Des contrôles multiples

Les mutuelles étudiantes font l’objet de plusieurs types de contrôles de la part de différentes institutions qui interviennent indépendamment les unes des autres, dans un certain désordre.

La Cour des comptes est compétente pour contrôler les institutions qui gèrent les régimes légaux obligatoires de sécurité sociale et par conséquent les mutuelles étudiantes chargées de cette gestion par délégation. Le champ d’intervention de la Cour des comptes ne concerne que le régime obligatoire mais, en l’absence de comptabilité analytique ou séparée distinguant la gestion du régime obligatoire de celle du régime complémentaire, la Cour est amenée de ce fait à contrôler l’ensemble des opérations.

En septembre 1998 dans son rapport relatif à la loi de financement de la sécurité sociale, la Cour des comptes a consacré un chapitre à la situation générale des mutuelles étudiantes dans lequel elle a relevé une série de dysfonctionnements - non respect de certaines dispositions, lourdeur de la procédure d’agrément, etc. - avant d’examiner plus en détail les formes de la diversification des activités de la MNEF.

Celle-ci, comme d’autres mutuelles étudiantes, a plus spécifiquement fait l’objet d’une deuxième procédure de contrôle de la Cour sous forme d’observations provisoires qui, après avoir reçu les réponses des intéressés, deviendront définitives. Des éléments issus de ces premières observations ont été transmis au Parquet.

Les activités du régime complémentaire, en vertu de la loi du 31 décembre 1989, sont contrôlées par des autorités administratives indépendantes. La Commission de contrôle des mutuelles et des institutions de prévoyance (CCMIP) intervient pour les mutuelles dont les ressources sont supérieures à 150 millions de francs ou lorsque celles-ci sont amenées à constituer une caisse autonome mutuelle. Les mutuelles de plus petite taille relèvent des préfets de région qui détiennent en la matière un pouvoir propre sans lien hiérarchique avec la CCMIP. La CCMIP est composée de cinq membres nommés pour six ans. Elle est présidée par un membre du Conseil d’Etat et son secrétaire général est le chef de l’IGAS. Les contrôles de la commission comme ceux des préfets portent sur la régularité du fonctionnement institutionnel des mutuelles et sur le respect des règles prudentielles.

Enfin, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) intervient à la fois pour ce qui concerne le régime obligatoire sur saisine ministérielle - deux rapports concernant les remises de gestion ont été réalisés dans ce cadre en 1996 et 1999 - et pour ce qui relève du régime complémentaire sur saisine de la Commission de contrôle des mutuelles. Les mutuelles étudiantes de taille modeste ont, depuis 1994, fait l’objet sur saisine des préfets de région de nombreux rapports établis par les DRASS dont certains concernent des mutuelles très proches de la MNEF, comme la Mutuelle universitaire du logement (MUL), la Mutuelle interprofessionnelle (MIF), la Mutuelle interjeunes (MIJ) ou l’Union technique mutualiste professionnelle (UTMP) et d’autres des mutuelles régionales comme la SMENO ou la SMEBA.

Des contrôles inopérants

" Nous sommes à la fois sur-contrôlés et mal contrôlés ", cette appréciation du directeur général de la SMEREP, M. Christian Doubrère, résume bien la situation. Ce dernier a d’ailleurs fait remarquer que la succession des contrôles a, depuis un an, ralenti les activités de sa mutuelle et a estimé qu’il serait plus cohérent de globaliser ce contrôle, qui porterait à la fois sur le régime obligatoire et le régime complémentaire, et de le confier à un seul organisme de contrôle. Cet empilement des contrôles peut, à juste titre, apparaître comme un aveu de faiblesse, comme si un seul organisme n’était pas à lui seul en mesure de porter une appréciation sur l’ensemble du système au point que certains, comme M. Philippe Evanno, secrétaire général de l’UNI, ont estimé que cette concurrence entre ministères n’a pas donné une apparence très sérieuse du traitement de ce dossier.

A l’heure actuelle, la spécialisation des contrôles pose problème comme l’a constaté la ministre de l’Emploi et de la solidarité, Mme Martine Aubry : " Il existe actuellement un double système de contrôle, qui n’est pas coordonné et ne permet pas, sans doute, de porter une appréciation claire, à tout moment, sur la gestion des mutuelles (...) D’autant qu’aucun des deux contrôles effectués (...) ne peut donner lieu à un droit de suite, sauf preuve quasi-certaine de l’existence d’un problème majeur ". En effet, mal coordonnés, ces contrôles sont d’autre part limités, tant dans leur fréquence que dans leur champ d’application.

Au total, la CCIMP exerce son contrôle sur 350 institutions alors que les DRASS doivent s’intéresser à la situation de 5 800 mutuelles. Dans un cas comme dans l’autre, les moyens sont limités et dans cet ensemble les mutuelles étudiantes ne sont que de petites structures comparées aux mutuelles de fonctionnaires.

