La situation politique autour de l’Abkhazie retient chaque jour davantage l’attention de la communauté mondiale. Au Conseil de sécurité de l’ONU, la question abkhaze a fait l’objet d’une discussion à deux reprises en six mois. Elle est devenue un point de compromis dans les relations russo-états-uniennes. La résolution 1716, très critique vis-à-vis de la Géorgie, a été adoptée pratiquement au même moment où la Russie effectuait un vote bienveillant concernant la RDPC. C’est le secrétaire général de l’ONU lui-même qui, au début de 2007, a présenté un rapport sur la situation ethnopolitique en Abkhazie. Au cours de la semaine qui a précédé la réunion du Conseil de sécurité, Ban Ki Moon a présenté sa vision de la situation dans le secteur de Gali, en Abkhazie (où, à la veille du Nouvel An, des flambées de violence avaient été enregistrées des deux côtés).

Les hommes politiques et les diplomates russes ont traditionnellement peur de la possibilité même d’internationalisation. Mais, comme l’ont montré les événements de ces derniers mois, il n’y a rien, dans ce phénomène, qui puisse menacer les intérêts nationaux russes. À une seule condition, qu’il faudra respecter scrupuleusement, à l’avenir également. La diplomatie russe doit savoir mettre les accents où il faut et bien définir les priorités.

De plus, aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’internationalisation ne contredit en rien les intérêts nationaux, elle les favorise même. Mais cette thèse exige plusieurs concrétisations importantes. Il faut définir les formats de l’internationalisation. Dans tous les cas, il serait extrêmement improductif de rejeter l’idée même d’adjoindre au règlement pacifique des forces extérieures autres que la Russie. Il est important de comprendre les forces dont a besoin, et à quel moment, pour réaliser les objectifs.

La Russie doit autant que possible mettre l’accent sur le rôle de l’ONU et du Conseil de sécurité. D’un côté, ces structures marquent le sommet de la « communauté mondiale » à laquelle tous en appellent, y compris la Géorgie. D’un autre côté, la Russie a ses propres ressorts d’influence au sein de l’ONU. De ce fait, Moscou pourrait simultanément et ne pas perdre son rôle et s’intégrer à un marché « international ». Cette même mission de l’ONU en Géorgie, qui travaille sur le terrain et qui connaît bien la situation réelle en Abkhazie, est prête dans une bien moindre mesure à accepter les projets public relations de Mikhaïl Saakachvili. Il est dans l’intérêt de la Russie que l’élite abkhaze du monde politique et des affaires, les représentants du secteur tertiaire aient aussi des contacts avec les structures européennes (aussi bien étatiques que non gouvernementales, ayant un impact sérieux sur l’opinion publique à l’intérieur même de leurs Etats). Si la Russie est intéressée à ce que l’Abkhazie devienne, dans le futur, un État de jure, elle doit savoir que son isolement et sa reconnaissance exclusive par le Kremlin n’est pas une aide mais une gêne. La Russie peut admettre une reconnaissance juridique formelle de l’Abkhazie sans nuire à ses intérêts, uniquement si cette reconnaissance est garantie par un concert d’États. Sans cela, Moscou devrait se limiter à un soutien politique de fait de l’Abkhazie, dans la mesure où son incorporation de force dans la Géorgie signifierait une déstabilisation à l’intérieur même de la Russie, dans le Caucase du Nord.

Par conséquent, l’ouverture de l’Abkhazie est avantageuse pour la Russie. Il n’existe aucune conjuration mondiale antiabkhaze. Il n’y a qu’une vision pas tout à fait adéquate de ce qui se passe dans cette république. Les experts étrangers et les ONG, qui ont été mieux informées de ce qui se passait à l’intérieur de l’Abkhazie, ont changé à 180° leur opinion sur cet État non reconnu. Par conséquent Moscou a pour tâche de former un « tableau informationnel » adéquat de l’Abkhazie.

Autre question, l’opération de maintien de la paix dans la zone du conflit abkhazo-géorgien. La Russie ne doit pas, ici, perdre son rôle exclusif. L’idée d’introduire des forces de police internationales dans le secteur de Gali, énoncée par le diplomate états-unien Mathiew Brise lors de sa visite en Transcaucasie ne peut pas être concrétisée sans porter atteinte aux intérêts russes. L’introduction de forces de police internationales créera immédiatement plusieurs centres de force, axées sur la confrontation entre eux. Et, si les forces de paix sont marquées comme pro russes, les forces de police seront marquées comme pro géorgiennes. Ainsi, au lieu d’une pacification, on pourrait assister à une relance du conflit avec adjonction de forces extérieures. Quant à l’activité des soldats de la paix russes, une question se pose : Et qui a aidé au retour en Abkhazie de quelque 60 000 réfugiés ? Aujourd’hui, malgré tous les mauvais calculs de la politique russe en Géorgie, il faut reconnaître que les forces de paix russes ont joué un rôle stabilisateur dans la zone du conflit. Ce sont elles qui ont dégelé le conflit en mai 1998 et à l’automne 2001 alors que les prémisses existaient.

Ainsi, en combinant la domination militaro-politique dans la zone du conflit abkhazo-géorgien avec l’internationalisation des contacts de l’élite abkhaze et l’internationalisation des discussions politiques sur le règlement du conflit, en complétant la mission de paix par un format actif de l’ONU, la Russie pourrait considérablement renforcer ses positions de garant de la paix dans cette région agitée. Il faut, pour cela, savoir parvenir à des alliances de situation avec les États-Unis et les pays de l’Union européenne, être plus souple et correct, mais le prix de la question – la stabilité du Caucase du Nord – doit obliger le Kremlin à être plus réaliste et pragmatique.