La présidente rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment à M. LHOMME.

Mme Nelly OLIN, Présidente - Je ne sais pas en combien de temps vous avez prévu de faire votre exposé.

M. Jean-Pierre LHOMME - Vous m’aviez donné dix à douze minutes. J’ai préparé un texte conforme à cette demande.

Mme la Présidente - C’est parfait. Cela permettra au rapporteur et à mes collègues de poser un certain nombre de questions.

M. Jean-Pierre LHOMME - Mesdames et messieurs les Sénateurs, je vous remercie, au nom de Médecins du monde, de nous avoir demandé de venir témoigner puis répondre à vos questions sur les actions que nous menons auprès des populations d’usagers de drogue, et ce dans le cadre de votre commission d’enquête.

Il peut être étonnant de voir une association humanitaire comme Médecins du monde intervenir dans le champ de la toxicomanie. A y regarder de plus près, c’est en toute logique que Médecins du monde a décidé de prendre certaines initiatives dans ce champ complexe qu’est la prévention et le soin en toxicomanie.

Trois ans après s’être engagé en France dans la lutte contre l’exclusion des soins par l’ouverture de centres d’accueil et de soins qui participeront largement, quelques années après, à la mise en place de la Couverture médicale universelle, deux ans après l’ouverture du premier centre de dépistage anonyme et gratuit pour le VIH, structure qui sera répliquée ensuite dans toute la France, Médecins du monde ouvre le premier programme d’échange de seringues en France en 1989.

De plus, de par ses habitudes d’intervention dans la proximité, au plus près des personnes concernées, avec des propositions d’actions pragmatiques et innovantes, des programmes pensés à la fois en termes de santé publique et dans le respect des personnes concernées, il a été tout naturel, pour Médecins du monde, de s’investir dans le développement de la politique de réduction des risques et des dommages liés à l’usage des drogues.

Ce programme d’échange de seringues s’inscrit alors dans la continuité du premier acte de la politique de réduction des risques liée à l’usage des drogues en France, qui avait été, deux ans auparavant, en 1987, ce décret de mise envente libre des seringues en pharmacie signé par Mme Michèle Barzac, alors ministre de la santé.

D’une part, ces programmes d’échanges de seringues participent à la diminution des dommages sur le plan infectieux et conduisent, par l’échange actif entre les équipes de prévention et les usagers de drogue, à un éloignement de la voie intraveineuse.

Les chiffres sont là (je les tiens d’un rapport de l’OFDT qui va sortir très prochainement, au mois de mai et je pense que M. Costes a dû y faire référence) :

diminution du nombre de seringues ou de kits de prévention mis à disposition ou vendus actuellement, sans augmentation pour cela des pratiques d’échanges ou de réutilisation,

rôle important dans la réduction des contaminations par le VIH, bien sûr insuffisant pour le VHC, comme nous le verrons plus tard.

D’autre part, ces programmes d’échanges de seringues participent à un travail d’éducation sanitaire, un travail de renforcement du souci de soi, de sa personne et de sa santé chez les usagers de drogue. S’il devient évident et naturel de se protéger contre des virus et des bactéries, cette responsabilisation est opérante et il devient alors plus envisageable de se soucier des effets nocifs des produits ou des drogues que l’on consomme et de s’interroger sur son fonctionnement addictif.

Cette propédeutique du soin a montré son intérêt. Les résultats sont là : les entrées dans le soin, tant sur le plan somatique qu’en toxicomanie, se sont multipliées et l’état de santé de la population toxicomane s’est amélioré.

Comme notre travail de terrain nous le montre tous les jours, les usagers de drogues peuvent se soucier de leur santé, comme toute autre personne, pourvu qu’on leur en donne les moyens et les possibilités.

Il est intéressant de constater comment une mesure comme la mise à disposition des seringues stériles, considérée par certains au départ comme une attitude de démission, a été fortement productive en termes de santé publique.

L’outil de prévention, bien cadré et bien utilisé, de par son aspect médiateur, est alors producteur d’intentionnalité de soins. Certes, celle-ci est peut-être bien fragile. Elle se doit d’être relayée et soutenue par d’autres propositions de soins qui agissent en cohérence comme les traitements de substitution et les propositions de sevrage.

C’est dans ce sens que Médecins du monde s’est investi, en complément de ses programmes de première ligne, dans l’ouverture de centres méthadone. La méthadone, de par la régression de l’appétence aux opiacés qu’elle induit, associée à l’éloignement du produit de rue et des conditions de vie dans la galère, autorise, en libérant du temps, un nouveau temps, un investissement possible vers d’autres champs que la consommation de drogue.

A cette part médicamenteuse du traitement, s’adjoint la prise en charge médico-psychosociale qui va aider à la reconstruction de la personne, de l’estime de soi, aider à la réparation de failles qui avaient permis à la dépendance de s’engouffrer et d’envahir complètement la personne et, in fine, rendre possible la récupération de cette liberté dévorée par la dépendance. C’est le sevrage.

Certes, ce trajet décrit peut paraître idyllique. Il sera en fait bien souvent moins linéaire. Ce travail clinique dont je parle ici semble peut-être loin de notre sujet du jour, mais il a sa place aux côtés des connaissances scientifiques sur les mécanismes d’action des produits psychoactifs aux côtés des études épidémiologiques permettant de décrire les différentes trajectoires empruntées par les personnes confrontées à ces produits psychoactifs. Ce sont ces trois éléments qui, ensemble, sont les déterminants essentiels pour élaborer une politique cohérente de soins en toxicomanie dans un cadre législatif nourri de ces trois éléments.

