relevé, ici ou là, de demander la rectification de certaines mentions. Sans doute, ne faut-il y voir que le symptôme d’un long passé de repli sur soi et de méfiance ...

L’enjeu d’une relation normalisée avec l’extérieur est clair. L’article 53 de la recommandation du Conseil de l’Europe sur les nouvelles règles pénitentiaires précise que : " L’administration pénitentiaire doit estimer que l’une de ses tâches majeures est de tenir l’opinion publique constamment informée du rôle joué par le système pénitentiaire et du travail accompli par son personnel, de manière à mieux faire comprendre au public l’importance de leur contribution à la société. "

L’administration pénitentiaire française se situe très en retrait de cet objectif, dont la nécessité est par ailleurs affichée. Cet état de fait est manifeste au vu des outils de communication dont elle dispose.

" Nous disposons d’un service de relations extérieures, le service de communication et de relations internationales, qui travaille en liaison étroite avec le service d’information et de communication de l’ensemble du ministère. C’est un tout petit service qui, paradoxalement, compte peu de spécialistes en communication mais essentiellement des personnes performantes sur les supports, c’est-à-dire pour la réalisation de documents, moins sur leur contenu. C’est l’une de mes préoccupations et je suis actuellement en train de modifier le service de la communication. Ce n’est pas la première chose que j’ai faite en arrivant, mais cela me semble absolument nécessaire. Certes, nous disposons de bons documents, mais cela ne suffit pas pour bien communiquer.

Dans les régions, il existe un petit service chargé de la communication, dont l’efficacité est très variable selon les régions.

Au niveau des établissements, personne n’est spécifiquement chargé de la communication. C’est l’un des problèmes de l’organisation des équipes de direction et plus généralement de la gestion des établissements. Il est souhaitable, qu’au sein de chaque établissement, une personne soit spécifiquement chargée de la communication. C’est le cas dans les très gros établissements de la région parisienne, mais pas dans la plupart des établissements. Notre communication repose essentiellement sur les talents individuels des personnes. " (Mme Martine Viallet, directrice de l’administration pénitentiaire)

L’administration pénitentiaire pèche particulièrement dans ses relations avec les familles de détenus. Dès lors que se produit une crise, la difficulté de communication va être exacerbée.

Le message passe souvent mal, que ce soit l’information relative à l’incarcération elle-même ou bien celle sur l’état de santé du détenu par exemple, et ceci est très mal vécu par les proches déjà confrontés à la séparation, à la perte éventuelle d’un revenu... Les familles ne sont pas toujours informées de la mise en détention. Le même problème existe pour les transferts.

Et quand il y a eu un décès en prison, bien souvent c’est face à un mur, " mur de justice et d’injustice " que les proches ont le sentiment d’être placés.

" J’ai perdu mon petit frère qui était mineur. Il a été placé au mitard pour une peine de vingt jours, ce qui est inadmissible s’agissant d’un gosse de dix-sept ans. Bien que l’essentiel ne soit pas là, ces enfants sont entrés en prison pour des délits mineurs, même s’ils n’en restent pas moins des délits. Ils sont là pour payer, à aucun moment pour se retrouver victimes. Notre famille était déjà victime par le simple fait d’être pour la première fois confrontée à la prison : aucun membre de ma famille ni aucun de mes proches n’a connu le milieu carcéral. En ce sens, nous étions déjà en quelque sorte victimes. En aucun cas, nous n’imaginions avoir à faire face à un décès, d’autant qu’un mineur de dix-sept ans n’a rien à faire dans un quartier disciplinaire. " [...]

En cas de suicide en prison et dès lors que la personne ne décède pas, qu’elle est transportée aux urgences, en réanimation, il y a systématiquement des policiers devant l’entrée - c’est un petit peu le monde à l’envers : ce sont des CRS. Ils prennent sur eux de laisser passer certains membres de la famille, à savoir les frères et s_urs. Parfois, au prétexte qu’ils n’ont pas de permis de visite, ils n’ont pas accès au lit. Alors que les médecins sont catégoriques sur la mort prochaine, l’entrée dans la chambre est soumise au bon vouloir des CRS. Ils nous expliquent bien qu’ils n’ont pas le droit de nous laisser entrer. Que je sache, le directeur a le pouvoir de lever l’écrou ou d’accorder les permis de visite.

Dans mon cas particulier, le directeur de la prison a refusé des permis de visite aux frères et s_urs, ce qui peut engendrer de la paranoïa et quelque virulence dans nos propos, comme vous l’avez constaté. Il conviendrait que les procédures soient respectées avant de chercher à les modifier. " (M. Akim Bouafia, association de familles en lutte contre l’insécurité et les décès en détention - FLIDD)

Il est clair qu’en ce domaine, les silences sont très mal perçus et l’administration pénitentiaire a un important effort à faire pour que le manque de transparence ne génère pas la suspicion.

C) UNE CONCERTATION HESITANTE

Le bilan des progrès de la concertation est très contrasté. Au niveau des établissements, en particulier, ses résultats sont très inégaux. Or nombre de revendications nationales résultent en fait de tensions non résolues au plan local.

Des progrès ont été accomplis en termes d’outils de concertation. En 1991, ont été créés les comités techniques paritaires (CTP) déconcentrés au niveau des régions, qui ont d’ailleurs connu des débuts difficiles.

Depuis 1992, des comités d’hygiène et de sécurité spéciaux (par établissement) se mettent progressivement en place.

Les plus gros établissements ont d’abord été concernés (13 établissements de plus de 300 agents). L’extension aux établissements de plus de 50 agents a été décidée par un arrêté de 1998. Celle-ci est en train de s’opérer. A la fin de l’année, 94 établissements d’au moins 50 agents en seront dotés.

Elle suppose toutefois que les mesures d’accompagnement - emplois ACMO (agents chargés de la mise en _uvre), aménagements de locaux, formation du personnel - soient effectives.

Par contre, le devenir des conseils d’établissements - organes de concertation non paritaires et dépourvus de droit de vote - a été remis en cause. Ces conseils avaient été créés dans l’objectif d’instaurer un dialogue social hors des normes institutionnelles classiques, dans le but de prévenir et d’apaiser les conflits sociaux potentiels au plus près du terrain. La prévention des conflits est apparue d’autant plus nécessaire que la cessation collective du travail est prohibée, en application du statut spécial.

Un arrêt du Conseil d’Etat du 20 septembre 1999 a annulé ce dispositif pour défaut de base légale.

Ces instances avaient soulevé des hostilités syndicales et le poids syndical est un élément incontournable de l’administration pénitentiaire. La demande réside dans la mise en place de véritables comités techniques paritaires locaux.

Les conseils d’établissement présentaient, à tout le moins, le mérite de susciter, à période régulière, l’instauration du dialogue dans l’ensemble des établissements, donc de l’améliorer là où celui-ci faisait particulièrement défaut et de le détacher de l’événement ailleurs.

L’objectif demeure pertinent. La concertation doit pouvoir reposer sur un support légal, quelle qu’en soit la forme, pour servir d’outil au dialogue sur l’organisation et le fonctionnement des services, les aménagements des locaux, les conditions de travail, la formation... et parvenir, à terme, à des évolutions réelles en matière d’organisation du travail.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr