Guerres de basse intensité
Si la guerre oppose classiquement des États entre eux, les « conflits de basse intensité » opposent un État à des acteurs non-étatiques. L’expression, créée par le chef d’état-major privé de la reine Elizabeth II, Sir Frank Kitson, s’applique aux contre-insurrections dans les colonies, à la lutte contre la subversion durant la Guerre froide, et à certaines opérations de « maintien de la paix ».
Alors que les résistants, rebelles ou autres guérilleros cherchent à se mouvoir dans la population « comme un poisson dans l’eau », selon la formule de Mao Zedong, la guerre de basse intensité vise d’abord à séparer les combattants du reste de la population, au besoin en déplaçant de force les populations isolées dans des zones surveillés, puis à « neutraliser » les individus suspectés d’être des combattants.
Le développement récent d’opérations de « maintien de la paix » par l’ONU illustre la dérive de l’Organisation au service des grandes puissances. Ce qui devait être exceptionnel est devenu routinier : les Nations Unies déploient des forces militaires non pour surveiller l’application d’accords de paix, mais pour imposer ces accords à des parties récalcitrantes, devenant ainsi elles mêmes parties du conflit. Ce phénomène s’est accentué avec la réforme Brahimi en totale contradiction avec les principes de la Charte de San Francisco.
Depuis la disparition de l’Union soviétique, l’OTAN abandonne son caractère d’armada conventionnelle et se spécialise dans les guerres de basse intensité. En Afghanistan, elle entraîne les armées alliées à ce type de combat.


La destruction de la ville de Falloudja par les forces de la Coalition marque le point de non-retour d’une campagne de contre-insurrection au-delà duquel toute victoire militaire devient une défaite politique. Le Pentagone reproduit, au prix humain le plus fort, les erreurs qu’il avait commis au Viêt-nam. Le déploiement de la très secrète opération Phénix contre le Viêt-cong sert aujourd’hui de modèle à l’état-major états-unien face à la résistance coordonnée par le Ba’as. Pourtant, cette opération trop tardive, conduite pendant cinq ans, n’a pas permis aux États-Unis de se maintenir en Asie du Sud-Est. Identiquement, l’actuelle répression en Irak, même poursuivie plusieurs années, ne peut pas permettre à la Coalition une occupation prolongée.

Au moment où George W. Bush doit définir les objectifs de son second mandat présidentiel, le journaliste mexicain Carlos Fazio rappelle que des plans d’intervention militaire en Amérique latine ont été préparés par le Pentagone dès le 11 septembre. Sous couvert de lutte contre le terrorisme, ils permettraient aux États-Unis d’éradiquer toute opposition à leur domination impériale sur le continent. Pratiquement, Washington ferait sous-traiter ces guerres par des armées locales et des mercenaires, réutilisant ainsi les techniques de la guerre sale des années 70 sans avoir à se salir directement les mains avec des escadrons de la mort.

Face à un soulèvement populaire, la Coalition anglo-saxonne a recours aux méthodes classiques de contre-insurrection : frapper aveuglément les civils, les terroriser pour les dissuader de participer à la résistance. Alors que la guerre est officiellement terminée et que l’armée de Saddam Hussein a été dissoute, les bombardements ont repris, non plus contre les cibles militaires, mais civiles. Interdisant aux journalistes l’accès aux zones de massacres, la Coalition multiplie les crimes de guerre sans témoins.

En 1948, le Royaume-Uni entreprit d’éradiquer le Parti communiste malais avant de donner son indépendance à la colonie, de manière à pouvoir maintenir l’exploitation économique du pays sur une longue durée. Sur ce théâtre d’opération, la Couronne expérimenta les premières méthodes de contre-insurrection incluant le regroupement forcé des populations en « hameaux stratégiques » et la défoliation de la jungle. Un modèle qui inspira les États-Unis du Viêt-Nam à l’Irak.