Autre exemple d’action innovante menée par Médecins du monde : l’accès à la substitution par la méthadone ne nous semblait pas assez souple ou le cadre nous semblait parfois trop exigeant, au regard des possibilités du moment, pour certains usagers de drogue que nous rencontrions dans notre structure de proximité : le programme d’échange de seringues.

Les exigences imposées alors pour l’accès à la substitution par la méthadone semblaient trop fortes à ces usagers rencontrés et la buprénorphine au dosage, d’accès plus facile, proposée dans un cadre trop lâche pour ces mêmes usagers, facilitait chez eux les mésusages bien connus : injection, trafic, etc.

C’est en ce sens que le programme de méthadone dans la rue, le programme "bus méthadone", a été imaginé : accès de la méthadone plus rapide dans la journée, délivrance quotidienne sur des lieux précis, avec une équipe pluridisciplinaire, un cadrage précis et des règles de fonctionnement claires. Ce programme méthadone voit 100 à 110 personnes par jour, inclut 350 à 450 personnes par an et oriente tant vers la médecine générale que vers les structures de prise en charge plus pérennes.

Effet tout à fait inattendu : pour 42 % des personnes incluses dans ce programme, cette démarche est la première démarche de soins organisée face à leur dépendance aux opiacés.

Ce programme expérimental a été évalué en 2000 par l’Inserm et l’OFDT sur le plan quantitatif et qualitatif. Cette évaluation a permis de voir non seulement l’efficacité du projet présenté en 1998, mais aussi ses effets et sa productivité en termes de santé publique et individuelle qui ont été validés de par ces résultats.

Les impacts des traitements de substitution se mesurent à la réalité des chiffres. On note à cet égard que le nombre d’overdoses a diminué de 84 % de 1995 à 2001 et que 50 % des usagers de drogue, à l’heure actuelle, sont en traitement de substitution. De façon manifeste, les praticiens constatent, à l’aide des enquêtes épidémiologiques, que le recours aux soins est plus fréquent et que cela a facilité l’accès aux traitements, qu’il s’agisse des traitements pour le sida ou pour les hépatites, notamment l’hépatite C.

Face à un phénomène tel que la toxicomanie, il est nécessaire d’avoir une vision prospective de la problématique et donc une prise en compte de l’évolution actuelle des principes toxicomaniaques vers la toxicomanie et les nouveaux produits dits de synthèse. L’alcool, le tabac, les produits de synthèse, les mésusages de médicaments comme les benzodiazépines, la problématique du cannabis, toutes les consommations problématiques de ces produits, seuls ou parfois associés, sont à prendre en compte en donnant à chacun de ces produits la place qui lui est due au regard des dommages sanitaires et sociaux qu’il induit.

C’est en hiérarchisant ces problématiques, à la lumière tant des connaissances scientifiques que des études épidémiologiques, renforçant le constat issu du travail de terrain, qu’une réponse cohérente pourra être organisée face à ces addictions. Cela est à faire sans poser ces différentes propositions de soins comme contradictoires mais comme devant être en cohérence et se potentialisant entre elles de par cette cohérence.

A cet égard et dans cet esprit, des propositions innovantes ont été déclinées par Médecins du monde dans le travail de proximité auprès des usagers de produits de synthèse. Dans les rave, les technivals ou free parties, les mêmes démarches de propositions de prévention et de soins que celles utilisées dans les autres programmes décrits auparavant, permettant un accès à la prévention et aux soins pour ces populations difficiles d’accès, ont été mises en oeuvre.

Nous venons de parler de certains éléments qui font débat dans votre commission à partir des actions innovantes dans lesquelles Médecins du monde s’est investi depuis 1989. Dans le contexte actuel, des propositions se situant à différents niveaux peuvent être faites à la vue du bilan de ces quinze dernières années. Nous les citerons rapidement. Leur développement nécessiterait plus de temps que celui qui nous est imparti ce jour.

Tout d’abord, il nous semble que le cadre réglementaire, notamment la loi de 1970 mais aussi les autres cadres réglementaires, ceux qui encadrent par exemple les traitements de substitution, doivent se nourrir de ces avancées des propositions de soins et évoluer tout autant à la mesure du contexte. Cela permettrait, entre autres, de rééquilibrer l’actuel ratio méthadone/buprénorphine qui ne reflète pas vraiment l’adéquation de la qualité de ces deux médicaments de substitution à une meilleure prise en charge de l’addiction aux opiacés.

Un cadre pour l’initialisation de la prescription de méthadone par les médecins généralistes devrait venir compléter les offres de substitution. L’évolution de ce cadre réglementaire et sa mise en cohérence avec le dispositif sanitaire sont nécessaires, au risque d’induire des effets contre-productifs dans la politique de soins en toxicomanie.

De plus, si je puis me permettre, si cette mise en cohérence du cadre réglementaire est indispensable, les budgets doivent aussi être mis en cohérence, à la mesure de l’importance du problème.

D’autres dispositions doivent être envisagées comme la mise en place de programmes de substitution injectables, même si cela correspond à une population quantitativement moins importante. Ces projets correspondent à une population dépendante non seulement du produit mais aussi de l’injection.

