Procès-verbal de la séance du 27 mai 2003

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

Le témoin est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, le témoin prête serment.

M. le Président : Monsieur le ministre, nous souhaitions vous entendre, car vos fonctions en 2001 et 2002 vous ont tout naturellement conduit à traiter le dossier de la reprise des actifs AOM Air-Liberté, puis des difficultés rencontrées par cette compagnie à la fin de l’année 2001.

Les auditions auxquelles nous avons procédé nous ont déjà permis d’apprécier le rôle que vous-même, votre cabinet, vos collaborateurs ont joué lors de ces différents épisodes. Nous savons que vous avez eu une influence décisive lors de l’obtention du prêt FDES à Air Lib en juillet 2002. Nous aurons donc quelques questions à vous poser sur ce point, puisque le Premier ministre arbitra en votre faveur.

Vous avez la parole.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je ne pourrai évoquer que la période que j’ai connue en qualité de ministre de l’équipement, des transports et du logement, puisque, depuis mai 2002, c’est mon successeur et l’actuel gouvernement qui a dû suivre ce dossier.

Dès ma prise de responsabilités gouvernementales en 1997, je fus confronté aux enjeux considérables du transport aérien et de la construction aéronautique civile. Enjeux considérables pour l’emploi, mais aussi pour la place de nos compagnies et de nos entreprises. Concernant le transport aérien, je rappelle qu’Air France avait reçu une recapitalisation de 3 milliards d’euros par le gouvernement précédent et que son président, lors de mon arrivée, voulait privatiser. Ses effectifs avaient été réduits de plusieurs milliers entre 1994 et 1997 et sa politique d’alliance s’avérait très difficile à conduire alors que tous les autres majors, notamment européens en concluaient.

Son développement nécessitait le doublement des pistes à Roissy en opposition avec les élus de tous bords des circonscriptions riveraines. Je dois ajouter les déséquilibres sur les vols transatlantiques par rapport aux compagnies américaines. Le rééquilibrage nécessitait la signature d’un accord avec les Etats-Unis, dénoncé depuis 1992 et que nos prédécesseurs n’avaient pas réussi à conclure. Voilà quelques mots sur le transport aérien.

Pour ce qui est de la construction aérienne, en qualité de " ministre Airbus ", je me suis investi totalement pour que les Etats concernés et les industriels s’engagent sur le développement de la gamme Airbus depuis l’A318, petit porteur, jusqu’au A380, gros porteur. Là réside un enjeu majeur pour le futur du transport aérien civil et la compétition avec Boeing comme pour la recherche technologique en France et en Europe. Vous pouvez interroger tous ceux qui ont eu à connaître de l’intervention du gouvernement et de la mienne pour la promotion d’Airbus.

Bref, dès les premiers jours, j’ai été confronté à ces enjeux considérables pour nos entreprises publiques ou privées et pour l’emploi mis à mal dans la période passée dans différents secteurs des transports, qu’il s’agisse de l’aérien, mais aussi du ferroviaire, du maritime ou du fluvial.

Cette bataille pour l’emploi restera au cœur de mes préoccupations tout au long des cinq années où j’ai été ministre de l’équipement, des transports et du logement.

AOM-Air-Liberté a été détenue par British Airways jusqu’à la fin 1999. Air France, qui avait dû se défendre face à la stratégie frontale de British Airways, s’était porté acquéreur lors de la vente d’AOM-Air Liberté. Compte tenu du prix jugé intéressant par Air France, l’entreprise publique a sollicité sa tutelle. J’ai précisé que j’y étais favorable. Le ministère des finances, sur avis de la Direction de la concurrence - avant même saisine du Conseil de la concurrence qui est une autorité indépendante et des autorités européennes - a proposé que ce rachat s’accompagne de restitutions de slots en nombre tel que l’opération perdait tout intérêt pour Air France. Un arbitrage informel, négatif cette fois-là à ma proposition, devait être rendu.

Si Air France avait racheté AOM-Air-Liberté, nous n’aurions pas connu la suite que l’on sait, à savoir le rachat par Marine Wendel, dirigé par le baron Seillières, et Swissair. J’insiste sur cet aspect, car l’opération ne me paraît pas tout à fait régulière. La règle communautaire implique que dans le cas d’une telle cession, le capital européen demeure majoritaire. Wendel était donc majoritaire et Swissair minoritaire pour respecter le droit communautaire. Or, nous avons appris, par la suite et de l’aveu même de l’intéressé, que ce n’était en fait qu’un " portage ", un faux nez ! Cela m’avait conduit - et à ma suite la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) - à intervenir auprès de la Commission européenne. Cela prouve une chose : le Président de Marine Wendel, lorsqu’il a réinvesti dans cet achat, était séduit par cette activité. Je ne pense pas qu’il ait investi pour perdre de l’argent, il a pensé en gagner ; le contraire serait surprenant ! Il est utile de conserver cela en tête. Certes, les événements ne se sont pas déroulés ensuite comme il aurait souhaité, mais, au départ, il a pensé pouvoir gagner de l’argent.

Très vite, les compagnies se sont retrouvées dans une situation difficile nécessitant même pour AOM-Air Liberté une augmentation de capital. Je ne dispose pas des éléments sur cette opération, mais votre commission pourra les recueillir, opération qui n’a pas non plus été réglée dans le respect des règles européennes, dans des conditions eurocompatibles. A ce moment de l’exposé, je regrette que la demande d’une enquête parlementaire avancée par le groupe communiste à l’Assemblée nationale en mai 2001 n’ait pu aboutir. Je crois qu’elle aurait permis de mettre en exergue le non-respect de la règle communautaire concernant le rachat par Marine Wendel et Swissair et par conséquent aurait fait ressortir une certaine illégalité des pratiques des actionnaires. Sans doute cela aurait-il permis de montrer l’incurie de la gestion ! Mais il n’y a pas eu de suite donnée à cette demande du groupe communiste à l’Assemblée nationale.

Ce n’est qu’en avril et mai 2001 que nous fûmes alertés de difficultés majeures à la fois par les syndicats et les élus du Val-de-Marne, ceux d’Orly notamment directement concernés. Dès lors, et je veux insister sur cet aspect, ma préoccupation permanente - y compris dans mes demandes à mes collaborateurs - se résume en trois points : nécessité d’assurer les contraintes d’aménagement du territoire et la desserte des DOM-TOM ; obligation de sauver le maximum d’emplois ; développement d’une plate-forme aéroportuaire. Tel fut mon souci permanent et c’est sur ces bases que j’ai demandé à mes collaborateurs directs et à la DGAC de suivre le dossier. A partir de là, et en fonction de la dégradation accélérée de la gestion de M. Seillières et de Swissair, de nombreuses réunions de travail eurent lieu entre mes collaborateurs et les candidats repreneurs.

M. le Président : A quelle période, monsieur le ministre ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : En avril, mai, juin, dès que nous fûmes alertés par les syndicats et les élus sur les menaces et la dégradation de la gestion de Wendel et Swissair. Je n’ai donné qu’une consigne par rapport au repreneur : les écouter tous. M. Ricono, qui était alors mon directeur de cabinet, m’a informé que certains manquaient de crédibilité ; en revanche, trois repreneurs paraissaient dignes d’intérêt : Fidei, des fonds d’investissements américains ; Marc Rochet, chargé des intérêts des actionnaires de l’époque, Wendel et Swissair - c’était un grand professionnel, mais son offre était marquée d’une grande ambiguïté ; enfin il y avait le projet Holco. A tout moment, j’ai veillé à ce que les conditions de rigueur dans l’utilisation des deniers publics soient respectées. Le choix a été opéré par le tribunal de commerce. A ce sujet, j’en ai vu de toutes les couleurs dans la presse !

Je veux ici déclarer avec toute la solennité possible que le choix a été celui du tribunal de commerce sans la moindre intervention du ministre pour l’orienter.

L’on a parlé de mes liens d’amitié et même familiaux avec le dirigeant d’Holco. Tout cela est contre-vérité. Il n’existe ni lien familial ni lien politique entre nous. Par sa famille, ce dirigeant appartiendrait plutôt à un camp opposé au mien. Son père a été l’un des fondateurs d’un parti actuellement dans la majorité. Tout ce qui a été dit sur ces liens familiaux et politiques est totalement faux.

Il fut écrit que j’étais vraiment satisfait que Holco ait été choisi. J’ai conçu une satisfaction, c’est vrai, mais elle était liée au fait que le tribunal de commerce ne prononce pas la liquidation. Ma crainte était là, car des milliers d’emplois étaient en jeu. Quant au choix, je n’ai pas sauté au plafond, car si je connaissais les capacités d’entraînement social de M. Corbet, je n’avais aucune garantie ni certitude sur ses capacités de gestionnaire.

M. le Président : Au moment où le plan a été présenté au Tribunal, aviez-vous une idée sur la crédibilité de tous les engagements pris ? Ont-ils été validés par votre cabinet, notamment le système financier des investisseurs proposés ? Avez-vous porté une appréciation sur la crédibilité des engagements ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non, c’est le tribunal lui-même qui gérait cette question. Plusieurs éléments entraient en ligne de compte. Premièrement la dette, ce que devait donner Wendel et Swissair. Selon les repreneurs, la demande n’était pas la même. De mémoire, pour Rochet, il s’agissait de 1,3 milliard, pour Corbet de 1,8 milliard et pour Fidei de 1,1 milliard. Les voilures, c’est-à-dire à la fois la surface industrielle et en emplois, faisaient apparaître des différences. Je crois qu’entre le plan de M. Corbet et celui de M. Rochet, la différence en emplois s’établissait à 200 ou 300. On peut d’ailleurs se dire que si M. Rochet présentait cette proposition, c’est sans doute qu’il connaissait davantage les difficultés réelles de la gestion sous la responsabilité de Wendel-Swissair.

J’avoue que je fus soulagé d’apprendre qu’il n’y aurait pas de liquidation qui aurait coûté des milliers d’emplois. D’ailleurs, la compagnie Air Lib n’était pas seule concernée, Air Littoral également, même si le dossier est d’une autre nature. J’ai d’ailleurs appris qu’un prêt venait d’être accordé dans des conditions similaires à celles qui furent accordées à Air Lib.

Voilà, il n’y a pas eu intervention. Mon souhait était que Rochet et Corbet ou Rochet-Corbet-Fidei s’entendent pour arriver à une gestion efficace. Cela n’a pu aboutir et le tribunal a choisi la solution Holco avec des réductions d’effectifs. A ce moment-là, ma démarche fut de ne laisser personne " sur le carreau ". J’ai d’ailleurs utilisé cette formule publiquement et j’ai demandé aux entreprises du transport aérien et même à celles de l’aéronautique de se porter partie prenante pour reprendre des emplois abandonnés par Air Lib. Il en fut ainsi et Air France a récupéré plus de six cents personnes.

Une bataille pour l’emploi s’est engagée, car une réduction d’effectif menaçait.

Des financements devaient encore arriver de Wendel-Swissair. Et puis, il y eut le 11 septembre et la situation s’est dégradée. Une demande de prêt a été évoquée et j’ai soutenu l’idée d’un prêt conditionné pour permettre à cette entreprise de vivre et de se développer.

M. le Président : Je vous rappelle le thème de cette commission d’enquête : déterminer de quelle manière les fonds publics ont été demandés, accordés et utilisés dans la gestion de l’entreprise. Il ne s’agit pas d’une enquête sur le passé, mais sur la période juillet 2001 à février 2003.

M. le Rapporteur : Monsieur le ministre, vous venez de déclarer que vous n’avez influencé en rien le président du tribunal de commerce pendant la période de préparation des différents plans de reprise qui ont abouti à la décision dudit tribunal. Mais, il vient de nous être rapporté que vous-même, les membres de votre cabinet et de la DGAC ont reçu toutes les parties, dont les représentants du personnel. Au surplus, il nous a été rapporté que vous avez incité en la personne de Mme Nelly Cohen, l’une des représentantes de la CGT, à voter en comité d’entreprise en faveur de la solution Corbet. Est-ce exact ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non, ce n’est pas exact.

M. le Rapporteur : Vous avez reçu Mme Cohen ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je ne me souviens pas avoir reçu Mme Cohen ; je n’ai pas reçu les syndicats. Mon cabinet, en la personne de M. Ricono les a reçus. Mais, personnellement, je n’ai pas rencontré les syndicats.

M. le Rapporteur : Les membres de votre cabinet non plus ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Les membres de mon cabinet ont reçu les syndicats, c’est certain.

M. le Rapporteur : Ont-ils incité à appuyer telle ou telle des trois principales candidatures ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non, mon cabinet n’a sûrement pas appuyé telle ou telle solution pour la simple et bonne raison que mon cabinet et moi-même aurions souhaité que la solution tienne plutôt dans la réunion des trois candidatures Rochet, Corbet et Fidéi, du moins l’addition de deux d’entre elles.

M. le Rapporteur : Lors de la décision du tribunal, avez-vous demandé, comme c’est votre droit, via le ministre de la Justice, que le procureur plaide dans tel ou tel sens ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non, je ne l’ai pas demandé.

M. le Rapporteur : Ni directement ni indirectement ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non, ni directement, ni indirectement.

M. le Rapporteur : Vous êtes resté donc totalement neutre dans cette première phase.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Neutre non. Mon obsession était que l’on trouve un repreneur, que l’activité se poursuive ! Ma neutralité ne valait qu’entre les candidatures.

M. le Rapporteur : M. Corbet nous a expliqué ici que, pendant toute la période, il était en " service commandé ". Quand nous l’avons interrogé pour savoir ce qu’il mettait sous une telle formule, il a précisé qu’il était là pour protéger les intérêts d’Air France et freiner la pénétration des low cost en France.

Partagez vous cette déclaration du président Corbet et avez-vous joué un rôle dans cette attitude du président Corbet ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non, pas du tout, en tout cas pas au niveau du ministère.

Ce qui est exact, c’est qu’au moment de la libéralisation du ciel européen en 1989, Air Liberté a été constitué et s’est positionné immédiatement et frontalement contre Air France. Cela a été le cas de British Airways lors du rachat de cette compagnie et d’AOM. Ce fut aussi le cas de Swissair et de Wendel quand ils se sont positionnés. Ces derniers toutefois avaient sous-estimé la capacité d’Air France, y compris le rôle que l’actionnaire majoritaire, l’Etat, jouait pour la promotion et la défense de cette compagnie. Toute velléité d’autres compagnies se positionnant contre Air France avait conduit à leur échec. Il est vrai que plutôt que de se positionner frontalement contre Air France, Corbet, Rochet et Fidéi, lors de la présentation des plans - et d’après ce que j’en ai su - ont précisé que leur candidature ne se plaçait pas contre Air France ; ils recherchaient une place où ils pourraient justifier la fiabilité d’un deuxième pôle aérien privé. Leurs trois démarches ne s’inscrivaient pas contre Air France.

La question est importante. Entre monter une entreprise en déclarant que le but est de tuer Air France ou que le but est d’avoir une place dans le transport aérien à côté d’Air France, la différence est considérable. Cela étant, il n’y avait pas de service commandé de la part du gouvernement. Bien sûr, Air France était intéressé par ce qui allait se passer.

M. le Rapporteur : Avez-vous eu des contacts durant cette période avec le Président d’Air France sur ce que vous souhaitiez en tant qu’actionnaire d’Air France à l’égard de la reprise d’AOM Air-Liberté ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Des contacts oui.

M. le Rapporteur : Quelle a été la teneur de ces contacts ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Dès ma prise de responsabilité, j’ai été confronté à cet enjeu majeur. A l’époque, le président, M. Christian Blanc, voulait privatiser. Moi, je ne voulais pas, notamment à cause de cette recapitalisation de près de 20 milliards de francs d’argent public. Je considérais, et je considère toujours, que la privatisation se traduirait par un véritable gâchis.

Je me suis mobilisé en faveur d’Air France, c’est certain, comme entreprise publique, mais également comme secteur dans lequel la France a un rôle à jouer.

M. le Rapporteur : Vous ne répondez pas à ma question.

M. Jean-Claude GAYSSOT : J’y viens. Les contacts, les réunions, les rencontres avec le Président d’Air France, Christian Blanc d’abord, puis Jean-Cyril Spinetta ont été fréquents durant toute mon activité ministérielle.

M. le Rapporteur : Quelle fut votre attitude dans le cadre de la reprise ? Avez-vous demandé à Air France d’adopter telle ou telle position ? Par exemple, sur le partage des codes ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : J’y étais plutôt favorable ...

M. le Rapporteur : Avez-vous appelé le Président d’Air France pour le lui demander ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je ne me souviens pas d’avoir imposé quoi que ce soit, car ma règle a été dans ce dossier comme dans tout autre : le respect de l’autonomie de gestion des entreprises, y compris publiques - et même si la responsabilité du gouvernement était engagée, puisqu’il s’agit d’une société au capital majoritairement public. Autonomie de gestion donc.

Le partage des codes, notamment sur la desserte de l’Outre-mer, était une demande des élus. J’ai utilisé le terme de " politique ", mais ce sont les élus des départements et territoires d’Outre-mer qui souhaitaient une desserte concurrentielle pour des raisons de prix ou de services rendus.

Non, je n’ai pas demandé à Air France de soutenir telle ou telle position au nom de l’autonomie de gestion.

M. le Président : D’après les informations dont nous disposons - le Rapporteur en a fait état - on note plus qu’une connivence entre certains services d’Air France et ceux de M. Corbet pour préparer la reprise. Etiez-vous informé que des collaborateurs d’Air France en juillet et même avant l’aidaient à préparer son business plan ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Oui. Que des personnes d’Air France aient aidé M. Corbet, sûrement. Je devais en être informé.

M. le Président : Avant la reprise.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Avant le 27 juillet, non ; mais, je sais que c’est au sein du syndicat SNPL qu’a été montée au départ la proposition Holco.

M. le Rapporteur : Que voulez-vous dire par là ?

M. le Président : C’est important.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Ce n’est pas le syndicat en tant que tel, c’est un responsable syndical qui a présenté le projet et soutenu l’idée du projet Holco au départ.

M. le Président : Le syndicat en tant que tel ou une personne du syndicat ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Une personne du syndicat.

M. le Rapporteur : M. Immediato ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Oui, c’est cela.

M. le Président : Avant la reprise, les services d’Air France ont aidé à élaborer le business plan. Nous avons perçu, à l’audition de M. Corbet, que ce business plan était surévalué. Étiez-vous informé qu’Air France aidait à son élaboration ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non, pas Air France en tant que service.

M. Alain GOURIOU : Chacun convient que cette décision du tribunal de Créteil fut l’un des tournants de l’épopée Air Lib ; chacun comprend aussi votre préoccupation de sauvegarder des centaines d’emplois et celle de prendre en compte l’aménagement du territoire, car Air Lib dessert beaucoup de petits aéroports sur le territoire national. La suite n’était absolument pas assurée.

Aviez-vous une connaissance approfondie du dossier financier du repreneur Corbet ? L’on ne pouvait savoir par avance qu’allaient survenir les événements du 11 septembre, ni la banqueroute de Swissair. Le dossier de M. Corbet avançait un certain nombre d’hypothèses peu fiables : présence d’investisseurs réellement assurés, lettres d’intention de financement ... tout cela apparaissait un peu léger. Considériez-vous que cette proposition de reprise par M. Corbet présentait des risques importants ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Un tribunal de commerce examine et étudie l’ensemble du dossier et opte au final pour Holco. Ce n’est pas moi qui choisis.

Contrairement à ce qui s’est dit, je n’ai pas sauté au plafond à l’annonce de la décision, car si je connaissais les capacités de leader syndical de M. Corbet, je ne connaissais rien de ses capacités de gestionnaire. J’aurais préféré une solution de fusion des propositions, car il était indiscutable que M. Rochet était un dirigeant d’entreprise, ce qui n’était pas les cas de M. Corbet que j’avais connu en 1998 lors du bras de fer de la grève des pilotes avant la coupe du monde. Quand nous nous sommes rencontrés pour la première fois, ce fut face à face.

Après avoir défendu les intérêts des pilotes, il avait fini par signer l’échange salaires contre actions. C’était un événement exceptionnel. J’y fais référence, car dès que le choix a été opéré par le tribunal de commerce, c’est lui et personne d’autre qui choisit de faire un échange salaires contre actions.

M. le Président : Existait-il un accord sur ce point ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non, cela figurait dans les propositions. Effectivement, un homme qui avait signé un accord en qualité de responsable du SNPL en 1998 laissait à penser qu’il pourrait le faire pour l’entreprise qu’il allait diriger.

Le transport aérien connaissait une croissance de 4 % l’an. Nous voyions de partout Swissair et d’autres se précipiter, acheter des entreprises. Je pensais qu’il y avait place pour une activité d’une entreprise privée qu’Air France n’avait pu acheter du fait d’un refus du ministère des finances.

M. le Président : Nous ne débattons pas de cela.

Nous comprenons que c’est le tribunal de commerce qui a décidé et qu’avant cette décision il y a eu des travaux préparatoires à votre cabinet comme il est normal. Or, nous avons constaté que les propositions d’investisseurs faites au tribunal de commerce n’avaient visiblement pas été certifiées ou vérifiées. Elles ne se sont d’ailleurs jamais réalisées. L’accord à hauteur de 150 millions de francs n’a pas été mis en œuvre et la lettre de crédit présentée le fut dans des conditions que nous avons découvertes : le contrat est arrivé le jour même de la décision. J’imagine que vous aviez vérifié qu’il y avait des investisseurs derrière.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Monsieur le ministre, nous savons que vous êtes un ministre et que vous avez le réflexe syndical. Vous avez d’ailleurs indiqué que les premières alertes étaient venues des syndicats d’Air Lib.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Et des élus.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Vous avez dû évoquer le problème des investissements des personnels, c’est-à-dire les 150 millions évoqués par M. le Président. Les syndicats, avec qui vous en avez parlé, ont dû vous dire s’ils étaient ou non d’accord. C’était un élément important du dossier.

Vous avez eu des contacts avec les syndicats d’AOM-Air-Liberté pendant toute la période qui a précédé la décision du Tribunal de commerce. Ils vous ont fait part de leurs préférences.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je n’ai pas eu de contacts directs avec les syndicats ni assisté à des réunions avec eux. En revanche, mon cabinet les a rencontrés et a discuté avec eux. Surtout, il a débattu avec les repreneurs. J’avais proposé la démarche suivante aux membres de mon cabinet : " Ecoutez, regardez ce que chacun propose et écoutez-les tous. " Mon directeur de cabinet m’a donc indiqué après un temps que certains ne faisaient pas preuve de sérieux alors que trois autres paraissaient plus sérieux : Rochet, qui présentait toutefois le handicap d’être le liquidateur des biens de Swissair et Wendel, donc de M. Seillières, et Fidei - il s’agissait de fonds américain - et puis il y avait une banque canadienne avec Holco, le projet Corbet.

M. le Président : Etiez-vous au courant de la valeur de l’investissement éventuel proposé par la banque canadienne ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non.

M. le Président : La lettre de crédit présentée s’élevait à 80 millions de francs, dont les intérêts et les charges de mise en œuvre représentaient 45 millions de francs, c’est-à-dire plus de la moitié, ce qui pose question.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Comment peut-on imaginer que le ministre des transports ne se soit pas posé la question de la fiabilité financière de chacun des trois projets que vous évoquez ? Au plan technique, des débats ont été ouverts, dites-vous, alors que personne ne se serait soucié de l’aspect financier ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Le ministre des transports n’est pas chargé de vérification dans ces domaines. Cela ne relève pas de sa compétence directe. D’autres ministres du gouvernement sont plus particulièrement concernés par les questions financières.

