Porter J. Goss est vétéran de l’action secrète. Il a appartenu pendant deux ans aux services secrets de l’Army et, au moins pendant onze ans, à la direction des opérations de la CIA. Il a notamment exercé ses talents en France à la fin des années 60. Après avoir joué un rôle étrange auprès des talibans à la veille des attentats de 2001, il a co-présidé une commission d’enquête pour disculper la CIA. Puis, il a beaucoup critiqué l’influence de la France sur la scène internationale. Il vient d’être nommé directeur central du renseignement. Non seulement il dirigera la CIA, mais il supervisera aussi 15 autres services secrets.
Porter Goss est né le 26 novembre 1938 dans le Connecticut. Issu d’une famille presbytérienne aisée, il a pu poursuivre de brillantes études de grec ancien à la très puritaine université de Yale. Il s’y est fait remarquer puisqu’il a été sélectionné, au cours de son cursus, par la CIA. Avant même d’avoir passé son diplôme, en 1960, il était déjà intégré dans l’Agence de renseignement et dès ses études finies, il fut affecté au très secret stay-behind.
De 1960 à 1971, Porter Goss travailla au sein de la Direction des opérations de la CIA, c’est-à-dire non pas comme agent de renseignement, mais comme opératif. Il ne dépendait pas de la hiérarchie classique, mais du réseau stay-behind et se trouvait, à ce titre, incorporé dans l’Army.
Bien que tout ce qui le concerne soit classifié, on sait par ses propres déclarations et diverses indiscrétions, qu’il fut immédiatement affecté à « l’opération Mangouste ». Dès son arrivée à la Maison-Blanche, John F. Kennedy avait donné instruction de renverser Fidel Castro par tous les moyens. L’opération était dirigée par le général Edward Lansdale qui en rendait compte au chef d’état-major interarmes Lyman L. Lemnitzer et à l’attorney général Robert Kennedy. Trente trois actions furent planifiées, y compris l’assassinat du président cubain. Porter Goss participa au recrutement des mercenaires qui débarquèrent à la Baie des cochons. Après ce fiasco, « l’opération Mangouste » échappa à tout contrôle politique, le général Lemnitzer imaginant même d’organiser des attentats terroristes aux États-Unis et de les imputer aux castristes pour justifier d’une guerre contre Cuba (« Opération Northwood ») [1]. En définitive, John F. Kennedy ordonna la cessation soudaine de ces programmes après la crise des missiles, mais ses instructions ne furent pas totalement suivies d’effet.
Porter Goss fut alors affecté à la base JM/WAWE à Miami. Placé sous l’autorité du chef de poste Ted Schackley (ex-patron de « l’Opération Phoenix » au Vietnam), elle était située dans une grande propriété sous couverture du groupe Zenith Technological Enterprises. Elle disposait de ses propres avions et de sa base navale avec des vedettes rapides. Goss participa à JM/WAWE à la formation de Félix Rodriguez Mendigutia, qui devait traquer, arrêter et exécuter Ernesto Che Guevara en Bolivie, en 1967 [2].
Après avoir travaillé dans plusieurs États des Caraïbes, notamment Haïti, Saint-Domingue et le Mexique, Porter Goss fut affecté en France à la fin des années 60. On ignore totalement ce que furent ses responsabilités, on peut seulement déduire de ce que nous savons du stay-behind quels pouvaient être certains de ses correspondants français (Jacques Foccart, François Durand de Grossouvre etc.) [3].
Atteint d’une infection foudroyante qui le terrasse dans un hôtel londonien, il quitte le service opérationnel en 1971. Avec deux autres « anciens » agents de la CIA, il crée l’Island Reporter en Floride et fait fortune dans l’immobilier.
En 1974, il commence une carrière politique en se faisant élire maire de Sanibel (Floride). Bien que républicain, il se lie au gouverneur démocrate de l’époque, Bob Graham. Il est élu à la Chambre des représentants en 1988 et y a siégé jusqu’à aujourd’hui, c’est-à-dire pendant 16 ans. À chaque scrutin, il obtient des scores de maréchal, de l’ordre de 70 % des voix.
En 1997, il devient président de la Commission du renseignement, poste à partir duquel il bataille pour l’augmentation du budget de la CIA. Très impliqué dans le soutien à Taiwan face à la Chine, il critique sévèrement l’administration Clinton lors de l’affaire de l’espion chinois et tente d’étouffer l’affaire du bombardement « accidentel » de l’ambassade de Chine à Belgrade pendant la guerre contre la Yougoslavie. En 1998, il préside les auditions relatives au trafic de drogues auquel se serait livrée la CIA depuis les années 60. Il écarte jusqu’aux éléments recueillis par l’Inspection générale et disculpe l’Agence.
La même année, il prend ses distances avec Newt Gingrich et consorts puis rejoint l’association des républicains modérés, le Republican Main Street Partnership.
Fin août 2001, il se rend au Pakistan avec deux autres parlementaires, Bob Graham et John Kyl, pour des entretiens avec le président Pervez Musharraf, le chef des services secrets (ISI) Mahmoud Ahmad, et l’ambassadeur des talibans Abdul Salam Zaeef [4].
Le 11 septembre 2001, Les trois mêmes parlementaires participent à un petit déjeuner de travail dans une pièce sécurisée au quatrième étage du Capitole. Ils y reçoivent le général Mahmoud Ahmad. L’entretien porte sur la production d’opium en Afghanistan. Il est interrompu par l’annonce des attentats de New York.
Le Times of India révélera ultérieurement que le général Mahmoud Ahmad a viré 100 000 dollars, en juillet 2001, sur le compte bancaire de Mohammed Atta, accusé par le FBI d’avoir dirigé les attentats du 11 septembre [5].
Dans les jours qui suivent, Porter J. Goss s’oppose à la création d’une commission d’enquête parlementaire et se consacre à soutenir le projet de loi sécuritaire présenté par John Ashcroft, l’USA Patriot Act [6]. Le document, particulièrement volumineux et complexe, a nécessité des années de préparation. Il a été tenu secret jusqu’aux attentats et est soudain déposé au Congrès comme s’il s’agissait d’une réponse immédiate à une situation de crise. Ashcroft, Goss et leurs amis instrumentalisent en fait la situation pour faire adopter une loi d’exception. Puis, il fonce à l’Assemblée générale de l’OTAN où il fait adopter une Déclaration sur la lutte anti-terroriste avec le soutien de son ami Pierre Lellouche [7].
Finalement, devant la pression de l’opinion publique, Bob Graham et Porter J. Goss s’accordent avec la Maison-Blanche et acceptent de former une Commission jointe des deux chambres pour enquêter sur « les activités des services de renseignement avant et après les attentats » (mais surtout pas pendant !). Le rapport final, terminé en décembre 2002, ne sera rendu public qu’après plusieurs mois de classification et la censure de nombreux passages, dont plusieurs pages qui seraient consacrées à l’Arabie saoudite. Vingt mois plus tard, le sénateur Graham publiera un livre, Intelligence Matters, dans lequel il affirmera que la Commission avait établi la responsabilité de l’Arabie saoudite dans le financement des attentats et que cette information a été censurée pour protéger les liens privilégiés unissant les Bush et des Saoud [8]. En définitive, ce rapport et cette polémique n’éclaircissent rien du tout et préparent l’opinion publique à une action contre l’Arabie saoudite sans apporter le moindre élément pour la justifier, uniquement en suscitant des rumeurs.
Pendant ce temps, les relations entre la CIA et la Maison-Blanche ne cessèrent de se dégrader sur fond de mensonges justifiant la guerre contre l’Irak. Dans le cadre de l’affaire Valerie Plame, une agente dont l’identité avait été révélée à la presse par un collaborateur de George W. Bush, le patron de la CIA George Tenet assigne en justice le cabinet du président. En retour, la Maison-Blanche invite Tenet à « démissionner pour raisons personnelles ». Une courte période d’intérim est assurée par le directeur adjoint de l’Agence, John E. McLaughin, avant que Porter J. Goss ne soit nommé pour le remplacer.
Cette désignation est vivement critiquée au Congrès. On lui reproche d’avoir fait preuve d’esprit partisan lorsqu’il présidait la commission du renseignement à la Chambre des représentants. Il s’y montrait particulièrement désobligeant avec les parlementaires démocrates. On l’accuse aussi d’être un pantin dans les mains de Dick Cheney. Le Sénat confirme néanmoins sa nomination par 77 voix « pour » et 17 « contre », dont celles d’Edward Kennedy et d’Hillary Clinton. Il prête serment le 24 septembre 2004.
Porter J. Goss ne sera pas seulement le patron de la CIA, mais aussi le directeur général du renseignement. À ce titre, il chapeautera les quinze principales agences de renseignement et contrôlera un budget annuel de 30 milliards de dollars.
Le choix de M. Goss par le président Bush Jr doit s’interpréter en fonction de la conjoncture immédiate et des projets futurs. Le nouveau directeur du renseignement doit d’abord pacifier les relations entre l’Agence et la Maison-Blanche. Puis, il devra s’attaquer à une cible prioritaire pour laquelle il dispose des compétences requises, notamment linguistiques. Ainsi, Bill Clinton avait nommé George Tenet à la veille de la guerre contre la Yougoslavie parce qu’il parlait le Kosovar (ou plus exactement l’Albanais). Aussi, le cinéaste Michael Moore a provoqué l’hilarité et suscité une polémique en diffusant un entretien qu’il avait enregistré, il y a plusieurs mois, avec M. Goss. Il lui faisait dire que l’ennemi principal est Al Qaïda et qu’il faudrait donc aujourd’hui un directeur arabophone à la CIA. Porter J. Goss parle, lui, le Français et a travaillé en qualité d’agent opératif en France. Il ne manque jamais une occasion de dénoncer la politique étrangère de la France.
[1] « Quand l’état-major américain planifiait des attentats terroristes contre sa propre population », Voltaire, 5 novembre 2001.
[2] « Sobre un retrato del Che » par José Saramago, Voltaire, novembre 2003.
[3] « Stay-behind, les réseaux d’ingérence américains » par Thierry Meyssan, Voltaire, 20 août 2001.
[4] Pakistani president meets US congressmen, AFP, 28 août 2001.
[5] « India helped FBI trace ISI-terrorists link », The Times of India, 9 octobre 2001.
[6] « John Ashcroft dans le secret des dieux », Voltaire, 2 février 2004.
[7] « Madelin et Lellouche contre Chirac », Voltaire, 15 avril 2003.
[8] « Un nouveau livre contre l’Arabie saoudite », Voltaire, 7 septembre 2004.
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