Avocats signataires en mars 2013 d’un appel pour la paix en Syrie, nous avons répondu positivement à l’invitation qui s’en est suivie de la part notre confrère, le bâtonnier de Damas Skaif Nizar, et nous étions en Syrie du 6 au 13 octobre.

Nous ne sommes allés qu’à Damas, au centre-ville, avec une incursion dans un quartier qui venait de subir la chute d’une roquette (il semble) faisant 11 (voire 21) morts. Mais la veille de notre départ nous avons été témoins d’un attentat à quelques mètres de notre hôtel. Il y a donc des explosions de temps en temps. Les habitants de Damas luttent en continuant de vivre comme si de rien n’était, même si c’est difficile.

Nous avons rencontré des familles en deuil, des militaires, des blessés ; des écrivains, des journalistes ; des confrères (avocats) ; des associations et des hommes politiques indépendants du parti Baas, dont le vice-président nous a d’ailleurs reçus ; nous avons été reçus par le président du parlement, par le Premier ministre, par les ministres de la Justice et de l’Information. Unanimes tous déplorent la corruption de nos gouvernants, qui trahissent l’âme de la France. Ils distinguent toujours néanmoins entre la partie corrompue de notre classe politique et le reste de la population française. Ils disent et redisent que nombre de leurs agresseurs viennent d’Europe, et de France en particulier, et même de Suisse, et que ce qui leur arrive va nous arriver en retour.

La Syrie est depuis 1948 un pays en guerre avec son voisin israélien. Mais la situation actuelle a explosé d’abord à cause du facteur démographique : 60 % de la population a moins de 25 ans. La Syrie a cédé aux chant des sirènes d’un certain libéralisme, s’est rapprochée de l’Occident, décidant même d’adopter son modèle économique et institutionnel (multipartisme, élections, intégration des rouages institutionnels supra-étatiques régionaux et mondiaux). Aux récoltes locales, par exemple, ont été préférés les produits importés. À cela se sont ajoutées plusieurs années difficiles pour l’agriculture. Puis il y a eu la crise financière de 2008. Bref, cela s’est traduit par un accroissement de la pauvreté dans les campagnes, provoquant un exode rural imprévu, allié à une montée (entretenue) du mécontentement. Et le pire obscurantisme, instillé depuis les monarchies du Golfe, a pu s’implanter parmi les laissés-pour-compte des banlieues et des campagnes.

Quelques manifestations artificiellement organisées, des provocations habilement orchestrées (tirer, et sur la foule, et sur la police) ont suffit pour mettre le feu aux poudres. Les médias, Al-Jazeera en tête, n’avaient plus qu’à inonder les ondes de prédications enflammées, et les services, qu’à livrer armes et cadres, pour transformer la Syrie en un enfer. Sont alors entrés en Syrie, depuis la Turquie et la Jordanie, en flots incessants, aujourd’hui encore, de jeunes décervelés et des repris de justice auxquels on fournit, pour ici-bas, des drogues (des substances insensibilisantes à la douleur subie ou causée), des armes, la possibilité de tout détruire, de piller et de commettre les pires atrocités, et, pour l’au-delà, s’ils trouvent la mort, la promesse d’un jardin de délices.

C’est cette politique dont nos médias sont les complices, parfois complaisamment involontaire certes, comme lorsqu’ils sont conduits par les « rebelles » à visiter des villages syriens, toujours les mêmes, villages qui ne sont que le théâtre de mises en scènes dignes de Disney Land. Nos gouvernants sont d’autant mieux informés de ce drame qu’ils en sont les véritables commanditaires. Ils ont besoin de tenir les opinions publiques occidentales en laisse pour leur plan avoué et criminel de mise au pas par le chaos, commencé par la Yougoslavie, suivie de l’Irak, puis de l’Afghanistan, et de la Lybie. Ils avaient déjà prévu un sort semblable pour l’Iran, et l’on voit bien que ni la Russie (Tchétchénie), ni la Chine (Xinjiang, sans parler du Tibet, de la Corée du Nord, du Japon, des Philippines, etc.), ni même l’Inde ne sont plus à l’abri. L’Amérique latine, qui a subit, elle, ce sort, est en voie de révolte et d’organisation contre ce « désordre mondial ».

Cette guerre est une guerre mondiale. Sur les ruines d’un ordre juridique international fondé sur l’idée de partage du monde entre une pluralité d’États, souverains par définition, dont tous étaient en Europe, rien de viable ne s’est encore construit. La Guerre froide n’a été qu’un bras de fer entre deux mondialismes identiques en leur essence. L’hégémonie de l’un n’a pas apporté la paix mondiale. En Syrie se joue aujourd’hui la possibilité d’un nouvel ordre juridique international structuré par les relations entre plusieurs grandes puissances toutes également souveraines sur des régions délimitées du globe.

Il ne servait à rien de dénigrer les frontières et les guerres sur les champs de bataille, qui, pour horribles qu’elles étaient, avaient au moins le mérite de n’avoir lieu qu’entre militaires porteurs d’uniformes, si c’était pour les remplacer par des opérations criminelles dirigées aveuglément contre les populations civiles (femmes et enfants, vieillards, blessés, malades, captifs) et personnellement contre les souverains légitimes et légaux des pays qui résistent à l’idée d’une domination mondiale.

Notre responsabilité est donc maintenant de comprendre et d’informer.