Bien sûr, il est tout à fait légitime que vous posiez la question, mais, personnellement, je m’en suis remis à l’appréciation du tribunal de commerce. J’ai considéré qu’il était le plus compétent. Dans la mesure où il ne décidait pas la liquidation et où il proposait de retenir le projet Holco, j’ai pensé qu’il avait jugé de la viabilité et de la fiabilité du business plan.

J’étais convaincu que l’entreprise pouvait vivre, parce que le secteur était en développement. L’ensemble des études que nous avions réalisées à l’époque conduisait à dire qu’il fallait construire un troisième aéroport dans le grand bassin parisien et Notre-Dame-des-Landes dans l’Ouest, développer Saint-Exupéry à Lyon, renforcer les aéroports en province...

M. le Président : Une mission d’information parlementaire travaille sur ce sujet, monsieur le ministre.

Le tribunal de commerce fait ce choix, car autrement, du moins on peut le supposer, il aurait décidé de liquider et de ne pas retenir la proposition de Holco. Mais le projet est viable, parce que le transport aérien a une perspective.

M. le Rapporteur : Holco n’existait pas au moment de la reprise ; le projet était en cours de constitution.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Le tribunal de commerce a considéré la viabilité et la fiabilité de la proposition. Ensuite les investisseurs, c’est vrai, ne sont pas venus. Mais vous savez ce qui s’est passé : Swissair et Marine Wendel n’ont pas honoré leur dette de 400 millions de francs et puis il y a eu le 11 septembre.

M. le Rapporteur : Monsieur le ministre, vous êtes intervenu, par une lettre du 5 octobre 2001, auprès du directeur général d’Aéroports de Paris pour qu’il fasse cesser immédiatement le droit de rétention sur les avions de la compagnie afin de faciliter la reprise.

Pourquoi avez-vous demandé cela ? Aéroports de Paris détenait une créance de 124 millions de francs sur AOM-Air-Liberté...

M. Jean-Claude GAYSSOT : Sur Swissair-Wendel - je le précise pour que les choses soient claires.

M. le Rapporteur : Vous avez donc adressé une lettre, que nous avons ici, signée de votre main, adressée au directeur général. Je lis : Je vous demande de surseoir provisoirement à l’exercice du droit de rétention sur les aéronefs nécessaires à l’activité à la société Air Lib et de rechercher avec cette société les propriétaires des avions concernés et avec les administrateurs judiciaires les moyens d’un recouvrement de vos créances compatibles avec la mise en œuvre du plan de redressement.

Autrement dit, le directeur d’Aéroports de Paris fait son travail. Il détient une créance de 124 millions. Il essaye de protéger les intérêts d’Aéroports de Paris. L’un des moyens dont il dispose est le droit de rétention ; ainsi, la compagnie ne peut plus voler. En général, les compagnies payent. Vous intervenez par lettre du 5 octobre 2001, la première intervention écrite que nous ayons de vous dans ce dossier. Vous donnez l’ordre au directeur de surseoir.

M. Jean-Claude GAYSSOT : La formulation n’est pas aussi militaire. Soyez attentif aux mots.

M. le Rapporteur : Je relis : Je vous demande de surseoir provisoirement à l’exercice du droit de rétention.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Oui, provisoirement. J’ai écrit : " Je vous demande ", non " Je vous oblige ".

M. le Rapporteur : Le provisoire est devenu permanent !

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je ne sais si cela a duré après mon départ.

M. le Rapporteur : C’est moi qui pose la question ; ce n’est pas moi qui étais ministre.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Oui, mais cela a-t-il perduré ?

M. le Rapporteur : Nous sommes en 2001 et je vous pose la question à vous.

M. le Président : Nous interrogerons M. Bussereau tout à l’heure.

M. le Rapporteur : Le sursis provisoire que vous évoquez dans votre courrier du 5 octobre est-il devenu permanent ?

M. Claude GAYSSOT : Dans ma lettre, c’était clair. Cette dette pour l’aéroport était antérieure à la création d’Air Lib. Nous sommes au mois de septembre, après le 11 septembre. Le courrier d’Aéroports de Paris me parvient, je crois, après le 11 septembre.

M. le Rapporteur : Le 17 septembre. Il est adressé au DGAC.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je crois me souvenir que je suis à l’étranger à cette période pour un voyage officiel. Je réponds début octobre et demande à Aéroports de Paris, dans la mesure où il s’agit d’une dette antérieure constituée par une entreprise qui n’a pas encore payé ce qu’elle doit à Air Lib - il manque 60 millions d’euros - de discuter, en quelque sorte de négocier la façon dont ils seront payés. Je juge cette solution préférable à celle qui consiste à interdire le vol des avions. Si je n’avais pas fait cela, je n’aurais pu attester être un bon ministre, soucieux de l’intérêt général.

M. le Rapporteur : Oui, mais dès novembre 2001, Air Lib cesse unilatéralement d’acquitter la part patronale. Le montant cumulé de ses dettes auprès des URSSAF s’élevait ainsi au 31 décembre 2001 à 3,8 millions d’euros ou à 4,26 millions d’euros avec les pénalités. Etes-vous intervenu auprès des URSSAF ou de votre collègue des affaires sociales pour leur demander, comme vous l’aviez fait à l’égard du directeur général d’Aéroports de Paris, de surseoir ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non, tout ce qui est moratoire fiscal ou social ne relève pas de mon ministère.

M. le Rapporteur : Cela ne vous inquiétait-il pas ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Tout m’inquiétait. Et plus que tout, la crainte que la situation se dégrade à un point tel que la société doive mettre la clé sous la porte.

M. le Président : Nous arrivons aux fonds publics. Nous savons effectivement comment cela fonctionne au niveau du gouvernement, mais comment, à partir de novembre 2001 alors que l’Aéroport et l’URSSAF ne sont plus payés, ce moratoire a-t-il été décidé ? Des réunions interministérielles ont-elles eu lieu ? En avez-vous parlé à votre collègue des affaires sociales ou du budget ? Comment la décision fut-elle prise ? Ce n’est pas par hasard que l’on a décidé de suspendre les paiements. Devant tout retard fiscal, les services du fisc se hâtent d’intervenir. Or, nous n’avons pas trouvé de traces écrites de moratoire. Comment cela s’est-il passé ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je suis intervenu uniquement sur les créances d’Aéroports de Paris. Sur le reste, je ne peux vous répondre faute d’être intervenu.

J’ai soutenu l’idée du prêt. Mais pas ce que certains appellent le " moratoire fiscal ".

M. le Président : Si ce n’est vous, c’est tout de même le gouvernement !

M. Jean-Claude GAYSSOT : J’avais déjà assez à faire avec mon département ministériel !

M. le Rapporteur : Monsieur le ministre, nous voudrions vous interroger sur ce qui s’est passé fin novembre, début décembre. D’après son témoignage, le président du directoire voulait déposer le bilan alors que le président Corbet ne le voulait pas.

Le président du directoire déclare : " Les prévisions de trésorerie étaient très claires ; nous devions déposer le bilan au plus tard début février. "

Comment cela s’est-il passé et à quel niveau ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : D’une part, il s’agit d’une entreprise privée qui est dans la situation que l’on sait. On perçoit une difficulté majeure liée au non-paiement de la dette Swissair-Wendel et aux événements du 11 septembre. Je n’ai jamais discuté avec la présidence de cette société ; ensuite, un prêt a été sollicité.

M. le Rapporteur : Qui vous sollicite ? Comment cela se passe-t-il ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Ce n’est pas moi qui fus sollicité. Je n’ai pas d’éléments sur la façon précise dont cela s’est déroulé. Je sais seulement que l’entreprise a sollicité un prêt. Il y avait plusieurs hypothèses : le fonds d’aide au développement, la Caisse des dépôts et consignations, l’idée du prêt du FDES. Finalement, c’est cette dernière solution qui a été retenue et que j’ai soutenue.

M. le Président : Le prêt du FDES se situe le 9 janvier 2002. Or, en l’occurrence, nous sommes au mois de décembre 2001. De tout ce que nous avons entendu, les fonds publics commencent à être concernés par le moratoire. Nous rechercherons qui a donné les instructions. Il n’y en a pas d’écrites.

Au moment où M. Bachelet, le président du directoire démissionne en décembre, considérant que la situation n’est plus tenable et propose de déposer le bilan, M. Corbet intervient et se tourne vers l’Etat pour solliciter un prêt. La demande a été formulée par l’entreprise, à l’évidence par M. Corbet, puisque M. Bachelet démissionne.

Etiez-vous informé de la situation financière exacte de la société au mois de décembre ? Aviez-vous alors la connaissance du dossier ? Etiez-vous au courant de la démission du président du directoire et de la volonté de M. Corbet de se tourner vers l’Etat pour obtenir ce prêt ? Vos services vous en ont-ils informé ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : J’étais informé des menaces qui pesaient sur l’activité de l’entreprise. C’était public, d’autant que la démission de M. Bachelet est intervenue. Oui, j’étais informé, mais pas précisément ni dans le détail. Je ne me suis pas entretenu avec l’entreprise concernée de ces questions, qui est une entreprise privée.

M. le Rapporteur : Nous sortons du cadre du privé. Il s’agit d’une décision du gouvernement et d’argent public.

Pourriez-vous nous dire comment s’est déroulée la réunion du 3 janvier entre le Premier ministre et les ministres concernés ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Un arbitrage est intervenu.

Entre le ministre des finances, quel que soit le bord politique, et un ministère, par vocation, dépensier comme l’est le ministère de l’équipement, du logement et des transports, des oppositions surgissent souvent. Le ministère des finances en effet est, par vocation, plus pointilleux et soucieux des équilibres budgétaires.

J’ai plaidé en faveur du prêt, mais limité à six mois et assorti de conditions, parce que la dette de 400 millions de francs n’était pas encore payée par Swissair-Wendel. Il existait également la possibilité sur le plan financier de créer un GIE fiscal.

Bref le prêt était gagé sur la restructuration de l’entreprise ; j’en ai totalement approuvé les conditions.

M. le Rapporteur : Vous dites que vous croyiez et que vous croyez encore à la viabilité de l’entreprise. Mais de quels éléments disposiez-vous pour l’affirmer au mois de décembre-début janvier ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Le transport aérien, même s’il est souvent et assez brutalement soumis à des aspects conjoncturels, est appelé sur la tendance à se développer. Autant que ce soit des compagnies françaises qui se développent. Cela avait motivé notre politique en matière d’aéroports. Telle était la démarche. Elle n’a rien d’artificielle.

Par ailleurs, entrait en ligne de compte la dette de Swissair-de Wendel de 400 millions de francs. J’espérais la recouvrer.

M. le Rapporteur : Disposiez-vous d’informations sur la capacité de récupération de la dette ? Vous appuyiez-vous sur une analyse juridique vous autorisant à le croire ? Pour recouvrer une dette, il faut que la personne qui vous doit de l’argent ait la capacité de la rembourser. Aviez-vous réalisé une analyse juridique sur ce point ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non, pas mon ministère. Le prêt était gagé. En tout cas, il devait être remboursé.

M. le Rapporteur : On peut l’espérer, sans quoi il ne s’agit pas d’un prêt.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Au moment où l’Etat devait être remboursé, le prêt a été reconduit. Peut-être de nouvelles conditions ont-elles été ajoutées ? Je l’ignore. Pourquoi a-t-il été reconduit à deux reprises ? Je comprends mes successeurs. Ils ont dû penser qu’il y avait une possibilité de développement de cette entreprise.

M. le Président : Quand il s’agit d’accorder un prêt de cette nature - 30,5 millions en deux tranches -, il faut convaincre Bruxelles. Accorder un prêt n’est pas une mince affaire. Nous ne parlons pas de la reconduction, mais bien de l’octroi du prêt. Etiez-vous informé à cette époque des conditions dans lesquelles le dossier financier ayant permis d’asseoir la décision ministérielle a été réalisé ? Comment, d’après vos informations, le CIRI notamment, vos services aussi, ont-ils étudié le dossier financier d’Air Lib ? Etiez-vous au courant des réunions qui étaient organisées au niveau du CIRI, de votre cabinet, pour prendre la décision que vous avez été conduit à prendre ? Etiez-vous au courant de la manière dont le dossier a été préparé ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non, c’est le CIRI qui gère habituellement l’octroi de ce type de prêt.

M. le Président : M. Massignon, le secrétaire général du CIRI, nous a quelque peu étonnés par ses déclarations. Il nous a indiqué avoir vu M. Corbet pour la première fois le 5 janvier pour un prêt accordé le 9 janvier à partir d’une décision du 3 janvier. Entre-temps, il y a un week-end. Il l’a vu la première fois le 5, nous a-t-il déclaré, et sa surprise a été totale de constater qu’il n’avait pas de dossier financier. M. Philippe Leroy, secrétaire général adjoint du CIRI, nous a confirmé n’avoir pas eu les comptes de la société. Comment peut-on prendre cette décision si rapidement alors qu’obtenir un prêt réclame habituellement du temps et comment le dossier est-il arrivé à la réunion de Matignon - M. le Rapporteur fera certainement état de la position du ministre des finances - dans des conditions ayant conduit malgré tout à l’octroi du prêt ? L’instruction du prêt vous a-t-elle semblé suffisante, normale ? Est-ce ainsi que cela doit se passer ? Ce n’est pas tout à fait l’avis des personnes que nous avons interrogées.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Avec le ministre chargé des questions de l’outre-mer, nous avons été favorables à l’octroi du prêt ; le ministère des finances, plus réservé, a considéré que le prêt du FDES était la meilleure solution et a assorti l’octroi du prêt de conditions, que j’ai totalement approuvées et validées. Vous trouverez cela dans les bleus.

Au sujet de l’argent public, je me félicitais de l’existence par la loi de la possibilité du contrôle de l’utilisation de l’argent public. C’est pourquoi votre commission d’enquête est importante. Malheureusement, la première décision du gouvernement a été de supprimer le contrôle des deniers publics.

M. le Rapporteur : Nous sommes là pour cela, monsieur le ministre.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Ce n’est pas vrai que pour Air Lib !

M. le Rapporteur : Nous sommes le 3 janvier 2002. Vous participez à l’hôtel Matignon à une réunion avec le Premier ministre et vos collègues. En sortez-vous en pensant que vous allez gagner ou non ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Oui sur le principe. L’intervention du Premier ministre, me semble-t-il, consiste à assortir le prêt de conditions.

M. le Rapporteur : Nous avons un bleu du 7 janvier relatif à une réunion interministérielle réunissant les membres des cabinets. Votre directeur de cabinet vous représente avec un autre conseiller. Je vous donne lecture de ses propos : " Il [votre directeur de cabinet] rappelle que les difficultés de cette fin d’année résultent du non-paiement des 400 millions de francs par Swissair. Pour les résoudre, il propose d’adopter un mécanisme de GIE fiscal pour l’acquisition de deux appareils et l’octroi d’un prêt en l’attente du recouvrement de la créance auprès de Swissair. Il mentionne que des contacts informels ont été pris avec la Commission européenne sur un tel dispositif, cette dernière ne voyant en première analyse pas d’obstacles à sa mise en œuvre. "

Aviez-vous approfondi la question du GIE fiscal ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Vous connaissez l’origine du GIE fiscal. Quand le gouvernement a changé en 1997, nous avons été amenés à modifier la règle des quirat qui ne nous paraissait pas suffisamment claire du point de vue de l’aide publique. Mais il y avait un risque que cette modification handicape certains secteurs d’activité. Nous avons substitué le principe du GIE fiscal aux quirat. C’était un moyen de soutenir l’activité de notre pays et l’emploi. Parmi les moyens de gager la perspective du prêt, il y avait la recherche d’un GIE fiscal sur deux Airbus.