D’autres propositions de prévention et de soins doivent permettre la rectification de la faible incidence des mesures de prévention actuelles sur l’épidémie d’hépatite C, et ceci tant par la rectification des messages de prévention que des outils utilisés pour celle-ci. A cet égard, la proposition de dépistage avec les nouvelles techniques dont nous disposons, directement dans les structures de première ligne, est fort intéressante, la population devant bénéficier de ce dépistage ne se déplaçant pas jusque dans les CDAG.

Là encore, notre travail de proximité, le travail de proximité en général, est essentiel.

D’autres propositions mériteraient d’être mises à discussion et nous aurons peut-être le temps de les évoquer lors des questions posées à la suite de mon exposé. Pour nous, acteurs de santé, il est de notre fonction d’être dans le propositionnel pour un meilleur accès à une meilleure prévention et à un meilleur soin.

Nous nous devons de le faire avec notre rigueur et notre honnêteté scientifique. Nous nous devons de le faire en prenant en compte, tout autant, l’intérêt de la cité que l’intérêt de l’individu. C’est dans cet esprit que Médecins du monde s’est investi dans le champ de la toxicomanie. S’occuper de la santé des usagers de drogues, c’est s’occuper de la santé de la cité.

Voilà ce que je pouvais vous présenter pour engager la discussion.

Mme la Présidente - Nous vous remercions de cet exposé tout à fait détaillé, docteur. Afin que nous puissions reprendre tout de suite les débats, je donne la parole à M. Bernard Plasait, rapporteur de la commission.

M. Bernard PLASAIT, Rapporteur - Je vous remercie, docteur, de votre exposé, qui nous apporte un certain nombre d’éléments intéressants. A travers vos propos, et surtout à travers la lecture d’un certain nombre de documents de votre organisation, j’ai le sentiment que vous appartenez, si je puis dire, à une certaine école de pensée ou que vous avez une philosophie qui vous caractérise, et c’est donc, si vous me le permettez, sur ce sujet que je voudrais commencer mon questionnement.

Votre association appelle à "la dépénalisation de l’usage de toutes les drogues comme un préalable nécessaire pourune politique globale et cohérente de santé publique dans ce domaine."

Ma question très directe est donc la suivante : en quoi est-elle un préalable et ne trouvez-vous pas qu’il y a une sorte de paradoxe qui consisterait à dire en quelque sorte : "rendez-vous malade pour que l’on puisse vous soigner convenablement" ?

M. Jean-Pierre LHOMME - Il faut essayer de voir exactement où se trouve le paradoxe. Il est vrai que la pénalisation de l’usage est un obstacle aux avancées par rapport à la prévention et aux soins.

L’exemple de la mise en vente libre des seringues est clair et net sur cet aspect des choses, et il est vrai que cela revenait à la dépénalisation. Pourquoi était-ce intéressant ? Parce que l’absence d’accès à cet outil qui était utilisé par les usagers de drogues empêchait tout contact en matière de mesures de prévention vis-à-vis de ces usagers de drogues. La clandestinisation de cette seringue faisait qu’elle devenait encore plus pourvoyeuse de virus et de continuation dans l’addiction.

Il est vrai que, par des réflexes un peu rapides, on peut tout à fait se poser des questions. J’ai d’ailleurs souligné que c’était une contradiction. Nous avons eu des difficultés de 1989 à 1994. Avant d’être reconnus, nous étions dans la difficulté dans notre démonstration, même chez certains professionnels, mais il est vrai que, comme je l’ai souligné (c’est une réponse à cette problématique), par rapport au fait de poser le problème et de faire en sorte que le débat sur la dépénalisation de l’usage existe et soit effectif, cette explication que j’ai donnée au départ montre bien comment ces mesures peuvent être très productives en termes de santé publique.

M. le Rapporteur - J’ai bien entendu que vous parliez de mesures productives en matière de santé publique, et on ne peut effectivement pas nier que la politique de réduction des risques a empêché la diffusion du VIH et que nous avons sans doute évité des morts grâce à cette politique.

Quant à dire qu’elle a été en totalité productive de santé publique, c’est peut-être aller un peu loin. En effet, à côté de cet aspect tout à fait positif de la réduction des risques, il y a aussi l’effet pervers que vous avez évoqué brièvement tout à l’heure, celui-ci consistant à renoncer à l’éradication des drogues, et même à une politique consistant à empêcher que l’on débute dans la carrière de consommation et, d’une certaine manière, à déculpabiliser l’acte de consommation.

M. Jean-Pierre LHOMME - Il est difficile de tirer l’écheveau. Je ne pense pas que l’on ait à mettre en contradiction — je l’ai souligné — différentes manières de fonctionner. Je ne vois pas en quoi la politique de réduction des risques aurait un effet pervers par rapport au travail sur la dépendance ou sur le sevrage. Comme je l’ai montré, non seulement ces mesures de réduction des risques ont un effet sur le plan infectieux, mais j’ai aussi parlé de propédeutique de soins en toxicomanie.

Cette prise en compte de son corps chez l’usager de drogues est opérante et productive en termes d’entrée dans le soin non seulement sur le plan somatique mais également sur le plan de la toxicomanie.

Cela a été relevé par tout le monde. C’est l’intérêt de prendre les gens où ils en sont, dès le début, et même avant, et de procéder de cette manière en leur proposant des modalités d’entrée dans le soin à la mesure de leur intentionnalité de soins. Si on ne propose que la prévention primaire et, de l’autre côté, le sevrage, il est vrai que l’on rate des choses.

