Condoleezza Rice est un pur produit du « rêve américain ». Née aux États-Unis, dans un pays où près de 10 % de la population noire est placée sous tutelle pénale (en détention, en liberté surveillée ou en liberté conditionnelle), elle est parvenue à se hisser au sommet de l’appareil d’État, devenant en 2001 la première représentante de la communauté noire à présider le National Security Council, à l’âge de 46 ans. Elle est depuis devenue la première femme noire à accéder au poste de secrétaire d’État. Une ascension qui en rappelle une autre, celle de son prédécesseur, le général Colin Powell. Les carrières politiques de ces deux personnalités issues de la de la communauté dite « afro-américaine » ne sont cependant pas à mettre sur le même plan.

Une enfance « sudiste »

Condoleezza Rice est née le 1er novembre 1954 à Birmingham, Alabama, une petite ville sudiste des États-Unis. En 1963, l’église du quartier, principalement fréquentée par des pratiquants noirs, est la cible d’une attaque raciste conduite par des membres du Ku Klux Klan local. La bombe qu’ils ont placée dans la crypte tue quatre fillettes, dont une amie de Condoleezza Rice, Denis McNair. Cet épisode restera célèbre dans l’Histoire de l’émancipation de la minorité noire sous le nom de Birmingham Sunday.

De cette expérience, l’ancienne conseillère à la sécurité nationale de George W. Bush dit avoir tiré quelques leçons. Notamment sur la manière d’aborder le terrorisme : « Si vous avez connu le terrorisme domestique, vous savez qu’il n’y a aucune cause que cela peut servir... Parce que la seule chose que cela vise, c’est de mettre un terme à la conversation » [1]. Refusant implicitement les acquis de la « discrimination positive », elle a également pris conscience à cette époque, de la nécessité d’être « deux fois plus brillante » que ceux n’appartenant pas à une minorité.

Josef Korbel, le « père »

À l’âge de 15 ans, elle rejoint l’université de Denver pour y poursuivre sa formation musicale, dans l’espoir de devenir pianiste professionnelle. Toutefois, la jeune Condoleezza prend rapidement conscience qu’elle n’a pas le niveau des autres prodiges qui l’entourent et change de spécialité. C’est alors qu’elle fait la rencontre du professeur Josef Korbel qui l’initie aux relations internationales et l’incite à étudier la « soviétologie ». Sous son influence, elle obtient l’équivalent d’une licence (bachelor degree) en science politique, cum laude. Elle est alors sélectionnée par la prestigieuse Phi Beta Kappa, l’une des plus vieilles associations universitaires qui compte parmi ses rangs Isaac Asimov, Francis Ford Coppola, George H.W. Bush, Bill Clinton, ou encore Henry Kissinger [2]. Un an plus tard, en 1975, elle obtient sa maîtrise à l’université de Notre-Dame, puis réalise sa thèse à la Graduate School of International Studies à l’université de Denver, en 1981, toujours avec Josef Korbel.

Ce dernier joue un rôle considérable dans la formation de Condoleezza Rice. Sa vie ressemble à un long exil. D’origine tchèque, il a fui une première fois son pays en 1939 après l’arrivée des troupes nazies à Prague. Réfugié à Londres, il servit de conseiller au président tchèque en exil, Edouard Benes. Une fois la paix revenue, il rentre en Tchécoslovaquie et est nommé un temps ambassadeur en Yougoslavie. La prise du pouvoir par les communistes emmenés par Tito précipite une nouvelle fois son départ, cette fois pour les États-Unis. Devenu citoyen états-unien et professeur de relations internationales à l’Université de Denver, Josef Korbel ne fait pas partie des anticommunistes forcenés et plaide pour la détente avec l’URSS, tout en soutenant l’intervention états-unienne au Vietnam, jusqu’à l’offensive du Tet en 1968. Sans être un néoconservateur, il est convaincu de la mission civilisatrice des États-Unis et de l’importance d’endiguer le péril soviétique.

Josef Korbel

Il en ressort un héritage intellectuel riche pour Condoleezza Rice, qu’il présente comme sa « fille adoptive », également influencée par Henry Kissinger. Josef Korbel influencera profondément la vie politique internationale. D’abord par l’entremise de sa fille, Madeleine Korbel-Albright, puis par celle de sa fille adoptive, Condoleezza Rice.

La période « réaliste »

Après avoir fini sa thèse sur les relations entretenues par l’Armée tchécoslovaque avec l’Union Soviétique et les dirigeants tchécoslovaques soutenus par l’URSS, « Condi » devient professeur à Stanford. L’université est alors dominées par les partisans d’Henry Kissinger et du réalisme. Ils estiment que les relations entre États sont régies par des considérations de puissance et non de morale. Condoleezza Rice adopte cette vision du monde, tout en attachant une certaine importance au rayonnement des États-Unis. Ainsi, après avoir voté pour Jimmy Carter aux élections présidentielles de 1976 et effectué un stage au Département d’État, elle soutient le Républicain Ronald Reagan face au même Carter en 1980, reprochant au président sortant son excessive faiblesse vis-à-vis de l’URSS. C’est en tout cas la version qu’elle défend aujourd’hui. À l’époque, elle participe tout de même à l’équipe de conseillers en politique étrangère de Gary Hart, candidat à la primaire démocrate [3]. Après l’élection de l’acteur républicain à la Maison-Blanche, elle se montre par ailleurs très virulente à l’encontre de Caspar Weinberger, son secrétaire à la Défense qui fréquente régulièrement le siège du Hoover Institute, à Stanford.

Elle n’adhère pas plus au discours de Ronald Reagan sur l’« Empire du mal » soviétique : « Comme la plupart des Américains, j’ai écouté avec un certain scepticisme l’affirmation pendant la Guerre froide selon laquelle l’Amérique était un "phare pour la démocratie" (...) Parfois j’étais juste embarrassée [par ce discours] parce que l’Amérique est au mieux une démocratie imparfaite » [4]. Probablement consciente que les Républicains sont au pouvoir pour longtemps, Condoleezza Rice opère un rapprochement progressif avec les membres les plus « réalistes » de l’équipe Reagan, notamment Brent Scowcroft. Ce dernier la repère en 1985, lors d’un dîner organisé par les universitaires de Stanford spécialistes du contrôle des armements. Un an plus tard, en 1986, elle rejoint le Pentagone pour un an auprès du Chef d’état major interarmes, l’amiral William J. Crowe [5], afin d’apporter son expertise sur les questions de planification stratégique nucléaire. Elle vient juste d’écrire un ouvrage dans lequel elle explique que le contrôle de l’URSS sur l’Europe de l’Est commence à coûter plus qu’il ne rapporte [6]. Selon elle, si l’Union soviétique était une société commerciale, celle-ci serait tentée de se débarrasser de cette branche d’activités trop dispendieuse. Cependant, elle explique par ailleurs que « personne ne peut suggérer que ceci figure dans les plans de l’Union Soviétique, peu importe le coût que pourra représenter l’Europe orientale. Les États, et en particulier les grandes puissances, ne se comportent pas de cette façon ».

Face à « l’Empire du Mal »

Condoleezza Rice va progressivement abandonner ce réalisme né de sa formation universitaire, au fur et à mesure qu’elle pénètre les réseaux de la diplomatie états-unienne. En 1986, son entrée au sein de l’administration Reagan se fait dans le cadre d’un partenariat avec le Council on Foreign Relations dont elle vient de devenir membre. Son parcours est suivi avec attention par Brent Scowcroft. Il la fait entrer au sein de l’Aspen Strategy Group, un think-tank dont la principale mission consiste à former les dirigeants états-uniens les plus cultivés. À l’époque, la position de la Maison-Blanche vis-à-vis de Moscou est particulièrement agressive, l’équipe de Reagan (notamment Casper Weinberger et son assistant Richard Perle) étant convaincue que l’URSS n’a plus les moyens de poursuivre la course aux armements et qu’une nouvelle ère de domination pourrait s’ouvrir pour les États-Unis s’ils parviennent à se retirer des traités de contrôle des armements. Une stratégie formulée par Ronald Reagan devant le Council on Foreign Relations en 1980, et mis en œuvre avec la relance du programme dispendieux de la « guerre des étoiles ».

Cette politique suscite l’opposition des fidèles d’Henry Kissinger au sein de l’administration Reagan, et notamment de Brent Scowcroft, devenu le « parrain » politique de Rice. Après la victoire de George H.W. Bush aux élections présidentielles de 1988, il la recrute au sein du National Security Council en tant qu’assistante spéciale pour les questions soviétiques, alors même qu’elle était également courtisée par Dennis Ross, le nouveau directeur de l’équipe de planification du Département d’État. À son nouveau poste, elle définit la politique étrangère états-unienne de l’administration Bush vis-à-vis de l’Union soviétique. Son propos est simple : il s’agit pour Washington de resserrer les liens avec l’OTAN, de se focaliser sur le contrôle des armements et de tenter de nouer des rapports avec les pays d’Europe de l’Est, avant toute tentative de rapprochement avec Mikhail Gorbatchev. En tant que spécialiste de cette région et notamment de la Tchécoslovaque, c’est elle qui préside les réunions du NSC sur l’Europe de l’Est, tandis que les débats consacrés à la Russie sont dirigés par Robert Gates. Elle est également invitée à Kennebunkport, la résidence de la famille Bush dans le Maine, au sein d’un groupe de spécialistes de l’Union soviétique venus briefer le président nouvellement élu [7].

« Gérer » Eltsine

Devenue membre du Conseil de Sécurité nationale pour les affaires soviétiques dans l’administration de George H.W. Bush, Rice effectue un voyage en Europe de l’Est et en Union soviétique en 1989-1990. Elle en revient en affirmant que l’Amérique, malgré ses imperfections, a bien servi de phare de la démocratie. Au fur et à mesure que la politique de Washington devient de plus en plus agressive vis-à-vis de Moscou, Rice grimpe les échelons de l’appareil diplomatique. En septembre 1989, alors qu’elle travaille sous les ordres de Robert Blackwill, directeur de la division Affaires européennes et soviétiques au NSC, la jeune femme est chargée de « gérer » Boris Eltsine lors de sa visite à la Maison-Blanche. Ce-dernier, grand critique de Mikhail Gorbatchev, est déjà le favori de Washington pour prendre les rênes de l’URSS une fois le secrétaire du Parti communiste renversé. Cependant, il convient de ménager les susceptibilités de Gorbatchev et Condoleezza Rice est donc contrainte d’expliquer à Boris Eltsine que le Président états-unien ne le recevra pas dans le Bureau ovale. Elle tiendra bon face aux protestations de l’homme politique russe, et le contraindra à accepter une simple rencontre avec Brent Scowcroft, auquel se joindra finalement George H.W. Bush.

Brent Scowcroft

Par la suite, elle n’interviendra quasiment jamais dans les débats internes de l’administration Bush visant à choisir le moment où il faudrait soutenir Eltsine contre Gorbatchev. La plupart des protagonistes de l’époque ont tous conservé l’impression que Condoleezza Rice était « plutôt de leur côté », quel que soit la position qu’ils défendaient. Ce qui dénote une grande habileté de la part de la future chef de la diplomatie états-unienne. Une habileté rapidement récompensée : en mai 1990, elle est promue directrice de la division Affaires européennes et soviétiques au NSC, puis assistante spécial du président en août.

L’aventure Chevron

Début 1991, après deux années passées au National Security Council, Condoleezza Rice quitte Washington. Avec Brent Scowcroft, elle envisage un temps de se porter candidate au poste de sénateur de Californie, laissé vacant par l’élection de Pete Wilson au poste de gouverneur. Se heurtant à différents obstacles, elle abandonne l’idée et rejoint l’université de Stanford, tout en exprimant le souhait de faire son entrée dans le secteur privé. Elle contacte pour cela l’ancien secrétaire d’État George Shultz, membre de la Hoover Institution à Stanford. Celui-ci lui ouvre les portes du conseil d’administration de Chevron, auquel il siège lui-même.

