« Est-ce que l’UE peut maintenant aider à soigner les anciennes blessures ? »

Can the EU now help heal ancient wounds ?
Gulf News (Dubaï)

[AUTEUR] Patrick Seale est un analyste et auteur réputé sur le Proche-Orient. Il a notamment publié des ouvrages sur l’histoire contemporaine de la Syrie et une biographie d’Abu Nidal.

[RESUME] Cette semaine, Paul Wolfowitz le vice-secrétaire à la Défense états-unien, était à Ankara pour convaincre la Turquie de participer à une guerre contre l’Irak. Il n’a que partiellement réussi sa mission puisque, si le gouvernement turc a bien promis un soutien logistique aux États-Unis dans sa guerre, il a mis comme condition l’allocation d’une compensation financière et l’obtention d’une nouvelle résolution du Conseil de sécurité autorisant l’usage de la force contre Bagdad.
La Turquie ne s’est toujours pas remise économiquement de la guerre du Golfe et sa population, sensible aux souffrance du peuple irakien, est hostile à la guerre. Pourtant, elle ne peut qu’accepter les requêtes de Washington, car elle est membre de l’OTAN et dépendante économiquement d’Israël, des États-Unis et du FMI. De plus, la Turquie est redevable aux États-Unis en raison du lobbying effectué par l’administration Bush en faveur de l’adhésion de ce pays dans l’Union Européenne, priorité d’Ankara.
La Turquie sait que son adhésion à l’Union Européenne suscite des oppositions très fortes à l’intérieur de cette organisation, comme l’a montré la dernière déclaration de Valéry Giscard d’Estaing. D’ailleurs, si le sommet de Copenhague sera décisif pour la Turquie, il ne devrait pas aboutir pour autant à un échéancier des négociations avec la Turquie en raison des difficultés internes et extérieures de la Turquie, au premier rang desquelles on trouve la question chypriote.
Ainsi, rarement autant de problèmes internationaux n’auront été autant interconnectés que lors du sommet de Copenhague à venir : les intentions agressives des États-Unis vis-à-vis de l’Irak, la volonté de la Turquie d’intégrer l’UE, la question de l’identité européenne face à l’élargissement de cette union et, enfin, les relations entre les deux communautés chypriotes. Difficile de savoir si l’UE saura y faire face.

« La Turquie a toute sa place en Europe »

La Turquie a toute sa place en Europe
Le Monde (France)

[AUTEUR] Javier Solana est le haut représentant de l’Union européenne pour la politique étrangère et de sécurité commune. Il a été secrétaire général de l’OTAN (1995-1999) et ancien ministre socialiste des Affaires étrangères espagnoles (1992-1995).

[RESUME] La Turquie fait aujourd’hui débat en raison des interrogations que suscitent son nouveau gouvernement, le problème chypriote et l’élargissement de l’Union Européenne.
Le statut de candidat à part entière de la Turquie a été reconnu à l’unanimité des 15 chefs d’État de l’Union et la question à laquelle il faut désormais répondre est : la Turquie peut-elle tracer sa voie vers l’Europe et le souhaite-t-elle ?
Le gouvernement d’Ankara reconnaît lui-même que le pays ne répond pas encore aux critères nécessaires au lancement des premières étapes des négociations d’adhésion, mais il a soumis au parlement un nouveau paquet législatif pour y parvenir. Cela sera-t-il suffisant d’ici le 12 décembre ?
La Turquie a aujourd’hui les cartes en main. La possibilité de régler le problème chypriote lui offre une bonne opportunité de montrer qu’elle veut saisir sa chance. Elle doit aussi montrer qu’elle est en faveur du projet de défense européenne et qu’elle veut contribuer à la définition des arrangements militaires permanents entre l’OTAN et l’UE.
Je veux croire que nous sommes prêts chacun, en Turquie, en Europe et " ailleurs dans le monde " à assumer notre part et réussir ensemble le pari européen de la Turquie.

« Clarifier l’identité européenne »

Clarifier l’identité européenne
Le Monde (France)

[AUTEUR] Hubert Védrine est ancien ministre des affaires étrangères français(1997-2002).

