Procès-verbal de la séance du mardi 1er avril 2003

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

Les témoins sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du Président, les témoins prêtent serment.

M. le Président : Mes chers collègues, pour notre première audition nous recevons M. Serge Monnin, secrétaire du comité d’entreprise d’Air Lib et délégué syndical CFDT et MM. Gilles Nicoli et Geoffroy Lamade, délégués syndicaux CFDT. Messieurs, nous avons estimé qu’il convenait de donner la parole, en premier lieu, suite à la disparition d’Air Lib, aux représentants des salariés et en tout premier lieu à la CFDT, majoritaire au comité d’entreprise. Nous entendrons donc, aujourd’hui et demain, les délégués de cinq autres syndicats.

Messieurs, je vous propose de vous laisser la parole pour un exposé liminaire, puis nous vous poserons un certain nombre de questions.

M. Gilles NICOLI : Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les députés, vous avez l’intention de recevoir l’ensemble des organisations syndicales - vous en recevez entre aujourd’hui et demain sur onze organisations existantes au sein de l’entreprise - mais il me semble important que le comité d’entreprise soit associé à votre travail d’enquête, car c’est lui qui a la personnalité morale à l’égard des salariés. Il m’apparaît donc nécessaire que le comité d’entreprise soit entendu en tant que tel, ainsi que ses experts qui ont travaillé avec lui depuis de nombreuses années et qui pourront certainement vous apporter beaucoup plus d’informations techniques que nous ne sommes en mesure de vous fournir.

C’est la raison pour laquelle je prendrai la parole aujourd’hui, car il ne nous semble pas utile de mettre Serge Monnin en porte-à-faux entre ses deux rôles - délégué syndical et secrétaire du comité d’entreprise. Bien entendu, il interviendra en son nom propre, mais il est difficile pour nous aujourd’hui de dire que nous intervenons au nom du comité d’entreprise car aucune délibération du comité d’entreprise n’a été faite dans ce sens.

Je brosserai tout d’abord un historique de la situation d’Air Lib, car nous sommes convaincus qu’il y a eu une succession d’erreurs mal comprises qui nous ont emmenés dans un entonnoir.

L’ouverture à la concurrence date des années 90 et c’est bien une volonté politique qui a permis aux sociétés de se créer - avec des aides de banques d’Etat : Banque Rivaud, Crédit Lyonnais, etc. Nous étions donc, à cette époque, dans une situation de concurrence formidable mais l’année 1992 a vu cette concurrence bloquée par une aide qui a été donnée à Air France et des interdits politiques qui ont été imposés à Air Liberté et AOM. Par ailleurs, TAT, détenue à 35 % par Air France, a été vendue à la Caisse des dépôts, puis aux Anglais de British Airways par obligation et sur décision de Bruxelles.

En 1996, nous avons assisté au dépôt de bilan d’Air Liberté qui a été repris par British Airways. Air Liberté appartenait à la Banque Rivaud et AOM, qui appartenait au Crédit Lyonnais, a été obligée, après la faillite de cette banque, de trouver un acquéreur à travers le CDR. Ce sont des données qu’il convient de ne pas oublier, car si l’on veut étudier ce dossier au fond, il est indispensable de reprendre les faits au début.

En 1999, AOM a été rachetée par Swissair et Marine Wendel, par l’intermédiaire de sa filiale Taitbout dont le président est M. Seillière. Une étude de Wenger Plattner, sur Swissair, et la chronique des événements de 1996 à 1997 démontrent que ce rachat d’AOM a été réalisé de manière illicite par rapport aux règlements de Bruxelles. En effet, il s’agissait d’une entreprise non communautaire - Swissair - qui se retrouvait leader dans le domaine du transport aérien et leader d’une compagnie aérienne française.

Je signale qu’à cette époque la Direction générale de l’aviation civile et les ministères connaissaient cette opération et que rien n’a été entrepris pour revenir sur une situation illicite, malgré les demandes répétées des représentants des salariés.

En mai 2000, Swissair et Marine Wendel rachètent Air Liberté. Du mois de janvier au mois de mai, les représentants des salariés n’ont jamais été informés de cette vente par British Airways. Nous savions que deux opérateurs étaient intéressés : d’une part, Marine Wendel-Swissair, d’autre part, Air France. Bercy et Bruxelles interdisent à Air France de reprendre Air Liberté au nom de la concurrence et de la répartition des slots d’Orly, c’est donc Swissair qui nous rachète contre notre volonté, puisque nous estimions que la proposition la plus intéressante pour les salariés, et la plus opérationnellement viable, était le rachat par Air France. Malheureusement, la volonté politique était de faire un deuxième pôle aérien français, qui n’avait aucune chance de concurrencer Air France et qui était donc déjà en grande difficulté avant de commencer.

Je rappelle que parmi les conditions de reprise, le tribunal de Créteil, qui était chargé du redressement judiciaire d’Air Liberté en 1996, avait ordonné à Swissair-Marine Wendel de recapitaliser la nouvelle entreprise de 2 milliards de francs. Nous étions au début du mois de juillet 2000, mais cette recapitalisation n’a pas été faite immédiatement : si 1 milliard a été payé par Swissair dès le mois de juillet, le second milliard n’a été versé par Marine Wendel qu’en décembre, là aussi avec un montage douteux - bien que je ne sois pas en état de vous le démontrer - passant par une banque italienne, revenant à Marine Wendel par une espèce de changeur de monnaies luxembourgeois.

Cela est très important, car rien ne peut se faire sans cette recapitalisation : or celle-ci se termine en décembre 2000. Ce qui veut dire que de juin à décembre 2000, rien n’a pu être entrepris : pas de rapprochement concret entre AOM et Air Liberté, pas de demande de slots, pas de demande de licences d’exploitation, pas de mariage en fin de compte. Nous nous trouvions donc dans une situation qui ne nous permettait pas d’exercer notre métier dans de bonnes conditions.

Le 19 juin 2001, Swissair-Marine Wendel déposent le bilan. A cette époque, l’entreprise perd 500 millions de francs par mois, payés par les Suisses et non pas Marine Wendel. Swissair décide donc d’abandonner ses parts de participation, entre autres dans Sabena, Air Liberté, AOM, Air Littoral et dans d’autres entreprises.

Nous avions assisté aux assemblées générales suisses, et nous avions obtenu de M. Corti, président de Swissair, pour le redémarrage de cette nouvelle société AOM-Air Liberté, 2 milliards de francs. Or le 16 et le 27 juillet, dates des procédures, la somme est tombée à 1,5 milliard de francs. Tout cela parce que M. Rochet, qui était à l’époque président d’AOM-Air Liberté, a fait une proposition - illégale puisqu’il était l’auteur du dépôt de bilan - de 1,4 milliard de francs, probablement en accord avec son actionnaire suisse ; mais cela, je ne puis vous le démontrer. Jean-Charles Corbet a donc fait une proposition de rachat à 1,4 milliard. Je dois dire, pour l’avoir vécu, que le ministère de l’époque a accepté cette proposition en précisant - puisque le projet était à 1,8 milliard - qu’il s’arrangerait pour obtenir, dans les meilleurs délais, les 400 millions manquants. Cette entreprise partait donc déjà handicapée.

M. le Président : Qui a dit cela ?

M. Gilles NICOLI : Il s’agissait d’une proposition verbale faite au ministère.

M. le Président : Avant la décision du tribunal ?

M. Gilles NICOLI : Il s’agissait d’un engagement verbal du ministère. M. Corbet, à cette époque, se posait la question de savoir s’il continuait avec un projet estimé à 1,8 milliard en le diminuant pour l’ajuster à 1,4 milliard de francs ou s’il abandonnait. Car, dans son esprit et également dans le nôtre, les Suisses s’étant engagés à 2 milliards de francs, nous n’étions pas prêts à accepter un projet diminué de 0,4 milliard de francs.

M. le Rapporteur : Avez-vous entendu cette promesse et celle-ci a été donnée par qui ?

M. Gilles NICOLI : Par les conseillers du ministre. On était tous réunis avec MM. Ricono et Amar, je crois ; je ne sais plus exactement. Il fallait trouver une solution ; je pense qu’il y en avait d’autres possibles en matière de recapitalisation, mais il s’agissait d’explorations très lointaines. Il y avait également des possibilités de participation dans les DOM... La possibilité existait donc en partant d’1,4 milliard d’arriver à 1,8 milliard. Mais nous n’avions pas prévu les attentats du 11 septembre. Je vous rappelle que l’entreprise perdait depuis trois mois 500 millions de francs par mois ! C’était une gabegie incroyable !

M. le Président : Je crois qu’il y avait, à cette époque, trois propositions qui étaient faites au niveau du tribunal. Qu’est-ce qui vous a conduit, en tant que syndicalistes, à soutenir la proposition de M. Corbet après les discussions au ministère ? Et à quelle date tout cela s’était-il passé : avant ou après le jugement ?

M. Gilles NICOLI : Le jugement a été très long. Il y a eu plusieurs étapes. Tout d’abord, la reprise du passif, puis le redressement judiciaire, et enfin, la reprise sans participation au passif. Cela s’est donc passé à cette période, entre le 1er juin et le 31 juillet.

M. le Rapporteur : Juste avant la décision du tribunal ?

M. Gilles NICOLI : Oui. Nous avons discuté très franchement avec le ministère et l’ensemble des repreneurs. En France, pour réussir un projet aérien, il est indispensable d’avoir la force du ministère de tutelle de son côté. Nous avions la volonté de sauver l’entreprise, nous devions donc construire un projet commun.

Pourquoi avons-nous choisi Holco et non Rochet ? Parce que le projet Rochet n’était plus crédible aux yeux des salariés qui étaient unanimement contre lui. Il y a eu trois périodes Rochet : la période faste d’AOM, où Rochet était président ; celle où il a repris TAT pour British Airways et Air Liberté ; enfin, celle où il est intervenu comme sauveur pour le compte des Suisses, en février 2001. Mais son rôle, dans cette dernière période, était de liquider l’entreprise. Il n’était donc plus crédible, voire même hors jeu juridiquement du fait de sa position de mandataire ayant déposé le bilan ; c’est ce que nous a dit le président du tribunal de commerce de Créteil.

M. le Rapporteur : Le projet Rochet était donc, selon vous, inacceptable en termes social et juridique.

M. Gilles NICOLI : Tout à fait. Le deuxième dossier, le dossier FIDEI, n’était pas non plus crédible ; il reprenait d’ailleurs des données du plan Rochet. La troisième solution était le plan Corbet qui avait trouvé un soutien auprès des représentants des salariés et du ministère. C’est la raison pour laquelle nous pensions pouvoir y arriver. Mais la décision appartenait au président du tribunal de commerce de Créteil. Ce fut une séance très dure, mais si c’était à refaire, je le referais.

M. le Président : Je comprends qu’il est délicat de faire un tel choix, mais nous aimerions savoir quels critères vous ont amenés à choisir l’offre de M. Corbet, en termes d’investissement. En ce qui concerne les garanties d’investissement, quels éléments M. Corbet a-t-il apportés ? Avez-vous entendu parler d’investisseurs ? Qui étaient-ils et comment ont-ils été désignés, et y avait-il des éléments probants de leur volonté d’investir ?

M. Serge MONNIN : Je vais vous répondre car cette question concerne, au premier chef, le comité d’entreprise. Le jugement du 27 juillet fait clairement référence à la position et au soutien du comité d’entreprise sur le choix d’une offre. Nous devions trouver une offre - et aucune n’était malheureusement satisfaisante - et il s’agissait d’une alternative à la liquidation. Il faut comprendre les choses complexes et quelque peu romanesques que nous avons vécues au comité d’entreprise et au tribunal.

Les offres de Rochet et de FIDEI étaient à l’origine une seule et même offre : FIDEI soutenait un projet élaboré par M. Rochet. Il y a eu une dissension au sein des partenaires, l’avocat de FIDEI est donc venu au tribunal avec un élément de paper board déplié pour prouver qu’il avait été fait par M. Rochet. Cela nous a semblé totalement indécent compte tenu de l’enjeu. L’offre de Rochet et de FIDEI était totalement décrédibilisée par la façon dont elle s’est délitée toute seule : FIDEI n’avait aucune compétence dans le domaine aérien et M. Rochet, juridiquement, n’était pas en mesure, en tant que dirigeant, de présenter une offre. Sans compter que socialement, cette offre était inacceptable.

Aucune des offres ne présentait d’investisseurs, celle de M. Corbet pas plus que les autres, et aucun appui financier n’était crédible. Le seul élément, c’est que M. Corbet se présentait avec l’appui d’une grande banque canadienne - que nous ne connaissons pas - qui nous a présenté une lettre d’évidence de fonds à hauteur de 80 millions de francs. Il était donc le seul à mettre de l’argent sur la table. FIDEI était prête, quant à elle, à mettre 100 millions de francs à l’issue du processus, c’est-à-dire une fois qu’il aurait touché les 2 milliards des Suisses.

Nous savions donc qu’il n’y avait pas d’investisseur derrière ces différents projets, mais nous croyions à la possibilité de construire, à côté d’Air France, un projet aérien solide. Malheureusement il y a eu les attentats du 11 septembre.

