La transmission des portefeuilles et la réassurance

Il s’agit de deux autres conséquences de la transposition qui pourraient poser des problèmes importants au secteur mutualiste mais pour lesquels, là aussi, des solutions existent, dont les mutuelles d’étudiants devront se préoccuper.

 Les transferts de portefeuilles

Le premier problème concerne les règles de rachat d’une mutuelle en difficulté par une autre entreprise d’assurance. La Commission européenne a indiqué à la mission Rocard que les règles communautaires interdisent toute restriction à la liberté de transfert de portefeuilles entre entreprises d’assurance autre que " l’examen et l’attestation de la marge de solvabilité de l’entreprise concessionnaire. "

Mais dans la mesure où les mutuelles prennent à l’égard de leurs adhérents des engagements supplémentaires par rapport à ceux des autres entreprises d’assurance, il apparaît nécessaire de soumettre le transfert des contrats à des conditions visant à préserver ces engagements. Comme l’indique M. Michel Rocard, " il s’agit de sortir d’un univers mutualiste pour passer dans un univers de libre entreprise. "

Les solutions préconisées par la mission Rocard ne relèvent pas de la loi mais du renforcement des garanties mutualistes dans les contrats d’adhésion. Les mutuelles devraient en effet s’engager, dans leurs statuts et dans les contrats mutualistes, sur deux points en cas de transfert.

Tout d’abord garantir aux mutualistes que la décision de transfert sera prise en assemblée générale extraordinaire, par un vote solennel à la majorité qualifiée.

En second lieu et en plein accord avec la Commission européenne, les mutuelles doivent s’engager statutairement à obtenir en cas de transfert, l’obligation pour l’assureur cessionnaire, de respecter intégralement les engagements de l’entreprise cédante envers les assurés au titre des contrats mais aussi des statuts (ex. : non sur-tarification des risques ou non exclusion des assurés en raison de la modification de leur état de santé) et de ne pas modifier unilatéralement les conditions des contrats d’assurance souscrits par l’entreprise cédante. Le non-respect des conditions établies dans la convention de transfert peut être invoqué par les assurés ou par toute autre partie intéressée devant les autorités compétentes (autorité de contrôle, tribunaux). De plus, la Commission européenne considère que les autorités de contrôle, chargées de la surveillance de l’entreprise cessionnaire devront surveiller le respect des conditions de la convention de transfert et pourront, le cas échéant, prendre les mesures appropriées.

Dans leur propre intérêt, il appartient donc aux mutuelles de renforcer les dispositions protectrices de leurs adhérents et de réaffirmer les caractéristiques qui font la spécificité de la mutualité.

 La réassurance

Le second problème est celui de la réassurance. En effet, dans le cadre des directives européennes, si la loi peut permettre la réassurance au sein du mouvement mutualiste, elle ne peut la rendre obligatoire, contrairement à la rédaction actuelle du Code de la mutualité. La position sur ce point est inflexible d’après M. Michel Rocard et le droit de la réassurance ne peut être que libre.

M. Michel Rocard a analysé ce problème devant la commission d’enquête comme suit : " Aucun organisme mutualiste sérieux ne fonctionne sans réassurance. Or, plus l’organisme est fragile, plus le réassureur est le commandant. Quelle que soit l’intensité de l’engagement mutualiste, un réassureur conséquent cherchera à ne pas trop s’alourdir du caractère viager de l’engagement, à faire sentir ici ou là que tel malade a abusé et qu’il serait bon de le renvoyer vers l’aide sociale ... "

Il pourrait donc s’agir d’une vraie menace pour la spécificité et l’éthique mutualiste. Mais là aussi, l’auteur du rapport considère que la solution ne réside pas dans la loi mais ne peut découler que d’une obligation statutaire interne.

Le choix du réassureur, union de mutuelles ou groupe d’assurances, doit relever de l’assemblée générale dans des conditions de majorités renforcées car il s’agit d’un enjeu essentiel pour la mutuelle.