[RESUME] A l’heure de l’élargissement, il est temps de clarifier la notion d’Europe afin de définir quelles en sont les limites extensives. En effet, jusqu’ici, la question de l’identité européenne n’a pas eu à être tranchée tant elle relevait de l’évidence. La question des frontières de l’Europe et de l’Union ne s’était pas encore posée. Cette interrogation surgit avec la candidature turque qui crée une saine controverse sur la question européenne.
L’évidence, le bon sens et la géographie auraient dû pousser les responsables européens, dès 1963, à signifier à la Turquie qu’elle avait vocation à exercer un rôle majeur par elle-même dans sa région en partenariat avec l’Union Européenne, mais pas à en devenir membre. Aujourd’hui certains partisans du oui invoquent les engagements pris, la générosité, l’histoire ou la prévention du clash des civilisations, mais l’Union Européenne n’a pas vocation à proposer l’adhésion à tous les pays qu’elle désire stabiliser ou démocratiser.
L’Union Européenne a besoin de retrouver une identité politique et territoriale claire tout en proposant un partenariat stratégique à ses voisins. En raison des promesses faites et du manque de clarification de notre position, la Turquie adhérera sans doute à l’UE. Il faudra alors reconnaître que l’Union a changé de nature et enfin avoir le courage de définir son identité. En effet, le fait que les Européens ne sachent pas eux-mêmes s’ils construisent le rameau européen d’un ensemble américano-occidental, comme le suggère Vaclav Havel, ou une civilisation, ou une culture, européenne propre, bien distincte de celle des États-Unis comme le pense Robert Kagan, inhibe l’affirmation d’une Europe-puissance en matière de politique étrangère et de défense.
Il est temps d’affirmer que les États-Unis et l’Europe sont partenaires et alliés mais que l’Europe n’est pas un sous-ensemble et doit se comporter de manière autonome. Pour cela, la future constitution européenne doit être souple, mais permettre aux pays les plus dynamiques de travailler ensemble et aux pays les plus récalcitrants d’être dispensés, voire de sortir, de certains traités.

[CONTEXTE] L’auteur fait référence dans sa tribune aux propos tenus par Vaclav Havel au cours de la conférence internationale organisée par l’Institut Aspen, qui a précédé le sommet de l’OTAN, qui ont été repris dans une tribune du Monde et traitée dans le numéro 37 de Tribunes libres internationales, et à ceux de Robert Kagan, qui affirmait qu’il n’y avait désormais plus de rapports entre les cultures européennes et américaines.

« Etre un franc tireur quand il le faut »

Be a Straight Shooter When One’s Needed
Los Angeles Times (États-Unis)

[AUTEUR] James R. Holmes est un ancien professeur de stratégie à l’U.S. Naval War College. Il est chercheur sur les études de sécurité internationales à la Fletcher School of Law and Diplomacy de la Tufts University.

[RESUME] L’image des États-Unis s’est fortement dégradée dans le monde depuis deux ans d’après une étude réalisée par le Pew Research Center for the People and the Press. On reproche à l’administration Bush d’avoir une " diplomatie de cow-boy ".
Toutefois, les Américains ne se soucient pas de cette image et ils ont raison. Après tout, qu’est-ce qu’un cow-boy dans les films sinon un homme qui abat les sales types et qui impose la loi là où régnait l’anarchie et ce tout seul, ou avec des alliés, mais n’hésitant pas à agir seul s’il le faut ? Oui, le cow-boy utilise des moyens violents ce qui, d’une certaine manière, est contraire à la paix, mais quand la paix est basée sur un statu quo qui profite aux méchants, elle ne vaut rien. Les Européens devraient savoir que Napoléon et Hitler recherchaient un statu quo tyrannique auquel leurs adversaires devaient se soumettre.
Si le cow-boy cherche des alliés, il n’hésite pas à combattre seul quand il comprend que la plupart des gens privilégient leur intérêt personnel plutôt que le bien commun. Ces gens vont prétendre que ce n’est pas à eux d’agir et que s’ils payent des impôts c’est justement pour qu’on agisse à leur place ou bien qu’il vaut mieux se montrer conciliant avec le méchant. Ces arguments ne vous rappellent-ils pas ceux utilisés pour dissuader d’exercer leur pouvoir dans le monde ? Quand les Européens utilisent la métaphore du cow-boy, ils devraient faire attention au rôle qu’ils jouent dans le film.
Il ne faut pas prendre les dénonciations transatlantiques trop au sérieux et le peuple américain doit continuer à s’assurer que la nation conserve ses principes.

[CONTEXTE] Le Pew Research Center for the People and the Press est financé par une famille de magnats du pétrole. L’enquête qu’il a réalisé était placée sous la direction à l’ancienne secrétaire d’État, Madeleine Albright.