Officiers,
Sous-officiers,
Soldats,
Marins,
Aviateurs,
Gendarmes,
Mesdames et messieurs,
Chères familles,

La liberté a souvent, hélas, le goût du sang versé.

L’histoire de notre pays l’enseigne. Et le drame qui s’est noué lundi dernier l’a tragiquement rappelé.

Loin de France, ce 25 novembre, treize de nos soldats sont tombés.

Le vent fouettait la plaine ocre et aride du Sahel lorsque des commandos firent appel à des renforts aériens.

L’ennemi, poursuivi depuis plusieurs jours dans le Liptako, avait été repéré, et le combat engagé. Mais dans la steppe piégeuse du sud-Mali, parsemé d’acacias prostrés, la tombée imminente de la nuit rendait difficile la progression au sol.

Il fallait agir vite pour porter l’estocade.

Dans ce théâtre vaste comme l’Europe, la fulgurance vient du ciel.

Cinq hélicoptères - deux Gazelle, un Cougar et deux Tigre - décollèrent de Ménaka et de Gao, appuyés par une patrouille de Mirage 2000 venant de Niamey.

La manoeuvre s’exécuta : les Tigre et les Gazelle se mirent en chasse des terroristes. Le Cougar était prêt à extraire des forces au sol.

L’opacité totale.

Le silence, seulement troublé par le claquement mécanique des pales des rotors.

Les tourbillons de sable.

Et soudain, la fausse quiétude de cette nuit sans lune ni étoile rompue par le fracas sourd de deux explosions.

Le Cougar est l’un des deux Tigre venaient de percuter le sol.

Leurs équipages, treize de nos plus valeureux soldats, treize enfants de France, étaient tués sur le coup.

Ils étaient morts, en opération, pour la France.

Pour la protection des peuples du Sahel, pour la sécurité de leurs compatriotes et pour la liberté du monde.

Pour nous tous qui sommes là, réunis dans cette cour.

Au nom de la Nation, je m’incline devant leur sacrifice.

Je m’incline devant la douleur des familles.

Devant les parents qui pleurent un fils.

Les épouses, les compagnes qui perdent l’être aimé.

Devant les enfants que ce drame laisse orphelins, devant les enfants à naître dont cette guerre aura volé le père.

J’assure du soutien du pays tout entier les frères d’armes de nos treize morts.

Certains sont parmi nous. Tous les autres poursuivent le combat au Sahel. Je redis à tous, et à leurs chefs, ma confiance.

Nous pensons à eux en cette heure où la mission continue, sans trêve aucune.

Ils ont perdu treize frères d’armes. Pourtant à Niamey, à Gao, à Ménaka, ils se tiennent debout aux côtés de leurs camarades des armées du Sahel qui, elles aussi, payent le prix du sang. Engagés comme toujours. Soudés comme toujours. Sans d’autre but que d’accomplir leur devoir, comme ils le font depuis cinq années au Sahel.

Nous sommes à leurs côtés comme nous sommes aux côtés de l’armée de Terre, de toute la communauté militaire et de défense.

Nos treize soldats sont tombés.

Treize noms.

Treize familles.

Treize destins.

Le capitaine Nicolas Mégard avait 35 ans.

Cet enfant d’Ardres et de Calais rêvait depuis toujours de devenir pilote. Il s’était engagé à 20 ans comme sous-officier, avant de réussir le concours d’officier. Au Kosovo, au Mali, sur le sol français, il inspirait le respect et l’admiration de tous par ses qualités de tacticien et sa haute exigence envers lui-même. Il laisse une femme et trois enfants.

Le capitaine Benjamin Gireud avait 32 ans.

Au service de la France depuis dix ans, ce fils des Alpes, passionné de montagne, était un travailleur acharné. Aguerri aux terrains difficiles du Tchad et du Mali, son sens du devoir autant que sa gentillesse étaient reconnus de tous.

Le capitaine Clément Frison-Roche avait 27 ans.

Ce saint-cyrien brillant, major de sa promotion de pilote, avait grandi dans une famille de militaires qui lui enseigna le sens du dépassement de soi pour les valeurs les plus hautes. C’était sa première opération, qui devait marquer le début d’une longue carrière d’engagement, d’aventure, cette "poésie de l’action" pour reprendre les mots d’un de ses aïeux, écrivain. Nous pensons à sa femme, qui aura à apprendre à leur petite fille de sept mois l’héroïsme de son père.

Le lieutenant Alex Morisse avait 30 ans.

Engagé depuis dix ans, ce jeune officier plein de promesses affrontait ses missions militaires avec le sang-froid, la détermination, la valeur des plus grands. Pilote d’hélicoptère Tigre très expérimenté, avec plus de 1 000 heures de vol, il avait la passion de la transmission. Son souvenir vivra longtemps dans les gestes des jeunes pilotes à qui il avait tant appris.

Le lieutenant Pierre Bockel avait 28 ans.

