Dix ans après le génocide qui s’est déroulé au Rwanda et au cours duquel des centaines de milliers de Tutsis et Hutus modérés ont été méthodiquement massacrés par les milices extrémistes hutues, la France continue, aux yeux de certains, de faire figure d’accusée. Elle est pourtant la seule grande puissance qui a décidé d’agir et il me paraît utile de rappeler les faits.
Alors Premier ministre, j’avais défendu l’envoi au Rwanda, avec l’accord du Conseil de sécurité, d’une force internationale à vocation strictement humanitaire. Quand les massacres ont commencé, la nuit du 6 avril 1994 après la destruction en vol de l’avion du président Habyarimana, la France ne comptait qu’une trentaine d’hommes dans le pays. Le lendemain, dix Casques bleus belges sont assassinés et le Conseil de sécurité décidera, le 21 avril, le retrait des 2 500 soldats de la Minuar. Parallèlement, les forces françaises dans le cadre de l’opération Amaryllis évacuent entre le 8 et le 14 avril. Dès le 8 avril, la France décide un embargo sur les armes à destination du Rwanda, déjà limitée depuis 1993. Première à décréter l’embargo sur les armes, la France sera également le premier pays à utiliser le terme de « génocide » pour qualifier la tragédie rwandaise après que le pape Jean-Paul II l’eut utilisé lors d’une audience, le 27 avril 1994.
Avec mon accord, Alain Juppé dénoncera le génocide à l’issue du Conseil des ministres de l’Union européenne, le 15 mai 1994, puis à l’Assemblée nationale, le18 mai. L’ONU n’utilisera ce terme par la voix de son secrétaire général que le 31 mai. La France fera alors campagne à l’ONU pour un renforcement massif de la Minuar, mais Paris ne sera pas suivi et l’ONU sera lente à envoyer plus de troupes alors que les massacres se poursuivent. La France a décidé d’envoyer des troupes pour faire cesser la guerre entre les forces gouvernementales et les rebelles du FPR (front patriotique rwandais), mais aussi de faire cesser les massacres entre les Rwandais eux-mêmes. Pour parvenir à cet objectif, quelle devait être la nature de l’intervention internationale ? J’ai rejeté une intervention militaire qui nous aurait placés en position de puissance coloniale soutenant le gouvernement hutu. J’ai défendu le principe de l’envoi d’une force à vocation strictement humanitaire, destinée à mettre à l’abri les malades, les enfants et les populations civiles terrorisées. J’ai posé comme condition à cette intervention que l’opération Turquoise devait obtenir l’accord des Nations unies, être limitée dans le temps, bénéficier du soutien d’autres contingents ainsi que de la possibilité de s’implanter en territoire zaïrois.
L’opération Turquoise s’est déroulée en plusieurs phases : une première phase opérationnelle (22 juin-4-juillet 1994) pour sécuriser des camps de réfugiés tutsis et hutus le long de la frontière rwando-zaïroise puis, à partir du 4 juillet, la création d’une zone humanitaire sûre pour faciliter l’accès des secours humanitaires. Pendant ce temps, les troupes du FPR continuaient leur avancée, provoquant l’exode d’un l million de Hutus terrorisés vers Goma. Dans ce camp, la France a dû circonscrire une épidémie de choléra qui fera 50 000 morts, mais la catastrophe humanitaire à grande échelle est évitée. La France a tenu parole et le 21 août 1994, elle passe la relève aux soldats de la Minuar.
Dire que l’opération Turquoise, sous couvert d’un dispositif humanitaire, était destinée à permettre à des criminels de fuir leur pays est une ignominie.

Source
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.

« L’opération turquoise : courage et dignité », par Édouard Balladur, Le Figaro, 23 août 2004.