« Un monde nouveau va naître »

Un monde nouveau va naître
Le Figaro (France)

[AUTEUR] Jean-Pierre Chevènement est maire de Belfort et président d’honneur du Mouvement républicain et citoyen. Il a été ministre de la Défense du gouvernement de Michel Rocard (1988-1991) et ministre de l’Intérieur de celui de Lionel Jospin (1997-2000).

[RESUME] La guerre unilatérale en Irak de George W. Bush va déstabiliser le monde, mais il se pourrait que l’occupation de Bagdad par l’armée américaine remette en cause l’hégémonie américaine et le « nouvel ordre mondial » voulu par George Herbert Walker Bush.
les États-Unis entendent dominer les ressources pétrolières du Moyen-Orient depuis l’Irak et ainsi assurer durablement leur hégémonie. Est-ce bien raisonnable ? En effet, la première guerre du Golfe a enfanté Al Qaïda, la seconde donnera des ailes au terrorisme. Les tensions au Kurdistan vont s’amplifier, les Iraniens se manifesteront dans le Sud chiite. En Jordanie et en Palestine, la dynastie bédouine va faire les frais de la politique d’Ariel Sharon. Enfin, l’opinion publique mondiale, sous-estimée par l’administration américaine, va révéler toute sa force.
En effet, un front de pays et d’opinions publiques internationales se dresse contre les États-Unis. Washington n’arrivera à faire éclater le camp de la paix que s’il a une victoire rapide en Irak et s’il réoriente sa position sur la Palestine, retournant ainsi favorablement l’opinion publique mondiale, mais la probabilité est faible. Plus vraisemblablement, ils vont s’enliser et George W. Bush ne sera pas en mesure d’imposer une paix juste entre les Palestiniens et les Israéliens.
Dans cette dernière hypothèse, les États-Unis devront demander l’aide de l’ONU. La France aura eu tout à gagner à conserver sa position. Il sera alors temps de repenser les institutions internationales, et notamment les institutions financières, avec l’aide d’une administration démocrate ayant retrouvé les valeurs du New Deal. Aujourd’hui, la diplomatie française doit multiplier les contacts pour maintenir la coalition de la paix, seule capable de générer un monde multipolaire. L’Europe en tant que mécano institutionnel est morte et Jacques Chirac a eu raison de tancer ceux qui n’avaient vu dans l’Europe qu’un grand marché.
Par sa politique, le président permet de créer une « Europe européenne », rend service à l’Occident, et avant tout aux États-Unis qui n’ont pas les moyens d’être durablement un empire.
Le monde ancien vacille, un monde nouveau va naître.

« Merci à Dieu pour la mort de l’ONU »

Thank God for the death of the UN
The Guardian (Royaume-Uni)

[AUTEUR] Richard Perle est chercheur à l’American Enterprise Institute (AEI), analyste à l’Institute for Advanced Strategic & Political Studies (IASPS) ; administrateur du Center for Security Policy, de la Foundation for the Defense of Democracies, du Jewish Institute for National Security Affairs (JINSA) du Hudson Institute, du Washington Institute for Near East Policy (WINEP) ; rédacteur en chef du Jerusalem Post et président du Defence Policy Board du Pentagone. Cette tribune est adaptée d’un article paru cette semaine dans le Spectator.

[RESUME] Le règne de terreur de Saddam Hussein est sur le point de s’achever, et d’une certaine façon, l’ONU tombera avec lui. La bonne partie de l’ONU survivra, la bureaucratie de maintien de la paix continuera à exister, mais le fantasme de l’ONU comme fondation d’un nouvel ordre mondial est mort.
Quand le cauchemar de 25 ans des Irakiens prendra fin, nous ne devrons pas oublier qui réclamait plus de temps pour les inspections et qui demandait un changement de régime. La réconciliation de l’après-guerre ne devra pas faire oublier que l’ordre du monde a besoin de nous pour faire face aux États voyous qui terrorisent leur population et nous menacent. Pour beaucoup d’opposants à la guerre, seule l’ONU a la légitimité pour décider de l’usage de la force, une coalition de démocraties libérales n’est pas assez bien pour ça. Comment une politique peut-elle être mauvaise uniquement parce qu’elle est désapprouvée par la Chine communiste, la Russie, la France et un groupe de dictatures mineures ?
L’Histoire nous montre pourtant que le Conseil de sécurité n’est pas capable d’assurer l’ordre et de nous protéger de l’anarchie. Pendant la guerre froide, l’ONU a été paralysée. L’empire soviétique n’a pas été vaincu par l’ONU, mais par la mère de toutes les alliances : l’OTAN. De même, la Bosnie, le Kosovo et les Malouines n’ont pas été sauvés par l’ONU.
Nous ne vaincrons les terroristes qu’en combattant les États qui les abritent, et les plus dangereux de ces États sont ceux qui détiennent des armes de destruction massive. Le Conseil de sécurité n’est pas capable d’affronter ces pays et de faire respecter ses propres résolutions. Aussi les coalitions de volontaires sont le meilleur espoir pour créer un nouvel ordre mondial et la seule alternative à l’anarchie causée par l’abject échec de l’ONU.

« Racheter ce jour de honte »

Redeem this day of shame
The Guardian (Royaume-Uni)

[AUTEUR] Andrew Murray est président de la Stop the War Coalition qui a organisé la manifestation de Londres du 22 mars.

[RESUME] L’assaut contre l’Irak est une guerre dont les Britanniques ne veulent pas. C’est la première fois dans l’histoire du pays qu’il part en guerre sans même le soutien d’une minorité significative de la population. Les manifestations qui ont déjà eu lieu à Londres et celle qui aura lieu demain montrent bien que l’appel de Tony Blair en faveur de l’unité nationale est tombé dans l’oreille d’un sourd : nous ne soutenons pas la guerre.
Il est juste de s’opposer à un crime et ce n’est pas à nous de nous justifier, mais aux députés travaillistes qui avaient promis qu’ils ne soutiendraient pas une guerre sans l’aval de l’ONU et qui ont quand même voté en sa faveur. Les ministres vont jouer sur la sympathie de la population pour les troupes britanniques, mais le fait demeure qu’ils ne se battent pas pour les intérêts britanniques ou de la communauté internationale, mais pour ceux d’une administration états-unienne réactionnaire à qui Blair a fourni un soutien inconditionnel. Cette attitude n’est pas partagée par la grande majorité des pays du monde et l’hégémonie américaine est rejetée.
Le conflit néo-colonial de George W. Bush risque d’entraîner les mêmes crimes qu’aux XIXème et XXème siècle. La responsabilité de Blair ne sera pas alors cachée par son grand mensonge de la semaine : tout est de la faute de la France. En réalité son projet de résolution n’avait pas le soutien de la majorité des pays du Conseil de sécurité et n’intéressait pas les États-Unis. En revanche, si la Grande-Bretagne avait adopté la position ferme de la France et de l’Allemagne depuis le début, on aurait pu trouver une solution pacifique à la crise.
Blair est isolé et la population britannique ne supportera pas de pertes militaires ou civiles irakiennes significatives. Blair a préféré être du côté du président états-unien plutôt que du côté du peuple qui l’a élu, et cela va entraîner demain la plus grosse manifestation contre une guerre où des troupes britanniques sont engagées.

« La route solitaire qui attend Tony Blair »

La route solitaire qui attend Tony Blair
Le Monde (France)

[AUTEUR] Peter Mandelson est ancien ministre britannique. Il est député travailliste d’Hartlepool et préside le Policy Network, un groupe de réflexion européen.

[RESUME] Tony Blair a survécu politiquement grâce à la seule force de sa personnalité et de la certitude morale qu’il doit débarrasser les Irakiens de Saddam Hussein et protéger le monde des armes de destruction massive. Il est convaincu que la pauvreté, la maladie et les conflits régionaux n’ont de solution que dans le cadre de la communauté internationale se dressant pour le bien dans le monde.
La pureté des intentions ne suffisent cependant pas sans le soutien d’alliés. Robin Cook, qui avait justifié, en tant que ministre des Affaires étrangères, l’intervention au Kosovo sans l’aval de l’ONU, rejette aujourd’hui la politique irakienne de M. Blair sous prétexte qu’elle n’a pas de soutien universel. L’isolement diplomatique, quand bien même il existerait, ne justifie pas qu’on abandonne un dirigeant courageux, et en Europe, les dirigeants sacralisent l’ONU pour cacher leur faiblesse morale et leur sentiment anti-américain.
Mr Blair n’est, de plus, pas aidé par l’arrogance et la succession d’erreurs diplomatiques de George W. Bush qui a permis à Jacques Chirac de le diaboliser sur la scène internationale.
M. Blair et son gouvernement seront dans une position intérieure beaucoup plus facile quand sera exposée la menace que représente Saddam Hussein et quand la joie des Irakiens libérés se fera sentir. Les dégâts seront plus difficiles à réparer en Europe où il faudra prouver que la Grande-Bretagne n’a pas tourné le dos au continent. Mais le combat le plus difficile aura lieu aux États-Unis, où il faudra lutter contre ceux qui profitent de la situation pour décrédibiliser les institutions internationales. Le combat de M. Blair sera de convaincre l’Amérique que les institutions internationales sont encore utiles.

« Pendant ce temps-là, à Téhéran »

Meanwhile, in Teheran
Jerusalem Post (Israël)

[AUTEUR] Amir Taheri est journaliste iranien et rédacteur en chef du journal français Politique Internationale. Il est expert du cabinet Benador Associates à New York.

[RESUME] En Iran, les tensions se développent entre deux factions dans les élites iraniennes concernant la guerre en Irak.
D’un côté, il y a, autour de Mohammed Khatami et de l’ancien Premier ministre Mir-Hussein Mussavi et de la majorité des membres du parlement iranien , un groupe qui plaide pour un partenariat avec Washington pour renverser Saddam Hussein. Ce groupe estime que la chute du régime irakien est inévitable, souhaitable, et que la collaboration de l’Iran permettra d’obtenir que le nouveau régime à Bagdad ne soit pas hostile à Téhéran et que l’Iran ne soit pas la prochaine victime des États-Unis.
Dans l’autre camp, on trouve ceux qui veulent se confronter aux États-Unis. Cette faction se rassemble autour de l’ancien président Rafsandjani et du Guide suprême Ali Khamenei. Elle estime que les États-Unis, le « Grand Satan », sont en train d’organiser l’encerclement de l’Iran, et il serait donc suicidaire de les aider. Selon ce groupe, les États-Unis ont pour seul but au Proche-Orient de protéger « l’entité sioniste » et de contrôler le pétrole arabe. Les partisans de la confrontation ont donc fait envoyer des troupes sur leur frontière avec l’Irak, et ils soutiennent des groupes dans le Kurdistan irakien, en Syrie, en Afghanistan et en Arménie. Ce camp ne veut pas d’un combat frontal avec les États-Unis, mais veut allumer de petits incendies un peu partout afin d’affaiblir les forces états-uniennes et convaincre l’opinion publique américaine que la Pax Americana au Moyen-Orient a un prix trop élevé. Le principal front envisagé se situerait au Liban contre Israël. C’est pourquoi Téhéran est en train d’armer le Hezbollah libanais et a reçu une large délégation du Hamas et du Jihad islamique. Rafsandjani a parlé à ses invités de « nouvelles opportunités pour détruire l’entité sioniste ».
La faction plus accommodante rejette cette politique et l’affrontement entre les deux groupes s’est transporté chez les ayatollahs chiites irakiens dont certains rédigent des fatwas contre Saddam Hussein et d’autres contre les Américains.
Pour le moment, le camp de l’affrontement semble avoir le dessus et pousse au développement du programme nucléaire en Iran, qui pourrait être prêt dans deux ans, c’est-à-dire la période nécessaire pour y voir plus clair en Irak.

« Des routes où l’on s’égare »

Misleading roads
Al Ahram (Égypte)

[AUTEUR] Azmi Bishara est élu à la Knesset israélienne, membre de la communauté arabe israélienne. Le gouvernement avait tenté de lui interdire de se présenter à la dernière élection législative en raison de ses prises de positions.

[RESUME] Juste avant d’avoir présenté son plan pour attaquer l’Irak et avant de rencontrer ses alliés européens, George W. Bush a redécouvert le « plan de route » pour résoudre la question palestinienne afin de plaire à ses alliés européens. Ce faisant, le président états-unien a mené une campagne de relations publiques tout en employant des termes qui restent dans la logique israélienne.
Ainsi, Bush n’a pas oublié de subordonner le processus de négociation à l’arrêt de la violence et à l’augmentation des pouvoirs du Premier ministre palestinien. Bien sûr, seuls les États-Unis et Israël seront en droit de déterminer quand le « terrorisme » se sera arrêté et quand l’Autorité Palestinienne en aura fait assez pour le combattre. Les Arabes auraient souhaité que les Palestiniens obtiennent des concessions et soient écoutés, mais les États-Unis ont démontré une fois de plus que, pour eux, seule comptait l’opinion d’Israël. En n’exigeant pas un retour aux frontières de 1967, le plan de route laisse toute latitude à Ariel Sharon de poser ses conditions et de conserver l’avantage.
Alors que les États-Unis attaquent l’Irak, le « plan de route » montre qu’au Proche-Orient les États-Unis n’agissent qu’en termes définis par les Israéliens. La guerre commencera bientôt, créera des cortèges de réfugiés qui seront aidés par l’ONU et les pays opposés à la guerre, et l’on ne sait pas où cette situation nous mènera. Ces pays demanderont aux États-Unis de faire avancer le « plan de route », mais, de toute évidence, nous avons plutôt besoin d’un plan de route pour déchiffrer le plan de route de Bush.

« Les activistes de la paix se cachent derrière un bouclier de cynisme »

Peace Activists Hide Behind a Shield of Cynicism
Los Angeles Times (États-Unis)

[AUTEUR] Norah Vincent est écrivain et membre de la Foundation for the Defense of Democracies, un think tank néo-conservateur créé par James Woolsey après le 11 septembre.

[RESUME] La gauche anti-guerre présente George W. Bush comme un terroriste et Ariel Sharon comme Hitler. Elle refuse la séparation simpliste de Bush entre les bons (nous) et les méchants (eux) tout en adoptant la même logique.
Bien sûr ces affirmations ne sont que des provocations, et ceux qui profèrent ces slogans n’y croient pas vraiment et comprennent bien la différence entre eux et nous. En effet, les marches de protestation seraient impossibles dans un pays tyrannique et la stratégie du bouclier humain ne fonctionne que contre un « agresseur » démocratique respectant les Droits de l’Homme.
C’est pour cette raison qu’on trouve des boucliers humains à Gaza et Bagdad et pas à Jérusalem ou New York. En Israël, les kamikazes palestiniens visent les endroits où il y a le plus de monde, tout comme les terroristes d’Al Qaïda visent le centre des villes peuplées ou des avions civils. S’il n’y a pas de différence entre eux et nous, pourquoi n’y a-t-il pas une chaîne de l’amour autour d’Israël ?
A Bagdad, Saddam Hussein est heureux de pouvoir profiter de ces volontaires. A Gaza, quand l’activiste américaine Rachel Corrie a été accidentellement tuée par un bulldozer israélien, nous avons été d’autant plus choqués qu’il était surprenant qu’Israël tue un civil. Une telle surprise n’aurait pas existé avec Al Qaïda et le Hamas.
Seules les nations bâties sur les principes de liberté peuvent céder devant la désobéissance civile. C’est pourquoi Ghandi en Inde et Martin Luther King en Alabama ont réussi et pourquoi les étudiants de la place Tiananmen ont échoué. C’est aussi ce qui explique qu’aucun bouclier humain ne prend le bus à Jérusalem.

« Une promesse vide pour les civils ? »

An Empty Pledge to Civilians ?
New York Times (États-Unis)

[AUTEUR] Sarah Sewall est la directrice de programme du Carr Center for Human Rights Policy de l’université d’Harvard. Elle a été vice-secrétaire à la Défense (1993-1996).

[RESUME] Le président, tout comme les militaires états-uniens, ont promis que l’Amérique ferait de son mieux pour « épargner les vies innocentes ». Malgré ces affirmations rassurantes et bien que les États-Unis disposent de la technologie permettant de mener la guerre la plus propre possible en milieu urbain, le département de la Défense n’a réalisé aucune étude ou simulation permettant de savoir comment ses forces affecteront les civils.
Cela s’explique par le fait que le Pentagone ne veut pas subir de contrainte sur sa façon de conduire la guerre. Pourtant, paradoxalement, les militaires opèrent déjà avec des restrictions pour protéger les civils.
Les efforts pour se battre « gentiment » en Afghanistan ont permis aux dirigeants talibans de s’enfuir et de poursuivre le combat. En Irak, si les dirigeants politiques limitent les frappes aériennes de peur de tuer des civils, ils provoqueront des combats terrestres sanglants. En Afghanistan, Donald Rumsfeld avait expliqué le manque d’information sur les pertes civiles par le fait que les États-Unis ne pouvaient pas vérifier les informations au sol. En Irak, ils le pourront, et cela permettra au Pentagone de les évaluer et de redéfinir les attaques en conséquence.
Si les groupes humanitaires exagèrent le nombre de morts, le Pentagone pourra leur répondre par des faits précis et pourra développer de nouvelles méthodes pour protéger les non-combattants.