1.1 Pourquoi l’Europe est une cible privilégiée

L’Europe est souvent une cible pour de nombreuses raisons : géographique, historique, économique, et politique.

Géographique : elle est située à proximité de théâtres de conflits ouverts (Balkans), non loin d’un conflit récurrent (Proche et Moyen-orient), sur le rivage opposé à un Maghreb livré à une guerre civile (Algérie), et à la montée des tensions en Tunisie et au Maroc. Sur le continent même, tous les foyers de tension ne sont pas éteints (Irlande.)

Historique : la colonisation a créé des liens mais aussi des ressentiments entre l’Afrique noire, l’Afrique du nord et plusieurs pays européens se traduisant aujourd’hui par un mélange de relations privilégiées et de plaies incomplètement cicatrisées. De manière plus générale, la politique des différentes puissances européennes peut heurter la sensibilité de tel ou tel groupe et leur attirer une animosité violente.

Economique : riches et prospères, les pays européens font naître l’espoir dans les mouvements terroristes de trouver sur place des bailleurs de fonds. Mais ils attirent aussi une population venue du Sud, pauvre, jeune et désoeuvrée, qui se confrontant à une population qui compte dorénavant nombre de chômeurs et d’exclus ne trouvent pas toujours " l’eldorado " qu’ils espéraient, grossissent souvent les rangs des marginaux et, parfois, par dépit ou révolte, ceux des " soldats de la terreur " .

Hors ces quelques raisons, le régime politique des pays d’Europe en fait un terreau où peuvent se développer assez facilement des mouvements terroristes. En effet, ce sont des pays démocratiques, et en tant que tels ils souffrent de fragilités intrinsèques dont le terrorisme sait tirer parti .

Respectant de manière absolue la dignité humaine les pays démocrates se refusent à donner une réponse aux actions terroristes sur le même registre qu’elles (meurtres, enlèvements, destructions gratuites...). Ce n’est pas généralement le cas des régimes autoritaires ; chacun se souvient de la façon dont les soviétiques ont obtenu la paix au Liban : en expédiant en morceaux dans une valise un des responsables du mouvement mis en cause dans l’enlèvement dont certains de leurs ressortissants avaient été victimes.

La liberté de mouvement et d’action politique qui prévaut en démocratie, comme la facilité de l’anonymat et des communications, sont aussi des éléments qui facilitent le terrorisme en le rendant moins détectable. Ensuite, le besoin d’obtenir le maximum de publicité (" le terrorisme reste un coup d’éclat "-Chaliand) trouve dans l’existence d’une opinion publique, et grâce à l’effet multiplicateur de médias libres un champ parfaitement adapté à l’objectif visé.

Enfin, quand bien même les responsables d’actes terroristes seraient arrêtés sur le territoire européen, un procès en bonne et due forme, la facilité à faire jouer les droits des différents pays les uns contre les autres, le secours moral que quelques " intellectuels romantiques " leur apportent au nom de la défense des opprimés, ou encore la " vigilance attentive " de quelques associations promptes à fustiger la moindre fermeté d’un Etat au nom de la défense des droits de l’homme, réduisent toujours les risques d’un châtiment sévère, amoindrissant tout effet dissuasif.

1.2 Brève typologie des terrorismes menaçant l’Europe

1.2.1 Le terrorisme fondamentaliste

Le terrorisme islamique qui vise l’Europe a évolué en 15 ans d’un terrorisme d’Etat à visée stratégique, parrainé surtout par l’Iran et recrutant dans les milieux chi’ites ou proches du chi’isme, à un terrorisme marginal, sans visées stratégiques, recrutant parmi des éléments périphériques( banlieues, étudiants marginalisés), sunnites, et prêts à épouser toutes les "jihad" en cours (ex : le cas algérien). Ce terrorisme est moins repérable (par exemple parce que les acteurs ont souvent une nationalité européenne et peuvent rejoindre des "jihad" sans rapport avec leur pays d’origine). Il est parfois proche du simple banditisme et se nourrit d’une frustration contre la société. Le fondamentalisme joue désormais le rôle d’exutoire qui était celui d’Action Directe et de la Bande à Baader.

1.2.2 Le terrorisme de contestation radicale du système socio-économique

La coexistence pacifique au sein d’une société ne va pas de soi. Cette remarque, qui s’applique à la vie sociale en général, vaut aussi pour la résolution des conflits politiques en particulier. Cette vie politique commune n’est possible qu’à certaines conditions, à savoir notamment l’acceptation par tous les membres de la société des mêmes valeurs fondamentales, de normes morales et juridiques inspirées de ces valeurs, d’un système démocratique fondé sur la prééminence du droit ainsi que des institutions sur lesquelles repose le système. Les mouvements anarchistes européens, du début du siècle, ont représenté les premiers exemples de terrorisme politique. La reconstruction de l’Europe démocratique sur le modèle libéral, après la guerre, a suscité de nouvelles violences terroristes contre le système socio-économique mis en place. Celles-ci se sont exprimées sous différentes formes : aux mouvements d’extrême gauche européen des années 70-80, en Allemagne (Baader Meinhof), en Italie (Brigades Rouges) et en France (Action Directe), déterminés à "abattre" le capitalisme, pourrait succéder un terrorisme d’extrême droite lié aux effets conjugués de la "nouvelle pauvreté" et des "peurs" face à des flux migratoires mal contrôlés dans une Europe en pleine mutation. Les skinheads, les mouvements néo-nazis actifs en Allemagne de l’Est, les ultra-nationalistes flamands proches du Vlaamsblok, voire l’extrême droite française après la fin de ses espérances électorales pourraient peut-être sous certaines conditions choisir l’expression la plus violente.

1.2.3 Le terrorisme "ethnique "et séparatiste

Le terrorisme de type "ethnique" et séparatiste trouve, en partie ses racines dans les bouleversements majeurs subis par l’Europe tout au long du XXième siècle : la fin des grands Empires, la Révolution russe, deux guerres mondiales, la construction européenne, la fin du marxisme. Au cours des 50 dernières année, en Europe de l’ouest, le conflit irlandais (IRA), le séparatisme basque (ETA), la question corse (FLNC) et le Tyrol du sud en sont de bons exemples. Plus récemment, la chute du mur de Berlin a ré-activé la question des minorités dans de nombreux pays de l’est européen ( la Bosnie, le Kossovo, la Transylvanie, l’Arménie...) susceptible de favoriser ce type de terrorisme. Certaines tensions sont encore vives comme on peut l’observer, au cour même des pays européens en Irlande, autour de la frontière italo-autrichienne, sur les marges de l’Allemagne où résident des minorités allemandes actives, en Corse, en Belgique. Dans ce pays, les problèmes de cohabitation, en particulier dans les Fourons, ont souvent dégénéré. Une reprise des affrontements n’est pas à exclure. Presque tous les pays européens, à l’exclusion de la France qui constitutionnellement ne reconnaît pas l’existence de minorités, incompatibles avec l’universalité républicaine, de l’Allemagne, relativement homogène, contiennent des minorités ou des spécificités culturelles régionales qui pourraient très bien se réveiller si elles étaient mal gérées, en particulier, si les démocraties jouaient avec le feu en exaltant les droits des minorités comme cela a pu se faire. En Ecosse, au Tyrol, en Alsace, en Bretagne, il n’est pas impossible qu’un jour, des tentations violentes, qui ont existé, renaissent.

L’Europe, terre d’accueil de millions d’émigrés, est aussi susceptible d’être le théâtre de violences terroristes de type "ethnique" intéressant des pays situés aux marges de ses frontières (ex : la question Kurde).

1.2.4 Le terrorisme et crime organisé

Le terrorisme de droit commun, est l’usage de la terreur pour satisfaire des objectifs exclusivement criminels. Dans cette catégorie, tombe le terrorisme de la Mafia en Italie. Plus récemment, la "démocratisation" de la société russe et sa conversion au système libéral à marche forcée, sont à l’origine de nombreux dysfonctionnements, dont le crime organisé est un des aspects les plus visibles. Les Mafias russes sont d’autant plus redoutables qu’elles sont fortement liées, aux milieux politiques en place en Russie, mais aussi aux réseaux mafieux des ex-républiques soviétiques et qu’elles semblent déterminées à utiliser tous les types de trafics incluant celui des armes et plus problématique encore, celui touchant à la dissémination des matières radioactives, afin d’exercer un chantage nucléaire.

La dérive mafieuse de certains groupes terroristes représente un autre aspect de cette question. En effet, des réseaux terroristes peuvent survivre longtemps à la disparition des motivations de départ. Rompus à la clandestinité, sachant se financer de manière illégale, ils peuvent alors glisser vers le simple banditisme. "L’impôt révolutionnaire" des mouvements corses, basques, tamouls ou kurdes devient du pur racket, assorti de menaces de mort. Les armes deviennent objet de commerce et le trafic de drogue une fin en soi. En l’absence de victoire politique, et s’il n’y a pas démantèlement, tout mouvement terroriste glisse, tôt ou tard, vers la criminalité organisée.

1.3 L’Europe peut également être menacée hors de ses frontières

1.3.1 Les cas de figure sont nombreux.

Il peut s’agir de groupes terroristes locaux cherchant simplement, à utiliser le terrorisme pour se procurer des ressources afin de mener leur guérilla. La frontière entre le banditisme et le terrorisme est ici floue. C’est d’une certaine manière ce que l’on a pu observer en Asie centrale avec des enlèvements d’occidentaux assortis de demandes de rançons, et au Yémen.

Il peut s’agir de groupes cherchant à toucher des intérêts occidentaux pour attirer l’attention sur une situation locale oubliée. On peut rattacher à cette catégorie la prise d’otages à l’Ambassade du Japon au Pérou, destinée à porter l’attention internationale sur le régime Fujimori. D’une certaine manière, l’enlèvement de Françoise Claustre, quelques actions touaregs en marge du Paris Dakar, obéissent aux mêmes motivations. De ce fait l’Europe, du seul fait qu’elle abrite de grands médias, peut être touchée par des querelles qui ne la concernent pas.

Il peut s’agir de parties à un conflit local cherchant à intimider un Etat pour la politique qu’il conduit dans cette région : c’est le cas évidemment de l’attentat contre Louis Delamare ou contre l’Ambassade de France au Liban, des prises d’otages au Liban et du terrorisme algérien.

Il peut s’agir enfin d’actions dirigées à l’étranger contre un pays, là où il s’y attend le moins pour le punir de sa politique générale dans une autre partie du monde : actions contre les intérêts français au moment de la reprise des essais nucléaires, attentats contre les Ambassades américaines en Afrique orientale.

Naturellement, ces actes menés en dehors d’Europe peuvent frapper aussi bien des Ambassades que des intérêts économiques : agences d’Air France, compagnies pétrolières...

Compte tenu de ces différents cas de figure, si divers qu’ils laissent envisager une palette infinie de menaces potentielles et imprévisibles, il est difficile de prévoir les risques.

Cela d’autant plus que toutes les situations conflictuelles ne débouchent pas, pour des raisons parfois peu évidentes sur des actes terroristes. Par exemple, le conflit israëlo-palestinien a eu un fort contenu terroriste. En revanche les conflits yougoslaves mettant en jeu des haines féroces, impliquant dans des stratégies diverses plusieurs nations occidentales, pouvant s’appuyer sur des minorités en Allemagne ou en France ou encore aux Etats-Unis et au Canada, n’a curieusement jamais donné lieu à des actions terroristes.

On peut également se demander si cela ne tient pas au fait que le terrorisme est une ressource de dernier rang, réservée aux causes qui se savent sacrifiées. Un mouvement de guérilla servant une revendication soutenue par les Nations-Unies, compris par la communauté internationale, y aura moins recours. Un mouvement qui s’oppose à un régime officieusement soutenu par les pays occidentaux, les médias internationaux (La Turquie) ou bénéficiant de la bienveillance des Etats-Unis et de l’indifférence du monde (Pérou) peut considérer que le terrorisme est le seul moyen de se faire entendre.

1.3.2 On peut donc tenter, de manière forcément subjective, de déterminer les différentes situations susceptibles de dégénérer

Amérique :

L’histoire a montré que le Québec pouvait être le théâtre de violences politiques, soit de la part d’extrémistes québécois, si la situation venait à se radicaliser ou à pousser les souverainistes au désespoir, soit de la part de certaines minorités autochtones du Québec soucieuses de maintenir leurs privilèges.

En Amérique Latine, le Pérou ou la Colombie sont des zones de violence.

Afrique : les menaces sont nombreuses :

Front polisario : y aura-t-il un risque terroriste une fois que le rattachement du Sahara au Maroc sera définitif ?
Mouvement Touaregs : la situation semble avoir bien évolué.
Sécession en Casamance
Menées libyennes ou soudanaises en Afrique et déstabilisation terroriste.

En Asie

Asie centrale : les différents conflits caucasiens ont déjà donné lieu à des actions à la limite du terrorisme et du banditisme.
Moyen Orient : terrorisme palestinien résiduel, kurde, arménien, voire extrémiste juif en cas de sentiment d’abandon dans le cadre d’un progrès du plan de paix, terrorisme au Yémen.
Birmanie : ce pays, partagé entrez des ethnies nombreuses, soumis à une dictature, est confronté à la déstabilisation venant d’une part des différents autonomistes (surtout karens) et aux armées féodales des producteurs de drogue et de pierres précieuses : l’enjeu européen est l’oléoduc de Total en Birmanie, qui traverse le pays karen.
Terrorismes afghan, pakistanais, tamouls, hindous, sikhs, pour l’instant surtout inter-éthniques. La présence de nombreux tamouls en Europe, appuyés sur des filières particulièrement rebelles à l’autorité étatique et liées à la guérilla tamoule font peser des risques sur l’Europe.


Source : Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN) http://www.ihedn.fr