M. le Président : L’idée du GIE fiscal est une bonne idée juridique, mais notre souci est de savoir si vous aviez validé les investisseurs qui devaient former le GIE fiscal, car, comme nous l’avons vu au niveau du tribunal de commerce, les investisseurs prévus ne sont pas arrivés. Au cours de la deuxième phase, les investisseurs devaient payer les deux A340. Vos services avaient-ils validé la capacité des investisseurs ou leur réalité à intégrer le GIE fiscal, puisque cela fut à l’origine d’un prêt public de trente millions d’euros ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je le répète, ce ne sont pas à mes services qu’il appartient ou non de valider. En revanche, les services avaient travaillé sur cette hypothèse. Parmi les personnes concernées, il y avait Airbus, Air France, puisqu’il y avait pour Air France une possibilité de récupérer des fonds, et il y avait une banque - de mémoire Indosuez.

M. le Président : Le GIE n’a jamais pu être monté. C’était un peu l’Arlésienne !

M. Jean-Claude GAYSSOT : Oui, sauf que cela a abouti à Air Tahiti.

M. le Rapporteur : Oui, mais ce n’était pas notre problème.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Cela pour dire que la formule était viable.

M. le Rapporteur : Encore faut-il des banques pour le monter. Sans financeurs, pas de GIE fiscal !

M. Jean-Claude GAYSSOT : Le dossier était engagé et l’hypothèse de sa réalisation était admise.

M. le Rapporteur : Les services de la DGAC que nous avons interrogés nous ont indiqué que toutes ces tractations sont intervenues entre vous-même, votre cabinet, le cabinet du Premier ministre et le Premier ministre. Pouvez-vous le confirmer ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non, je démens. Vous utilisez le terme de " tractations "...

M. le Président : Négociations.

M. le Rapporteur : Ou " discussions sur le thème " prêt ou pas prêt " entre le 26 décembre et le 7 ou 8 janvier. "

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je préfère le terme de " discussions ".

J’ai lu dans la presse que M. le Rapporteur essayait de comprendre s’il y avait eu incompétence ou si une bande organisée s’était partagée le gâteau. Je me méfie donc des propos et de la manière dont vous les formulez. Si la question porte sur des " tractations ", je n’ai plus rien à faire ici !

M. le Rapporteur : Tel n’est pas l’objet de la question. Si vous aviez lu l’article que vous avez entre les mains, vous verriez qu’il ne cite pas le rapporteur, mais un " membre proche de la commission ". Je ne suis pas un membre proche de la commission, mais le Rapporteur ! Revenons à la question.

M. le Président : Nous savons que dans les articles de presse se glissent des échos. Tel est le cas en l’espèce. Hier M. Corbet a posé la question au Rapporteur qui a très clairement répondu. L’on pourrait aussi reprendre des échos portant sur d’autres personnes, y compris de l’ancien gouvernement. Nous ne le ferons pas, car nous sommes en commission d’enquête ; nous posons des questions sur des faits et non sur les digressions de certains rédacteurs.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Il est important qu’il n’y ait pas d’a priori, car si jamais c’était vrai ...

M. le Président : Je vous rassure, ce n’est pas vrai.

M. le Rapporteur : La question qui vous est posée est la suivante : tout ceci se passe entre le 26 décembre 2001 et le 8 ou 9 janvier 2002. La période est extrêmement courte. Nous n’arrivons pas à savoir si, en tant que ministre, vous avez pris les précautions de base avant d’engager l’Etat, car c’est vous qui poussez le Premier ministre contre l’avis de son ministre des finances à l’octroi d’un prêt. Un prêt est une chose grave. La note du CIRI explique en substance au ministre des finances qu’il convient de prendre garde, car prendre un tel engagement, c’est risquer un jour d’être condamné, si cela tourne mal, pour soutien abusif comme toute banque qui intervient alors que le président du directoire veut déposer le bilan.

Avez-vous mesuré, dans ces circonstances, l’importance du risque pris, puisque c’est vous qui défendez cette thèse contre le ministre des finances ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Mon soutien n’a rien à voir avec un soutien abusif. Je considérais et je considère - ma position de ce point de vue n’a pas changé - qu’il existe une place pour une compagnie dans cette activité du transport aérien. Je sais qu’une dette de Swissair-de Wendel n’est pas honorée. Je sais également que l’on envisage le montage d’un GIE fiscal, élément qui permet de gager le prêt. A partir de là, ma position n’a rien à voir avec une étude technique et financière spécifique. Mon ministère n’en a pas les capacités. Si qui que ce soit m’avait dit qu’il s’agissait d’un prêt à fonds perdus, je ne l’aurais pas soutenu. Des réserves avaient été formulées qui toutefois n’allaient pas jusqu’à prétendre que l’argent serait gaspillé ou gâché. Tout au plus, les réserves suscitaient le doute. Le ministre de l’outre-mer, le ministre des transports et finalement le Premier ministre ont accepté les conditions. Vous poserez la question à mon successeur : quand nous quittons le gouvernement après les élections, le prêt qui était fondé sur six mois, a été reconduit.

M. le Président : Oui, l’échéance était fixée en juillet. A l’époque, personne n’a émis l’hypothèse qu’il y aurait des élections présidentielles en mai et des législatives en juin.

M. le Rapporteur : Pourquoi avez-vous fixé un délai de six mois ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je n’ai pas fixé le délai, j’ai soutenu les conditions.

M. le Rapporteur : Vous êtes le ministre qui assure la tutelle sur le ministère des transports. Qui a fixé la durée du prêt et son montant ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Le CIRI.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Avant le 3 janvier, vous êtes informé de la demande de prêt d’Air Lib. Vous connaissez la situation de la compagnie, puisque vous avez constaté que les engagements pris au moment de la reprise et de la décision du tribunal de commerce n’avaient pas été mis en œuvre. Les investisseurs n’étaient pas là, le personnel n’avait pas pris sa participation au capital. De plus, le 11 septembre avait eu lieu, vous connaissiez la dette fiscale et sociale, vous saviez qu’il n’y avait toujours pas d’investisseurs qui se profilaient à l’horizon, vous saviez que le président du directoire était démissionnaire et vous recevez une demande de prêt FDES. J’imagine que votre ministère demande un nouveau plan de restructuration à M. Corbet. J’ai compris que rien ne s’était passé.

Cela signifie que le 3 janvier, vous arrivez au conseil des ministres sans la perspective d’une vraie restructuration par le management de l’entreprise, en accord d’ailleurs avec les syndicats avec lesquels vous n’avez pas perdu contact. Quel est donc l’argument que vous utilisez face au ministère des finances qui, lui, a bien compris que la situation était désespérée ? Je ne me satisfais pas de l’argument selon lequel l’argent de Swissair-de Wendel serait récupéré. En effet, le rythme des pertes est tel que six mois après l’on est à peu près sûr d’être à nouveau en situation de cessation de paiement. La seule différence c’est que les élections sont passées ! Pouvez-vous m’assurer que l’argument ne consistait pas à gagner six mois, en espérant récupérer les 400 millions ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je veux répondre nettement : surtout n’imaginez pas que mon attitude, celle du gouvernement, du ministre de l’outre-mer, du ministre des finances ou du Premier ministre, aient été guidées par l’idée de " passer les élections " !

D’ailleurs, je puis vous assurer que nous eussions préféré qu’elles ne se passent pas comme elles se sont déroulées.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Quel est donc l’argument technique ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Il y avait cette perte qui, en quelque sorte, se cumulait. Une chose est sûre : quand nous quittons le gouvernement, la dette publique entre le prêt remboursable en juillet et ce qui a été fait au titre des moratoires sociaux et fiscaux représente soixante millions d’euros. C’est le montant que n’a pas payé Swissair-Wendel. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Depuis que nos successeurs ont pris le dossier, ils auraient porté cette dette à 130 millions d’euros !