M. le Président : Vous confirmez donc bien l’existence d’une lettre d’évidence de fonds présentée par la CIBC canadienne ; mais il ne s’agissait pas d’un engagement financier.

Avez-vous entendu parler de ce pôle d’investisseurs de 80 millions de francs ? M. Corbet en a-t-il parlé au cours de vos discussions ?

M. Serge MONNIN : Non. De mémoire, il n’y avait aucun investisseur derrière M. Corbet.

M. Gilles NICOLI : Il était prévu que des investisseurs arrivent le plus tôt possible, mais il n’y avait rien de concret. Il est difficile, dans le transport aérien, de trouver des investisseurs ; vous en avez la démonstration aujourd’hui.

M. le Président : Avez-vous entendu parler d’un accord " actions contre salaire " que M. Corbet aurait proposé à hauteur de 240 millions de francs, je crois ?

M. Serge MONNIN : Cela est complexe, mais je n’ai pas entendu parler de ce chiffre. Il est vrai que cette offre de M. Corbet est intervenue d’une manière progressive. C’est un ancien pilote de TAT qui l’a introduite : M. Jean Immediato, membre du SNPL comme M. Corbet, l’a présenté au comité d’entreprise. Pendant, très longtemps, cela ne nous paraissait pas crédible, mais au fur et à mesure des rencontres, nous avons appris que cela était appuyé par les fonds Concorde qui ont fait la participation capitalistique des navigants techniques chez Air France. Nous avons rencontré toutes les équipes, or pour ce qui concerne FIDEI nous n’avons rencontré que deux personnes : MM. Delepoule et son acolyte, qui est intervenu très peu de temps après pour le rachat de Moulinex, un domaine qu’il ne devait pas mieux connaître que celui de l’aérien. Cela explique aussi la façon dont on choisit une offre. M. Rochet avait la compétence technique, mais pas FIDEI. Les personnes qui s’occupaient du projet de M. Corbet connaissaient le métier.

Par ailleurs, M. Corbet était entouré d’une équipe, avec M. Bachelet, qui venait d’Air France Cargo, des personnes de la DRH, Pierre-Yves Lagarde, que nous avons rencontré pour discuter, avant même que l’on prenne position en tant que syndicat. Ces gens connaissaient bien le domaine aérien. Nous avons eu des discussions approfondies sur les moyens d’harmoniser les conditions de travail, de salaire, de classification entre les personnels d’AOM et d’Air Liberté. Nous nous sommes mis d’accord sur les grandes lignes, en ce qui concerne le personnel au sol, et du côté des navigants, notamment des pilotes, nous étions convenu d’une charte. Dans cette charte, se trouvait en effet une proposition, pour les pilotes, de réduction de 10 % du salaire contre une montée au capital de 34 %.

M. le Président : Cette charte a-t-elle été respectée ?

M. Gilles NICOLI : Non, mais l’accord n’a été respecté par aucune des parties.

M. le Rapporteur : L’accord a été signé ?

M. Gilles NICOLI : Il s’agissait d’une charte qui avait été signée entre les deux parties avant le passage au tribunal, et qui devait être suivie d’un accord sur une baisse de 10 % de salaire contre 34 % d’actions pour l’ensemble du personnel. Mais au mois de septembre 2002, nous discutions encore de ces 34 % d’actions et de la manière de conclure cet accord.

M. Serge MONNIN : Dernièrement, des réunions ont été organisées au sein du comité d’entreprise à travers la commission économique, auxquelles Pierre-Yves Lagarde, qui était un consultant de M. Corbet, a participé. Cette charte était un engagement mutuel, mais la reprise d’une entreprise, dans les conditions que l’on vient de décrire, ne peut être menée qu’avec la bonne volonté de chacun.

M. Xavier de ROUX : Je voudrais remettre les masses financières à plat, afin de comprendre comment tout cela pouvait tenir debout. Vous nous avez dit tout à l’heure que l’entreprise perdait 500 millions de francs par mois, ce qui veut dire que l’apport de Swissair de 2 milliards de francs représentait quatre mois de perte. Ce qui n’est pas grand-chose.

M. Gilles NICOLI : Swissair, avant de donner 1 franc, a fait signer aux représentants des salariés une clause de non attaque - ce qui est illégal. Nous avons signé, car nous n’avions pas le choix.

M. Xavier de ROUX : Je souhaiterais aller au bout de ma question. 500 millions de pertes par mois pendant quatre mois correspond à l’apport de 2 milliards des Suisses. Il y avait donc cette première contribution en capital - qui risquait d’être mangée rapidement - et un apport bancaire de la banque canadienne. Mais comment les apports bancaires étaient-ils garantis ?

M. Serge MONNIN : Il n’est pas tout à fait juste de dire que les 2 milliards de francs représentaient quatre mois de survie de l’entreprise, car 1 400 personnes ont été licenciées à ce moment-là. Le business plan accepté par les Suisses devait générer un certain nombre d’économies. On ne repartait donc pas avec 500 millions de francs de pertes par mois.

En ce qui concerne les garanties, il convient d’être clair, une lettre d’évidence de fonds n’est pas une garantie. Il n’y avait donc aucune garantie financière dans ce plan et le tribunal de commerce a d’ailleurs fait remarquer qu’aucun des plans ne répondait à des conditions favorables en termes de financement. Nous avons donc pris position en toute connaissance de cause ; le travail restait à faire après le rachat. La condition sine qua non à la réussite du plan était de trouver ensuite des investisseurs.

Les Suisses devaient nous verser non pas 2 milliards de francs mais 1,5 milliard. En réalité, ils n’ont versé qu’1,050 milliard, somme que nous allions grignoter jusqu’à ce que nous tombions dans un trou à moins de trouver un investisseur. C’était la règle du jeu et nous la connaissions. Par ailleurs, nous ne pouvions pas prévoir les attentats du 11 septembre.

La décision du comité d’entreprise, à l’époque, était la bonne. Il s’agissait d’un enjeu considérable au niveau social et ce plan me paraissait - et me paraît toujours - crédible sur le plan économique. Je trouve terrible ce qui arrive à notre compagnie aérienne, car je reste persuadé qu’elle a sa place à côté d’Air France, en proposant un produit complémentaire. Nous l’avons tenté. Quel que soit le jugement que l’on peut porter sur IMCA ou Virgin, qui sont des industriels de premier ordre, ces sociétés y ont cru comme nous. Cela conforte la décision que l’on a prise à ce moment-là.