Sans du tout vouloir mettre en opposition ces propositions de prévention avant l’entrée et ces propositions de sevrage, on sait bien qu’il existe des toxicomanes actifs qui ne veulent pas ou ne peuvent pas, pour un temps donné, entrer dans le soin. C’est à nous d’aller les chercher et de leur proposer, à la mesure de leur intentionnalité de soins, des choses qui leur permettent de rentrer dans le système de soins.

Les choses ont été assez démonstratives et j’ai bien montré que cette proposition était faite autant par rapport à cette démarche des programmes d’échanges de seringues que par rapport à cette démarche de traitement de substitution, et je n’ai point oublié de citer le sevrage.

M. le Rapporteur - Je me demande si vous ne vous placez pas trop exclusivement vis-à-vis des toxicomanes, de ceux qui sont, comme vous l’avez dit, des malades. Tous les consommateurs de drogues, en particulier de cannabis, sont-ils des malades ? Au moins dans un premier temps, quand on est usager "récréatif" (ce n’est pas moi qui ai inventé la formule mais ceux qui ont élaboré la politique en vigueur pendant les quelques années qui viennent de s’écouler) ou primo-consommateur de cannabis, est-on un malade ?

Je pense que le regard que vous portez sur cette affaire vous conduit à négliger un peu ceux qui sont, de très loin, les plus nombreux : les fumeurs de cannabis qui, dans une très grande proportion, ne deviendront pas un jour des toxicomanes mais qui risquent de le devenir du fait de ce que vous leur dites.

Si j’ai parlé d’éradication tout à l’heure, c’est parce que j’ai sous les yeux une citation de votre organisation : "Renoncer à l’éradication du phénomène". Cela veut bien dire que l’on va se préoccuper des soins mais que l’on néglige l’idée d’empêcher que des gens commencent une consommation de drogue.

Vous me permettrez de vous faire une autre réflexion en forme de question. Pour la santé de nos enfants, quand on sait que plus un produit est en circulation, plus il est consommé et donc que si on dépénalise les drogues, notamment le cannabis, on va entraîner l’augmentation de sa consommation, ne doit-on pas se poser des questions ? Si vous ajoutez à cela le fait que ce sont des produits dangereux, vous aboutissez, avec la banalisation, à une augmentation de la mise en danger de nos enfants, de leur santé et de leur vie et, par ailleurs, vous augmentez les possibilités de trafic. Le résultat de l’équation n’est-il pas de nature à s’interroger ?

M. Jean-Pierre LHOMME - Je m’interroge sur les termes que vous nous appropriez, par exemple la banalisation. Je ne vois pas du tout quand nous avons utilisé ces mots. S’il est vrai que la problématique de l’éradication, comme vous le dites...

M. le Rapporteur - C’est votre propos.

M. Jean-Pierre LHOMME - Tout à fait, et c’est dans ce sens que je vais le reprendre. Quand on est médecin, il faut savoir être humble et ne pas fonctionner dans la toute-puissance, parce qu’il est vrai que des choses nouvelles arrivent tous les jours. Je ne vais pas parler des virus actuels, mais cela pourrait être un exemple. D’autres produits vont venir et il restera toujours l’addiction et le comportement. Il est effectivement important de notifier les choses par rapport à la prise en charge globale. Les méthodes de travail que nous avons utilisées dans le cadre de la politique de réduction des risques (j’ai parlé des actions spécifiques qui sont menées par Médecins du monde, mais notre association n’intervient pas dans tout le champ de la toxicomanie) sont des manières de faire et doivent être mises en cohérence avec d’autres politiques et d’autres propositions de soins par rapport à d’autres produits, mais toujours en rapport avec la considération qu’une dépendance est un comportement.

A la limite, on pourrait éventuellement parler ici des dépendances sans produit, par exemple le jeu. A cet égard, une commission sénatoriale, la commission Trucy, a très bien travaillé sur ce point et a produit un rapport exceptionnel sur cet aspect des choses.

M. le Rapporteur - Vous comprenez bien, docteur, que je m’interroge sur un certain nombre d’éléments qui font partie de l’école de pensée de votre association. C’est la raison pour laquelle je vais encore une fois poser une question qui va dans le même sens. Dans les rave parties dans lesquelles vous intervenez, vous pratiquez le testing, en faisant en sorte que les produits consommés n’entraînent pas d’effets négatifs plus importants que ceux que le principe de base de ces produits devrait naturellement entraîner.

Cela ne correspond-il pas à l’application de la crainte que j’exprimais tout à l’heure ? Finalement, cette action, dans la mesure où elle n’est pas accompagnée de votre part d’un message de prévention et d’information à l’intérieur de ces rave parties ou avant qu’elles aient lieu, ne consiste-t-elle pas à dire en gros : "vous pouvez-vous droguer festif, à condition que la drogue soit pure" ? Cela n’est-il pas implicitement un message de banalisation et d’incitation à usage, d’une certaine manière, par effet pervers et non pas de façon délibérée ?.

M. Jean-Pierre LHOMME - Tout outil peut être perverti à partir du moment où il est mal cadré et mal utilisé. Nous avons eu des exemples de programmes d’échanges de seringues qui ne relevaient que de l’aspect distributif et qui n’étaient pas du tout productifs : on a des exemples, au Canada, de programmes d’échanges de seringues qui ont été fermés.

Le testing est exactement la même chose. Il ne consiste pas du tout à dire : "Ceci est bon, cela est mauvais" mais (c’est le message que nous pouvons faire passer à partir du moment où nous sommes en contact avec cette population) "dans le produit que tu as utilisé et qui a cette dangerosité, il y a en plus d’autres produits toxiques ; tu crois prendre cela, tu prends un anti-paludéen ; tu crois prendre ceci, tu prends des corticoïdes..."

C’est ce que nous constatons. Si on prend cet outil isolément, il peut être tout à fait contre-productif. A partir du moment où on l’insère dans une activité d’équipes pluridisciplinaires dans lesquelles il y a des éducateurs, des infirmiers et des médecins (nos missions sont assez médicalisées : nous nous appelons bien "Médecins du monde"), cet outil devient médiateur de soins et de prévention.

Il est clair que si ce testing, qui a été tellement critiqué, consiste à dire : "ceci est bon, ceci est mauvais", ce sera complètement nul ! Cependant, je ne pense pas que l’activité de Médecins du monde soit celle-là. Tout le travail de nos intervenants consiste à bien expliquer les choses en disant : "Ce produit que tu prends à des effets toxiques."

M. le Rapporteur - Vous dénoncez les dangers des produits ?

M. Jean-Pierre LHOMME - Tout outil de prévention le fait.

M. le Rapporteur - Dans votre action, y a-t-il ce message de prévention et ce discours sur la dangerosité de la drogue ?

M. Jean-Pierre LHOMME - Absolument. C’est ce que j’appelle l’échange actif de seringues, qui est différent de l’échange passif.

Cela étant dit, l’échange passif de seringues est aussi important. C’est pourquoi on a développé les distributeurs automatiques de seringues. Il est vrai que, parfois, on n’a pas forcément envie de parler mais que, d’autres fois, il faut le faire.

M. le Rapporteur - Je voulais vous demander aussi quels étaient vos rapports avec les autres associations qui travaillent dans le même domaine, notamment dans les rave parties. Avez-vous des coordinations dans vos actions ?

M. Jean-Pierre LHOMME - Tout à fait. A Paris, notamment, toutes les discussions sur les lieux où nous pouvons nous installer et travailler se tiennent au sein d’une coordination. Nous travaillons avec la Coordination 18ème, par exemple, et je peux aussi vous parler d’un fascicule qui a été édité par la DDASS pour expliquer la coordination des différentes présences destinées à éviter les bousculades.

En outre, nous avons des réunions de discussion et d’explication sur les outils qui sont utilisés et promus par différentes personnes ou différents organismes et les discussions sont franches, claires et nettes. C’est le cas des discussions qui ont lieu dans les colloques de formation, notamment avec l’Association nationale des intervenants en toxicomanie, dans la mesure où bon nombre de personnes qui font partie des missions de Médecins du monde sont intégrées dans des structures de soins en toxicomanie. J’ai travaillé moi-même à Marmottan, par exemple.

M. le Rapporteur - Avez-vous des relations avec une association comme France sans drogue ?

M. Jean-Pierre LHOMME - Non.

M. le Rapporteur - Docteur, je vous remercie. J’en ai terminé, madame la Présidente.

Mme la Présidente - Je vais laisser la parole à mes collègues sénateurs, après quoi je vous demanderai, docteur, de bien vouloir répondre d’une manière globale.

Mme Monique PAPON - Ma première question était relative au testing, docteur, mais comme vous y avez très bien répondu, je me contenterai de vous poser ma deuxième question.

Votre politique vise notamment à tisser des liens entre cette population, qui est très marginalisée, et le réseau sanitaire et social. Je souhaiterais savoir si j’ai bien compris vos propos liminaires. Du fait du recul que vous avez maintenant, constatez-vous que, grâce à votre action, mais peut-être aussi à celle d’autres organismes, les filières de soins sont de mieux en mieux réappropriées par ce public de toxicomanes ?

M. Jacques MAHÉAS - Tout d’abord, docteur, même si cela se situe en dehors de nos débats, je tiens à vous féliciter pour votre action. Je suis en phase avec l’action de Médecins du monde et cela ne me pose pas de problème. Cela dit, j’ai un certain nombre de questions à vous poser.

Premièrement, lors de vos interventions, arrivez-vous à définir les raisons pour lesquelles les personnes à qui vous avez affaire, notamment les jeunes, se droguent ? Y a-t-il des choses récurrentes qui peuvent nous amener, nous, politiques, à intervenir sur les causes plutôt que sur les conséquences ?

Deuxièmement, votre action dans les rave parties ne se heurte-t-elle pas à certains moments à celle des dealers conseilleurs ? N’arrive-t-il pas qu’il y ait là des tentatives de vous évincer ? En effet, vous êtes quand même présents pour conseiller et analyser et pour dire : "ne vendez pas n’importe quel produit", en ultime recours, après avoir apporté vos conseils.

J’ai une troisième question. Vous avez dit qu’il fallait hiérarchiser les difficultés. Pensez-vous qu’il faut aussi hiérarchiser les drogues en règle générale en incluant drogues licites et drogues illicites ? Je m’explique. Nous venons d’un voyage à Saint-Martin où certains d’entre nous ont découvert le crack, qui est une chose abominable.

Mme la Présidente - Vous n’allez pas me dire que vous connaissiez.

M. Jacques MAHÉAS - Cela existe dans nos banlieues, madame la Présidente, même si ce n’est pas développé, car je suis dans une municipalité où résident beaucoup d’Antillais, mais je ferme la parenthèse.

L’idée est donc de savoir si on peut hiérarchiser les difficultés. Je suis très conscient que l’on peut imaginer un monde sans drogue, mais je ne nage pas dans la plus grande utopie et je me dis qu’il faut donc mener des actions extrêmement fortes contre des dépendances et des ravages évidents et que, dans d’autres domaines, l’action peut être moins déterminée.

M. Paul GIROD - Si j’ai bien entendu la citation qu’a faite le rapporteur tout à l’heure, docteur, votre association milite pour la dépénalisation des drogues.

M. Jean-Pierre LHOMME - De l’usage des drogues.

M. Paul Girod - J’entends bien : évidemment pas du trafic. Maintenant, est-ce bien sans nuance par rapport à la nature de la drogue ? Il s’agit de l’usage général, de quelque drogue que ce soit.

M. Jean-Pierre LHOMME - Il s’agit de l’usage simple.

M. Paul GIROD - Je voulais avoir cette interprétation et je vous remercie de me la donner.

Tout à l’heure, j’ai entendu de votre part une observation qui m’a frappé à propos des traitements de substitution. Si j’ai bien compris, vous trouvez à ces traitements un avantage de libération de temps par la réappropriation du drogué par lui-même. Avez-vous eu des études approfondies sur ce sujet, pour savoir quel usage ils font du temps qui n’est plus consacré à la quête de la fourniture et, malheureusement, des ressources nécessaires pour y arriver ?

Mme la Présidente - Pour ma part, j’aurai deux questions à vous poser.

Vous avez fait référence à la méthadone et à l’autre produit qu’on appelle généralement le Subutex. J’aimerais connaître votre sentiment sur les risques de trafic en ce qui concerne ces deux produits. Il semblerait en effet que le Subutex donne, bien sûr, beaucoup plus lieu à trafic que la méthadone.

Dans un deuxième point, je reviendrai sur les rave parties. Aujourd’hui, en ayant ces soirées répandues sur tout le territoire français, on a le sentiment, quel que soit l’encadrement que l’on peut en faire dans le domaine tant des soins que de la prévention, qu’on laisse s’implanter un trafic important qui, si nos calculs sont bons, peut générer des millions de profit, c’est-à-dire qu’on laisse travailler les dealers qui sont probablement en relais avec une certaine mafia. Je voudrais donc savoir si, au travers de vos interventions sanitaires et sociales et de vos actions de prévention, puisque vous y avez fait référence, vous connaissez éventuellement tous ces liens avec la mafia et si vous pensez qu’il est très sain de continuer à se dire qu’il faut laisser les choses comme cela ?

Je vous redonne très volontiers la parole.

M. Jean-Pierre LHOMME - Cela fait beaucoup de questions. Je vais essayer de répondre à toutes et si j’en oublie quelques-unes, vous me rappellerez à l’ordre.

Je commencerai par la question sur le travail de proximité et la réappropriation des filières de soin. Il est vrai que c’est une énorme partie de notre travail, puisque nous pensons que — vous l’avez vu par rapport à l’effet inattendu de ce bus méthadone — 41 % des gens en sont à leur première intention de soins organisés. Il est vrai que c’est une difficulté, dans la mesure où les structures pérennes hospitalières ont parfois des exigences trop importantes. La responsabilité ne leur en incombe pas entièrement. Cela vient aussi du fait que ces personnes ne fonctionnent pas dans la confiance ni dans la démarche, ce qui nécessite d’aller les chercher et, par rapport à tous les produits, d’imaginer ce travail de proximité qui est capital pour permettre à ces gens d’y accéder.

Nous appelons notre bus méthadone une passerelle vers ces structures de soins pérennes qui sont — je vous ai donné les chiffres —très importantes.

Il faut donc effectivement se réapproprier ces structures pérennes, d’autant plus que certaines structures ont modifié leur manière de fonctionner, avec des fonctionnements sans rendez-vous ou d’autres sur certains horaires, ce qui fait que les usagers rentrent plus facilement dans ces structures.

Cela dit, il reste beaucoup d’efforts à faire et la tâche est encore longue, mais l’importance du travail de proximité, que j’ai soulignée, est essentielle.

Sur les différentes causes d’entrée dans la toxicomanie, mon ancien patron, le professeur Olivenstein, parlait de la rencontre d’un individu, d’un produit et d’un moment socioculturel. Je pense que ce triptyque est intéressant à entendre et à connaître, même si j’ai parlé tout à l’heure d’addiction sans produit. Je rajouterai un terme à la notion de moment socioculturel : l’aspect économique, pour évoquer le problème que vous avez soulevé au sujet des histoires de mafias. Il est vrai que les intérêts en jeu sont importants et que, même si notre rôle de soignants n’est pas d’être dans des propositions de diminution de l’offre, on peut se demander d’où vient le cannabis, essentiellement en France, et s’interroger sur toutes les relations qui existent avec les produits producteurs. Je ne suis pas du tout un spécialiste de ces trajets, mais je pense que c’est une chose très importante.