M. le Président : Oui, cent trente millions d’euros cumulés.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je le dis, car ma démarche n’était animée par aucun calcul de type politicien. J’avais en tête la fiabilité de la compagnie et l’emploi.

Certes, des conditions devaient être fixées, mais vous disposez des bleus sur le sujet. Vous me rétorquerez que ces conditions sont postérieures, mais, précisément, le prêt lui-même n’a pas été versé en une seule fois. Cela signifie que des éléments de garantie furent obtenus.

M. le Président : Rien n’indiquait dans le dossier, venez-vous de dire, qu’il était impossible de récupérer l’argent prêté. J’ai sous les yeux une note du directeur du Trésor au ministre des finances, M. Fabius, en date du 5 janvier 2002. De la main même du directeur du Trésor, on lit : " Il n’y a aucune perspective de remboursement des concours des fonds publics. "

Aviez-vous connaissance de cette note ?

Plus avant, le directeur du Trésor explique au ministre que même si le prêt FDES n’est plus le mode habituel d’intervention du CIRI, cette enveloppe, surtout en période de difficultés conjoncturelles, peut être mobilisée ; il explique comment. Le reste de la note est extrêmement critique. M. Fabius de sa main écrit en marge : " Sur instruction du Premier ministre et malgré mes réserves expresses, prêt FDES de 16,5 millions d’euros. "

N’avez-vous donc pas été informé des réserves du ministre des finances ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : De ses réserves, si.

M. le Président : Ce sont plus que des réserves, c’est une opposition.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je lis le mot " réserves ".

M. le Rapporteur : Je comprends que vous n’ayez pas eu connaissance de cette note interne au ministère des finances. En revanche, le compte rendu de la réunion interministérielle du jeudi 7 janvier vous a été adressé. C’est votre directeur de cabinet, M. Ricono, qui vous y représentait, ainsi que M. Guyot, votre conseiller technique. Lisiez-vous les " bleus " ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Ceux qui m’étaient envoyés, je les lisais.

M. le Rapporteur : Voilà ce que dit ce compte rendu de la position du ministère de l’économie et des finances : " Une autre solution, qui comporte toutefois le même risque de soutien abusif, pourrait être de faire intervenir le FDES. Si le Premier ministre devait arbitrer en faveur d’une aide à cette compagnie au-delà de ce qui a déjà fait l’objet d’un accord, il propose, tout en confirmant ses réserves de principe, de recourir à cette solution. Cette intervention serait soumise à un ensemble de conditions tenant notamment aux efforts de restructuration et d’abaissement des coûts, effectivement mis en œuvre par Air Lib, et la clarification de ses structures. Elle serait gagée sur la créance Swissair. Elle serait d’un montant de 30,5 millions d’euros, dont 16,8 sont immédiatement disponibles.

" Le solde nécessiterait un décret d’avance financé par redéploiement sur les crédits du ministère de l’équipement. " C’est d’ailleurs ce qui s’est passé, puisque vous avez " subi " un décret d’annulation pour financer une deuxième tranche de 13,8 millions : ont été annulés 7,6 millions d’euros sur vos crédits construction-amélioration de l’habitat, c’est-à-dire les crédits de l’ANAH, 4,7 millions d’euros ont été supprimés sur le chapitre " Développement des infrastructures, organisation des transports, sécurité, expérimentation, études générales ", c’est-à-dire vos crédits sur la sécurité routière et 1,5 million " Développement territorial du tourisme " sur le budget du tourisme.

Vous étiez parfaitement au courant - c’est explicitement formulé dans le bleu. Lorsque vous l’avez lu, ne vous êtes-vous pas demandé si vous ne vous preniez pas là une responsabilité très importante à engager l’Etat en comblement de passif ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je le répète, car je n’ai rien à ajouter : il s’agit d’un prêt, pour une durée de six mois, assorti de conditions, que j’ai approuvées. Je croyais à cette possibilité, notamment, parce qu’il y avait une dette à récupérer de Swissair-Wendel à hauteur de 60 millions d’euros et parce qu’il était envisagé le montage d’un GIE fiscal.

Lorsque j’ai pris mes fonctions de ministre, Air France enregistrait des déficits. Entre 1993 et 1997, la compagnie a supprimé 9 000 emplois. Or, c’est celle qui a le mieux résisté au monde après le 11 septembre, elle a réalisé des bénéfices et même elle a embauché 600 personnes d’Air Lib.

M. le Rapporteur : Monsieur le ministre croyez-vous au miracle ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non.

M. le Rapporteur : Eh bien, nous sommes deux ! Pourquoi la compagnie Air France s’est-elle redressée si ce n’est parce qu’elle a reçu 20 milliards qui l’ont recapitalisée, parce qu’elle a réduit ses effectifs et renégocié le montant de ses salaires ! Ce fut une politique extrêmement dure. Vous le savez, puisque vous en avez " bénéficié " pendant la période où vous avez été ministre.

Des mesures équivalentes furent-elles appliquées à Air Lib ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Lorsque j’ai été ministre, j’ai eu à traiter les accords biltatéraux avec les Etats-Unis, le doublement des pistes n’était pas fait...

M. le Rapporteur : Ce n’est pas cela qui explique les faits.

Je vous pose la question, monsieur le ministre : un plan de restructuration a-t-il été mis en œuvre à partir du 11 septembre à Air Lib - d’après les informations de vos services ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : L’objectif d’un plan de restructuration.

M. le Rapporteur : Un plan de restructuration commence à produire ses effets après sa mise en œuvre.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Si Air France a embauché des employés d’Air Lib...

M. le Président : Un an après.

M. le Rapporteur : A la période où nous nous situons, cela fait cinq mois que la reprise a eu lieu. Ne vous êtes-vous pas demandé pourquoi cette compagnie en extrême difficulté, en dépôt de bilan potentiel n’a toujours pas entamé sa restructuration ? Cela ne vous inquiète-t-il pas ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non seulement cela m’inquiète, mais des choses se passent. Par exemple, concernant la voilure, Air Lib Express est en train de voir le jour, c’est d’ailleurs un succès...

M. le Rapporteur : Il est lancé un peu plus tard. Nous sommes en décembre-janvier.

M. le Président : Vous raccourcissez le calendrier.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Cela pour vous dire que des choses se passent ou se préparent.

M. le Président : La parole est à Mme Odile Saugues.

M. Odile SAUGUES : Vous parlez de la création d’Air Lib Express, monsieur le ministre. Avez-vous fait l’objet de démarches particulières de la part des compagnies low cost qui souhaitaient à cette époque obtenir des créneaux à Orly ? Si oui, quelle a été votre réponse et pensez-vous que ces démarches étaient compatibles avec le maintien de la compagnie Air Lib dans le ciel français ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Les compagnies low cost étaient très intéressées par une faillite d’Air Lib, car elle supposait ensuite le partage des créneaux. Tant qu’Air Lib vivait, le partage demeurait impossible. La réduction de la voilure elle-même rendait des créneaux disponibles. Le partage se réalise selon des règles très précises, mécaniques : dans l’hypothèse de 5 000 créneaux disponibles, une part revient aux compagnies présentes, une autre aux compagnies demandeuses. Les compagnies low cost existaient. Ce qui prouve qu’il y a bien une place pour une compagnie française. Elles étaient demandeuses de beaucoup de créneaux sur le pôle d’Orly.

M. le Rapporteur : Estimez-vous que le produit lancé quelques mois plus tard par Air Lib est un produit bas coûts ou un produit à coût élevé et à bas tarif, et donc hyperdéficitaire ? Comme l’ont montré tous les documents qui nous ont été présentés, il ne s’agissait pas d’un bas coût.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non ce n’était pas totalement un bas coût, puisque, heureusement, dans notre pays, les conventions collectives empêchent certaines choses qui, je l’espère, ne se feront pas alors qu’elles sont possibles avec certaines compagnies à bas coûts.

Certes, ce n’était pas exactement un bas coût, mais une démarche de liaisons à bas prix. Et cela a eu l’air de réussir.