M. Gilles NICOLI : Les résultats d’août, septembre et octobre 2001 - avec le 11 septembre entre-temps - ont été une perte de moins de 500 millions. S’il n’y avait pas eu le 11 septembre, ces pertes auraient peut-être été de 250 ou 300 millions et nous pouvions repartir au mois d’avril, avec la saison été toujours plus favorable pour le transport aérien.

M. le Rapporteur : Vous avez évoqué tout à l’heure le problème de l’intervention éventuelle du fonds commun de placement Concorde. M. Corbet vous a-t-il parlé d’une négociation avancée avec ce fonds commun, qui aurait pu intervenir dans la reprise d’Air Liberté à hauteur d’1 milliard de francs ? Connaissiez-vous ce fonds et sa solidité financière ? Ce problème a-t-il été évoqué lors des discussions préalables ?

M. Gilles NICOLI : Avec nous, non. Je sais que le fonds Concorde existe et qu’il est lié à Air France, mais il n’a jamais été question qu’il entre dans le capital d’Air Liberté.

M. le Rapporteur : Certaines personnes ont prétendu que des promesses avaient été faites en ce sens.

M. Serge MONNIN : Nous n’en avons jamais entendu parler.

M. Gilles NICOLI : M. Corbet nous a été présenté comme le président du fonds Concorde, mais cela s’est arrêté là.

M. le Président : M. Immediato, lors des discussions qu’il a eues avec vous, ne vous a jamais laissé penser que le fonds de placement pouvait intervenir ?

M. Serge MONNIN : A aucun moment. Il s’est appuyé sur le savoir-faire qui avait été développé à l’époque par M. Corbet, mais à aucun moment il n’a été question d’établir un lien capitalistique ou autre avec le fonds Concorde. Sinon, nous aurions cherché à rencontrer des représentants du fonds.

M. le Rapporteur : Vous nous avez dit que la fameuse charte avait été signée par tout le monde mais qu’elle n’avait pas été appliquée par les parties, M. Corbet n’ayant pas tenu ses engagements. Sur quel point portait le non-respect de l’accord de la part de M. Corbet ?

M. Gilles NICOLI : Il était en effet question d’une charte dans le plan qui a été présenté au tribunal. Si elle n’a pas été signée par tout le monde, elle l’a été par une majorité de représentants syndicaux PNT et il était question d’un échange salaire contre actions.

Pour les autres personnels - personnel au sol, etc - rien n’a été avancé à ce moment-là car nous étions davantage dans le cadre de la reprise de notre entreprise, du maintien de notre outil de travail. Nous pensions que nous disposions d’un bel outil de travail qui avait été mal utilisé et que l’on pouvait construire autre chose à côté d’Air France.

M. le Rapporteur : C’est sur ce point que M. Corbet n’a pas respecté son engagement ?

M. Gilles NICOLI : Je n’ai pas dit cela. Je vous ai dit que les engagements n’avaient pas été tenus par les deux parties. Je ne saurais vous dire quelle partie en est responsable.

M. le Rapporteur : Quelles mesures ont-elles été prises ? La baisse de 10 % des salaires des pilotes contre 34 % des actions pour l’ensemble des salariés ? Le blocage des rémunérations du personnel navigant commercial ? L’harmonisation des statuts ? Pouvez-vous nous dire ce qui a été mis en œuvre ?

M. Gilles NICOLI : L’harmonisation des statuts, au niveau du personnel au sol. Le dernier accord a été signé pour une application au 1er août 2002.

M. le Rapporteur : Cette harmonisation s’est-elle faite à la hausse ou à la baisse par rapport à la masse préexistante ?

M. Gilles NICOLI : A la hausse. Mais je vous rappelle qu’il s’agit du personnel au sol chez qui les écarts sont minimes et qui touchait un salaire en dessous de celui du marché. Les cinq premiers coefficients conventionnels sont en dessous du Smic. A l’époque d’Air Liberté, un salaire était constitué avec le 13e mois : on le divisait par 12 et l’on faisait un mois de salaire. Les plus hauts salaires, eux, n’ont pas été remontés.

M. le Rapporteur : L’harmonisation portait donc, en gros, sur 5 % à 7 % ?

M. Gilles NICOLI : A peu près, oui.

M. le Président : Après quelques mois, le tribunal a accordé l’autorisation du transfert d’actifs. Quelle a été la réaction de votre syndicat par rapport à ce transfert d’actifs ? D’autres syndicats ont-ils protesté de manière forte et négative ou tout le monde l’a-t-il accepté ?

M. Gilles NICOLI : Au mois d’août, Swissair n’avait pas payé et Air Lib était en location-gérance chez Holco, après convention entre Holco et les administrateurs, ce qui était un montage très compliqué. Nous étions donc très favorables à ce que les actifs soient restitués à l’entreprise et je ne me souviens pas que quiconque ait protesté.

M. le Président : Je vous demande si vous aviez protesté contre la décision du tribunal, de septembre, d’accepter que les actifs soient transférés dans les filiales à l’étranger ?

M. Gilles NICOLI : Non.

M. le Président : D’autres syndicats ont-ils protesté ?

M. Gilles NICOLI : Je ne pense pas. Pas à cette époque. Mais beaucoup plus tard, effectivement, certains ont protesté.

M. Serge MONNIN : Le transfert d’actifs s’est fait, mais la visibilité du comité d’entreprise - du fait de la loi - s’arrête aux frontières de notre entreprise. Sous la présidence de M. Rochet nous étions au sein d’une entreprise dont les avions, la maintenance technique et un certain nombre d’autres activités étaient déjà transférées à l’extérieur. Nous n’avions pas la possibilité de constater le transfert, mais à notre connaissance il s’est fait plutôt en simplifiant la structure de l’ensemble de la holding.

Il y avait plus d’avions à l’époque - et de types différents - qui se trouvaient dans des filiales, selon les avantages fiscaux, en Hollande ou ailleurs. Le transfert - une fois chez Holco - s’est fait dans le sens d’une simplification de la structure du groupe. Malheureusement, la loi ne nous donne pas le droit d’aller voir chez Holco comment est constitué le capital.

M. le Rapporteur : On nous a dit qu’en février dernier la direction d’Air Lib avait remis au comité d’entreprise une note d’information sur l’utilisation des fonds versés par Swissair. Confirmez-vous cette information, et pouvez-vous nous fournir une copie de cette note, et si oui, qu’y a-t-il dedans ?

M. Serge MONNIN : Nous avons eu des éléments d’information à plusieurs reprises, mais avant février ; j’ai retrouvé un procès-verbal du comité d’entreprise où M. Bachelet évoquait la façon dont la somme avait été utilisée. Avec beaucoup d’incertitudes apparemment puisque, étant dirigeant d’entreprise et non pas représentant des actionnaires, il se limitait dans ses propos, volontairement ou non.