Je rapproche cette question à celle qui concerne les rencontres des trafiquants sur les lieux de travail. Dans nos interventions en Bosnie, nous étions effectivement face à des filières de drogues très importantes. Quant à la présence de ces filières et de ces mafias sur les lieux de prévention, c’est une chose qui nous met effectivement en difficulté, mais, pour nous, c’est une raison de plus d’y aller, d’être présents et de faire un rappel aux soins. Il est vrai que, dans nos interventions, nous lions les rappels aux soins élémentaires, inévitablement et régulièrement, au rappel à la loi.

C’est pourquoi je parlais tout à l’heure de la nécessité de ce cadre réglementaire qui doit se nourrir des avancées issues des propositions des professionnels de santé. Je peux vous dire en tout cas que ce cadre réglementaire est un atout pour les acteurs de santé, notamment par rapport aux bonnes pratiques et au rappel à la loi. Il s’agit donc de travailler sur la cohérence entre nos pratiques et ce cadre réglementaire.

J’en viens à la question sur la hiérarchisation des produits.

M. Jacques MAHÉAS - Contre quoi faut-il lutter d’abord ?

M. Jean-Pierre LHOMME - Il est vrai que l’on peut essayer, pendant un certain temps, d’analyser un phénomène produit par produit. Pour autant, on se rend compte très vite que les produits passent et que les addictions restent, comme je l’ai dit tout à l’heure.

Je pense donc que si le comportement est toujours le même, quel que soit le type de produit, il s’exprime de façon différente et a une spécificité et des risques différents en fonction de chaque produit. Vous avez des produits qui sont bien plus dangereux que d’autres selon le fonctionnement.

La dangerosité du crack, par exemple, est immédiate. L’effet est encore plus puissant que la cocaïne, mais il est vrai qu’il n’implique pas vraiment de dépendance physique. Le crack est de la cocaïne à laquelle on a ajouté du bicarbonate, et il est quasiment impossible d’être dépendant physiquement, dans la mesure où, physiquement, on ne tient pas. On "cracke" pendant 48 heures et on est ensuite obligé de s’arrêter car c’est totalement épuisant. Nous reconnaissons les crackers dans nos consultations par deux aspects : les petites coupures entre l’index et le pouce et l’état des pieds, parce qu’ils sont tout le temps en train de marcher. Ils sont donc épuisés au bout d’un certain temps. En revanche, la dépendance psychologique est bien évidemment très importante.

On a donc des critères de dangerosité sur le plan somatique, par rapport à la forme de la dépendance ou de l’appétence ou par rapport aux comportements qu’implique l’usage de ce produit.

La question suivante concernait l’usage du temps. Effectivement, la production de ces traitements de substitution est une question de temps. C’est la raison pour laquelle, dans une deuxième partie de mon explication sur ces traitements de substitution, j’ai dit qu’à côté de la part médicamenteuse du traitement, la prise en charge médico-psychosociale était très importante et qu’il était très important de travailler dans la resocialisation, d’où l’importance d’entreprises de réinsertion mais aussi de structures de post-cure qui peuvent accepter les gens sous substitution, ce qui n’est pas toujours facile à l’heure actuelle, puisqu’il y a encore, dans ces histoires de post-cure, des fonctionnements qui datent de quelques dizaines d’années, c’est-à-dire sans produit. Cependant, on constate que, de plus en plus, ces post-cures s’ouvrent à l’accès de personnes qui sont sous substitution.

C’est pourquoi tout le suivi social et éducatif est important pour arriver à investir d’autres registres, que ce soit la famille, les enfants, le travail ou les loisirs, mais la tâche est énorme.

Mme la Présidente - Je vais revenir sur les rave parties, docteur.

M. Jean-Pierre LHOMME - Je n’ai pas répondu totalement.

Mme la Présidente - Je voudrais savoir quels sont vos liens, si je puis dire, avec les organisateurs des rave parties, c’est-à-dire comment vous êtes perçus. Participez-vous — pardonnez-moi de le dire ainsi — à l’organisation, êtes-vous au courant en amont des produits vendus et, si c’est le cas, avez-vous le temps de procéder à des analyses, ou est-ce seulement sur le terrain, au pied du mur, que vous pouvez réagir ?

M. Jean-Pierre LHOMME - Il existe deux types d’analyse :

le testing immédiat, qui a une certaine valeur et dont la signification est limitée ;

la chromatographie "couche-mince" et l’analyse de produits qui permettent de faire une liste de médicaments toxiques, dans le cadre d’une étude qui est faite en relation avec l’OFDT : le programme Trend. A cet égard, le passage de ces informations vers les usagers est très important.

Bien évidemment, nous ne savons pas du tout sur quoi nous allons tomber quand nous allons dans les rave parties.

Quant à la façon dont nous en sommes informés, nous essayons de récupérer les informations, comme les usagers peuvent le faire. Bien évidemment, nous sommes aussi souvent contactés par des organisateurs, des associations de ravers qui apprécient notre présence sanitaire non seulement quant à l’aspect des analyses, mais aussi pour les réponses sanitaires immédiates que nous apportons dans ces rassemblements importants. Voilà les liens que nous pouvons avoir.

Mme la Présidente - Je vous remercie. M. le Rapporteur a encore quelques questions à vous poser.

