Le voyage en Europe de la ministre des affaires étrangères américaine rappelait le conte du loup et des sept agneaux dans lequel le loup mange de la craie pour éclaircir sa voix et avoir un ton plus amical mais sans aucun succès. Le président, lors de sa visite en Europe, va aussi faire usage de tous ses charmes méridionaux pour promouvoir " une nouvelle étape des relations transatlantiques ". Cela signifie-t-il modification fondamentale de la politique extérieure américaine ? Bush junior est-il devenu un autre depuis sa convaincante réélection ? Vraisemblablement non.
Il louera à plusieurs reprises la liberté, la démocratie et le droit ; Mais il n ’évoquera pas Guantanamo, ni sa " stratégie de sécurité nationale " du 17 Septembre 2002 et sa volonté documentée, en passant outre l’interdiction de l’ONU, de mener des guerres préventives et d’affirmer l’hégémonie militaire des États-Unis. Le président sera peu disert sur ces principes qu’il applique, qu’il pense légitimes et soufflés à son oreille par Dieu. Qu’y a-t-il de nouveau à part la façon de parler ?
Derrière cette offensive de charme américaine se cache un appel à l’aide : sans l’appui diplomatique de l’Europe et sans un apport de main d’œuvre venant des alliés " volontaires " européens, un départ des troupes américaines d’Irak sera difficile. Ce pays est devenu le plus grand champ d’actions pour les terroristes islamistes de nombreux pays. La normalisation en Irak est aussi dans l’intérêt des Européens mais ces derniers savent que la démocratie au sens occidental n’existe presque nulle part dans le monde arabe, d’où leur scepticisme vis à vis de la démocratisation au Moyen-orient.
Il est d’un intérêt vital pour les Européens d’éviter le clash des civilisations entre l’Occident et l’Islam prédit par Samuel Huntington. Les États-Unis seraient bien moins exposés à la souffrance commune et l’on ne doit pas attendre de leur part beaucoup d’égards pour les conséquences politiques, religieuses et culturelles de leurs actes. Leur rapport à l’OTAN n’est pas clair, lorsque le pacte nord-atlantique a été conclu, c’était face à la menace soviétique. Il n’est pas cynique de dire que les membres d’un pacte militaire sont à la recherche d’un nouvel ennemi. Ce pacte n’a jamais eu pour objectif d’étendre la liberté et la démocratie à l’intérieur de frontières géographiques définies. Il n’oblige pas non-plus les pays signataires à la participation.
Les visites de chefs d’États à l’étranger servent, pour moitié, leur image auprès des téléspectateurs de leur pays. Reste à espérer qu’en dehors de la pompe, quelques discussions franches auront lieu à huis clos lors de sa visite. Malgré les divergences petites ou grandes, les nations américaines et européennes sont plus proches que de nombreux autres peuples ou États. Nous sommes liés par les Lumières et l’héritage ethnique. Les téléspectateurs américains doivent pouvoir le comprendre à l’issue de cette visite. Il faut comprendre, par la même occasion : nous les Européens, ne voulons pas être des vassaux, nous voulons conserver notre dignité.

Source
Die Zeit (Allemagne)

« Eine Frage der Würde », par Helmut Schmidt, Die Zeit, 21 Février 2005. Ce texte est adapté d’une interview.