Outre le nombre de morts causées par l’invasion, l’agression de l’Irak a violé le fragile pacte international qui avait été adopté après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale pour interdire le recours à la force dans les relations internationales. Cette violation et la persistance du terrorisme ont obligé l’ONU à réfléchir aux justifications de l’usage de la violence.
L’usage de la force par un gouvernement est toujours accompagné de déclarations de bonnes intentions, mais il faut avoir une foi surprenante pour croire à ces promesses. Les États-Unis ont affirmé vouloir instaurer la démocratie en Irak et ils ont été obligés de concéder quelques éléments formels, mais l’Irak n’aura ni une vraie démocratie, ni une vraie souveraineté, à moins que la pression des citoyens états-uniens et irakiens ne deviennent trop forte. Si l’Irak devenait une vraie démocratie, il aurait une majorité chiite, se rapprocherait de l’Iran et des chiites saoudiens et on assisterait à la naissance d’une région chiite qui contrôlerait les principales réserves d’hydrocarbures de la planète. Au contraire, contrôler cette région pour les États-Unis permet d’empêcher l’émergence d’un monde tripolaire et d’une Europe et d’une Asie indépendantes comme l’a observé Zbigniew Brzezinski en 2003. Un Irak indépendant pourrait également profiter de l’argent du pétrole pour se réarmer contre Israël.
Dans la Charte des Nations Unies, une guerre d’agression est présentée comme le crime absolu, mais depuis les années 90, sous le mandat de Bill Clinton, les États-Unis ont élaboré une nouvelle doctrine dans laquelle ils se réservent le droit d’agir par la force unilatéralement. L’administration Bush n’a fait qu’approfondir cette nouvelle doctrine en se fondant sur la croyance de la destinée divine de la nation états-unienne. À l’opposé, l’ONU a réaffirmé dans les conclusions du rapport des experts de haut niveau que l’usage légitime de la force se limitait à la légitime défense. Dans ces conditions, la tension entre les États-Unis et le reste du monde ne peut que croître.

Source
El Periodico (Espagne)

« La debacle de Irak », par Noam Chomsky, El Periodico, 2 février 2005.