M. le Rapporteur - Je suis tellement surpris, docteur, que des médecins puissent, comme vous le faites, appeler à la dépénalisation de l’usage de toutes les drogues que je vous repose la question. Ne craignez-vous pas que si, d’aventure, une telle dépénalisation de l’usage de toutes les drogues intervenait, elle créerait une augmentation, éventuellement très forte, de la consommation de drogue et, par conséquent, du nombre de toxicomanes et de malades ? Cela ne consiste-t-il pas à jouer les apprentis-sorciers dans des conditions de santé publique extrêmement graves ?

M. Jean-Pierre LHOMME - Médecins du monde a toujours su prendre ses responsabilités face à des situations de crise, que ce soit au niveau international ou au niveau national. Il a toujours mûrement réfléchi ses prises de position, qui ne sont pas celles d’écoles de pensée mais qui sont basées sur la pratique quotidienne, sur son travail quotidien.

Il est vrai que cette décision — je peux vous le dire — a été prise à l’issue de débats importants dans notre association, que nous avons mis un certain temps à la prendre et que nous y avons mûrement réfléchi. Cependant, devant les dégâts sanitaires que cette pénalisation de l’usage induisait, pour nous, médecins et acteurs de soins qui sommes des proposants, il était important de prendre cette décision, de la rendre publique et de l’expliquer, comme j’ai essayé de le faire (je veux bien le refaire, mais je vais vous laisser mon texte), par rapport à la mise à disposition des seringues. Il s’agit de montrer comment quelque chose qui peut apparaître contradictoire a un effet productif et combien il est nécessaire de bien cadrer les choses.

Nous faisons cette proposition pour qu’il y ait un débat et une organisation des cadres réglementaires qui permette une cohérence entre les décisions et les moyens.

Pour nous, ce n’est pas du tout une décision issue d’un école de pensée mais de notre pratique et de notre réflexion de santé publique. Nous étions tout à fait conscients du fait que notre responsabilité était engagée, mais nous essayons d’agir dans la rigueur et le professionnalisme et c’est ce que nous faisons sur le terrain.

M. le Rapporteur - En fait, je vous ai entendu, mais je ne vous ai pas bien compris. Je comprends parfaitement que vous soyez totalement en faveur d’une politique de réduction des risques et que vous souhaitiez améliorer l’efficacité de cette politique, car c’est évidemment très légitime, mais je ne vois toujours pas en quoi la dépénalisation de l’usage rendrait plus efficace la politique de réduction des risques que l’on peut parfaitement mener dans le contexte législatif actuel.

M. Jean-Pierre LHOMME - Je veux bien m’expliquer une deuxième fois.

M. le Rapporteur - Faites-moi toucher un nerf ! J’entends votre raisonnement, mais il y a une chose qui m’échappe.

M. Jean-Pierre LHOMME - L’interdiction de l’usage de l’injection a été maintenue dans la réglementation et elle avait comme corollaire la non-vente des seringues en pharmacie. Malgré cela, devant les urgences, les nécessités et les dommages inhérents à cette position, on a passé outre et accepté cet usage, même si, dans la pratique, dans la rue, c’était parfois difficile par rapport aux usagers qui avaient les kits de prévention de Médecins du monde dans leur poche. Il est clair qu’à cet égard, un pas a été fait dans la voie de cette dépénalisation.

M. le Rapporteur - Ce pas a été fait vis-à-vis de gens qui sont déjà consommateurs et qui sont donc en danger. Le problème, c’est que, si vous dépénalisez l’usage, vous allez entraîner d’autres personnes à consommer et donc à rentrer dans cette carrière, dans cette filière invraisemblable de la toxicomanie.

M. Jean-Pierre LHOMME - C’est un automatisme qui n’est pas forcément évident. De toute façon, la dépénalisation de l’usage implique un certain renforcement des moyens pour que la prévention soit renforcée. Toutes les choses n’existent pas toutes seules, suspendues en l’air. Elles sont accompagnées de mesures claires, nettes et précises.

J’ai expliqué que l’échange de seringues était important, notamment par rapport au déclenchement d’une certaine intentionnalité de soins, mais que celle-ci devait être ressaisie et rattrapée par d’autres propositions de soins en amont. C’est la même chose : il faut y aller "step by step".

En fait, je n’arrive pas à voir les effets pervers dont vous parlez au sujet de toute cette problématique qui semble exister et au sujet de la réduction des risques et des autres problématiques, comme s’il y avait une contradiction entre la réduction des risques et les autres problèmes de toxicomanie liés à d’autres produits.

M. le Rapporteur - Si je vous comprends bien — j’essaie vraiment de vous comprendre — vous allez avoir une politique de prévention consistant à dire aux usagers potentiels : "Attention, fumer du cannabis ou consommer de l’héroïne, ce n’est pas innocent, c’est dangereux"...

M. Jean-Pierre LHOMME - Absolument.

M. le Rapporteur - ...et, en même temps : "Vous avez le droit de fumer du cannabis et de consommer de l’héroïne et de la cocaïne, ce qui n’était pas le cas jusqu’ici". Pensez-vous sérieusement que ces deux messages peuvent cohabiter ?

M. Jean-Pierre LHOMME - Tout à fait, et la preuve en a été faite avec la libéralisation de la seringue.

Mme la Présidente - Nous allons vous demander de nous laisser votre exposé, docteur, et nous nous permettrons peut-être de vous demander un complément d’information par écrit si d’autres questions nous viennent à l’esprit. En tout cas, nous vous remercions et vous souhaitons bon courage dans vos missions.

M. Jean-Pierre LHOMME - Merci beaucoup.


Source : Sénat français