Désormais courtisée par l’establishment économique, Condoleezza Rice est également appelée pour intégrer le conseil d’administration de Charles Schwab Corp., Transamerica Corp., Hewlett Packard, le conseil international de J.P. Morgan, le Carnegie Endowment for International Peace et la Rand Corporation.
Mais c’est son poste au sein de Chevron, où elle est officiellement experte sur le Kazakhstan, qui l’occupera principalement durant la décennie suivante, au point qu’en 1995 la compagnie donne son nom à l’un de ses tankers pétroliers battant pavillon des Bahamas. Durant cette même décennie la compagnie a en effet considérablement augmenté ses bénéfices, essentiellement grâce à ses activités au Kazakhstan et en Angola, où elle assure l’essentiel de la production pétrolière et gazière. Ses revenus nets passent de 1,2 milliards de dollars en 1991 à 5,2 milliards en 2000.
En Angola, c’est le soutien ou plutôt le contrôle du régime d’Eduardo Dos Santos et de son Mouvement pour la libération populaire de l’Angola (MLPA) par l’administration états-unienne qui permet à Chevron de s’assurer de tels bénéfices. Les élections de 1992, qui maintiennent Dos Santos au pouvoir en dépit des protestations de la plupart des observateurs internationaux, sont bien entendu acclamées par l’ambassadeur états-unien dans le pays, Herman Cohen [8]. Suivra une effroyable guerre civile durant laquelle Dos Santos arme la population contre les rebelles de l’UNITA de Joseph Savimbi, qui seront qualifiés de « menace extraordinaire pour la politique étrangère des États-Unis » autant par Bill Clinton en 1993 que par George W. Bush en septembre 2001. Les deux administrations successives imposent également des sanctions à l’encontre de l’UNITA, à mesure que les projets d’exploitation offshore de Chevron prennent de l’ampleur.
Comme c’est le cas dans bien d’autres pays producteurs, les compagnies étrangères fournissent la technologie, qui est primordiale dans le cas de l’Angola où le forage en eaux profondes a débuté dans la deuxième moitié des années 1990. En échange, l’Angola accorde aux sociétés impliquées une part significative de la production pour de nombreuses années, tout en s’endettant lourdement. Ce qui permet de garantir son soutien à la politique de Washington.
Si le rôle précis de Condoleezza Rice dans ce contexte et au sein du conseil d’administration de Chevron n’est pas précisément documenté, il est certain que ce ne sont pas ses connaissances en soviétologie qui lui ont valu ce poste, mais bien son expérience dans l’administration et donc sa capacité à coordonner les intérêts de Chevron avec la politique étrangère du pays.

Dans le cas de l’activité de Chevron au Kazakhstan, pour laquelle Mlle Rice était la principale conseillère, les conflits d’intérêts avec sa fonction ultérieure de conseillère pour la sécurité nationale ne font pas plus de mystère. La joint-venture de Chevron avec le gouvernement kazakh signée en 1993 permet à la compagnie de quasiment doubler ses activités dans le domaine des pipelines, avec la construction du projet reliant le gisement géant de Tengiz au port russe de Novorossiyisk (Mer Noire) qui s’est achevée en 2001. Mais c’est le gouvernement russe, avec près de 50% des parts dans le projet, qui obtient la part belle, celle de Chevron ne s’élevant qu’à 20%. Parallèlement, l’envoyé spécial des États-Unis auprès du régime taliban d’Afghanistan, Zalmay Khalilzad, négocie les droits de passage d’un autre pipeline partant du Kazakhstan, destiné quant à lui à acheminer le pétrole et le gaz vers l’océan indien en contournant les zones d’influence russe. Ces négociations échouent en 1998 lorsque Bill Clinton fait bombarder des sites afghans, et les compagnies commencent alors à anticiper l’ère post-taliban. M. Khalizad devient alors employé de la Rand Corporation dont Mlle Rice est administratrice.
Après l’arrivée au pouvoir de George W. Bush en janvier 2001, Khalilzad rejoindra le National Security Council sous les ordres de Condoleezza Rice, afin de régler la question des Taliban. Il s’appuiera pour cela sur l’ancien consultant de la compagnie états-unienne Unocal, Hamid Kharzaï, qui ouvrira pour de bon la voie aux intérêts pétroliers états-uniens en Afghanistan.
Charles Lewis, fondateur du Center for Public Integrity, commentait ainsi la nomination de Condoleezza Rice en 2001 comme Conseillère pour la sécurité nationale : « Ces intérêts pétroliers chiffrés en milliards de dollars sont actifs partout dans le monde. Alors comment diantre est-il possible de se récuser des intérêts d’une société comme Chevron ? Il s’agit plutôt d’un problème portant sur le processus de récusation et la manière dont il fonctionne. Je ne vois vraiment pas, honnêtement, comment elle peut occuper le poste de Conseillère pour la sécurité nationale et se retirer totalement, à 100 %, des questions qui peuvent avoir trait à Chevron. Je pense qu’il serait virtuellement impossible pour elle d’exercer ses fonctions en toute honnêteté. » [9]

Retour à Stanford

Parallèlement à ses activités pétrolières, la carrière universitaire de Condoleezza Rice suit son cours. En 1993, elle est nommée prévôt de l’université de Stanford par le président Gerhard Casper, ce qui lui permet de prendre le deuxième poste administratif le plus important de la faculté à seulement trente-huit ans. Elle est chargée de superviser près de 10 000 employés ainsi qu’un budget d’environ 1,5 milliards de dollars. Elle restera six ans à ce poste. Au cours des trois premières années, elle parvient à réduire le budget de 17 millions de dollars, grâce à des mesures expéditives. Rice suscite même un mouvement de contestation inédit après avoir renvoyé une importante responsable de Stanford, connue pour être l’« âme de la Faculté », une chicano, un fait très rare à ce niveau administratif. Malgré une grève de la faim de plusieurs étudiants chicanos, Rice ne reviendra pas sur sa décision. Tout comme elle balayera d’un revers de main l’ensemble des critiques émanant du corps enseignant sur le faible taux de femmes et de représentants des minorités, soit comme étudiants, soit comme personnels de l’université.

Voici un extrait de la « Pétition contre la sélection de Condoleezza Rice comme oratrice d’ouverture de la cérémonie des diplômes de Stanford en 2002 » concernant ses activités dans l’université [10] :

Lorsqu’elle était prévôt à l’Université de Stanford (1993-1999), Condoleezza Rice a constamment échoué à résoudre des problèmes sérieux concernant les pratiques d’acceptation et d’embauche des minorités et des femmes. Le Dr Rice a également affaibli divers groupes et programmes du campus, particulièrement ceux qui tentaient de répondre aux attentes des femmes et des minorités. Par exemple :

  Le Dr Rice a refusé à plusieurs reprises d’accorder des postes à des professeurs femmes ou appartenant à des minorités, exacerbant la distinction de Stanford comme l’une des moins mixtes parmi les universités d’élite aux États-Unis. Lorsque le Dr Rice a quitté son poste de prévôt en 1999, les chaires de Stanford étaient à 14 % féminines, nettement moins que la moyenne nationale de 25 %. [11]

  A défendu la politique d’embauche de Stanford tout en enregistrant des plaintes formelles de 15 professeurs femmes documentant des pratiques discriminatoires. Les statistiques biaisées du Dr Rice (voir le rapport de Stanford du 17/06/1998 « Divergences sur les données concernant l’attribution des chaires ») constituaient le noyau de la défense de Stanford contre un rapport du caucus des facultés féminines qui a finalement abouti à une plainte formelle déposée par 15 professeurs auprès du ministère du Travail [12].

  A affaibli le programme d’Ateliers de travail étudiants sur les questions politiques et sociales (SWOPSI) qui avait soutenu des douzaines de cours initiés par des étudiants, certains de ces cours étant devenus très populaires au point d’être incorporés par l’académie. Son prétexte creux : « manque de fonds ».

  A recommandé que tous les centres communautaires ethniques soient hébergés dans un bâtiment unique (Old Union), en faisant dans la pratique une colonie pour « gens de couleur » sur le campus. Seule la résistance du syndicat des étudiants noirs a empêché sa proposition d’être mise en application, ce qui leur valut d’être cantonnés dans un bâtiment en décrépitude entouré d’asphalte jusqu’à ce que le toit se détériore au point qu’ils bénéficient finalement de subventions.

  A licencié Cecilia Burciaga, la plus ancienne hispanique de Stanford (25 ans sur le campus) et membre permanente de la Casa Zapata. Des diminutions de budget furent également invoquées comme excuse. Cette hostilité envers les communautés ethniques de Stanford a déclenché les grèves de la faim de 1994.

  A « négocié » avec les grévistes de la faim sur quatre demandes - AUCUNE d’entre elles n’ayant été entièrement honorées par l’université. En tant que prévôt, le Dr Rice a usé de toutes les petites tactiques et manœuvres de subventions symboliques possibles et imaginables pour faire obstacle à ce que l’accord manifeste entre les grévistes de la faim et l’administration universitaire soit rendu officiel. Son bureau a par ailleurs discrètement ignoré les recommandations provenant de plusieurs rapports commandés par des universités sur la place des femmes, des gens de couleur et de la communauté homosexuelle.

  A refusé un statut départemental aux Études africaines et afro-américaines, ainsi qu’à d’autres programmes ethniques émergents, en soutenant la proposition d’un département d’études comparatives sur la race et l’ethnicité pour contrer les demandes de départements d’études hispaniques et asiatiques. Ce « compromis » signalait la fin de tout espoir de voir Stanford acquérir le statut départemental pour les études ethniques individuelles, de même que pour la proposition de l’Old Union, les efforts pour faire perdurer un enseignement et des recherches reconnaissant une analyse raciale à Stanford furent consolidés. Ceci les privait du statut que beaucoup d’autres universités - dont Harvard et Princeton - ont été en mesure d’accorder à leurs différents départements d’études ethniques.

  A refusé de traiter le problème de l’échec de l’université à trouver un directeur pour le Centre Stanford de recherches hispaniques (SCCR), l’affaiblissant au point que Stanford n’ait « plus d’autre choix » que de rabattre ses rescapés vers l’Institut de recherches CSRE approuvé par Rice.

  A fait annuler le vote en 1969 du Sénat académique qui avait mis fin à l’utilisation par le ROTC (Corps d’entraînement des officiers réservistes) des installations de Stanford (après avoir privé les instructeurs du statut universitaire) en signant un accord avec le ROTC lui autorisant l’usage des installations de Stanford et lui attribuant des crédits pour ses cours sur le campus.

À cette époque, Condoleezza Rice est relativement en retrait de la vie politique et même du monde des idées. Son ouvrage co-écrit avec Philip Zelikow, est une célébration très consensuelle du succès de l’alliance entre Margaret Thatcher, François Mitterrand, Helmut Kohl et George H.W. Bush pour faire tomber le mur de Berlin [13]. Elle reste longtemps silencieuse sur les relations menées par le président Démocrate Bill Clinton avec la Russie de Boris Eltsine.

Chef des Vulcains

Dans le bureau ovale avec George W.

Sa carrière politique n’est pourtant pas achevée. En 1996, après la création du Congressionnal Policy Advisory Board par Martin Anderson, elle rejoint les rangs de ce groupe de responsables républicains chargés d’élaborer le programme de leur futur candidat pour les élections présidentielles de 2000. Au sein de l’équipe spécialisée en politique étrangère, elle côtoie Donald Rumsfeld, Dick Cheney, Paul Wolfowitz, mais aussi son ami George Shultz et Caspar Weinberger. En août 1998, elle organise une première rencontre avec le gouverneur du Texas, George W. Bush, dans la résidence familiale de Kennebunkport, pour évoquer la future élection présidentielle. Au même moment, alors que l’économie russe s’effondre, Rice lance de virulentes attaques contre le gouvernement Eltsine et les soutiens dont il a bénéficiés de la part des Démocrates. Elle recommande un détachement des États-Unis de la Fédération de Russie et un renforcement de l’opposition à la guerre en Tchétchénie. Ces propos sont interprétés par de nombreux spécialistes de la Russie comme un appel au retour à la stratégie du containment. Peu de temps après, elle est chargée par George W. Bush de s’occuper de la partie « politique étrangère » de sa campagne présidentielle à venir. Elle est épaulée pour cela par Paul Wolfowitz, bien que sa relation privilégiée avec le futur président lui assure une certaine prééminence. En 1999, ils constituent tous deux une équipe de conseillers, dénommés les Vulcains. Ceux-ci comprennet Richard Armitage, Richard Perle, Dov Zakheim, Stephen Hadley, Robert Blackwill et Robert Zoellick.

L’aventure est couronnée de succès. Ayant réussi à surmonter de graves carences en terme de connaissances géostratégiques, George W. Bush accède le 20 janvier 2001 à la Maison-Blanche, sur décision de la Cour suprême. Les Vulcains, au premier rang desquels Condoleezza Rice, intègrent la nouvelle administration. A moins de cinquante ans, elle devient la première femme et la première représentante de la communauté noire états-unienne à diriger le National Security Council.

[1« A lesson from Condoleezza Rice », par Derrick Z. Jackson, Boston Globe, 20 novembre 2002.

[2« Famous Members, Phi Beta Kappa Website.

[3Bushwomen - Tales of a Cynical Species, de Laura Flaunders, Verso, 2004.

[4« Small Steps, Giant Leaps », par Condoleezza Rice, in A Voice of Our Own, ed. Nancy M. Newman, Jossey-Bass, 1996.

[5L’amiral William J. Crowe a servi au Vietnam et dans le Golfe, puis dirigé les forces alliées dans le sud de l’Europe de 1980 à 1983. Il est ensuite devenu chef d’état-major interarmes sous Ronald Reagan et George H.W. Bush, et ambassadeur à la Cour St James en Grande-Bretagne, de 1994 à 1997. Il est membre du Council on Foreign Relations dont il a présidé un groupe de travail en février 2001 sur les moyens de prémunir les États-Unis contre la menace terroriste. Il est président de Bioport, la société pharmaceutique chargée de « produire, tester, embouteiller et stocker le vaccin contre l’anthrax ». Voir « Intoxication à l’anthrax », par Paul Labarique, Voltaire, 10 mars 2004.

[6« The Soviet Alliance System », par Condoleezza Rice, in The Gorbachev Era, d’Alexander Dallin et Condoleezza Rice, eds., Stanford, CA, 1986.

[7The Rise of the Vulcans, de James Mann, Viking, 2004, p. 172.

[8« Chevron oil and the Savimbi problem », par James P. Lucier pour le magazine mooniste Insight, 29 avril 2002.

[9Lors de sa nomination en tant que Conseillère pour la sécurité nationale en 2001, Condoleezza Rice déclare être en possession de 250 000 dollars en stock options Chevron, en plus d’un revenu annuel supérieur à 550 000 dollars.

[10Vous pouvez consulter le texte intégral de la pétition sur le serveur de l’université de Stanford.

[11Plus d’informations sur stanford report, CSF Guarsman et Stanford Magazine

[12Plus d’informations sur le serveur du conseil de la faculté.

[13Germany Unified and Europe Transformed - A Study in Statecraft, de Philip D. Zelikow et Condoleezza Rice, Harvard Edition, 1995.