Pour renverser le président indonésien Sukarno qui s’était allié aux communistes, les États-Unis expérimentent pour la première fois à grande échelle la stratégie de la tension et la guerre de contre-insurrection, en 1965. La CIA subventionne à la fois des maquis sécessionnistes et l’armée qui les combat. Puis elle met en scène un faux complot pour justifier l’élimination des soutiens du président par une junte militaire. Ayant déstabilisé le pays, Washington provoque une guerre civile au cours de laquelle il mobilise la population pour assassiner 500 000 à un million de sympathisants communistes.

Pour imposer son ordre en Amérique latine, George W. Bush a fait appel à un spécialiste inflexible de la contre-révolution, Otto Reich. Malgré les protestations de tous les États latino-américains et du Sénat, il en a fait son émissaire spécial dans le continent. L’homme a un passé chargé : planificateur de déstabilisations, concepteur de propagande, protecteur de terroristes et organisateur de coups d’État. En outre, joignant l’utile à l’agréable, il promeut les intérêts de ses clients personnels comme Bacardi et Lockheed.

Fondée à Taiwan par Tchang Kaï-Chek, le révérend Moon et des criminels de guerre nazis et nippons, la Ligue anti-communiste mondiale (WACL) a d’abord été utilisée sous Nixon pour étendre les méthodes de contre-insurrection en Asie du Sud-Est et en Amérique latine. Sept chefs d’État participaient alors à ses travaux. Elle a connu une nouvelle vitalité sous Reagan devenant un instrument conjoint du complexe militaro-industriel états-unien et de la CIA dans la Guerre froide. Elle fut alors en charge des assassinats politiques et de la formation des contre-guérillas dans toutes les zones de conflits, y compris en Afghanistan où elle était représentée par Oussama Ben Laden.

L’opinion publique états-unienne et britannique découvre des cas de torture infligés par les forces de la Coalition à des prisonniers irakiens. Bien que les gouvernements s’efforcent de présenter ces horreurs comme des bavures, elles ont été pratiquées sous l’autorité directe du commandant du Centre interarmes d’interrogatoire dans le cadre d’une stratégie de terrorisation de la population planifiée par l’état-major. Loin d’être des événements marginaux, ils sont les prémisses de la campagne de contre-insurrection que dirigera à partir de juillet John Negroponte en s’appuyant sur les tortionnaires du régime de Saddam Hussein dont il a annoncé la réhabilitation.

La Collaboration et l’implication des droites dans le régime de l’État français font l’objet d’interprétations historiques controversées. Des historiens comme Raymond Aron ou René Rémond se sont efforcés de développer le concept d’une « immunité française au fascisme ». Cette thèse, qui répondait à une nécessité politique dans le contexte de la réconciliation nationale, est aujourd’hui remise en cause par les chercheurs. On découvre ainsi le rôle de l’école d’Uriage, qui fut le laboratoire idéologique de la Révolution nationale de Philippe Pétain et dont sont issus de nombreux intellectuels de l’après-guerre comme Hubert Beuve-Méry, fondateur du quotidien Le Monde, ou Jean-Marie Domenach, directeur de la revue Esprit.

Pour rétablir l’ordre en Irak, Washington a fait appel au meilleur spécialiste de la contre-insurrection : John Negroponte. Celui-ci, formé lors des guerres du Viêt-Nam et du Cambodge, dirigea personnellement les escadrons de la mort en Amérique centrale et finança les Contras du Nicaragua en organisant un trafic de cocaïne vers les États-Unis. Dès son arrivée à la Maison-Blanche, George W. Bush l’avait réhabilité en le nommant ambassadeur à l’ONU. À ce poste, il conduisit des campagnes de diffamation contre Hans Blix et mit en place un espionnage généralisé des membres du Conseil de sécurité. Il succédera bientôt à L. Paul Bremer III.


Terrorisme et manipulation de la société civile