La mutualité ne parviendra à se différencier des autres entreprises d’assurance et à obtenir des règles spécifiques que si elle accepte dans sa propre réglementation des évolutions importantes. Parmi ces évolutions on en retiendra trois qui seront précieuses dans l’évolution de la mutualité étudiante :

 poser des limites aux engagements des mutuelles dans les entreprises d’assurance ayant une autre forme juridique ou dans des entreprises commerciales de droit privé ;

 interdire l’existence d’organismes ayant la forme juridique d’une mutuelle mais dont l’objet est limité à un rôle de présentation d’assurance pour le compte d’entreprises d’assurance ayant un statut différent ;

 prévoir des sanctions à l’inexistence d’une réelle vie mutualiste et à l’encontre des comportements exclusivement entrepreneuriaux identiques à ceux des sociétés commerciales.

M. Michel Rocard a raison de dire que " c’est un problème d’autorité intellectuelle, politique et éthique, interne au mouvement mutualiste. "

 Le cas particulier des petites mutuelles

La mission Rocard estime que pourrait être tentée une obligation légale de réassurance auprès d’un organe mutualiste, dans le cas ou la réassurance est souhaitée pour les petites mutuelles (de moins de 3 500 mutualistes).

M. Michel Rocard a apporté à la commission d’enquête les précisions suivantes : " Nous sommes là dans un univers à fragilité plus grande, le réassureur pèsera donc d’un poids beaucoup plus fort que sur de gros organisme ... Il est donc admissible que dans ce cas la loi intervienne...[afin de] déterminer un intérêt général et, dans ce cadre, le traitement de la spécificité mutualiste au nom duquel il mérite une certaine protection ".

Le législateur devra " définir cet intérêt général mutualiste, dont les grandes mutuelles se portent garantes toutes seules à cause de leur puissance et de leurs dispositions statutaires en matière de réassurance, alors que les petites mutuelles requièrent la protection de la loi afin de leur permettre de se réassurer dans le monde mutualiste. "

Très peu de mutuelles d’étudiants appartiennent à la catégorie des petites mutuelles. Conformément au tableau, communiqué à la commission par l’USEM et reproduit ci-dessous, seule la SMERAG (Société mutualiste des étudiants des régions Antilles-Guyane) aurait eu moins de 3 500 adhérents pour l’année 1997/1998. La MGEL (61 722 adhérents) et la SMESO (43 377 adhérents), rattachées à la MER (Mutualité étudiante régionale) et évidemment la MNEF (184 718 adhérents pour l’année 1997/1998 et 153 691 pour l’année en cours) sont beaucoup plus grosses.

Le renforcement du contrôle

L’examen des différents problèmes posés au mouvement mutualiste par la transposition des directives assurance, a montré que le problème de la rénovation et du renforcement de l’efficacité des contrôles est pressant, d’autant que de nouvelles obligations devront être respectées.

M. Michel Rocard a abordé ce point devant la commission d’enquête en comparant le fonctionnement de la Commission de contrôle des mutuelles et des institutions de prévoyance (CCMIP) et celui de son homologue la Commission de contrôle des assurances (CCA). Il a indiqué que l’on trouverait dans son rapport " deux pages assassines sur l’insuffisance des moyens juridiques de l’appareil de sanction et des moyens en personnel " de la CCMIP.

M. Denis Kessler ne l’a pas contredit sur ce point. Il aurait souhaité pour sa part " une commission de contrôle identique pour les institutions de prévoyance, les mutuelles et les sociétés d’assurance puisqu’elles pratiquent les mêmes opérations qui relèvent des mêmes directives européennes ". Il a indiqué également que la commission de contrôle des assurances lui semblait mieux fonctionner que celle dépendant du ministère des affaires sociales.

Le fonctionnement de la CCMIP est en effet jugé sévèrement dans le rapport Rocard.

En ce qui concerne tout d’abord les moyens. La CCMIP est chargée du contrôle de quatre catégories d’organismes de protection sociale complémentaire, dont les mutuelles ou unions de mutuelles ayant versé plus de 150 millions de francs de prestations en 1990 ou gérant une caisse autonome mutualiste (113) et les fédérations de mutuelles. L’ensemble de ces activités correspond à 29 organismes par agent contrôleur pour la CCMIP contre 12 par agent contrôleur pour la CCA.

Le contrôle opéré par les services déconcentrés, sous l’autorité des Préfets de Région, pour les mutuelles ayant versé moins de 150 millions de francs et ne gérant pas de caisse autonome (plus de 5 600 groupements mutualistes) est lui aussi insuffisant, faute de moyens, selon le rapport. Dans la pratique, le contrôle déconcentré se concentre quasi exclusivement sur les 1 100 mutuelles de plus de 3 500 personnes protégées, ce qui représente déjà 48 organismes par contrôleur.