Nous avions le sentiment que cette somme - le milliard versé par les Suisses - était davantage due aux salariés qu’à M. Corbet, sachant bien qu’il n’y avait pas que les salariés d’Air Liberté et d’AOM à faire vivre, mais qu’il y avait aussi un certain nombre de filiales. Pour des raisons fiscales, il n’était pas question de rapatrier les avions dans Air Lib ; nous avions donc conscience qu’il y avait un montage capitalistique complexe. Certaines fonctions étaient externalisées, telles que la restauration, la maintenance et il existait des filiales d’assistance aux Antilles. La structure était forcément complexe. Nous l’acceptions mais nous ne fermions pas les yeux.

C’est la raison pour laquelle nous avons demandé à avoir une vue plus large que celle que nous accordent les prérogatives d’un comité d’entreprise, et nous avons commencé, avec difficulté il est vrai, à obtenir des informations.

Je ne sais pas si c’était en février, mais les gens de Secafi Alpha ont eu connaissance dernièrement des rapports établis par KPMG et Mazars qui sont intervenus avant que l’Etat ne délivre le prêt FDES et que Francis Mer accepte que l’on continue à ne pas payer les charges sociales. Sur ce point, il convient d’interroger nos experts, car je n’ai jamais eu ces rapports en main ; ils ont été remis à titre confidentiel à nos experts et à l’avocat du comité.

M. le Président : Vous n’avez pas la note d’information de février denier ?

M. Serge MONNIN : De mémoire, il s’agissait d’une note faite sur la base de ces rapports.

M. le Rapporteur : Une note aurait été remise par la direction d’Air Lib au comité d’entreprise.

M. Gilles NICOLI : Effectivement, une note a été remise au comité, et certainement en février 2002, car il s’agit du dernier versement qu’Holco a effectué à l’entreprise Air Lib, et le montant des sommes restituées doit être d’environ 670 millions de francs.

M. le Président : Pourriez-vous nous transmettre cette note ?

M. le Rapporteur : Avez-vous commencé à vous inquiéter au vu de ces chiffres ?

M. Serge MONNIN : Nous vous transmettrons cette note, si nous la retrouvons. Mais j’ai l’impression qu’il s’agit d’une note réalisée par Secafi Alpha au vu du rapport Mazars ; elle a fait beaucoup de bruit, car elle a été diffusée dans la presse presque immédiatement.

M. le Président : Non, je pense qu’il s’agit plutôt de la note dont parlait M. Nicoli.

M. Serge MONNIN : Je voudrais finir sur la réaction que nous avons pu avoir à l’époque. Secafi Alpha se posait un certain nombre de questions sur les sommes qui pouvaient rester dans certaines filiales, notamment dans la filiale Mermoz - où se trouvaient les avions - et Holco Lux - filiale financière. Mermoz disposait de 14 millions d’euros et SECAFI ALPHA se demandait s’il s’agissait d’une réserve de maintenance qui avait été, ou non, consommée ; Holco Lux, elle, disposait de 5 millions. Nous nous sommes intéressés à cela, mais il ne s’agissait pas de sommes qui pouvaient sauver l’entreprise, or le rôle du comité d’entreprise est l’intérêt des salariés et la sauvegarde de l’entreprise.

Quant à savoir si la réserve de maintenance a été ou non utilisée, la question est posée ; Secafi Alpha s’en occupe, mais cela ne remettra pas en cause la vie de l’entreprise. Ils ont été très clairs : les sommes restant chez Holco ne peuvent en aucun cas peser sur l’avenir de l’entreprise. Que certains s’en préoccupent pour taquiner Corbet c’est une chose, mais, pour un comité d’entreprise, rien n’est pire que ce type d’insinuations quand on cherche un investisseur.

M. le Rapporteur : Le 10 mars dernier, des experts-comptables mandatés par le comité d’entreprise ont remis un rapport soulignant des zones d’ombre dans les comptes d’Holco et ses filiales.

M. Serge MONNIN : C’est faux, le rapport ne souligne pas de zones d’ombre mais pose des questions.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous préciser les conditions dans lesquelles le comité d’entreprise a décidé de mandater des experts-comptables ainsi que le contenu de ce rapport, et, s’il existe, pouvez-vous nous en fournir une copie ?

M. Serge MONNIN : Je pense que vous faites référence au gros rapport que j’ai là qui s’intitule " Projet de rapport sur la situation de l’entreprise ". Ce rapport est récent, il m’a été remis il y a deux mois peut-être ; il porte sur l’exercice clos le 31 mars 2002 et procède à l’examen des comptes tel que défini par la loi.

Conscients de la situation particulière dans laquelle nous nous trouvions, nous les avons mandatés sur l’examen des comptes d’une manière élargie afin qu’ils aient accès à tous les éléments d’information concernant notre situation. Ce rapport soulève donc un certain nombre de points qui ne sont pas éclaircis, mais je ne pense pas, de mémoire, que l’on puisse parler de zones d’ombre.

M. le Président : Des points qui ne sont pas éclaircis, cela s’appelle des zones d’ombre.

M. Jean-Claude LEFORT : Monsieur le rapporteur, de qui parlez-vous lorsque vous dites "on nous a dit"...

M. le Rapporteur : Tout simplement de la presse. J’ai posé la question de savoir si le comité d’entreprise a mandaté des experts-comptables, la réponse est oui. A la question "y a-t-il des zones d’ombre ?", M. Monnin m’a répondu : " non, mais il y a des choses à éclaircir ".

M. Serge MONNIN : Je réagissais au terme " souligne des zones d’ombre ", car ce n’était pas la substance de ce rapport. Mais bien entendu, plus que jamais, dans la situation dans laquelle nous nous trouvons, il existe des interrogations que le comité d’entreprise doit creuser. On est dans une situation de reprise extrêmement complexe.

M. le Rapporteur : Le comité d’entreprise a-t-il examiné ce rapport ?

M. Serge MONNIN : Nous n’avons pas le rapport final, celui-ci est un projet de rapport et à ma connaissance il n’y a pas eu de rapport sur l’examen des comptes. Mais ce projet de rapport nous l’avons lu, il porte sur les comptes clos en février 2002 ; ce n’est plus d’actualité compte tenu de la situation de l’entreprise.

M. Xavier de ROUX : Je ne parviens pas à me retrouver dans les masses financières nécessaires à la reprise de l’entreprise. Vous nous disiez tout à l’heure, Monsieur Monnin, que les 14 millions d’euros de la filiale Mermoz n’avaient pas d’influence sur la situation de l’entreprise. Que voulez-vous dire par là ?

M. Serge MONNIN : D’après Secafi Alpha, il se pourrait que ces 14 millions d’euros non " identifiés " représentent une réserve de maintenance dont on ne sait pas ce qui a été consommé. Bien entendu, s’il reste 14 millions d’euros, cela représente une somme importante qui permet de payer, par exemple, une période de redressement judiciaire. Encore que le jugement du 17 février, alors que M. Corbet disait qu’il avait les moyens de payer une période de redressement judiciaire, s’appuie expressément sur le fait que l’on n’avait plus de licence d’exploitation pour justifier la liquidation. On voit donc bien, dans ce jugement, que ce n’est pas la somme qui restait en caisse - qui permettait de payer un mois d’exploitation - qui a motivé la liquidation.

M. Xavier de ROUX : Ce que vous dites est important : restait-il, oui ou non, des réserves ? Un certain nombre d’engagements ont été pris à l’égard des créanciers ; vous dites qu’il y avait des réserves dont on ignorait le montant.

M. Serge MONNIN : Je ne sais pas s’il y avait des réserves.

M. Xavier de ROUX : Ces 14 millions constituaient probablement une réserve.

M. Serge MONNIN : Je ne sais pas s’ils ont été consommés. Cela dépasse les prérogatives du comité d’entreprise.

M. Gilles NICOLI : 14 millions de réserve pour les visites d’avions, ce n’est pas aussi important qu’on pourrait le penser. Car dès que l’on a fini de payer une visite, il convient de mettre de l’argent de côté pour la prochaine. Mais là, l’argent se trouve dans une filiale qui n’est pas celle de notre entreprise, nous ne pouvons donc pas en connaître le montant.

M. le Président : Je voudrais poser une question sur les fonds publics qui ont été versés à l’entreprise, le prêt FDES, puis sur le premier moratoire et le second, à savoir 120 ou 130 millions d’euros. Comment l’entreprise a-t-elle vécu l’arrivée de ces fonds publics et, selon vous, comment ont-ils été utilisés compte tenu de l’organisation des filiales ?

M. Gilles NICOLI : Le 2 octobre, les Suisses font faillite et il nous manque 60 millions d’euros. L’idée du GIE fiscal est alors émise, qui d’ailleurs devait déjà avoir germé dans l’esprit des politiques, M. Ricono et les autres, au moment de la reprise. Ce GIE fiscal a été fait pour l’achat de deux A340 de Flightlease, filiale de Swissair, qui avait versé 54 millions d’euros en déposit à Airbus. Il y a donc eu une négociation entre Airbus, le Gouvernement et Holco pour le déposit qui, d’après nos informations, devait servir de réserve pour Air Lib. Plus tard, cette somme a disparu.

M. le Président : Pourquoi le GIE n’a-t-il pas été constitué à ce moment-là ?

M. Gilles NICOLI : Pour des raisons bancaires, des histoires qui nous dépassent. Tout le monde était d’accord ; il aurait dû être fait avant le mois de décembre.

M. Serge MONNIN : Il ne s’est pas fait parce que des informations ont paru dans la presse : notamment l’intervention éventuelle de la Caisse des dépôts qui avait été évoquée au comité d’entreprise. Malheureusement, le lendemain, cette information a été publiée dans la presse ; la Caisse des dépôts - en tout cas d’après M. Corbet - se serait retirée à cause de cela et le montage est tombé à l’eau.

M. Gilles NICOLI : La situation fin décembre 2001 est la suivante : le GIE n’a pas été monté, les Suisses n’ont pas versé les 60 millions d’euros. Nous sommes de nouveau en grande difficulté de trésorerie et il convient de trouver une solution. Or de nombreuses autres entreprises ont été aidées après le 11 septembre, en particulier aux Etats-Unis ; nous, on nous a fait un prêt FDES de 30,5 millions d’euros.

Ce prêt était conditionné au GIE fiscal qui devait se faire, si possible, avant les élections. 15 millions d’euros ont été versés le 9 janvier 2002, le reste devant l’être le 17 février en même temps que les 5 millions d’euros que devait verser Holco à Air Lib. Toutes les sommes publiques sont versées non pas à Holco mais à Air Lib ; nous sommes là dans une situation beaucoup plus claire que pour le versement de la contribution de Swissair pour laquelle on n’a pas toutes les données.

Le prêt FDES est accordé après un audit réalisé par Mazars et il prévoit le montage indispensable du GIE. Il était prévu, en février 2002, de monter une SEM avec les collectivités locales, notamment de la Réunion et de Martinique, qui devait représenter 30 millions de francs. Ils devaient rentrer dans le capital, participer au conseil d’administration afin que la voix des DOM puisse être entendue dans notre compagnie.

Tout est gelé en avril, pendant la période électorale. Le GIE n’est toujours pas monté. Fin mai, tout est à refaire, les accords ne sont plus les mêmes. En outre, les médias nous enfoncent et des messages ne passent pas bien, notamment celui de notre ministre qui déclare, fin juin : "Nous allons siffler la fin de la récré pour Air Lib" ! Cette déclaration a eu des effets désastreux sur notre clientèle et donc sur nos finances.

M. le Président : Trois conditions étaient requises pour la création de ce GIE en juillet 2002 : l’autorisation du Trésor, la nécessité de trouver des investisseurs et l’achat de deux avions, ceux qui ont ensuite été vendus à Air Tahiti Nui. Le Trésor ayant donné son accord, pourquoi ce GIE n’a-t-il pas été créé ?

M. Gilles NICOLI : Je ne suis pas dans le secret des dieux ! Une des conditions était la nécessité d’un investisseur ; or, je vous l’ai dit, dans ce secteur d’activité, il est très difficile d’en trouver. C’est certainement là que se situe la faiblesse de ce dossier. Par ailleurs, nous avons été enfoncés par les médias : comment voulez-vous trouver un investisseur dans un tel contexte ?

Mme Odile SAUGUES : Mes questions s’adressent à MM. Nicoli et Lamade, les représentants du syndicat CFDT.

Lors de l’annulation de la licence d’exploitation d’Air Lib, vous avez déclaré, Monsieur Nicoli, que la responsabilité incombait au seul ministre des transports. Quels sont les éléments qui vous ont conduits à formuler ce jugement ?

Sur le site de la CFDT, un article consacré à Air Lib a été mis en ligne le 13 février dernier. On y lit notamment que le gouvernement aurait provoqué la disparition d’Air Lib pour des raisons politiques et favorisé d’autres solutions plus à sa convenance. Comment vous êtes-vous faits cette opinion et que pensez-vous de la redistribution des slots d’Air Lib ?