Enfin, il ressort de l’intervention de M. Dominique Libault, sous-directeur du financement et de la gestion de la sécurité sociale que le travail de la Cour des comptes est dérivé de celui des services déconcentrés du ministère de l’Emploi et de la solidarité : " Lorsqu’on veut faire un contrôle particulier de tel ou tel point (...) en accord avec la Cour, nous le mettons au programme des comités départementaux d’examen des comptes (CODEC) (...) C’est donc le travail des organismes de tutelle qui met en lumière des éléments dont se servira la Cour dans son rapport ".

L’absence de coordination a, par ailleurs, entraîné une multiplication inutile des contrôles sur un même sujet. Ainsi, la Cour des comptes a traité en septembre 1998, dans son rapport annuel, du financement des remises de gestion et de la nécessité d’adapter leur montant aux coûts réels de gestion. A la demande des ministres des affaires sociales et de l’économie, l’IGAS et l’IGF ont remis, sur ce même sujet, un rapport en février 1999. En matière de régime complémentaire, la 6e chambre de la Cour des comptes a contrôlé les comptes de la MNEF sur les exercices 1992-1993 à 1995-1996 et établi en juillet 1998 un relevé de constatations provisoires. Elle devrait prochainement rendre ses observations définitives mais celles-ci seront à mettre en regard des conclusions du rapport que l’IGAS vient de remettre à la Commission de contrôle des mutuelles portant sur les activités de la MNEF et sa situation financière, étudiées au cours de la même période.

S’agissant de la situation de la MNEF et de ses filiales, la Commission de contrôle des mutuelles a de toute évidence adopté un raisonnement exclusivement juridique pour conclure à l’automne 1998 qu’il n’y avait pas lieu de nommer un administrateur provisoire. En 1993, la Commission de contrôle avait constaté, même si le solde demeurait négatif, un redressement du montant des fonds propres de la MNEF qui étaient passés de - 200 millions de francs en 1987 à - 15 millions de francs en 1993. Mais elle avait émis, début 1994, des recommandations concernant la diversification des activités de la mutuelle. En 1998, pour reprendre les termes du président de la Commission M. Jean Fourré, le doute s’est instauré, la gestion de la MNEF devenant de plus en plus opaque derrière un système de holding à deux sous-têtes. La Commission a donc demandé des explications et des pièces complémentaires. Estimant qu’il ne lui est pas possible " de sonder les cœurs et les reins ", elle s’est appuyée sur les procès-verbaux des réunions du conseil d’administration de la MNEF pour constater que l’ordre du jour contenait, alors que cela n’était pas obligatoire, un point sur les participations des deux UES Saint-Michel et Raspail Participations et Développement dans des " organismes plus lointains " et que les contrôles sur pièces ne faisaient pas ressortir un mauvais fonctionnement de la mutuelle. De surcroît, il n’y avait pas, selon M. Jean Fourré, de raisons prudentielles justifiant la nomination sanction d’un administrateur provisoire. Les articles L. 531-1-2, 531-1-3 et 531-1-4 du Code de la mutualité étant respectés et la Commission de contrôle n’ayant pas fait jouer l’article L. 531-1-5 du même code qui dispose " Si cela est nécessaire ... la commission peut décider d’étendre le contrôle sur place d’une mutuelle à toute personne morale liée directement ou indirectement par une convention à celle-ci et susceptible d’altérer son autonomie de fonctionnement ou de décision concernant l’un quelconque de son domaine d’activité ... ", celle-ci a décidé de ne pas procéder à la nomination d’un administrateur provisoire à la MNEF, non sans susciter un certain étonnement de la part de la ministre de l’Emploi et de la solidarité, qui avait précisé " que le commissaire du gouvernement s’exprimerait au nom du Gouvernement en demandant la nomination d’un administrateur provisoire ".

Cette décision de refus a été assortie, en novembre 1998, d’une demande à l’IGAS d’un contrôle approfondi de la MNEF pour évaluer, de façon exhaustive, les engagements de la mutuelle dans ses filiales, sous-filiales et autres partenaires commerciaux ou associatifs et pour apprécier les risques financiers qui en découlent.

Le travail de l’IGAS vient de s’achever et révèle une situation beaucoup plus grave que ce que laissait apparaître, un an plus tôt, le simple examen des documents de la " maison-mère ". Depuis le début de la décennie 1990, un système s’est progressivement mis en place de plus en plus tentaculaire - il y aurait entre 50 et 70 satellites de la MNEF - sans que cela ait provoqué jusqu’à ce jour de la part des organismes de contrôle de sérieuses réactions.

On ne peut que regretter l’attitude adoptée dans cette affaire par la Commission de contrôle des mutuelles qui s’est auto-limitée par une lecture unilatérale du Code de la mutualité concernant l’exercice du droit de suite, telle que son président l’a livrée à la Commission " J’ai l’impression que le droit de suite a été conçu par le législateur de 1945 comme dirigé vers l’amont, à l’encontre des sociétés d’assurance qui créent des mutuelles et qui les réassurent à cent pour cent, mais non vers l’aval, à l’encontre de " filiales ", constituées sous forme de sociétés commerciales, d’une mutuelle, à la différence du droit d’évocation qui, je le répète, n’a pas à être motivé ... ".


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr