Il faut sauver Christian Chesnot et George Malbrunot, pas parce qu’ils sont français ou parce que notre pays a refusé de participer à la guerre déclenchée par les États-Unis, mais parce qu’ils sont journalistes et, à ce titre, de simples civils protégés par des conventions. Parce qu’ils sont des témoins et rien d’autre.
Nous avons sans doute eu tort d’insister sur leur nationalité ou sur les positions pacifistes d’Enzo Baldoni, le journaliste italien exécuté par ses ravisseurs le 26 août dernier. Quelle que soit la nationalité, les journalistes n’ont pas à être pris pour cible, quelles que soient leurs opinions. Établir des différences serait, à terme, criminel. Nous avons pu laisser penser que nous privilégions leur sort par rapport aux autres. L’heure n’est pas à s’interroger sur le bien-fondé des arguments avancés, des contacts noués. Aujourd’hui, il s’agit de sauver la peau de deux journalistes et d’un " fixeur " qui n’ont fait rien d’autre que leur métier. Qui risquent de mourir pour avoir voulu nous informer. Nous avons fait une autre erreur : annoncer trop vite que leur situation allait se régler vite. Il ne faut surtout pas se démobiliser en se montrant trop crédules aux moindres signes positifs. L’urgence est de les ramener vivants à la maison.
Cela fait maintenant plus d’un mois qu’ils sont détenus et que la diplomatie française s’emploie à leur libération. Paris n’a pas hésité à solliciter le concours de groupes extrémistes susceptibles de peser sur les ravisseurs. Il n’y a sûrement aucune autre façon de les sortir de là, Jacques Chirac a eu raison mais Washington et Iyad Allaoui ne l’entendent pas de cette oreille. Toutefois, ne pas apprécier les moyens mis en œuvre par les autorités françaises pour sauver deux de ses ressortissants est une chose, leur mettre des bâtons dans les roues en est une autre. Or on est en droit de s’interroger sur l’offensive lancée par les forces irakiennes et américaines contre les places fortes de la rébellion sunnite, au moment même où les négociations avec les ravisseurs étaient sur le point d’aboutir.
Un dernier mot. Ce qui se joue autour du sort de Georges Malbrunot, Christian Chesnot et Mohammed Al-Joundi ne concerne pas seulement les journalistes. S’il devait leur arriver malheur, c’est la possibilité même d’informer en Irak qui pourrait disparaître. Les Irakiens en feraient les frais. Sans information, osera-t-on encore parler d’exporter le droit et la démocratie dans une des régions du monde les plus hermétiques à ces valeurs ?

Source
Le Monde (France)

« Chesnot, Malbrunot et les autres », par Robert Ménard et Pierre Veilletet, Le Monde, 23 septembre 2004.