Au-delà de ces aspects matériels, une autre critique, plus fondamentale est avancée dans le rapport. Le contrôle prudentiel prend trop de temps au détriment du fonctionnement général et de la régulation de la protection sociale complémentaire articulée à la protection sociale obligatoire, c’est-à-dire du respect des textes.

Le rapport s’étonne, à ce propos, que le problème de la compatibilité des prestations en nature servie par les mutuelles avec le droit communautaire n’ait jamais été soulevé par la CCMIP, dans la mesure ou selon la jurisprudence de la Cour de justice, les dispositions claires et inconditionnelles des directives sont directement applicables en droit interne, en particulier en l’absence d’une loi de transposition.

M. Michel Rocard impute le retard pris pour la transposition des directives, au fonctionnement même de l’Etat dans le traitement des problèmes de la mutualité. Il déplore que la délégation interministérielle à l’économie sociale qu’il avait lui-même installée auprès du Premier ministre ait été sortie des attributions du Premier ministre pour n’être plus rattachée qu’au ministère des Affaires sociales, ce qui prive ce dossier de sa dimension interministérielle.

Mais il y a plus grave encore dans la faible portée du contrôle exercé aujourd’hui par la CCMIP. Il s’agit du manque de base légale, en particulier en matière de sanction des comportements déviants des dirigeants mutualistes. Le rapport préconise, comme la CCMIP elle-même, un renforcement des textes sur deux points :

 la fixation par un texte réglementaire d’un plafond cumulé que peuvent atteindre les diverses indemnités allouées au profit des administrateurs par l’assemblée générale ; la sanction pénale prévue par le Code de la mutualité (article R. 541-1) en cas de non respect des termes de l’article L. 125-5 relatif à la gratuité attachée aux fonctions de membres du conseil d’administration, ne peut être mise en jeu en l’absence d’un tel texte qui fait défaut depuis 1945 ;

 Une extension aux mutuelles du délit d’abus de biens sociaux.

Les pouvoirs de l’autorité de contrôle chargée du secteur de la mutualité apparaissent particulièrement faibles lorsqu’on les compare à ceux de l’autorité chargée du secteur assurance qui applique les directives assurances en matière de contrôle.

Le contrôle prudentiel prévu par les directives dépasse largement la vérification du calcul des provisions et le respect mathématique des règles prudentielles.

Les directives vie ont introduit les obligations suivantes en matière de contrôle des entreprises d’assurance :

 Les Etats membres sont invités à introduire des dispositions législatives ou réglementaires qui prévoient l’approbation des statuts et la communication de tout document nécessaire à l’exercice normal du contrôle.

 La surveillance financière comprend notamment la vérification pour l’ensemble des activités de l’entreprise d’assurance, de son état de solvabilité et de la constitution de provisions techniques, y compris les provisions mathématiques et des actifs représentatifs.

 Les autorités de contrôle doivent exiger que toute entreprise d’assurance dispose d’une bonne organisation administrative et comptable et de procédures de contrôle interne adéquates.

On voit le chemin qu’il reste à parcourir pour hisser le monde de la mutualité étudiante à ce niveau d’exigence.

La Commission de contrôle des assurances peut étendre son contrôle à toute société dans laquelle l’entreprise détient directement ou indirectement plus de la moitié du capital social ou des droits de vote (article L. 310-15 du Code des assurances), alors que la CCMIP dispose d’un droit de suite très limité sur les filiales des mutuelles.

La CCA dispose d’un panel de mesures destinées à rétablir ou à renforcer l’équilibre financier ou à corriger les pratiques de l’organisme contrôlé, avant de recourir à la nomination d’un administrateur provisoire. Elle peut mettre l’organisme sous surveillance spéciale, restreindre ou interdire la libre disposition de tout ou partie des actifs.

Enfin, la CCA dispose de pouvoirs de sanction plus larges que la CCMIP, notamment lorsque les normes prudentielles ne sont pas respectées.

Les pouvoirs de sanction concernent non seulement l’organisme mais aussi ses dirigeants. Entre l’avertissement et le blâme, sanctions sans réelle portée et le retrait d’agrément, sanction ultime qui ne peut être utilisée qu’en dernier recours, la CCA dispose d’une gamme de sanctions disciplinaires, dont on voit bien à quel point elles ont fait défaut à la CCMIP dans le contrôle de la MNEF.

La CCA peut, en vertu du Code des assurances, prononcer les sanctions suivantes :

 interdiction d’effectuer certaines opérations et toutes autres limitations dans l’exercice de l’activité ;

 suspension temporaire d’un ou plusieurs dirigeants de l’institution ;

 retrait total ou partiel d’agrément ou d’autorisation ;

 transfert d’office de tout ou partie du portefeuille des contrats.

En outre, l’article L 310-18 du Code des assurances donne à la CCA le pouvoir de prononcer des sanctions pécuniaires à l’encontre de l’entreprise fautive, à la place ou en sus des sanctions énumérées ci-dessus :

" ... le montant de cette sanction pécuniaire doit être fonction de la gravité des manquements commis, sans pouvoir excéder 3 % du chiffre d’affaires hors taxes réalisé au cours du dernier exercice clos calculé sur une période de douze mois. Ce maximum est porté à 5 % en cas de nouvelle violation de la même obligation . Les sommes correspondantes sont versées au Trésor Public. "

La CCA ne peut toutefois prononcer ces sanctions qu’après avoir adresser une injonction à l’entreprise pour l’inviter à respecter les dispositions législatives et réglementaires applicables.

Cette comparaison fait clairement ressortir la faiblesse des moyens et des pouvoirs de la CCMIP à l’égard des mutuelles. Le simple pouvoir dissuasif de cet arsenal de sanctions aurait peut-être suffi à éviter nombre des dérives qui ont été dénoncées dans le fonctionnement de la MNEF ou de mutuelles créées par elle.

La question se pose alors : faut-il fusionner les deux commissions de contrôle, ou simplement harmoniser leurs pouvoirs, à l’occasion de la transposition des directives dans le Code de la mutualité ?

M. Denis Kessler s’est déclaré clairement en faveur d’une commission unique.

La position de M. Michel Rocard est beaucoup plus nuancée puisqu’il a déclaré à la commission d’enquête " Il s’agit de l’un des rares points que le rapport ne tranche pas car les investigations sont encore insuffisantes. "

Il a néanmoins présenté les avantages et les inconvénients de chacune des solutions.

La mise en place d’une autorité de contrôle unique aurait l’avantage d’unifier la surveillance prudentielle du secteur des " assurances " au sens des directives et de garantir un traitement homogène des différents opérateurs.

Mais cette solution ne prendrait pas en compte la spécificité mutualiste et le contrôle des règles propres qui la fondent. Pour reprendre l’expression de M. Michel Rocard, " Il est inconcevable, si l’on fusionne les deux organismes, que ce ne soit pas la philosophie du ministère des finances qui la domine. " Or, le contrôle des mutuelles doit porter sur le respect des engagements particuliers à l’égard des adhérents tel que le fonctionnement démocratique et le pouvoir des assemblées générales et des conseils d’administration.

L’autre solution est de maintenir les deux organismes, qui sont l’un et l’autre des autorités administratives indépendantes, ayant un président commun mais, comme on l’a vu, des pouvoirs très différents.

C’est pourquoi, selon M. Michel Rocard, si le gouvernement choisit de maintenir les deux organismes, " Il y a un énorme travail pour rehausser le second ".

" Le statu quo étant exclu ", sur ce problème des contrôles, il présente dans son rapport les grandes lignes de ce rehaussement.

Il faut, en premier lieu, donner une base législative certaine aux missions de la mutualité dont la mise en œuvre sera objet de contrôles.

Quant à la commission elle-même, " présidée par une personnalité qualifiée, elle devrait regrouper des personnes à même d’appréhender dans sa diversité le secteur des assurances et le secteur de la santé. Elle devrait structurellement faire appel à des contrôleurs issus pour moitié du corps de contrôle des assurances et pour moitié d’inspecteurs des affaires sociales ou d’agents nommés par le ministre de l’Emploi et de la solidarité. En effet, seule la diversité des origines et compétences des contrôleurs peut permettre la réalisation d’un contrôle qui ne se limiterait pas au respect des règles strictement financières. "

L’incontournable obligation de transparence comptable et fiscale

Faire entrer le secteur mutualiste dans le champ d’application des directives sur l’assurance, à condition de préserver un traitement spécifique au domaine de l’assurance maladie, devrait donc dans de nombreux domaines être l’occasion de moderniser ce secteur et de le revivifier.

Il est deux domaines dans lesquels le fonctionnement des mutuelles ne pourra qu’être amélioré, ceux de la comptabilité et de la fiscalité.

 La mise à jour du plan comptable des organismes de mutualité

Les directives assurance vie prescrivent aux autorités compétentes de l’Etat membre où l’organisme d’assurance est agréé qu’elles " exigent que toute entreprise d’assurance dispose d’une bonne organisation administrative et comptable et de procédures de contrôle interne adéquates ".

Un arrêté du 22 mars 1985 (11), relatif à la comptabilité des organismes mutualistes, décrit le plan comptable particulier que les mutuelles doivent utiliser pour la tenue de leur comptabilité.

Elles doivent par ailleurs respecter des règles financières, que l’on rappellera rapidement.

Les excédents annuels des recettes sur les dépenses sont affectés à raison de 50 % à la constitution d’un fonds de réserve. Le prélèvement cesse d’être obligatoire quand le montant du fonds de réserve atteint les trois quarts du total des prestations payées par la mutuelle pendant l’année précédente.

Toute mutuelle doit justifier qu’elle dispose d’une marge financière de sécurité composée de l’ensemble de ses réserves et égale à 10 % des cotisations nettes de réassurance, perçues à la clôture de l’exercice précédent, ce ratio devant augmenter avec la transposition des directives. Les engagements contractés à l’égard des membres participants ou de leurs ayants droit sont garantis sur l’actif des mutuelles.

En application du plan comptable de 1985, les mutuelles n’ont pas l’obligation de dissocier les immobilisations, les investissements et les résultats propres à chacune de leurs activités.

Cette situation a conduit la Cour des comptes à constater dans son rapport de septembre 1998, que " L’absence de séparation des comptes relatifs aux diverses activités des mutuelles d’étudiants et le retard qu’accuse la mise en œuvre d’une comptabilité analytique entraînent le manque de transparence des comptabilités, rendant tout contrôle inopérant. "

On peut, sans trop de risque de se tromper, considérer que cette situation ne sera pas regardée par la Commission européenne comme constitutive d’une bonne organisation comptable permettant des procédures de contrôle interne adéquates.

Cette situation est intenable lorsque l’on rappelle que la MNEF et les dix mutuelles étudiantes à vocation régionale, gèrent le régime obligatoire de sécurité sociale des affiliés et, depuis la loi du 4 février 1995, celui des ayants droit autonomes majeurs, le régime complémentaire santé des adhérents et qu’à côté des missions mutualistes traditionnelles, elles offrent de nombreux produits (contrats d’assurance, services bancaires, cartes de réduction, offres de stages et d’emplois...) et ont développé différentes activités de nature commerciale (publicité, imprimerie, construction et gestion de résidences universitaires, gestion de cafétérias...).

L’absence de comptabilité analytique facilite évidemment la circulation des fonds entre les différentes activités et notamment la compensation des déficits d’exploitation des activités extra-mutualistes par les excédents de gestion des activités d’assurance y compris des excédents de gestion du régime obligatoire.

La clarté des comptes imposée aux assureurs par les directives et qui rejoint le problème de la mono-activité imposée aux entreprises d’assurance pour des raisons de sécurité financière, peut difficilement être combattue. Elle appelle, conformément au souhait de nombre d’interlocuteurs de la commission d’enquête, un nouveau plan comptable assorti d’une obligation de publication des comptes annuels des mutuelles pour leur activité d’assurance.

Dans le même souci de solvabilité et de respect des engagements des mutuelles vis à vis de leurs adhérents, l’obligation pour les mutuelles ayant une activité d’assurance d’établir et de publier des comptes consolidés intégrant les résultats de leurs participations financières, a été à plusieurs reprises évoquée devant la commission d’enquête, comme ont été longuement exposées les difficultés inhérentes à l’établissement d’une comptabilité analytique.