Enfin, quelle est votre appréciation sur les promesses de reclassement des 1 000 salariés d’Air Lib par Air France ? Comment avez-vous accueilli cette annonce et quel bilan pouvez-vous faire des reclassements précédents ?

M. Gilles NICOLI : J’essaie depuis le début de notre entretien de démontrer qu’il s’agit d’un dossier politique. Le transport aérien est un sujet très politique, la France est un petit territoire, la concurrence est difficile à mettre en place. Le ministère Gayssot voulait éviter la privatisation d’Air France ; il était intéressant, pour ce ministère, d’avoir une compagnie qui soit présente et assure une concurrence. En revanche, le nouveau ministère veut privatiser Air France et dans ce contexte, les annonces faites depuis le mois de juin - je vous en ai cité une tout à l’heure - ont eu un effet dramatique sur notre entreprise. Je vous rappelle également que pendant les vacances de M. Chirac, au mois d’août à la Réunion, des annonces ont été faites, notamment sur la compagnie et reprises par les journaux locaux : "Air Lib est mort".

Ensuite, l’idée de la constitution d’une compagnie DOM, dans un secteur d’activités qui s’écroulait aux Antilles, a été émise. Il y avait certainement des choses à faire, mais certainement pas de tuer la compagnie qui a toujours travaillé avec les DOM. La SEM, créée par les collectivités locales de la Réunion, a renforcé Air Austral, nous privant encore de capitaux !

Je suis membre du Conseil supérieur de l’aviation marchande (CSAM), et lors du dernier Conseil, j’ai démontré qu’il existait un repreneur potentiel : IMCA. Ce n’était peut-être pas le bon, certes, mais il y avait toutes les chances que cela puisse marcher à condition de donner du temps au temps. Les discussions se sont mal engagées : le GIE n’a pas pu se faire et les Airbus ont été achetés par Tahiti Nui. Je suis persuadé qu’il y a eu une volonté de nous détruire. Des ultimatums tombaient chaque jour menaçant de nous retirer notre licence d’exploitation. Comment voulez-vous reconstruire une société dans de telles conditions ?

En ce qui concerne la redistribution des slots, c’est encore pire ! La CMA/CGM soit le plus grand armateur français, une société solide, et Virgin Express, une compagnie à bas coûts qui, en revanche, ne me convient pas, veulent reprendre Air Lib. Or la liquidation est prononcée alors que le redressement aurait créé de meilleures conditions pour les repreneurs. En effet, ils ne veulent reprendre que 1 000 salariés ; la liquidation de l’entreprise les oblige à gérer 1 500 contentieux. Ils se retrouvent avec l’obligation de reprendre 2 500 salariés. Un contexte juridique doit donc être mis en place ; malheureusement les slots sont redistribués par le Cohor.

J’en reviens à ma première impression. En 2001, AOM-Air Liberté et Air Littoral représentaient 60 000 slots ; hier ils n’en avaient plus que 45 000. Or ces 45 000 ont été saupoudrés entre plusieurs compagnies, l’une d’entre elles a reçu cinq slots pour Toulouse : deux vols le matin, deux vols le soir, un vol en milieu de journée ; alors qu’Air Lib assurait dix vols.

M. le Président : Notre commission enquête sur les événements intervenus avant la liquidation, Monsieur Nicoli.

M. Gilles NICOLI : Cela explique pourtant beaucoup de choses.

M. le Président : Avez-vous eu connaissance des salaires des dirigeants d’Air Lib - de MM. Perri, Bachelet, Corbet - d’Air Lib entre le 1er août 2001 et le 31 mars 2002 ?

M. Serge MONNIN : Non.

M. Gilles NICOLI : J’ai eu connaissance des salaires des membres du Comité exécutif c’est-à-dire des directeurs généraux de l’entreprise - récemment d’ailleurs - car en tant que représentant des salariés, j’ai signé les états.

M. le Président : Entre le 1re août 2001 et le 31 mars 2002, M. Corbet a perçu 1 million d’euros ; M. Perri, 139 000 euros ; M. Bachelet, licencié le 15 février, 541 000 euros.

Avez-vous des appréciations à formuler sur les honoraires qui ont été versés au cabinet Léonzi et à la banque CIBC ?

M. Gilles NICOLI : Oui, nous avons un élément quant à la banque CIBC. Cette banque s’est présentée avec une lettre d’évidence de fonds de 80 millions. J’ai rencontré ses dirigeants pour la première fois au mois de juin, et je pense qu’elle avait pour mission de trouver des investisseurs pour le compte de M. Corbet. Au moment de la rupture du contrat, un dédit a été payé, d’un montant de 8 millions d’euros.

M. le Président : Vous nous avez dit que les investisseurs annoncés ne sont jamais arrivés.

M. Serge MONNIN : Je dirais non pas " annoncés " mais " attendus ".

M. le Président : Ce n’est pas exactement les informations que nous avons. La CIBC semble avoir touché plus de 8 millions d’euros d’honoraires pour des recherches d’investisseurs. Cela ne vous a pas interpellé ?

M. Serge MONNIN : Si, bien entendu ! Notamment en ce qui concerne les honoraires de la CIBC. S’agissant des salaires des patrons en France, j’ai une opinion personnelle qui dépasse le cadre du débat.

M. le Président : On peut penser la même chose sur ce sujet.

M. Serge MONNIN : La seule prestation que nous connaissions de la CIBC a été la lettre d’évidence de fonds de 80 millions de francs ! Nous nous sommes évidemment posé des questions et nos experts nous ont expliqué que le seul moyen de les payer était d’anticiper sur le résultat de leur mission. Apparemment, ce type de mission est extrêmement coûteux. Je suis agent d’enregistrement à Orly, le milieu financier n’est pas mon domaine, je ne sais donc pas combien une banque monnaye ce type de prestation.

M. le Président : Visiblement, très cher ! Et les honoraires de Maître Léonzi : 3 millions d’euros ?

M. Gilles NICOLI : C’est à vérifier, mais quoi qu’il en soit, il n’est pas le seul ; vous devriez trouver des cabinets anglo-saxons, suisses et belges. Mais je ne peux pas vous en dire plus. Vous nous posez des questions relatives aux fonds Holco, or en tant que représentants des salariés d’Air Lib, nous ne possédons que les chiffres de la filiale Air Lib.

M. le Président : Notre souci est de savoir comment divers canaux ont pu irriguer les filiales dont vous parlez. Nous aimerions donc savoir comme cela s’est passé, dans quelles conditions et dans quel intérêt pour les salariés.

Les personnes qui ont réagi sur ces transferts de fonds ont été déboutées par le tribunal de Paris au prétexte qu’elles n’avaient pas à connaître des problèmes d’Holco.

