Général TIESZEN : Merci pour votre invitation aujourd’hui. Je vais illustrer mon propos au moyen de diapositives. Comme officier de cavalerie j’ai dû travailler énormément !

La guerre est en train de changer et par conséquent, l’armée américaine doit mettre en oeuvre une transformation radicale, bien plus profonde que celle que connaissent les armées des nations européennes. Cela concerne les structures, les conditions d’entraînement et les procédures.

De 1944 à 1989, l’armée de terre des Etats-Unis a été engagée dans huit conflits majeurs. Depuis 1989, le contexte stratégique a été bouleversé et l’armée de terre américaine a été réduite de 30%. En Europe, en 10 ans, elle est passée de 240 000 hommes à 65 000, et je ne suis pas sûr que cette réduction soit achevée. Les opérations autres que celles prévues par l’article 5, (soutien de la paix, évacuation de ressortissants, assistance humanitaire) nécessitent de pouvoir disposer de forces capables de se déployer rapidement, dans un cadre interarmées et le plus souvent multinational. Cela nous oblige à concevoir des forces différentes, avec des équipements différents. Nous continuons cependant à penser que la préparation au combat de haute intensité reste fondamentale. Mais nous devons être capables d’exercer une domination stratégique sur tout le spectre des opérations.

Nous devons disposer de forces très facilement déployables et capables de répondre graduellement au type d’engagement. C’est un enseignement que nous avons tiré des interventions au Panama, au Koweït, en Somalie, à Grenade et au Kosovo. Cela accroît, pour notre pays, le besoin de posséder une force réactive stratégique. L’armée de terre conduira, au cours des deux prochaines décennies, une transformation, qui donnera lieu à la création d’une Force future (Objective Force).

Nous dépensons des millions de dollars pour parvenir à ce résultat, maintenir les forces conventionnelles tout en les modernisant. Nous investissons dans les équipements et les moyens de commandement.

Notre défi est de pouvoir déployer 4 brigades de combat, n’importe où dans le monde en 96 heures, une division complète en 120 heures et 5 divisions en 30 jours.

Il est évident que nous ne pouvons pas faire cela dans le cadre d’opérations uni-quement américaines.

Nous avons déjà créé actuellement six brigades intérimaires modernisées dont deux sont déjà sur le terrain. Notre objectif est de continuer à réfléchir sur les engagements de demain.

Notre plus gros défi n’est pas du domaine scientifique ou technologique, ni même dans la formation, c’est dans notre philosophie, notre façon de percevoir les opérations multinationales. Bien que nous ayons effectivement des capacités suffisantes, les forces américaines doivent continuer à développer leurs aptitudes à opérer dans un environnement multinational.

En 1995, lorsque les forces américaines sont entrées dans les Balkans, nous avions des formations uniquement américaines. Ma première expérience multinationale remontait à l’époque où j’étais un jeune capitaine à Fort Knox dans le Kentucky. Le général Valentin, un jeune capitaine très talentueux, m’a donné l’occasion de nouer mes premières relations alliées et multinationales. Je pourrais citer un autre exemple : La Fayette, pendant la guerre d’indépendance. Sinon, nous ne connaissions que les Britanniques.

En 1990/91, j’ai commandé un régiment de cavalerie dans le désert. Nous avons effectué des opérations de combat pour la 6 ème division légère blindée française. Nous avons travaillé pour un chef d’état-major très talentueux , assis ici - même au troisième rang ! Mon unité, mon armée n’était pas prête à opérer de manière efficace sous un état-major de coalition. Avec l’aide et les conseils donnés par la 6ème division française, nous avons finalement réussi à effectuer notre mission avec succès. Pour moi, cela a été une révélation. Je me suis dit : il faut que nous travaillions plus dans le domaine multinational.

Dix ans plus tard, je commandais une brigade multinationale au Kosovo. Certes nous ne travaillions pas que pour un corps multinational comme l’Eurocorps, toutefois ma brigade était composée d’éléments originaires de sept pays (certains membres de l’OTAN, d’autres non). Les intérêts nationaux, les problèmes dus à la barrière des langues, les problèmes de communication et le partage du renseignement étaient des défis que nous rencontrions tous les jours. Même les règles d’engagement étaient, d’une certaine façon, différentes et cela représentait un défi quotidien. Cette force était composée de Russes, de Polonais, de Grecs, de Jordaniens, de membres des Emirats Arabes Unis et d’Ukrainiens, tous sous le commandement d’un QG américain ; c’était une première pour moi ! Il y a dix ans, ceci était totalement impensable.

Si vous ajoutez à cela la complexité de travailler avec le QG de la Kfor, de l’Eurocorps, dont la langue principale militaire n’était pas l’anglais - contrairement à l’OTAN, grâce au général Quiel et au général Ortonio -, je constate que avons réussi à nous débrouiller tout de même ! Mais cela m’a montré, ainsi qu’à mes officiers supérieurs, que nous avions beaucoup à faire pour nous préparer aux opérations véritablement multinationales. C’est pourquoi l’armée américaine en Europe, et l’armée américaine en général, doit développer ces capacités. Nous devons pouvoir travailler avec l’OTAN, nous devons pouvoir travailler avec des pays non membres de l’OTAN, parce que c’est la route de l’avenir. Nous n’envisageons plus de conduire un jour une opération uniquement américaine.

Je pense que j’ai été un petit peu long. Je serais ravi de répondre à vos questions pendant la session des questions/réponses. Je suis aussi prêt à entendre toutes les recommandations que vous pourriez faire, pour aider l’armée américaine à s’intégrer mieux dans la multinationalité. Je vous remercie de votre attention. (applaudissements)


Source : Forum de doctrine militaire 2001 : Vers une vision européenne d’emploi des forces terrestres, CDES, Ministère de la Défense http://www.cdes.terre.defense.gouv.fr