Cette question est paternaliste et suggère que nous, les Occidentaux, sommes les maîtres du monde et que c’est nous qui dictons les normes de la civilisation universelle et devons sanctionner leurs manquements. C’est une hubris que je rejette, bien qu’elle soit partagée sous des formes différentes par les Américains et les Européens.
La politique des États occidentaux vis-à-vis de la Russie ne pêche pas par complaisance mais par confusion. Quand j’étais ministre des Affaires étrangères, j’avais dénoncé la " guerre coloniale " de Tchétchénie et je n’avais pas été suivi. Les Occidentaux ne savent pas s’ils doivent considérer la Russie comme un partenaire stratégique, une menace ou une terre de mission. Aux États-Unis, Zbigniew Brzezinski milite pour la vigilance, les pétroliers de l’administration Bush sur la sécurisation des accords énergétiques tandis que d’autres à la Maison-Blanche ne voient en Poutine qu’un allié dans la guerre au terrorisme. En Europe, depuis le dernier élargissement, plus de pays parmi les 25 considèrent la Russie avec méfiance. Tout cela est cacophonique.
Nous devons être plus clairs sur la Tchétchénie, mais aussi sur la défense de nos intérêts concernant l’énergie, la justice russe dans le monde des affaires et les ventes d’armes. Pour le reste, Poutine est un patriote et un nationaliste. Son but est de laver l’honneur de la Russie, d’en faire un pays respecté et moderne, et, jusqu’à un certain point, de le démocratiser. Nous préférerions sans doute que les priorités soient placées dans l’ordre inverse, mais ce n’est pas à nous de peser sur ces choix. En outre, nous ne devons pas oublier que la démocratie ne surgit jamais de façon spontanée. Nous n’avons pas la même expérience historique que les Russes : quels conseils pertinents pourrions-nous donner ? Est-ce à nous de dire s’il faut nationaliser ou privatiser l’industrie pétrolière ? Élire ou nommer les gouverneurs ? La Russie va se moderniser, mais à son rythme et à sa façon.

Source
L&8217;Express (France)
Avec une diffusion à 550 000 exemplaires, L’Express est l’hebdomadaire phare de la Socpresse de l’avioneur Serge Dassault. le groupe détient aussi les quotidiens Le Figaro en France et Le Soir en Belgique, ainsi que l’hebdomadaire économique L’Expansion. Une version belge de L’Express est diffusée sous le titre Le Vif-L’Express.

« La démocratie ne surgit pas spontanément », par Hubert Védrine, L’Express, 28 février 2005. Cette tribune fait partie d’une série de quatre textes sur la question « Faut-il cesser de ménager Vladimir Poutine ? ».