M. Gilles NICOLI : Ce qui a été versé par les Suisses, l’a été, selon nous, pour l’ensemble des salariés. Cela est important et nous ne l’avons jamais perdu de vue.

M. Serge MONNIN : Parmi les salariés concernés, il ne faut pas oublier les 600 salariés des filiales, dont 200 ou 300 chez Air Lib Technics.

M. Alain GOURIOU : Lorsque British Airways a décidé de s’en séparer, aviez-vous connaissance de la situation économique et financière d’Air Liberté ? Cette société avait-elle encore les moyens de vivre et d’assurer à la fois les services aériens et de maintenir l’ensemble du personnel ?

Lorsque Marine Wendel Swissair a repris la société, un audit a-t-il été demandé, la situation des comptes a-t-elle été arrêtée, ce qui lui aurait permis de reprendre Air Liberté en connaissance de cause ?

M. Gilles NICOLI : British Airways était déjà en difficulté. Air Liberté, qui avait pratiquement atteint l’équilibre a de nouveau plongé début 2000 à cause de l’augmentation du prix du pétrole. Certes, la société ne pouvait pas vivre seule, mais ses comptes était pratiquement équilibrés, au niveau de moins 300 millions de francs. Ce sont les longs courriers qui nous posaient problème.

S’agissant de votre seconde question, un audit avait démarré de façon secrète, puisque lorsque nous posions des questions à ce sujet, la direction nous répondait par la négative, nous assurant que British Airways était toujours notre patron. En réalité, l’audit avait commencé en janvier 2000 et pris fin à travers un accord, le 4 mai 2000. C’était le cabinet Mac Kinzey qui travaillait pour Swissair.

M. le Rapporteur : Avez-vous eu des doutes quant à la capacité de M. Corbet de redresser Air Lib, et si oui, à partir de quand ?

Enfin, pensez-vous que les fonds publics ont été bien utilisés ?

M. Gilles NICOLI : S’agissant des fonds publics, il n’y a aucun mystère : 30,5 millions de prêt FDES et 120 millions d’euros avec la dette publique. Or les charges sociales sont d’environ 10 millions par mois. Les fonds publics ont été versés à partir de janvier 2002 et l’entreprise s’est arrêtée de tourner le 17 février 2003. On peut donc en conclure que les fonds publics ont permis, selon moi, de payer les charges sociales. Je ne pense pas que ces fonds soient partis ailleurs. Je pense donc que les fonds publics ont été dépensés correctement.

Par ailleurs, les medias ont eu un rôle important alors que la compagnie se redressait. Avant le 1er avril 2002, les pertes de la société sont très importantes, mais, après le lancement d’Air Lib Express et d’Air Antilles Express, le chiffre d’affaires est remonté à 58 millions en août et septembre 2002. Il est redescendu en octobre, après les premiers articles de presse, à 40 millions, puis à 35 et enfin à 30 millions.

M. Serge MONNIN : S’agissant de la capacité de M. Corbet à reprendre l’entreprise, je ne puis vous répondre. Nous avons vécu des situations inimaginables. Moi-même, je viens d’une compagnie qui a déposé son bilan en 1996, nous avons été rachetés par British Airways, puis nous avons fusionné avec TAT ; British Airways s’est " cassée la figure " ; nous sommes restés longtemps à chercher une solution ; nous avons été vendus aux Suisses alors que les salariés avaient manifesté pour aller chez Air France, non par souci de leur confort, mais parce que cette solution leur paraissait plus viable que la gestion désastreuse qui s’est mise en place à partir de mai 2000. Lorsque M. Corbet est arrivé, l’entreprise était dans un état désastreux : il n’y avait plus un passager, plus un outil de commercialisation. Le yield, c’est-à-dire la gestion des recettes, était parti à Zurich ! L’entreprise était détruite. Nous ne pouvions donc pas penser que Corbet allait la sauver.

Tout le chemin parcouru avec Corbet a été semé d’embûches. Dire que le conducteur était mauvais alors que la route était désastreuse, c’est trop facile. En réalité, nous avons des doutes, non pas sur les capacités de M. Corbet, mais sur la façon dont est organisé le secteur aérien. Les hommes politiques sont-ils capables d’avoir une réflexion sur le secteur aérien qui tienne la route ? Le dirigeant va-t-il savoir trouver des investisseurs ? Telles sont les questions que nous nous posons.

M. le Président : Je voudrais préciser la question du rapporteur. Trois plans de reprise ont été proposés ; n’avez-vous jamais eu de doutes de voir arriver les investisseurs promis ? Un repreneur, quel qu’il soit, qui propose un plan, doit trouver des investisseurs qui s’engagent à verser des fonds, autrement le tribunal de commerce ne peut l’accepter, ni le gouvernement, ni vous. On ne peut pas accepter un plan qui n’existe pas. Avez-vous donc eu des doutes sur l’arrivée de ces investisseurs ?

M. Serge MONNIN : Tous les éléments que je vous ai livrés étaient liés à l’arrivée d’un investisseur. Les relations sociales dans une entreprise déterminent la facilité à trouver des investisseurs, tout comme des événements comme le 11 septembre. Bien entendu, nous avons toujours douté. Et pas simplement sur la capacité de M. Corbet à trouver un investisseur que je ne suis pas en mesure de juger.

M. le Président : Je comprends très bien, je dis simplement qu’un plan de redressement a été conçu dans le cabinet du ministre - vous l’avez dit vous-même en citant MM. Ricono et Amar. Nous les auditionnerons et je présume qu’ils auront une réponse à nous apporter. Je n’imagine pas qu’ils aient soutenu ou proposé un plan sans avoir la certitude de l’apport d’investissements. Car nous avons l’impression depuis le début de cet entretien que les investisseurs n’ont toujours été que virtuels !

M. Gilles NICOLI : La situation était difficile, il fallait redresser l’entreprise ; mais pour faire venir les investisseurs, l’entreprise doit d’abord être redressée. La première partie du plan a été conçue, me semble-t-il, par l’ancien gouvernement et par M. Corbet, à travers le GIE. Si l’entreprise avait été remise sur les rails, je pense sincèrement qu’il était possible de trouver un investisseur. Et c’est le pari que nous avons fait. Malheureusement, une série de difficultés est survenue - le 11 septembre, le non paiement des Suisses, et le fait qu’il n’existe aucun investisseur sur le marché, comme l’a expérimenté l’actuel gouvernement.

M. le Président : Messieurs, nous sommes obligés d’interrompre cette audition, mais nous aurons l’occasion de nous revoir. Je vous remercie.


Source : Assemblée nationale (France)