Qu’est-ce-que les PsyOps ?

La CIA (division des Opérations secrètes) et le Pentagone (direction des Opérations et de Commandement des Forces spéciales) ont adapté les nouvelles technologies au combat. Ce qui a étendu la confrontation militaire à des environnements non-conventionnels (informationnel, psychologique, etc.), et a conduit à l’émergence de nouveaux modes d’action propres à ces environnements aussi bien qu’à la création de forces non-conventionnelles.

Les campagnes du XXIème siècle ont dépassé le stade où les soldats s’entretuent les uns les autres. En ce qui concerne les opérations d’information, il n’y a pas de destruction physique de l’adversaire, mais une recherche d’influence et de contrôle de son esprit. Les dommages causés par les PsyOps se reflètent par des changements au plan cognitif, mental. Les opérations d’information ne visent pas des individus, mais plus largement des populations dans des zones géographiques définies. Les plus élaborées des agressions informationnelles sont dites de « deuxième génération » : l’armée surveille longuement l’infrastructure d’information de l’État-cible pour le déstabiliser au bon moment et le bloquer. Même si l’État applique des mesures de protection psychologique, elles ne sont généralement inefficaces pour contrer ce type d’agression.

Les PsyOps comme instrument pour déclencher des bouleversements sociaux

Au cours de la manifestation contre Nicolae Ceaușescu ordonnée le 21 décembre 1989 par le Comité central et qui a précédé le coup d’État en Roumanie, des structures de l’armée roumaine spécialisées dans la guerre psychologique ont réussi à briser le rassemblement en induisant au sein de la foule un état d’agitation et de panique créé avec de puissants haut-parleurs. La sonorisation du meeting a été assurée par l’armée, avec 10 véhicules disposés de manière à ne pas être visibles, mais selon un certain angle pour que l’écho sur la place produise le son voulu. Ces véhicules de transport blindés et des camions de l’armée ont été équipés d’un matériel émettant un forte vibration à basse fréquence. La structure de l’armée roumaine à laquelle ils appartenaient a été appelée « Section technique PsyOps pour la propagande spéciale ».

Pendant ce temps, de plus en plus de microprocesseurs à faible coût ont fait avancer la technologie de l’information, en particulier dans ses applications telles que la télévision par câble, la téléphonie mobile et les réseaux Internet. Ce type de technologie a été accompagné par la mise en place et l’organisation de nombreux groupes, prétendument spontanés et festifs, dont les membres peuvent être dispersés dans des lieux différents.

Le phénomène lui-même s’est développé dans les pays occidentaux et a été nommé Smart Mobs (communauté intelligente). On a utilisé ces groupes pour réaliser des actions rapides et ponctuelles, les Flash Mobs (mobilisation éclair) ; une communauté intelligente peut ainsi se rassembler rapidement dans un lieu public pour y tenir une brève manifestation et se disperser tout aussi rapidement.

Internet, Twitter ou Facebook sont des canaux publics pour la transmission de données, rien de plus. Les publicitaires ont déjà acquis une expérience quant à l’utilisation de Twitter et de Facebook. Mais les armées ont également pris en compte la possibilité de brouiller et, pire, de tromper.

Mise en œuvre des PsyOps à la place de la Victoire ?

Certaines sources affirment que les manifestations en Roumanie en 2017 avaient été suscitées par les PsyOps nationales. Toute l’opération s’est effectuée via les réseaux sociaux et par contagion. Elle a réussi à rassembler plus de 600 000 Roumains dans dix grandes villes du pays.

La recette utilisée semble être la même que celle de la manifestation qui a rassemblé plus de 100 0000 personnes, le 21 août 1968, pour condamner l’invasion soviétique de la Tchécoslovaquie. La décision d’organiser une telle manifestation en opposition à Moscou avait besoin d’un soutien populaire. La Securitate avait alors utilisé les canaux existants, les radios et la télévision, pour préparer psychologiquement la population et s’assurer que le rassemblement aurait lieu sur la Place du Palais, devant le Comité central.

Le plus ironique dans les manifestations roumaines de 2017, c’est que sans mobile apparent, les riches s’y sont particulièrement engagés dans un pays qui compte plus de cinq millions de pauvres. Ils se sont exprimés pacifiquement, projetant des slogans avec des faisceaux laser sur les bâtiments, dans une atmosphère de carnaval. Un comportement qui contraste fortement avec celui d’une vraie révolution, au cours de laquelle le peuple est obligé de descendre dans la rue et de recourir à la violence parce que l’on ne répond pas à ses besoins de base (nourriture, vêtements, etc.).

Donc, à la différence des « Printemps arabes », les manifestations en Roumanie semblent avoir été prévues pour qu’il n’y ait pas d’ingérence extérieure, qu’elles restent sous contrôle et aboutissent à une finalité. En effet, elles sont probablement restées sous le contrôle permanent des structures PsyOps nationales.

Tout s’est passé, non pas comme si l’on voulait renverser les institutions, mais comme si l’on cherchait à mesurer la pénétration dans la population de structures PsyOps étrangères, russes en l’occurrence. Ces manifestations ont également permis de vérifier la capacité de mobilisation de la population si une situation comme celle de la Tchécoslovaquie en 1968 survenait.

Si cette hypothèse était confirmée, la seule question intéressante serait : le Parti social-démocrate (PSD) au pouvoir faisait-il partie ou non de cette opération ?

On remarquera la présence d’équipes de CNN, d’Al Jazeera, de CCTV (Télévision chinoise) et de la BBC, qui retransmettaient les manifestations en direct. Russia Today était également là, avec Nikolay Morozov qui avait justement rapporté les événements de décembre 1989. Nul doute que ces équipes ont eu à composer avec les spécialistes en PsyOps qui ont suivi et gardés pour eux les détails de l’opération.

Dans toute opération militaire, et donc dans toute PsyOps, on doit disposer d’une chaine de commandement. En analysant soigneusement les messages Twitter et Facebook, on a découvert des « nœuds de réseau », c’est-à-dire des états-majors impliqués dans l’opération. Ils sont formés aux méthodes de contrôle des foules pour créer une contagion entre des individus disparates.

Les spécialistes PsyOps disposent d’une photographie instantanée de la situation sur le terrain. De la sorte, les états-majors parviennent à localiser facilement les « relais d’opinion », c’est-à-dire les personnes qui influencent les autres. Ils choisissent alors de les informer du projet ou de les tenir dans l’ignorance de ce qui se passe. C’est ce qui explique que certains médias roumains ont évité de révéler des détails PsyOps ou les ont volontairement interprété à tort afin de camoufler leurs auteurs.

Les États-Unis ont créé en Roumanie la plus forte structure de PsyOps de l’Otan

Les institutions roumaines, ont-elles la capacité d’organiser quoi que ce soit ? En Roumanie, État-membre de l’Otan, situé sur sa frontière orientale, le Pentagone a créé la plus performante structure PsyOps de l’Alliance. Le Commandement des opérations spéciales (COS) des forces terrestres de l’armée roumaine comprend l’ensemble des structures capables d’exécuter toutes sortes de missions non-conventionnelles en Roumanie et à l’étranger. La direction des Actions psychologiques (PsyOps) est l’élément le plus important subordonné au COS et fonctionne au sein de la direction des Opérations de l’état-major général. Elle est composée du service d’Analyse d’objectifs et d’Évaluation du service de la Planification et de la Gestion des opérations psychologiques et du service de l’Influence psychologique de l’ennemi.

Un Centre pour les opérations psychologiques a été créé, avec les meilleurs professeurs en sociologie, des chercheurs en psychologie, des réalisateurs expérimentés de télévision, des experts en relations publiques, des instructeurs PsyOps états-uniens, etc. En Afghanistan, les militaires roumains, qui sont en fait des troupes d’occupation, ont imprimé et diffusé à l’intention des habitants le magazine Sada e Azadi (« La Voix de la Liberté »), tiré à 400 000 exemplaires, avec des articles en trois langues : anglais, dari et pachtoun. Ils ont également créé une station radio homonyme qui émet non-stop.

Les forces d’Opérations spéciales, une extension des PsyOps

Après la guerre du Vietnam, au cours de laquelle elle avait expérimenté les rudiments des PsyOps, l’armée états-unienne a créé en plus des quatre armes (Terre, Mer, Marine et Marines, c’est-à-dire infanterie de marine), un commandement des Opérations spéciales (US Special Operations Command). Connu sous l’appellation de « Bérets Verts », ses soldats sont organisés en cinq groupes affectés à chacun des cinq commandements continentaux (EuCom, CentCom, AfriCom, PacCom, SouthCom). Ils sont formés aux langues et aux coutumes des peuples de la zone à laquelle ils sont affectés.

Les PsyOps et les Opérations spéciales sont utilisées pour des coups d’État

Le guide Lutte non-violente en 50 points, élaboré par le colonel Robert Helvey, a servi de base à toutes les « révolutions colorées », notamment en ex-Union Soviétique. Robert Helvey a débuté sa carrière dans les PsyOps durant la guerre du Vietnam, puis est devenu l’assistant de Gene Sharp à l’Albert Einstein Institution. Dans son livre, il décrit les méthodes utilisées par les professionnels des manifestations afin de surmonter la peur et à subordonner les émotions des foules. Gene Sharp, le colonel Robert Helvey et le colonel Reuven Gal (directeur de l’Action psychologique au sein des Forces armées israéliennes) ont organisé ensemble de nombreuses tentatives, parfois couronnées de succès, de « renversement de régime ». Après la reprise par Hugo Chávez d’un article de Thierry Meyssan révélant ce système, l’Albert Einstein Institution a laissé la place au Centre for Applied Non Violence (Canvas) basé en Serbie et à l’Academy of Change, basée au Qatar [1].

Les forces d’Opérations spéciales exécutent des missions considérées comme « antiterroristes » par l’État dont elles dépendent. Mais parfois, la situation exige que le commandement militaire adopte un dispositif de défense pour, après un court laps de temps, créer les conditions pour passer à l’offensive. De fait, un service secret d’un État peut réaliser un « changement de régime » dans un pays étranger, c’est-à-dire… une opération terroriste.

Le 7 avril 2009, Chisinau (Moldavie) a été confronté à une tentative de coup d’État qui a entraîné la chute du gouvernement communiste, initié des élections anticipées et a installé une gouvernance pro-occidentale. Les forces de l’ordre ont eu recours à la violence, à la fois pour délégitimer les organisateurs externes du coup d’État et les exécutants internes de celui-ci. Il fallait à tout prix qu’il y ait des destructions et des victimes pour pousser la police anti-émeute à riposter.

Le 22 février 2017, Sergeï Choïgou révèle à la Douma l’ampleur du nouveau service d’Opérations psycholgiques des armées russes.

Conclusion

Si cette hypothèse se confirme, quel danger imminent déterminerait les institutions roumaines à recourir aux PsyOps à Victoria Square ? Pour la Roumanie, le voisinage de la Russie est sensé représenter le plus grand risque. Si, après l’effondrement de l’Union Soviétique, les PsyOps pouvaient être insignifiants, après Euromaïdan de Kiev en 2014 leur importance a augmenté de façon exponentielle. Auditionné par la Douma, le 21 février 2017, le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, a reconnu avoir multiplié plusieurs fois le nombre de structures spécialisées dans la conduite des opérations d’information. Celles-ci ont maintenant un caractère offensif d’après les modèles PsyOps existant dans l’armée états-unienne. Ces structures sont plus efficaces et plus puissantes que les anciennes structures responsables de la contre-propagande.

Le fonctionnement des nouvelles structures russes PsyOps a été testé pendant les exercices militaires Kavkaz-2016, tenus du 5 au 10 septembre 2016. Un rôle important dans ces exercices a été celui de la direction des Opérations de l’état-major général des structures PsyOps, des Spetsnaz et des unités de lutte cybernétique et radio-électronique. L’armée russe a plusieurs groupes PsyOps répartis en quatre commandements stratégiques (Ouest, Sud, Centre et Est). Ces groupes ont des divisions spécialisées pour tous les pays du voisinage proche ou lointain de la Russie.

Les structures PsyOps coopèrent avec sept brigades des Forces des opérations spéciales (Spetsnaz), les deux structures étant subordonnées au GRU. En intégrant aux PsyOps les technologies modernes disponibles dans l’armée russe, Moscou serait désormais capable lui aussi d’exécuter à l’échelle mondiale des opérations de quatrième génération pour détruire, éreinter et paralyser la totalité du pouvoir d’un État ennemi.

En Crimée et dans le Donbass, la Russie a eu recours à la guerre hybride ; un type de conflit militaire conçu dans ses laboratoires de stratégie militaire. La guerre hybride passe souvent par des intermédiaires, c’est-à-dire l’utilisation de militaires en civil ou sans insignes, officiellement non-reconnus, qui sont camouflés en acteurs non-étatiques, tels que les « petits hommes verts ». La composante militaire est utilisée tant qu’il est nécessaire de suggérer une invasion.

Selon le général Philip Breedlove, ancien commandant suprême de l’Otan, la Russie est en mesure de créer partout des zones d’exclusion aérienne, imperméable à tous les moyens de l’Otan (Anti-Access/Area Denial — A2/AD bubble). Le système automatisé russe C4I (commandement, contrôle, communications, informatique, renseignement et interopérabilité) est une des composantes des équipements de guerre cybernétique de type ELINT (Electronic Intelligence).

Le matériel Borisoglebsk-2 connecté à des satellites russes, scanne et enregistre le trafic des informations (tous les canaux) des institutions de la sécurité nationale d’un État. Cet équipement utilise des leurres électronique pour supprimer le trafic ou le saturer avec de fausses informations. Un autre équipement de guerre électronique, le Krasukha-4, brouille tous les radars terrestres, navals, aériens, satellites militaires et civils (y compris ceux qui assurant la transmission des communications ou la transmission de chaînes de télévision).

L’élément essentiel de la guerre hybride est le fait qu’elle commence par identifier les faiblesses et les vulnérabilités de l’ennemi chez lui pour les exploiter en créant des réalités alternatives, diffusées par la télévision, Internet et surtout par le biais des réseaux sociaux. Cette guerre hybride peut être une extension du système militaire au système social, économique et politique de l’État-cible, en lui inoculant une perception prédéfinie reflétant la vision russe de l’évolution des événements et des faits. Le premier résultat est l’affaiblissement de la volonté et du soutien de la population, des institutions ou des chefs de l’État cible.

Après avoir créé les conditions du bouleversement du système social et paralysé la possibilité de communiquer entre eux et les institutions de sécurité nationale, la Russie peut procéder aux PsyOps : sous forme de déclenchement de manifestations pacifiques —comme celles de Bucarest en 2017— ou de manifestations violentes impliquant les forces spéciales (Spetsnaz) —sur le modèle des « printemps arabe »— quand l’objectif est de renverser un gouvernement pro-occidental et d’en installer un pro-russe.

La Russie affirme qu’elle est désormais prête à déclencher des opérations psychologiques (PsyOps) à l’étranger. Et que les PsyOps, en tant qu’outil pour changer les sphères d’influence sans invasion militaire, ne sont plus le monopole des États-Unis.

Traduction
Avic
Réseau International

[1« L’Albert Einstein Institution : la non-violence version CIA », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 4 juin 2007.