Cet Alsacien était un homme d’engagement qui, passionné pour l’aviation, avait passé dès l’âge de 14 ans son brevet de pilote. Son talent et son sens tactique étaient salués de tous. Durant ses huit années dans la vie militaire, il assura quatre missions au Mali. Sa future épouse et lui allaient devenir parents.

L’adjudant-chef Julien Carette avait 35 ans.

Cet enfant du Nord servait la France depuis plus de dix-sept ans. Mécanicien hors-pair, il s’était distingué en Côte d’Ivoire, au Tchad, au Burkina Faso, en Afghanistan et au Mali. Son sens de l’humour, son enthousiasme, son amour des siens manqueront autant à ses frères d’armes qu’à sa femme et ses deux jeunes garçons, dont il avait fait le centre de toute sa vie.

Le caporal-chef Romain Salles de Saint-Paul avait 35 ans.

Cet enfant de France originaire de Colombie avait trouvé dans l’armée une seconde famille. En s’engageant, il avait voulu rendre à la France ce que la France et ses parents adoptifs lui avaient offert. Au Gabon, à Djibouti, au Mali, son dévouement impressionnait ses chefs comme ses camarades. Il était heureux de servir. Il laisse une épouse et deux petites filles.

Sept parcours exemplaires. Sept soldats d’exception. Sept hommes d’exception.

Et une même famille : celle de l’aviation légère de l’Armée de terre, des bérets "bleu cobalt" du 5ème Régiment d’hélicoptères de combat de Pau, un régiment d’élite, qui a tant donné au pays et lui donne tant encore. Chaque jour.

Le capitaine Romain Chomel de Jarnieu avait 34 ans.

Engagé depuis sept ans, ce Vendéen né au bord de l’Atlantique dans une famille de militaires et de marins avait le goût des horizons lointains. Il avait commencé une carrière civile prometteuse avant d’être rattrapé par une vocation irrépressible : devenir militaire et servir son pays. Projeté à plusieurs reprises pour servir la France sur les théâtres d’opérations extérieures, il avait gravi rapidement les échelons pour devenir, il y a quelques mois, chef de groupement commando montagne. Il aimait passionnément la vie militaire au point d’avoir écrit un livre sur son quotidien au régiment. Puissent ses mots gagner bientôt le coeur des Français et lui faire gagner une forme d’éternité.

Le maréchal des logis-chef Alexandre Protin avait 33 ans.

Envoyé plusieurs fois au Mali, ce natif de Charleville-Mézières était un équipier commando irréprochable. En dix années d’engagement, il avait mille fois prouvé son professionnalisme et sa loyauté.

Nous partageons le deuil de sa compagne. Tous deux cultivaient le projet d’avoir un enfant.

Le maréchal des logis Antoine Serre venait d’avoir 22 ans.

Cet enfant des Alpes, excellent athlète, était un amoureux de la nature et de la montagne. En entrant, avant même ses 18 ans, à l’Ecole militaire de haute montagne de Chamonix, il unissait ces passions à celle du service des autres. Son dynamisme et sa maturité impressionnaient ses pairs. Malgré sa jeunesse, il avait déjà effectué deux longues opérations au Mali.

Le maréchal des logis Valentin Duval avait 24 ans.

Ce Rouennais, issu d’une famille d’agriculteurs normands, montrait une rigueur et un talent qui lui valurent d’être major de sa promotion d’opérateurs réseaux, et d’intégrer le commando montagne. Ses compétences rares et son savoir-faire en transmission radio en firent un atout précieux pour chacune de ses trois missions au Mali. Nous pensons à sa famille déjà endeuillée l’année dernière par la perte accidentelle, en entraînement, de son beau-frère, lui aussi chasseur alpin.

Quatre parcours hors norme, quatre soldats d’élite.

Quatre amoureux de la montagne, aussi, qui avaient décidé de rejoindre le prestigieux 4ème Régiment des chasseurs de Gap et de faire leur ce mot d’ordre à l’altruisme inouï : "Toujours prêt, toujours volontaire".

Le maréchal des logis-chef Jérémy Leusie avait 33 ans.

Engagé au sein du 93ème Régiment d’artillerie de montagne de Varces, cet Angevin en était devenu une des figures les plus expérimentées. Ses qualités humaines rivalisaient avec ses qualités physiques. Il était une force de la nature, à la dimension de l’histoire de son régiment et de sa devise "de roc et de feu". Il a porté cette flamme qui l’animait, au Tchad, en Afghanistan, au Mali de nombreuses fois, et laisse une compagne.

Le sergent-chef Andreï Jouk avait, lui, 43 ans.

Entré dans la Légion étrangère comme sapeur d’assaut il y a onze ans, ce Biélorusse avait suivi un parcours remarquable jusqu’à devenir commando montagne. Il fut projeté à plusieurs reprises au Sahel. Le 2ème Régiment étranger de génie de Saint-Christol se souviendra longtemps de ce soldat d’une bravoure extraordinaire, Français non par le sang reçu mais par le sang versé. Il était père de quatre enfants et avait fait le choix de défendre notre pays et nos valeurs.

Oui, treize destins français.

Treize visages, treize vies données.

Treize hommes que la fraternité des combats et des entraînements dans les sommets enneigés comme dans les cieux étoilés avait rapprochés et que la mort, à jamais, a unis.

Treize noms qui seront inscrits dès demain à l’encre de pierre sur le monument aux Morts pour la France en opérations extérieures.

Comme les noms de l’engagement de nos armées pour notre défense.

Comme les noms de la lutte de tout un pays contre ses ennemis.

Comme les noms de la guerre de toute une Nation contre le terrorisme.

Comme les noms du combat universel de la France pour la liberté.

Soldats !

Voyez vos communes de Pau, de Gap, de Varces-Allières-et-Risset et de Saint-Christol d’Albion, leurs élus rassemblés dans cette cour des Invalides, à la fois lourds du chagrin de votre disparition et fiers de votre engagement, de votre courage, de votre sacrifice. Voyez les maires des villes où vous êtes nés qui portent la peine de tout un peuple.

Les larmes coulent sur les flancs des Pyrénées, du massif des Ecrins, du Vercors, et des plateaux du Lubéron. Elles coulent aussi sur vos terres natales des Alpes, d’Alsace, d’Auvergne, de Mayenne, du Nord, de Normandie et de Vendée. Sur les terres où vous avez vécu et où vos proches vivent. Sur toutes les terres de France.

Mais ces larmes de tristesse sont mêlées d’espoir et de détermination.

L’espoir en notre jeunesse, en notre armée.

La détermination à faire triompher des valeurs de notre République.

Soldats !

Voyez ces enfants de France venus des quatre coins du pays, de vos villes et de vos villages. Peut-être les avez-vous croisés quelquefois.

Si jeunes, mais si reconnaissants pour tout ce que vous avez accompli.

Si conscients, aussi, de ce qu’ils vous doivent : leur avenir, leur sécurité.

Si conscients des rêves que vous n’avez pas tous pu accomplir et qu’ils poursuivront pour vous.

Soldats !

Voyez, devant vous, ces anciens combattants et tous les porte-drapeaux venus de nos régions. Par leur engagement et leur exemple, par leur présence, ils nous rappellent ce que nous devons à nos aînés.

Et ils vous inscrivent dans une Histoire, celle de la Nation, dont les fils s’entrelacent avec l’Histoire de nos armées.

Des batailles de Champagne à celles de Dobro Polje, de la bataille des Alpes à la campagne d’Allemagne, de Narvik à Bir-Hakeim, ces lieux résonnent des exploits de vos unités et de leurs ancêtres, par-delà les siècles.

Jean Vallette d’Osia, Albert de Seguin de Reynies, Tom Morel !

Tous ces héros dont les silhouettes veillent sur la Patrie, ici, aux Invalides.

Et dont les treize noms que nous pleurons ce jour sont les dignes héritiers.

Oui, voyez, Soldats, la Nation s’unir dans la diversité des opinions et des croyances, des horizons et des différences, autour de vous, des drapeaux bleu-blanc-rouge qui ornent vos cercueils.

Vos couleurs. Nos couleurs.

Les couleurs d’une Nation libre, toujours.

Et unie autour du sacrifice de ses enfants pour qu’elle vive libre, forte et fière.

Vous étiez treize soldats, treize engagés volontaires.

Engagés pour une idée de la France qui vaut d’être servie partout où il faut défendre la liberté des hommes et où la Nation le décide.

Un engagement profond, modeste et discret, qui n’est rendu public que par le sacrifice ultime.

Loin du fracas des mots inutiles.

Volontaires, car chacun avait choisi, seul, exerçant son libre arbitre, de parcourir tout le chemin de la force et de l’honneur d’être homme.

Ainsi, ce que nous saluons aujourd’hui, c’est non seulement le devoir de chacun de ceux qui, à leur place, servaient la France sous les armes, mais l’acceptation lucide et profonde de ce devoir, qui fait du soldat français un citoyen d’autant plus admirable.

Soldats !

Nous ferons bloc pour cette vie de peuple libre conquise grâce à nos armées, grâce à vous.

Chef d’escadron Nicolas Mégard,

Chef de bataillon Benjamin Gireud,

Chef de bataillon Clément Frison-roche,

Chef d’escadrons Romain Chomel de Jarnieu,

Capitaine Pierre Bockel,

Capitaine Alex Morisse,

Major Julien Carette,

Adjudant Jérémy Leusie,

Adjudant Andreï Jouk,

Adjudant Alexandre Protin,

Maréchal des logis-chef Valentin Duval,

Maréchal des logis-chef Antoine Serre,

Maréchal des logis Romain Salles de Saint Paul,

Comme chef des Armées, j’ai décidé de vous promouvoir, ce jour, au grade supérieur.

Au nom de la République française, je vous fais chevalier de la Légion d’honneur.

Vive la République !

Vive la France !