À Madrid, le souffle du 11 septembre a atteint le sol européen. L’Europe doit répondre de façon cohérente face à une menace diffuse et insaisissable. On la nomme Al Qaïda, mais c’est en réalité une nébuleuse de groupes aguerris qui n’ont plus besoin d’impulsion ou d’organisation centralisée. À cette menace, l’Europe doit opposer une force de frappe policière et judiciaire. Elle doit aussi remédier à l’inapplication des décisions prises en coopération et à l’absence de partage des informations collectées par les services de renseignement nationaux.
Il faut commencer par appliquer les décisions prises en créant des équipes pénales dans un ou plusieurs États membres, en appliquant le mandat d’arrêt européen et la convention de 2000 autorisant les écoutes téléphoniques transfrontalières et le contrôle des flux financiers. Il faut aller plus loin en créant un organisme européen garantissant l’échange des renseignements collectés par les différents services nationaux. Ce centre travaillerait en collaboration avec Europol. Un tel système obligerait la France à fusionner les RG, la DST et la DGSE en une seule et même agence de renseignement. On notera que les suspects des attentats de Madrid avaient déjà été cités dans des enquêtes, il faut donc une meilleure transmission des renseignements et le projet de Constitution devrait être plus précis sur l’obligation de faire travailler ensemble les services de renseignement. Nous devons également constituer un corps européen de gardes-frontières des 25 pays membres et nous devons, face au terrorisme, décloisonner nos renseignements avec ceux des États-Unis.
Il faut également développer Eurojust, organisme qui devrait recevoir une copie de chaque dossier ouvert sur une enquête terroriste. Cette coopération doit être particulièrement soutenue sur les enquêtes sur les réseaux financiers du terrorisme et il faut en finir avec le secret bancaire. Il faut également que l’Union européenne mette en place une coopération avec les systèmes judiciaires des pays où se développent les groupes terroristes, mais à la différence avec les États-Unis il doit s’agir d’un partenariat et pas d’opération militaire. Il faut aider financièrement ces pays. L’Union européenne doit combattre le terrorisme dans le respect de la démocratie.

Source
Le Monde (France)

« Comment l’Europe peut agir », par Elisabeth Guigou, Le Monde, 31 mars 2004.