Le juge n’a pas adopté une attitude unanime face aux sectes : plusieurs juridictions administratives ont accordé le statut cultuel à des associations sectaires. Même si elles ont fait l’objet d’appel et ne sont donc pas pour le moment définitives, ces décisions constituent un premier pas vers une reconnaissance du caractère religieux des mouvements sectaires.

Plusieurs sectes ont déféré au juge administratif le refus opposé à leur demande de bénéficier des avantages liés au statut d’association cultuelle. La plupart des recours portent sur le contentieux fiscal, et notamment sur l’exonération de taxe foncière pour laquelle les associations de Témoins de Jéhovah ont décidé d’engager une bataille juridique de grande envergure, en incitant leurs associations locales à contester devant le juge administratif les décisions d’assujettissement à la taxe foncière dont elles font l’objet. Il s’agit d’un contentieux important : le montant global de la taxe foncière afférente aux " édifices cultuels " dont les associations locales sont propriétaires est estimé à plus de 10 millions de francs par an. Au 1er mars 1999, ces associations avaient présenté 1.577 réclamations puis 1.133 requêtes introductives d’instance devant les tribunaux administratifs.

Jusqu’à présent, le Conseil d’Etat s’est toujours refusé à reconnaître aux associations de Témoins de Jéhovah le caractère d’association cultuelle. Dans un arrêt d’assemblée daté du 1er février 1985, la Haute juridiction a confirmé le refus opposé par l’administration à l’acceptation d’un legs de 775.000 francs consenti par testament à l’Association chrétienne " les Témoins de Jéhovah de France ". Dans cette décision, le juge a lié la reconnaissance du statut d’association cultuelle à un examen de l’objet et de la nature des activités de l’association, telles qu’elles ressortent de ses statuts. En l’espèce, deux agissements estimés attentatoires à l’ordre public, à savoir l’incitation à ne pas effectuer de service militaire armé et l’hostilité de principe à toute transfusion sanguine, ont pu être considérés comme faisant partie intégrante du culte des Témoins de Jéhovah, et de nature à justifier le refus du statut d’association cultuelle. Le Conseil d’Etat a estimé que " les activités menées par l’Association chrétienne " les Témoins de Jéhovah de France " sur la base des stipulations de ses statuts en vigueur à la date du décret attaqué ne confèrent pas dans leur ensemble, en raison de l’objet ou de la nature de certaines d’entre elles, le caractère d’une association cultuelle au sens de la loi du 9 décembre 1905 ".

Pour sa part, la Commission estime qu’au-delà des agissements dont fait état la Haute juridiction, ce qui pose fondamentalement problème concernant les Témoins de Jéhovah c’est leur conception diabolisante de la société actuelle et la coupure progressive qu’ils organisent entre celle-ci et leurs adeptes.

La décision de 1985 complétait une jurisprudence antérieure. Elle venait en effet préciser les critères jurisprudentiels de la notion d’association cultuelle, définis par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 21 janvier 1983 " Association Fraternité des serviteurs du monde nouveau ". En 1983, la Haute juridiction s’était contentée de vérifier si l’association requérante avait bien pour objet exclusif l’exercice d’un culte. En l’espèce, l’existence d’activités statutaires extérieures à cet objet, et notamment l’édition et la diffusion de publications doctrinales, étaient, aux yeux du juge, de nature à justifier le refus du statut d’association cultuelle.

L’Association chrétienne " les Témoins de Jéhovah de France ", pour pouvoir bénéficier du legs qui lui était consenti par testament, avait modifié ses statuts, afin d’en extraire toute stipulation extérieure à l’exercice d’un culte, et notamment toutes les dispositions relatives à ses activités d’imprimerie. Le Conseil d’Etat a cependant estimé que cette mise en conformité ne changeait pas la réalité des activités des Témoins de Jéhovah. Dans l’arrêt précité du 1er février 1985, la Haute juridiction, suivant les conclusions du commissaire du Gouvernement, ne s’est pas arrêtée à la forme juridique qu’a voulu se donner l’association requérante en mettant ses statuts en conformité avec la loi de 1905, mais s’est appliquée à examiner la nature de ses activités.

Le Conseil d’Etat vient de réaffirmer sa position dans un avis rendu le 24 octobre 1997 dans lequel il rappelle que le respect du caractère exclusivement cultuel " est apprécié au regard des stipulations statutaires de l’association et de ses activités réelles " et qu’" une association dont les activités pourraient porter atteinte à l’ordre public ne peut bénéficier du statut d’association cultuelle ".

Bien qu’elle ait été récemment réaffirmée, la motivation retenue par le Conseil d’Etat n’a pas reçu une application uniforme sur le territoire. Sur les 1.133 requêtes introduites, le juge de première instance a d’ores et déjà prononcé 305 jugements, dont 248, soit 80 % , ont reconnu la qualité d’association cultuelle et, par suite, ordonné la décharge de la taxe foncière. En revanche, 52 jugements rendus par les tribunaux administratifs de Nancy et de Clermont-Ferrand ont maintenu l’imposition contestée. Le juge de Clermont-Ferrand a par exemple suivi le Conseil d’Etat dans un jugement du 16 décembre 1997, et a refusé le caractère d’association cultuelle à l’Association locale pour le culte des Témoins de Jéhovah de Riom en considérant " qu’il est de notoriété publique que les Témoins de Jéhovah refusent les transfusions sanguines et l’accomplissement du service national ".

La Direction générale des impôts a systématiquement interjeté appel des décisions favorables aux associations de Témoins de Jéhovah. Le juge d’appel a ainsi été saisi de 210 requêtes non encore examinées. Il faudra par conséquent attendre les décisions futures des cours administratives d’appel puis, le cas échéant, du Conseil d’Etat.

Si, à l’issue de ce contentieux, la jurisprudence administrative devait être inversée et aboutir à une reconnaissance de la qualité cultuelle des associations sectaires, la Commission considère qu’il conviendrait de réexaminer les textes. Une telle reconnaissance entraînerait le bénéfice d’avantages financiers et fiscaux dérogatoires au droit commun des associations et, surtout, donnerait aux mouvements sectaires la reconnaissance religieuse qu’ils revendiquent. Elle ouvrirait la voie à des abus particulièrement dommageables. Il suffirait en effet à toute association, quelle que soit la nature de ses activités, de se doter d’un caractère religieux en donnant à ses statuts un objet exclusivement cultuel, pour que lui soient attribués le bénéfice de la loi de 1905 et la reconnaissance implicite qui lui est liée.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr