Persécuter les démunis, s’en prendre à ceux qui ont faim et n’ont pas de toit est l’un des pires crimes que l’on puisse commettre. C’est également un bon résumé du parcours de l’ancien maire de New York, Rudolph Giuliani, qui est parvenu à facturer des millions de dollars aux gouvernements sud-américains pour accomplir ces tâches.

Ainsi l’ancien maire, qui sans pudeur se décrit lui-même comme un grand leader aux réalisations « formidables », a tiré d’énormes revenus de la ville pour son propre compte et celui d’autres multimillionnaires au détriment des services sociaux.

Giuliani incarne, au même titre que Bush, Cheney ainsi que d’autres politiques états-uniens, les grandes anti-valeurs du capitalisme. Comme eux il s’est fait connaître grâce à sa duplicité morale dans laquelle coexistent un ridicule puritanisme et la transgression ouverte de ces normes dans sa vie personnelle. Giuliani se distingue particulièrement en tant que persécuteur des marginaux, avocat de l’intolérance vis-à-vis des citoyens moyens et de l’impunité pour lui-même, au point de se hisser au-dessus de la législation des États-Unis et des autres pays qu’il a « conseillés ».

Le terrorisme de Giuliani

Rudy Giuliani recevant
une caresse de
George W. Bush

Homme politique républicain, Giuliani est l’un des principaux propagandistes pour la réélection de Bush ; voici quelques mois on le mentionnait comme possible remplaçant de Cheney pour la candidature républicaine à la vice-présidence, étant donnée la mauvaise image de ce dernier en raison de ses interventions dans des marchés multimillionnaires frauduleux, auxquelles Giuliani n’applique pas sa consigne de « zéro tolérance ».

Sur la page Internet de propagande pour la réélection de Bush (www.georgewbush.com) on peut lire la déclaration suivante de Giuliani : « Le 11 septembre marque le point d’orgue de notre temps. C’est une expérience partagée qui a uni le peuple américain. La guerre déclarée par les terroristes le 11 septembre se poursuit aujourd’hui. Le président Bush a exercé une gouvernance proportionnée, solide et basée sur des principes face à la pire attaque que nous ayons enduré au cours de notre histoire. À ce jour, son leadership est central dans son parcours et la continuation de celui-ci s’avère décisive pour notre succès contre le terrorisme mondial ».

Rappelons-nous qu’un mois après les attentats contre les Tours jumelles, Giuliani se prononçait devant l’Assemblée générale de l’ONU en faveur de la guerre contre les pays « qui cautionnent le terrorisme » et insistait sur le fait qu’ « il n’y a plus de place pour la neutralité » dans le monde. Et d’ajouter : « (...) je leur demande qu’ils s’en remettent à leur cœur et qu’ils reconnaissent qu’il n’y a plus de place pour la neutralité sur les questions de terrorisme. On est pour la civilisation ou pour les terroristes. »

Paradoxalement, Giuliani est un personnage admiré des groupes terroristes de sensibilité anticastriste comme Alpha 66 (www.alpha66.org), qui s’est allègrement référé à la sentence de Giuliani sur Fidel Castro le décriant comme « un être humain infâme et terrible », adjectifs s’appliquant à merveille à Giuliani lui-même.

Prélude raciste en Haïti

Avocat de profession, en 1982, Rudolph Giuliani était assistant du procureur général et en tant que tel affirmait être convaincu qu’en Haïti, à l’époque de Jean-Claude Duvalier, « il n’y avait pas de répression politique ».

Il témoignait donc, en avril de cette année-là, lors d’une audience judiciaire pour la libération de 2100 réfugiés en provenance de ce pays, qui étaient retenus dans un camp de détention du gouvernement états-unien. En cette occasion, Giuliani affirma que la répression en Haïti « n’exist[ait] tout simplement pas en ce moment » et que les réfugiés n’avaient rien à craindre du gouvernement « amical » de Duvalier.

Giuliani déclara en être arrivé à cette conclusion après que Duvalier l’avait assuré personnellement que les Haïtiens réfugiés aux États-Unis et regagnant leur pays ne seraient pas poursuivis.

Ce fut l’un des épisodes les plus largement commentés de la carrière raciste de Giuliani, présageant la répression qu’il mènerait plusieurs années plus tard, comme maire de New York, contre les immigrants noirs.

Au début des années 80, Giuliani se distingua en tant qu’ennemi des réfugiés haïtiens qui, voulant fuir leur pays, avaient été capturés par la marine états-unienne et parqués en camp de détention dans des conditions « horribles ». Nombre d’entre eux avaient été torturés par le régime de Duvalier et fuyaient pour sauver leur vie.

Rudy Giuliani avec
Bush père

Giuliani défendit cette politique tant devant les tribunaux que dans les médias et se positionna en défenseur du rapatriement des réfugiés, feignant pour cela d’ignorer la douzaine d’enquêtes journalistiques qui documentaient la répression politique en Haïti.

Dans une véritable veine fanatique, Giuliani défendait à cette époque l’autorité de Duvalier et militait sans relâche pour la déportation des réfugiés. [1].

La « tolérance zéro » et ses conséquences

Né à Brooklyn de parents immigrés italiens, Giuliani fut maire de New York pour deux mandats consécutifs, de 1993 à 2001.

Pour justifier sa répression contre les plus pauvres, Giuliani s’en remet à la théorie dite de « la vitre cassée » initiée par James Q. Wilson et George Kelling, qui insistait sur le fait que tous les signes d’atteinte à l’ordre de la société doivent être réprimés, y compris le bris d’une fenêtre.

Lorsque Giuliani s’en saisit, cette idée se transforma pour devenir celle de la « tolérance zéro », stratégie qui selon certains a conduit à une réduction drastique de la criminalité à New York, alors que pour d’autres, cette diminution n’était que l’effet prévisible des conditions économiques. Il est cependant indéniable que Giuliani a utilisé ce concept pour lancer une guerre contre les marginaux et pour le bénéfice de puissants intérêts financiers.

Noah Friedsky (auteur de « El juego de Giuliani dans la ville de Mexico », Narconews, 11 septembre 2003.) résumait le bilan social de ladite « zéro tolérance » : jeunes de couleur régulièrement pourchassés et persécutés pour avoir osé marcher dans la rue, prisons surpeuplées de « drogués » non agressifs et laissant des familles sans père, mères de famille abandonnées par un système de sécurité sociale atrophié alors que croissent les budgets de la police, indigents accusés et condamnés abusivement, tandis que Giuliani livrait une lutte sans merci à leurs défenseurs professionnels.

C’est seulement après que Giuliani eut quitté la mairie, poursuit Friedsky, que ces effectifs commencèrent à apparaître dans les registres, alors que les prisonniers prouvaient leur innocence grâce à des empreintes ADN après avoir passé une décennie en prison et qu’une culture du pouvoir politique et d’immunité ait pris forme au travers d’actions historiques de brutalité policière comme la torture d’Abner Louima.

Louima, immigrant en provenance de Haïti, fut arrêté en 1997, roué de coups et sodomisé dans un poste de police de Brooklyn. De la même façon Amadou Diallo, un autre immigrant, fut assassiné à l’arme à feu par des agents de police en 1999 alors qu’il n’était pas armé, ces derniers croyant à tort qu’il portait une arme. Patrick Dorismond, gardien de sécurité afro-américain, fut pareillement assassiné par la police en 2000, suite à un malentendu lors d’une vente de drogue.

Dans les cas tels que ceux de Louima et Diallo, la réaction de Giuliani fut de dissimuler ces abus, donnant une nette impression de réticence à faire des déclarations ou prendre des mesures pouvant porter préjudice aux responsables de la police. Quand la Commission des droits civils des États-Unis mena une enquête sur le tabassage de Louima, le maire témoigna du fait que le département de la police était « sérieux, professionnel et responsable dans son usage de la force ». Pourtant le procureur général de l’État arriva à la conclusion que la majorité des affaires prises en charge par la police relevaient de critères personnels de l’agent et impliquaient un grand nombre de personnes de couleur ou hispaniques qui n’étaient compromis dans aucun crime. Concrètement, Giuliani s’efforça de valider dans les faits ses tendances racistes, non seulement sur le plan politique mais aussi dans des domaines comme l’éducation et les autres services publics.

D’après le New York Post du 23 septembre 1999, le président du système universitaire municipal Herman Badillo avait déclaré que les étudiants d’origine mexicaine et dominicaine « n’ont pas dans leur culture d’héritage éducatif », qu’ils occupent simplement de la place dans les rangs des écoles sans rien apprendre car ils sont dépourvus d’antécédents éducatifs, parce qu’« ils viennent de la campagne et de la montagne et, dans le cas des Mexicains, sont tous indiens. ».

Faisant étalage de toute sa propre ignorance, le collaborateur de Giuliani et prétendant à la candidature républicaine pour la mairie déclarait en outre que les Mexicains étaient en majorité d’origine maya et « inca » ; ils ne reconnaissaient ainsi pas le Barrio (à l’est de Harlem) car en lieu et place de Portoricains, beaucoup de secteurs de cette banlieue new-yorkaise étaient « pleins de Mexicains ».

En 1998, des fonctionnaires municipaux firent obstacle à la pose d’affiches s’indignant de la mort des jeunes Nicholas Heyward Jr., Anthony Baez et Kevin Cedeno, assassinés de sang froid par la police new-yorkaise. Quatre ans plus tôt, Anthony Baez avait été étranglé par le policier Francis Livoti après qu’un ballon de football soit tombé par hasard sur la patrouille.
Selon les défenseurs des droits de l’homme, de 1994 à 1996 la police de NewYork a tué 75 personnes (en les frappant dans le dos, à la tête, face contre terre ; en les asphyxiant ; en leur liant pieds et mains dans le dos avant de les piétiner ; en les frappant à mort, etc. Pour tous ces faits seuls trois policiers furent reconnus coupables et aucun pour homicide. [2]

L’un des aspects les plus critiqués de la gestion de Giuliani fut sa lutte contre les sans-abri. Selon une constante dans sa carrière, le sinistre personnage s’acharna à persécuter ce groupe de personnes marginalisées, y compris en s’opposant à des décisions de justice.

Giuliani décréta que les « sans-toit » ne pourraient plus trouver refuge gratuitement et exigea que les demandeurs d’abri fassent l’objet d’une évaluation obligatoire pour trouver du travail. En fait, dans son livre Leadership, Giuliani se vante du fait que sa réforme du système d’assistance sociale ait occasionné une réduction du budget pour les aides sociales d’environ 60% et que la municipalité s’était efforcée de « faire des révisions et examens afin d’éviter toute fraude », comme si l’aide accordée à un mendiant pouvait être comparée aux sommes englouties par Giuliani et ses compères tout au long de leur vie.

« Les mesures proposées s’accompagnaient de sanctions sévères qui soulevèrent une forte indignation. Ceux qui ne se pliaient pas à cette procédure n’obtenaient pas de logement et, lorsqu’ils étaient chef de famille (dans la plupart des cas il s’agissait de mères isolées), on leur retirait leurs enfants qui étaient ensuite recueillis par des familles. Par exemple, lorsqu’un sans-abri logé dans un foyer de la ville arrivait à son travail avec une heure de retard, il était expulsé du foyer pendant 90 jours à la première faute, 150 jours à la seconde et 180 à la troisième. » [3].

Rudy Giuliani avec
Nancy Reagan

Faisant preuve d’un cynisme sans égal, le maire et ses conseillers arguaient que la nouvelle administration profiterait aux sans-abri dans le cadre d’une stratégie plus large visant à « en finir avec une culture de la dépendance et à la remplacer par la motivation, l’indépendance et la diligence », qu’ils aidaient les New-yorkais sans abri à « trouver un foyer permanent dans le marché privé ». En revanche, les défenseurs des sans-abri soulignaient l’incapacité du maire à comprendre les besoins de ces personnes, qui pour beaucoup ont des problèmes psychologiques.

Après qu’un tribunal eût annulé le projet de Giuliani, celui-ci chercha un autre moyen de raviver la guerre contre les « sans-toit » et trouva pour cela un prétexte conforme à sa personnalité : l’agression subie par une secrétaire âgée de 27 ans, Nicole Barrett, lorsqu’un homme l’avait approchée, frappée à la tête avec un pavé avant de disparaître. Bien que Barrett se soit complètement rétablie de ses blessures, considérées en principe comme très graves et laissant des séquelles irréparables, la nature de l’agression, commise en plein jour au beau milieu de Manhattan, inspira la peur à beaucoup de gens.

« Malgré l’absence de la moindre information sur l’agresseur, on considéra comme acquis qu’il s’agissait d’un sans-abri, probablement atteint de déficience mentale (il s’avéra plus tard qu’il s’agissait d’un délinquant avec des antécédents, dont le profil n’était pas tout à fait représentatif de la population des sans-abri de la ville). À peine trois jours après l’agression, le maire déclara que les sans-abri n’avaient pas le droit de dormir dans la rue. " Dans les sociétés civilisées les rues ne sont pas faites pour dormir... Ce sont les habitations qui sont faites pour cela. " . Sans perdre de temps, le jour suivant son chef de la police annonçait que toute personne trouvée en train de dormir dans la rue serait arrêtée en cas de refus d’intégrer un foyer. ».

Par cette véritable croisade contre la charité et la solidarité, Giuliani s’est attiré l’opposition de beaucoup d’Églises de New York, y compris de l’Église presbytérienne de la Cinquième avenue, qui indiqua au maire qu’elle n’accepterait pas volontiers que la police arrête ceux qui dormaient sur les marches des églises.

S’il s’est déclaré catholique, Giuliani n’est pas moins partisan de la dépénalisation de l’avortement, si bien que ses positions doctrinaires ne semblent être pour lui que de simples instruments dans ses stratégies trompeuses pour gagner de l’argent ou du pouvoir. Ainsi, pendant la campagne de 2000 pour le siège de sénateur de l’État de New York contre Hillary Clinton, Giuliani voulait se montrer sous un jour fondamentaliste, calomniant Hillary en l’accusant d’« hostilité envers les traditions religieuses du pays ». Par ailleurs Giuliani critiquait les « juges libéraux » qui avaient interdit l’affichage du texte des Dix commandements dans les écoles.

Le même Giuliani ne laisse pas planer le moindre doute, dans son livre Leardership, sur le fait que sa religion n’est autre que celle de l’argent, mais au sujet de l’identité des États-Unis il écrit : « (...) nous sommes une religion. Une religion laïque (...) Nous sommes unis par notre foi en la démocratie, la liberté religieuse, le capitalisme, une économie libre où tout le monde peut choisir son moyen de gagner de l’argent (...) ».

Ennemi objectif de la culture, comme certains dirigeants nazis et dirigeants d’entreprises, Giuliani entra en conflit en 1993 contre les peintres ambulants lorsqu’il voulut leur prélever des impôts en prétextant que, comme les laveurs de pare-brises, ils représentaient un « danger » pour les New-yorkais.

À titre d’exemple précis, il engagea une bataille personnelle contre le peintre Robert Lederman, « Parce que si c’est une chose de qualifier quelqu’un d’imbécile, c’en est une autre de le comparer à Adolph Hitler. », martela l’édile en octobre 1998 dans des déclarations recueillies par le New York Daily News, en réaction au fait que Lederman ait peint un nombre important de toiles représentant Giuliani comme le dictateur nazi, Mussolini ou comme militant du Ku Klux Klan [4].

La « force » d’un leadership

Dans son livre Leardership, Giuliani fait l’apologie de ce qu’il appelle « la force de mon leadership » tout en exaltant ses accomplissements et ses racines.

Une mère sait guider ses enfants vers les valeurs qui pour elle résument le sens de la vie. Bien entendu, celle de Giuliani lui inculqua la discipline, le sens de l’autorité et du succès, sans considération pour l’honnêteté, la bonté, la justice ou le respect d’autrui.

Pour cette raison, Giuliani indique dans le livre en question que « chaque matin, à huit heures précises, je rendais ma mère très heureuse. Pendant toute mon enfance je m’attelai à l’obligation de terminer mes devoirs avant de sortir pour jouer (...) C’est pourquoi, depuis 1981, j’ai débuté chaque matinée avec une réunion entouré de mes collaborateurs les plus proches (...) Je considère cela comme la pierre angulaire du fonctionnement efficace de tout système (...) ».

Qu’un tel système soit efficace ou non, les « succès » obtenus grâce à lui par Giuliani n’en restent pas moins lamentables. Dans de telles réunions, guidées par les principes de « donner la priorité à ce qui est prioritaire » et de « se hâter de maîtriser la situation », on acceptait comme quelque chose de normal les « rivalités et querelles de pouvoir qui sont le signe d’une saine compétition » ; c’est dans le même esprit que plus tard on prépara collectivement les subterfuges avec lesquels Giuliani imposa aux New-yorkais des décisions comme celle de refuser les permis pour ouvrir des clubs de strip-tease ou de mettre en prison les laveurs de pare-brises qui, poussés par la misère, s’en remettent à cette activité peu lucrative.

Il n’est pas inutile de reproduire plus au-delà les propos de Giuliani lui-même, et non pas ceux de ses ennemis, sur la manière dont il a obtenu ce qu’il considère comme l’une de ses premières « victoires » : « (...) survint l’idée de s’occuper en premier lieu le problème des laveurs de pare-brises. À cette époque-là, des hommes s’approchaient d’une voiture stationnant à un feu ou dans le trafic, recouvraient d’eau le pare-brise et le lavaient avec un chiffon sale (...) Après le "nettoyage" non sollicité, l’homme s’approchait du conducteur et lui " demandait " sa rémunération avec divers degrés de menace. S’il refusait, les laveurs de pare-brises crachaient sur le pare-brise ou donnaient des coups de pied dans la voiture ».

S’en prendre à cette forme d’intimidation avant toute chose était très tentant, car ces hommes avaient pour habitude d’être très actifs à proximité des ponts et tunnels. C’était l’une des premières et dernières impressions ressenties par les visiteurs à New York, une image qui n’inspirait pas beaucoup de confiance.

« Je me doutais bien qu’expulser ces individus était relativement facile et produirait un effet immédiat et quantifiable. J’appelai le délégué de la police Bill Bratton [5] et Denny Young... Bratton, avec qui je partageais l’avis qu’il faut aborder les délits mineurs comme une manière d’établir un comportement civilisé et respectueux de la loi, en plus d’un sentiment de sécurité, revint après quelques jours et m’annonça que le département de police affirmait qu’il était impossible de se défaire des laveurs de pare-brises. Il voulait le faire, mais on lui avait expliqué que tant qu’ils ne menaçaient pas physiquement les conducteurs ou n’ " exigeaient " pas d’argent, nous n’avions pas de fondement légal pour les expulser ou les placer en détention contre leur gré. ».

Dans les paragraphes suivants, Giuliani met encore davantage en évidence l’inanité de ses généralisations sur le supposé comportement violent et fait étalage de son propre manque de responsabilité et d’éthique. On y lit : « Je lui dit (à Bratton) qu’il avait oublié le fait qu’ils demandent de l’argent ou pas. Lorsqu’ils descendaient du trottoir et traversaient la chaussée, ils avaient déjà violé la loi. On pouvait immédiatement tous les verbaliser. Après les avoir verbalisé, il était possible de se renseigner sur leur identité, s’ils étaient récidivistes, etc. ».

Faisant usage de ce procédé pernicieux, Giuliani et Bratton persécutèrent les laveurs de pare-brises : « (...) Nous commençâmes à convoquer ces types au tribunal et découvrîmes que certains étaient déjà recherchés pour délits violents et atteintes à la propriété d’autrui. En l’espace d’un mois, nous avions réduit le problème de manière drastique. Les choses s’étaient visiblement améliorées. Cela plut aux New-yorkais ainsi qu’aux visiteurs, qui apportaient de l’argent à la ville et procuraient du travail à ses habitants. Ce fut cela notre premier succès. ».

Comme il apparaît clairement dans les paragraphes cités plus haut, le pape de la « tolérance zéro », persécuteur des mendiants et des laveurs de pare-brises est également un fonctionnaire menteur et manipulateur si l’on peut considérer ces fautes comme « mineures ». On peut également comprendre qu’il ne gouverne que pour les gens qui ont de l’argent.

Ainsi son deuxième « succès », abondamment narré dans son livre, fut une réduction d’impôts en faveur des hôteliers, pour « stimuler les affaires » et aller toujours plus loin dans la persécution des pauvres et la protection des riches.

Ce type d’épisode abonde dans le Leadership de Giuliani, et l’ancien maire s’en vante en toutes occasions, de même que sa prétendue capacité de réponse devant les attentats du 11 septembre. Mais la lecture de son livre suggère la conclusion qu’en réalité, si l’on met de côté les autocongratulations si caractéristiques de Giuliani, il ne fit pas plus que ce qu’il lui incombait de faire en tant qu’autorité suprême de la ville. Dans ce même récit, ce que met le plus en avant Giuliani, dont l’une des premières préoccupations fut d’appeler sa maîtresse, c’est le fait qu’il n’ait pas perdu le contrôle de ses émotions, accomplissant des gestes dictés par le sens commun, comme par exemple appeler les pompiers et la garde nationale.

Y compris dans ces aspects, le mandat de Giuliani a suscité des polémiques, car les familles des pompiers morts durant les attaques des Tours jumelles l’ont accusé de ne pas avoir satisfait à leurs demandes d’être équipés avec du nouveau matériel de radiocommunication, certainement parce le maire d’alors n’y trouvait aucun avantage personnel ou économique.

Néanmoins, pour ce qui est de son avantage personnel, il avait prononcé le 16 septembre 2001 un discours émouvant, lors de la cérémonie de promotion de la caserne de pompiers, dans lequel, se référant aux volontaires tombés quelques jours plus tôt, il disait qu’ils avaient donné « leur vie et leur amour à cette caserne », évoquait « nos cœurs déchirés (...) qui pourtant continuent de battre avec force (sic) », ainsi que son neveu qui avait eu un accident lorsqu’il était pompier et qui, selon ses dires lui « brisait le cœur » lorsqu’il pensait aux pompiers morts. Ce sont typiquement des larmes de marchand, le faux sentimentalisme d’un véritable misérable.

Au Mexique

En 2003, Giuliani Partners LLC fut engagé par un groupement d’entreprises dirigé par Carlos Slim, l’homme le plus riche de Mexico, pour la somme de 4 300 000 dollars, afin de combattre la délinquance dans la capitale.

Quelques mois plus tôt, le 14 octobre 2002, le syndicat patronal mexicain, la Coparmex, déclara par la voix de José Antonio Ortega, président de son Conseil citoyen sur l’insécurité publique, que les conseils de l’ancien maire de New York Rudolph Giuliani « aideraient à rétablir l’application de la loi dans la ville de Mexico ».

Ortega a milité pour des organismes publics et secrets de l’extrême droite mexicaine. Il figure parmi les meneurs d’une campagne qui vise à promouvoir dans le pays la lutte contre l’ « insécurité » selon des critères patronaux.

Selon l’enquêteur mexicain José Martinez, auteur de plusieurs livres sur des figures politiques nationales, l’histoire avait en réalité commencé en 2001, quand Carlos Slim fit don d’importantes sommes pour aider New York. Environ un an plus tard, « compte tenu de la brève liste des futurs espoirs présidentiels républicains, Carlos Slim lui offrit 4,3 millions de dollars pour se rendre utile à la ville de Mexico. »

On pourrait ajouter que Slim maintient des « relations cordiales » avec le multimillionnaire vénézuélien Gustavo Cisneros, magnat des médias électroniques et allié du maire de Caracas Alfredo Peña, qui dans cette capitale a impulsé des idées semblables pour combattre la délinquance selon une vision patronale, ayant recours cette fois aux services beaucoup plus économiques (plus de cent mille dollars) de William Bratton, chef de la police new-yorkaise durant le mandat de Giuliani.

Protégé par 300 gardes du corps, Giuliani visita les quartiers les plus difficiles de la ville de Mexico, pour finalement émettre ses sempiternelles recommandations véritablement criminelles à l’encontre des pauvres et des marginaux.

Finalement, le défenseur de la «  tolérance zéro » des délits mineurs livra son rapport à plusieurs millions sept mois après la date stipulée et l’application de cette «  tolérance zéro  », que lui-même n’a pas appliquée dans son propre cas, se résuma pratiquement à l’application de mesures déjà prévues.

De plus, beaucoup de recommandations de Giuliani, comme celles qui préconisent la poursuite des prostituées et des laveurs de pare-brises, violent les droits individuels établis par la Constitution mexicaine ainsi que d’autres préceptes légaux tels que la non-discrimination pour raisons socio-économiques.

La République dominicaine est un autre pays où Giuliani a prétendu mener à bien son nettoyage et où, en février 2004, le président Hipolito Mejia, après avoir reconnu que l’augmentation du chômage et de la pauvreté avait provoqué l’augmentation de la délinquance, révéla que le gouvernement envisageait de faire appel à l’ancien maire de New York Rudolph Giuliani pour améliorer, avec « une main ferme et de la prévention », la sécurité urbaine.

Dévoilant la méthode qui consiste à combattre les problèmes en s’attaquant à leurs effets plutôt qu’à leurs causes, il déclara que la délinquance est motivée par « le chômage et l’augmentation de la pauvreté », mais « qu’[ils avaient] une stratégie solide, un programme basé sur une main ferme et la prévention. ».

Bilan et projets de Giuliani

Comme l’a signalé James Petras dans son article « Le véritable Giuliani » (La Jornada du 17 décembre 2002), l’ancien maire est parti en laissant les caisses de New York vides, occultant à la manière d’Enron une dette de 25 milliards de dollars, la majorité de cette somme correspondant à des engagements « hors devis » pris par des services dépendants de la municipalité pendant les mandats de Giuliani. « En d’autres termes, l’ancien maire avait caché des dettes s’élevant à au moins cinq fois le montant de la plus importante faillite d’entreprise de l’histoire des États-Unis. ».

Petras explique que Giuliani a caché le déficit budgétaire de New York en manipulant les comptes de façon à ne pas inclure la dette croissante de plusieurs services et en y faisant figurer les comptes des services qui étaient moins endettés. Giuliani a laissé une dette officielle de 5 milliards de dollars, la mettant sur le dos de « l’attaque terroriste du 11 septembre », mais par la suite on apprit que la ville de New York connaissait une profonde crise financière qui nécessitait de « sérieuses coupes » dans les dépenses de santé, l’éducation et les services sociaux, ainsi que des augmentations d’impôts régressives pour éviter l’effondrement.

L’ancien maire a contribué à creuser l’énorme déficit en accordant des centaines de millions de dollars de réductions d’impôts à toutes les grandes entreprises immobilières de la ville et en dépensant des milliards de dollars de subventions pour conserver et promouvoir l’image de New York comme « un centre global pour la finance, les assurances, les biens fonciers et le tourisme ».

Parmi les bénéficiaires de ces fraudes à New York, on trouve Hernandad de Sandy Weil, de la City Bank ; Zuckerman, le magnat de l’immobilier ; HankGreenberg, le roi des assurances ainsi que l’ancien maire Giuliani lui-même, mais « pour les médias états-uniensils sont tousintouchables ».

La voracité de Giuliani, comme celle de Cheney et Bush, semble être sans limites, de telle manière qu’ila également bénéficié de l’argent de l’entreprise Halliburton, qui en 1999 et 2000 fit des dons de plus de 250 000 dollars aux campagnesde Bush et d’autres candidats républicains, ainsi qu’à l’association des « amis de Giuliani » qui explorait son potentiel de candidat présidentiel [6].

D’autres opérations politico-financières de Giuliani ont fait l’objet de blocages par la justice, notamment par le tribunal de l’État de New York qui fit obstacle aux plans du maire qui voulait démolir 120 jardins publics pour remettre les terrains aux mains des promoteurs immobiliers.

La duplicité morale de Giuliani

Durant son mandat de maire, Giuliani a été critiqué, y compris par des instances judiciaires, pour avoir attenté à la liberté d’expression pour motifs de moralité, au point où un tribunal fédéral fut obligé d’annuler l’ordre du maire de bloquer les fonds destinés au Musée d’art de Brooklyn lors de l’exposition polémique Sensation.

Si, malgré son âge, il ne montre pas l’exemple en matière d’abstinence sexuelle, Giuliani lança des campagnes pour débarrasser la « grosse pomme » de ses sex-shops. En 1998, il obtint que soit diffusée une ordonnance municipale selon laquelle 138 des 155 commerces liés au sexe et à la pornographie durent fermer et quitter les zones commerciales et résidentielles de la ville.

Persécuteur des prostituées, Giuliani a aussi été critiqué pour avoir fait disparaître l’éducation sexuelle des programmes scolaires de la ville.

Le 19 octobre 1998, la police de New York réprima une manifestation d’activistes homosexuels, interpellant, frappant et insultant une foule qui incluait beaucoup de malades du sida, un autre groupe honni par Giuliani. Les policiers arrêtèrent 100 personnes, les placèrent en détention jusqu’au jour suivant sans leur administrer leurs médicaments, avec de graves préjudices pour la santé. Comme d’accoutumée, Giuliani mentit pour justifier l’agression, expliquant : « Nous aurions délivré une autorisation, si toutefois on nous avait laissé quelques jours d’anticipation ».
En contraste avec cette censure moralisatrice, qui reflète des préjugés et l’autoritarisme, le promoteur de l’intolérance a garanti la protection d’un religieux accusé d’abus sexuels, peut-être parce que pour Giuliani l’abus d’autorité en général ne doit pas être considéré comme une faute.

Le 3 février 2003, la presse new-yorkaise révéla le fait que Monseigneur Alan Placa, haut prélat de l’Église catholique de Long Island qui avait été exclu en avril dernier de son diocèse suite à des accusations d’abus sexuels, travaillait trois jours par semaine pour Giuliani Partners, l’entreprise de l’ancien maire. Placa, un vieil ami de Giuliani, nia au départ sa relation professionnelle avec Giuliani, mais la porte-parole de ce dernier, Suny Mindel, confirma à plusieurs reprises que le prélat travaillait effectivement pour eux.

Rudy Giuliani recevant
le Pape Jean-Paul II
lors de son voyage
à New York

Dans le domaine sexuel, Giuliani s’est également illustré par ses propres aventures, qui sont généralement scandaleuses sinon ridicules.

En 1999, il fut rapporté qu’il avait pris pour maîtresse sa collaboratrice Crystine Lategano, chargée de relations publiques de la mairie. Au cours de l’année, elle demanda un généreux licenciement après que, selon des sources proches de la mairie, l’épouse de Giuliani, Donna Hanover, lui eût posé un ultimatum pour qu’il la quitte.

À cette période, Giuliani admit qu’il vivait en situation de divorce virtuel avec son épouse, l’actrice Donna Hanover, âgée de 53 ans, qui en 2003 a pris un nouvel époux, cette fois son fiancé du secondaire.

Pour sa part, Giuliani s’est remarié avec Judith Nathan, une femme fortunée de plus de 40 ans, qui était déjà sa maîtresse en 2000. Lorsque cette relation débuta, Giuliani devait quitter la résidence officielle du maire et chercher refuge dans l’appartement d’amis, après avoir révélé publiquement qu’il avait une « bonne amie ». Cette attitude avait conduit Hannover à demander un ordre judiciaire interdisant l’accès de sa rivale à la résidence officielle, à une époque où Giuliani voulait lier d’amitié sa maîtresse et ses enfants, Andrew et Caroline.

Finalement, le divorce de Giuliani se solda par un accord impliquant le paiement de 6,8 millions de dollars à son ex-épouse, et son remariage, à l’issue duquel l’ancien maire âgé de 58 ans déclara, non sans excès de snobisme : « Je suis très, très heureux. J’espère que nous passerons le reste de notre vie ensemble. ».

[1« All the dictator’s men : Rudy Giuliani & Haitian Immigrants », par Mitchel Cohen, 17 août 1999.

[2Obrero Revolucionario #970, 23 août 1998.

[3« Como Giuliani limpio Manhattan », par Charles O’Byrne.

[4La Jornada, 26 octobre 2002.

[5" William Bratton, VRP de la tolérance zéro " par Edgar González Ruiz, Voltaire, 30 août 2004.