Au nom d’une double exigence de secret et de souplesse de gestion, les dérogations aux règles budgétaires et comptables qui caractérisent le régime des fonds spéciaux, et qui découlent des modalités de gestion rappelées ci-dessus, sont très importantes ; leur champ d’application est conçu de manière très large et excède ce qui apparaît strictement nécessaire.

Donnant lieu à des ordonnancements fractionnés, mais globaux, à destination de comptes de dépôts, les crédits dérogent à la règle de la spécialité budgétaire ; gérés discrétionnairement à partir de ces comptes, ils échappent par là-même aux contrôles a priori applicables aux dépenses de l’Etat, aussi bien celui du contrôleur financier que celui du comptable public ; les délégataires du Premier ministre (ou des ministres pour la part qui leur est allouée) cumulent en fait les fonctions d’ordonnateur et de comptable comme le permet une gestion purement privée. Enfin, l’utilisation des fonds spéciaux est hors du champ des contrôles externes, aussi bien celui de la Cour des comptes que celui du Parlement, étant précisé que les crédits affectés à la DGSE font l’objet du contrôle exercé par la commission de vérification instituée par le décret du 19 novembre 1947. A cet égard, on notera le paradoxe d’une situation où les fonds publics consacrés à des opérations légitimement couvertes par le secret défense sont l’objet d’un contrôle externe, alors que ceux qui sont, pour une grande partie au moins, dévolus au fonctionnement courant de l’appareil gouvernemental, échappent à toute vérification a posteriori.

S’agissant du contrôle parlementaire, il s’exerce normalement dans le cadre des dispositions de l’ordonnance du 30 décembre 1958 (n° 58-1374), article 164-IV 2, qui donnent aux rapporteurs spécialisés des différents budgets le pouvoir de suivre et de contrôler l’emploi des crédits, sur pièces et sur place, et aux présidents et rapporteurs généraux des commissions des finances les pouvoirs d’investigation les plus larges " réserve faite... des sujets de caractère secret concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l’Etat ".

Cette restriction s’étend dans la pratique à l’ensemble des dépenses du chapitre 37-91 : il a été constaté en effet que des réponses particulièrement concises étaient données chaque année aux questions posées par les rapporteurs spéciaux des commissions des finances, même dans le cas où des précisions étaient demandées sur la répartition entre dépenses de fonctionnement courant et dépenses intéressant la sécurité intérieure ou extérieure de l’Etat. Pour le budget 2001, par exemple, la réponse identique faite aux deux rapporteurs est la suivante : " Les fonds inscrits à l’article 20 § 10 sont destinés au fonctionnement de la direction générale de la sécurité extérieure. Ceux qui figurent respectivement à l’article 10 et à l’article 20 § 20 n’ont pas d’affectation différente. Celle-ci est laissée à la discrétion du Premier ministre, responsable de leur emploi devant le Parlement aux termes de la loi du 27 avril 1946 portant ouverture et annulation de crédits sur l’exercice 1946 ".

Il apparaît ainsi que la protection et le secret dont bénéficient les opérations liées à la sécurité - et plus généralement aux intérêts supérieurs de la Nation - couvrent également la totalité des dépenses sur fonds spéciaux et donc les dépenses courantes de fonctionnement des services du Premier ministre et des cabinets ministériels financées de cette manière ; or, la portée très large des dérogations apportées aux règles normales d’utilisation des deniers publics ne se justifie que par référence à des obligations de discrétion et de facilité d’emploi strictement interprétées.

Un réexamen du périmètre actuel des fonds spéciaux paraît donc s’imposer ; force est de constater qu’il n’a pas été entrepris depuis plus d’un demi-siècle, malgré les critiques périodiquement reprises par les médias, mais le contexte actuel le rend sans doute plus nécessaire et plus urgent.


Source : Premier ministre, http://www.premier-ministre.gouv.fr/