A la lumière des difficultés qui ont été ainsi soulevées, il convient de s’interroger sur la question de savoir si la seule solution ne serait pas la séparation totale des activités et des moyens affectés à chacune d’elle.

Sur les solutions à envisager, M Raoul Briet a été clair : " Le mode conventionnel retenu pour inciter les organismes mutualistes à la tenue d’une comptabilité analytique sincère [a] démontré son inefficacité, puisque les principes posés deux fois de suite dans des documents de caractère conventionnel n’ont pas été mis en œuvre. (...) Nous pouvons donc raisonnablement nous dire qu’il existe sûrement un mode plus impératif, éventuellement réglementaire, visant à imposer aux mutuelles cette exigence de transparence comptable. Nous y réfléchissons activement au ministère. "

La transposition des directives est peut-être l’occasion de rompre avec " l’histoire de la gestion du régime étudiant [qui] fait beaucoup de place à la discussion, à la négociation, au contrat, et n’en fait pas beaucoup à l’édiction de normes publiques. ", selon les termes de M. Raoul Briet.

Ce dernier a élargi son propos à l’ensemble de la mutualité en disant : " Pour pouvoir sanctionner, il faut qu’il y ait un interdit. Il faut qu’il existe une règle d’ordre public, qui soit sans ambiguïté et qui puisse être assortie de sanctions adaptées. Une des principales difficultés auxquelles on se heurte sur ce sujet et, plus généralement sur celui du Code de la mutualité, c’est le caractère à la fois laconique et anachronique de certaines dispositions. "

On mesure encore mieux l’ampleur du problème, lorsque M. Jean Fourré, président de la Commission de contrôle des mutuelles et des institutions de prévoyance, déclare à la commission d’enquête : qu’il ne peut être sûr que "l’ensemble des engagements hors bilan d’une mutuelle est bien soumis à l’assemblée générale" et que s’agissant de la MNEF, la commission de contrôle ne dispose " d’aucun document certifiant qu’il n’existe pas d’engagements hors bilan autres que ceux que nous connaissons. "

Le coup de grâce a été porté, sur ce problème de transparence des comptes, par M. Gilles Johanet, directeur de la CNAM, pour qui " Il est tout de même paradoxal que les établissements de service public [CPAM] soient astreints à une obligation de transparence et de compte rendu auxquelles les concessionnaires de service public ne sont pas astreints. (...) ".

Deux obligations en découlent selon M. Gilles Johanet, celle " d’un plan comptable séparant les sections obligatoires et complémentaires, donc d’une comptabilité analytique ... " et celle, pour les mutuelles étudiantes " de publier leurs comptes d’une façon claire, accessible aux étudiants, au moins aux étudiants en comptabilité ! ". A une question sur la faisabilité de cette comptabilité analytique, en raison de l’intégration des moyens de fonctionnement, il a indiqué qu’il faut une nomenclature comptable distinguant les prestations de base obligatoires et les prestations complémentaires qui constituent l’essentiel de la dépense, et en ce qui concerne " les basculements entre l’action sanitaire et sociale, de base et complémentaire (... )la portée de cette ventilation est réduite et l’on peut se mettre d’accord avec les mutuelles étudiantes sur une clé de répartition. "

Le problème de la transparence du fonctionnement des mutuelles préoccupe également Mme Martine Aubry, ministre de l’Emploi et de la solidarité, qui a rappelé devant la commission d’enquête, les propos qu’elle avait prononcés lors de l’anniversaire de la Mutualité française quelques mois auparavant : " J’ai été amenée ... à dire combien j’espérais voir perdurer les principes de la mutualité grâce à une plus grande transparence dans le fonctionnement des mutuelles et grâce à un contrôle plus démocratique en interne et plus ouvert sur l’extérieur. La mutualité aurait tout à y gagner notamment dans le débat européen où nous défendons l’originalité que représentent les mutuelles ".

La ministre a précisé que " Sans une gestion et des comptes séparés pour les trois domaines que sont le régime obligatoire, le régime complémentaire et la gestion des autres activités, nous en resterons là où nous en sommes aujourd’hui ; (...) La comptabilité analytique devra être mise en place, accompagnée des dispositions législatives adéquates. "

 L’évolution de la fiscalité

En contrepartie du caractère non lucratif des mutuelles, des dispositions fiscales ont été instituées pour faciliter leur gestion.

C’est ce que M. Denis Kessler, président de la FFSA, appelle les " privilèges fiscaux " qu’il a évalué à environ 10 milliards de francs par an et dont il a dressé la liste devant la commission d’enquête : " Ces aides vont de l’économie de la taxe de 7 % sur les contrats d’assurance maladie, à l’exonération de la taxe professionnelle, des taxes d’apprentissage, de la taxe ORGANIC, de l’impôt sur les sociétés et de l’impôt sur les excédents, aux problèmes de TVA (sur les prestations), sans parler des fonctionnaires et des personnels mis à disposition. " Il s’agit, selon lui, d’aides d’Etat, qui entraînent des distorsions de concurrence qui pourraient bien expliquer l’importance de la place de la mutualité sur le marché de l’assurance maladie. Les mutuelles sont cependant redevables de l’impôt sur le revenu au titre de leurs placements financiers et de leurs revenus immobiliers.

Il faut bien admettre que cette situation aussi devra être éclaircie et aménagée à la hauteur des contraintes d’intérêt général auxquelles les mutuelles seront légalement tenues.

Dans le rapport effectué, en 1997, à la demande du Premier ministre de l’époque, par M. Guillaume Goulard (12), des problèmes de nature comparable concernant les associations sont abordés.

Comme pour les mutuelles, les exonérations fiscales dont bénéficient les associations sont liées au caractère non lucratif de leur activité.

L’auteur du rapport s’est donc attaché à déterminer les principes généraux des critères de non lucrativité, en l’absence desquels le juge fiscal peut opérer des requalifications rendant l’assujettissement fiscal possible.

Il est intéressant de s’arrêter un instant sur ces critères, dans la mesure où lorsqu’elles les respectent, les mutuelles pourraient s’en prévaloir, pour s’exonérer au moins en partie des charges fiscales qui pèsent sur les entreprises d’assurance.

Selon M. Guillaume Goulard, un organisme a une activité non lucrative lorsque deux conditions sont remplies : sa gestion est désintéressée et les conditions de cette gestion la distinguent de celle des entreprises commerciales du même secteur d’activité.

Le Conseil d’Etat a précisé, dans plusieurs arrêts, visés dans le rapport Goulard, la notion de gestion désintéressée mentionnée par le Code général des impôts (13) pour les exonérations de taxes sur la valeur ajoutée. Le Conseil d’Etat raisonne a contrario en disant que le caractère non désintéressé d’une gestion est toujours révélé par une appropriation privée des résultats, tandis que la réalisation d’excédents n’exclut pas que la gestion soit désintéressée, pourvu que ceux-ci soient exclusivement affectés à la réalisation de l’objet social (14).

M. Guillaume Goulard précise, par exemple, que n’est pas gérée de manière désintéressée, une association qui consent une rémunération importante à ses fondateurs ou à ses dirigeants, ou qui leur consent des avantages particuliers sous forme de loyers élevés ou anormaux ou de mise à disposition de locaux et d’installations pour une activité privée lucrative.

La deuxième condition touche au principe d’égalité devant l’impôt : deux personnes exerçant la même activité dans les mêmes conditions doivent être soumises au même régime fiscal.

La similitude des activités entre entreprises d’assurance étant au cœur même des directives européennes on ne s’attardera que sur les conditions d’exercice.

Le rapport Goulard se réfère sur ce point également à la jurisprudence du Conseil d’Etat qui recense des indices caractéristiques d’un comportement " associatif " et d’un comportement " commercial ".

On retiendra parmi ces indices, les prix pratiqués pour un même service, la modulation des prix en fonction des revenus des usagers, la participation au service public et le contrôle exercé par l’autorité administrative compétente, le champ d’intervention orienté vers des secteurs délaissés par les entreprises lucratives.

M. Guillaume Goulard résume l’ensemble de cette jurisprudence en disant qu’elle " requalifie une association en organisme à but lucratif lorsque le dossier ne fait apparaître aucune différence substantielle entre la gestion de l’association et celle des entreprises commerciales du même secteur d’activité ".

Ces éléments de clarification fiscale des associations peuvent, mutatis mutandis, contribuer à éclairer le cadrage, qui devra être entrepris, des activités et du fonctionnement des mutuelles qui interviennent dans le champ de l’assurance maladie.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr