All Africa.com [1] : Nous avons demandé aux personnes qui visitent notre site, AllAfrica.com, de nous indiquer ce qui les intéresse le plus dans votre politique. Comme vous pouvez l’imaginer, les réponses reçues couvrent des sujets très divers : règlement des conflits, questions de développement, questions commerciales, etc. Mais la question immédiate qu’ils se posent - et que nous nous posons également - est la suivante : pourquoi avoir choisi de vous rendre d’abord au Ghana, en Afrique subsaharienne ?

Barack Obama : Eh bien, j’ai fait ce choix en partie parce qu’il y a eu au Ghana plusieurs élections qui ont permis une passation de pouvoir pacifique, y compris lors d’une élection très serrée. Je pense que le nouveau chef de l’État, le président Mills, a démontré son engagement envers l’État de droit, un engagement de nature démocratique qui garantit la stabilité du pays. Et à mon avis, la gouvernance et la prospérité sont directement liées. Les pays bien gouvernés, stables, dont les dirigeants reconnaissent qu’ils doivent rendre des comptes à la population et que les institutions sont plus fortes qu’une personnalité quelle qu’elle soit, sont généralement ceux qui produisent des résultats pour les populations. Et nous voulons appuyer ce message.

All Africa.com : Et j’imagine que vous aimeriez voir un plus grand nombre de pays du continent africain suivre l’exemple du Ghana. Et je suppose que votre politique consiste en partie à encourager ce genre d’exemple.

Barack Obama : Absolument.

All Africa.com : Et comment allez-vous faire cela ? Est-ce que … ?

Barack Obama : Eh bien, il s’agit - entre autres - de mettre en exergue les bons modèles. Ainsi, en me rendant au Ghana, j’espère attirer l’attention sur la bonne gouvernance de ce pays.

Je ne crois pas que l’on puisse attendre des pays qu’ils passent simultanément par des transitions similaires. Mais nous avons relevé des progrès dans les domaines de la démocratie, de la transparence et de l’État de droit, dans la protection des droits fonciers et nous avons constaté des efforts dans la lutte contre la corruption. Nous avons relevé des progrès ces dernières années. Pourtant, dans certains cas, nous assistons à quelques reculs. Dans le pays de mon père, le Kénya, je m’inquiète que les partis politiques ne semblent pas aller dans le sens d’une réconciliation permanente qui permettrait l’avancement du pays. Et le Kénya n’est pas le seul pays en situation préélectorale ou postélectorale où nous avons récemment noté l’existence de problèmes.

Et nous voulons nous assurer que les populations comprennent bien qu’il ne s’agit pas d’une notion abstraite que nous essayons d’imposer à l’Afrique. L’instabilité politique et la corruption ont des conséquences extrêmement pratiques et pragmatiques, qui déterminent par exemple si les habitants peuvent ou non nourrir leur famille et éduquer leurs enfants, et nous pensons que l’Afrique, que le continent africain est un continent aux promesses et aux défis extraordinaires. Nous ne parviendrons pas à concrétiser ces promesses sans une meilleure gouvernance.

All Africa.com : A ce propos, avez-vous des priorités en termes de pays ou de régions ? Par exemple, l’Afrique de l’Ouest, qui est très importante sur le plan du pétrole, ou l’Afrique de l’Est, qui a une importance stratégique pour les États-Unis ?

Barack Obama : Je pense que l’ensemble du continent est important. Et n’oubliez pas que bien que je me rende au Ghana cette fois-ci, M. Tsvangirai, du Zimbabwé, a déjà été reçu dans le Bureau ovale. J’ai aussi reçu dans mon bureau M. Kikwete de la Tanzanie. À chaque fois, j’essaye de répéter le même message. Vous avez vu que le gouvernement de Tanzanie a fait de bonnes choses dans le domaine des prestations de services concrets offerts à la population, et chaque fois que les pays sont prêts à se prendre en main, nous voulons les accompagner. Et je pense qu’il existe déjà en Afrique des dirigeants forts qui sont prêts à aller de l’avant, et nous souhaitons être à leurs côtés.

Sur le plan économique, cela se traduit par un potentiel d’échanges commerciaux accrus. Ainsi, nous ne nous intéressons pas uniquement à l’aide étrangère mais aussi au renforcement des capacités qui favorisent le développement intérieur de ces pays et nous souhaitons œuvrer dans un cadre multilatéral mais aussi renforcer nos relations bilatérales avec nombre de ces pays.

Mais, comme vous l’avez remarqué, certaines raisons stratégiques, économiques, environnementales et de sécurité intérieure expliquent l’importance que cette région revêt à nos yeux. Et l’une des raisons pour lesquelles nous voulions - bien que nous ne visitions qu’un pays à la fois, j’ai pensé qu’il serait logique de lier la visite du Ghana à la réunion du G8, et nous allons d’ailleurs rencontrer un certain nombre de pays africains en Italie lors de la réunion du G8 - et avant cela, nous nous réunissons en Russie - pour montrer que l’Afrique est directement liée à notre approche globale de politique étrangère, qu’il ne s’agit pas d’un événement isolé, de la visite de rigueur sur le continent africain lors du présent mandat, histoire de dire que nous y sommes allés, mais plutôt d’un événement qui s’inscrit dans un dialogue plus vaste portant sur les nouveaux défis internationaux restant à relever dans l’avenir.

All Africa.com : Je suppose que l’aide au développement occupera une place importante dans votre politique africaine. En fait, l’aide au développement est assez fragmentée, qu’il s’agisse de l’aide des États-Unis ou de l’aide internationale, puisque divers pays adoptent des approches diverses. Et à l’heure actuelle, plus que tous les autres présidents, vous vous servez d’outils technologiques et je ne peux m’empêcher de me demander si vous avez l’intention ou si vous avez déjà pensé à utiliser la technologie pour donner une certain cohérence à cette aide, si vous voulez, par exemple en vue de faire un suivi de l’aide en termes d’efficacité et de savoir où elle est distribuée, etc.

Barack Obama : Oui, je pense que vous venez de souligner un point important, et même au sein du gouvernement américain, les politiques d’aide ont été fragmentées et réparties sur divers ministères ; diverses théories ont été adoptées par divers responsables, selon le gouvernement en place ou le parti au pouvoir à un moment donné. Essayer de stabiliser l’aide et de la focaliser, fonder nos politiques sur l’efficacité et non sur des positions idéologiques anciennes, tout cela revêtira une importance considérable.
Et la technologie peut jouer un rôle très important dans la rationalisation de l’aide étrangère, elle peut veiller au suivi de l’application de l’aide, à ce qu’elle bénéficie aux personnes censées la recevoir. Ce qui m’inquiète, dans notre politique d’aide en général, c’est le fait que les consultants occidentaux et les coûts administratifs finissent par absorber un fort pourcentage de la totalité de l’aide. Et il me semble que nous devrions essayer de réduire notre présence et d’optimiser la formation pour que les populations s’en sortent elles-mêmes. Par conséquent, je crois qu’il est important de se servir de l’Internet, de logiciels et des technologies modernes en vue d’améliorer les prestations.

Je pense aussi au fait que dans nombre de ces pays, la façon dont nous réfléchissons non pas à la haute technologie mais plutôt aux techniques plus simples, servant par exemple à améliorer la production alimentaire, est d’une importance capitale. Et je reste frustré par le fait que la révolution verte que nous avons introduite en Inde dans les années 1960 n’est toujours pas présente en Afrique en 2009. Dans certains pays, la productivité agricole a baissé. C’est absolument insensé. Et nous n’avons pas besoin d’ordinateurs complexes pour résoudre ces problèmes ; il nous faut des méthodes agricoles authentiques, qui ont fait leurs preuves, et des technologies économiques et efficaces mais susceptibles de considérablement influer sur le bien-être quotidien des populations.

All Africa.com : De plus, vous venez de mentionner il y a quelques minutes l’importance des investissements, outre celle de l’aide. Quel équilibre faut-il trouver entre l’aide et les investissements ? Vous obtenez - la plupart des entreprises obtiennent un retour sur investissement plus important en Afrique qu’ailleurs. Faudrait-il donc insister encore plus là-dessus ? A votre avis, quel genre d’équilibre est possible dans l’aide au développement ?

Barack Obama : En fait, je voudrais faire une remarque. Tout d’abord, il n’y aura pas d’investissements sans bonne gouvernance. C’est en partie la raison pour laquelle nous mettons l’accent sur ce point. Je le répète, il s’agit là d’une approche très pratique, réaliste, pour savoir comment améliorer la vie quotidienne des populations africaines. Si les responsables gouvernementaux demandent 10 %, 15 % ou 25 % au départ, les entreprises ne veulent pas investir dans ces conditions. Voici le premier point.
Deuxième point, il me semble que lorsque mon père a quitté le Kénya pour les États-Unis, au début des années 1960, les PIB du Kénya et de la Corée du Sud n’étaient pas équivalents - celui du Kénya était en fait plus élevé. Que s’est-il passé en 50 ans ? La Corée a connu un mélange d’investissements étrangers, d’intégration du pays dans l’économie mondiale, et un certain sens de la stratégie, en particulier l’idée que certains secteurs pouvaient promouvoir leurs exportations. Une grande priorité a été accordée à l’éducation pour former une main-d’œuvre qualifiée et l’investissement étranger s’accompagne obligatoirement du transfert de technologie, ce qui permet de développer et d’alimenter les industries nationales.
Il existe donc des modèles. Nous savons ce qu’il faut faire. Ce que l’on n’a pas encore vu, c’est l’application constante et régulière, au fil du temps, de certains de ces modèles en Afrique, et je pense qu’il faut maintenant s’y atteler.

All Africa.com : Est-ce là un échec de la politique américaine ou de la gouvernance africaine ?

Barack Obama : Je dois dire que la communauté internationale n’a pas toujours adopté la bonne stratégie, mais au fond, je crois fermement que les Africains sont responsables de l’Afrique.
Je pense que les progrès de l’Afrique ont été entravés du fait que pendant de nombreuses années, nous avons trouvé des excuses à la corruption et à la mauvaise gouvernance ; que ceci soit en quelque sorte la conséquence du néocolonialisme ou de l’oppression de l’Occident ou du racisme, je ne suis pas trop… je ne crois pas aux excuses.

Je pense connaître l’histoire de l’Afrique aussi bien que ceux qui m’ont précédé dans ces fonctions. Et je peux vous expliquer en long et en large pourquoi les cartes coloniales qui ont été dressées ont contribué à déclencher des conflits, et vous parler des termes défavorables des échanges commerciaux de l’époque qui a suivi le colonialisme.

Et pourtant, la réalité, c’est que nous sommes en 2009. L’Occident et les États-Unis ne sont pas responsables de la situation économique du Zimbabwé de ces quinze à vingt dernières années. Ils ne sont pas non plus responsables de certaines politiques désastreuses que nous avons pu voir à l’œuvre ailleurs en Afrique. Et je crois qu’il est très important que les dirigeants africains assument leurs responsabilités et soient obligés de rendre des comptes.

Et je pense que les populations africaines le comprennent. Le problème, c’est qu’elles n’ont pas toujours eu la possibilité de s’organiser et de se faire entendre pour que les choses s’améliorent.

All Africa.com : Pour terminer notre conversation, bien que votre présidence soit encore très jeune, je me sens néanmoins obligé de vous poser une question sur l’héritage que vous laisserez derrière vous (rires). La voici : lorsque vous aurez terminé votre mandat, quelle sera, à votre avis, la marque vous aurez laissée en matière de politique africaine ? En quoi consistera-t-elle, selon vous ?

Barack Obama : À la fin de mon mandat, j’aimerais pouvoir affirmer que les États-Unis ont été un véritable partenaire des pays africains, qu’ils les ont aidés à construire des institutions à la fois politiques, civiles et économiquee qui auront permis d’améliorer le niveau de vie et la sécurité des populations africaines ; que nous les avons mis sur la voie de l’intégration dans l’économie mondiale, et qu’un jeune qui grandit à Johannesburg, à Lagos, à Nairobi ou à Djibouti peut se dire : oui, je peux rester en Afrique, je peux rester dans mon pays et réussir, et grâce à ma réussite, mon pays et mon peuple seront plus forts.

Ce serait un bon bilan. Je ne m’attends pas à l’accomplir en quatre ans ou même en huit ans, mais je pense que l’on peut s’engager sur cette voie. Et les États-Unis sont un partenaire essentiel dans ce processus. D’accord ?

All Africa.com : J’aimerais pouvoir disposer d’une heure supplémentaire. (Rires). Mais je vous remercie de m’avoir accordé ce temps d’entretien.

Barack Obama : Merci beaucoup.

[1AllAfrica Global Media et AllAfrica Foundation —anciennement African News Service— sont des programmes indirectement financés par le gouvernement des États-Unis par l’entremise des Fondations Ford et Rockefeller.
Cassandra Butts, la conseillère juridique adjointe de la Maison-Blanche, a travaillé pour l’African News Service juste avant de rejoindre l’université d’Harvard et de s’y lier à Barack Obama.