M. Odile SAUGUES : Sur la remarque de notre Rapporteur, j’indique, pour l’honnêteté des débats, que les bas coûts ne s’en vont pas sans biscuits, puisque dans beaucoup de cas, ils rackettent les collectivités territoriales ! Il s’agit de subventions déguisées.

M. le Rapporteur : Le produit Air Lib Express n’était pas un produit bas coûts. C’était un produit à bas prix, dont les coûts n’avaient pas été abaissés, ce qui a entraîné une explosion du déficit comme le montrent tous les documents qui nous ont été remis, notamment l’audit de KPMG.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Selon les informations qui m’ont été fournies - ce n’est pas nous qui gérions -, le démarrage paraissait positif. Mais cela nécessitait des réorganisations, y compris concernant le travail. Elles restaient certainement à entreprendre pour une part.

M. le Président : Un rapport, dont vous n’avez sans doute pas eu connaissance, a été réalisé sur le fonctionnement d’Air Lib Express. Il s’agit du rapport Secafi Alpha. Il précise, page 28 : " Aucune ligne n’affiche de perte inférieure à 20 % du chiffre d’affaires et certaines dépassent des ratios de 50 %, rendant illusoire une éventuelle profitabilité en dépit de taux de remplissage corrects. " Les coûts sont bas, mais les charges de fonctionnement sont trop élevées. Pourquoi ? D’après toutes les informations recueillies depuis la décision de reprise, aucun plan de restructuration sérieux n’a été mis en place par M. Corbet et son équipe.

Pour votre information, 77 pilotes qualifiés sur Airbus étaient l’arme au pied, " le balai au pied " devrais-je dire, pour pouvoir travailler et ne faisaient rien...

Je pense que vos services, à l’époque du prêt, étaient informés de tout cela. Malgré ces dispositions, vous avez souhaité accorder ce prêt. Vous avez indiqué que l’étude avait été réalisée sérieusement, puisque le prêt devait être accordé en deux temps. Vous avez raison, monsieur le ministre, il a été accordé en deux tranches.

Je dispose d’une lettre de M. Fabius, adressée cette fois directement au Premier ministre. Il ne passe pas par le directeur du Trésor ni par l’interministériel. En date du 15 février 2002, elle est signalée de sa main, par la mention très signalée. Je vous en donne lecture : " Monsieur le Premier ministre, la compagnie Air Lib a bénéficié en janvier 2002 du versement d’une première tranche de 16,5 millions d’euros d’un prêt FDES d’un montant total prévu de 30,5 millions d’euros. Avant de verser la deuxième tranche de 14 millions, je souhaite attirer votre attention sur la situation inquiétante de l’entreprise. L’analyse que le CIRI, Comité interministériel, a menée depuis un mois avec l’aide du cabinet d’audit Mazars et Guérard, confirme largement les craintes que nous pouvions avoir au début de cette année - la première note dont j’ai fait état. Il semble même que le diagnostic se soit à nouveau assombri en l’espace d’un mois.

" Le GIE fiscal qui devait se mettre en place n’a toujours pas été finalisé malgré les autorisations de mes services. " Tout à l’heure, vous expliquiez que c’était parce qu’il n’y avait pas d’investisseurs (...) malgré les promesses faites, même avec des hypothèses optimistes concernant les recettes tirées de ce GIE et les prêts octroyés par l’Etat, l’entreprise est en cessation de paiement dès la mi-avril. " Nous sommes au 15 février.

" A moyen terme, le plan d’affaires transmis à ce stade par l’entreprise n’offre aucune perspective de rétablissement financier malgré des hypothèses de taux de remplissage élevé et l’absence de prise en compte des coûts sociaux et de la restructuration.

Il conclut sa note au Premier ministre : " Ce bilan a été dressé par mes services lors d’une réunion interministérielle organisée par votre cabinet. Le CIRI a également relevé que la maison mère de l’entreprise Holco n’avait toujours pas versé à Air Lib toutes les dotations perçues à l’été de Swissair. Environ 20 millions d’euros seraient encore à mobiliser. "J’ai posé hier dix fois la question à M. Corbet, qui n’a pas répondu à cette question. Pourquoi, au moment où il vous demande 30 millions d’euros, ne mobilise-t-il pas les 20 millions d’euros à sa disposition ?

" Dans de telles conditions, il semble que, sauf mesures draconiennes prises par Air Lib, le versement de la deuxième tranche de prêt ne ferait que repousser artificiellement la cessation de paiement de l’entreprise ". Malgré cette lettre, la seconde tranche est versée dans les jours qui ont suivi. Pourquoi, monsieur le ministre ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : La décision du prêt avait été actée, avait été prise. Je n’étais pas au courant de la teneur de la lettre.

M. le Rapporteur : Au moment où vous plaidiez pour l’octroi de 30,5 millions d’euros de prêts du FDES, via la filiale située aux Pays-Bas, c’est-à-dire la coopérative Mermoz, M. Corbet donne l’ordre de verser 9,1 millions d’euros à un cabinet d’avocats chargé de défendre les intérêts d’Air Lib dans le contentieux ouvert avec Swissair. Etiez-vous au courant de cette affaire et vous êtes-vous posé la question de savoir s’ils avaient vraiment besoin de 30 millions ? Disposiez-vous de l’état financier de la maison mère et des filiales pour connaître le montant des ressources ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non, monsieur le Rapporteur.

J’ai découvert par la presse, par les informations qui ont été données - je crois d’ailleurs en liaison avec la commission d’enquête - ce système de gestion et de filiales ; je ne vous cache pas que j’ai été surpris. Lorsque j’ai interrogé, on m’a répondu qu’un tel système de gestion existait avant Air Lib. J’ignore si c’est vrai ou faux. On m’a même dit que c’était pratique courante dans le secteur des compagnies aériennes. Je ne trouve pas cela très moral, ni très bien !

M. le Rapporteur : Moi, la question que je voulais vous poser...

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je vous le dis quand même, parce que, y compris pour l’intervention en faveur de l’octroi de ce prêt, mon seul souci était l’activité de l’entreprise et les emplois liés.

M. le Rapporteur : On peut le comprendre, monsieur le ministre.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Quand je vois ces sommes considérables pour payer je ne sais quoi et les émoluments que certains se sont versés - même s’il est de notoriété que les grandes entreprises, les grands patrons se servent assez largement... ! J’ai même noté dans un journal du dimanche qu’ils préparaient leur retraite de manière impressionnante. En tant que syndicaliste et communiste, voyant cela, j’ai envie de dire : il faut vraiment changer les règles du jeu ! Pendant que certains souffrent avec des bas salaires ou sont mis à la porte, d’autres " se sucrent " et se servent !

M. le Rapporteur : Je partage tout à fait votre analyse, mais...

M. le Président : Nous sommes tous d’accord.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Seulement votre majorité a supprimé la loi qui permettait de contrôler systématiquement l’utilisation des fonds publics.

M. le Rapporteur : Ne pensez-vous avoir été un peu léger en plaidant pour ces 130 millions alors que vous ne saviez rien au fond de l’organisation du groupe ? Vous ignoriez s’il y avait encore du cash comme nous l’avons découvert ou des sur-rémunérations des actifs à réaliser. Pour un ministre en charge de l’argent du peuple français, ne pensez-vous pas avoir pris cette position avec une certaine légèreté ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non. Des éléments me sont communiqués aujourd’hui, notamment sur ces rémunérations...

M. le Président : Vous ne les connaissiez pas à l’époque ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Pas du tout. Si j’ai été léger, mes successeurs ont été ultralégers !

M. le Président : Nous allons les interroger.

M. Jean-Claude GAYSSOT : De 60 millions de dettes, l’on passe à 130 millions. Il y a au surplus cette dette de Wendel-Swissair qui reste impayée. Vous évoquez l’argent du peuple. Mais pourquoi cet argent dû n’a-t-il pas été versé ?

M. le Président : Nous nous offusquons autant que vous, mais il s’agit de dettes entre entreprises privées. Pour l’heure, nous vous interrogeons avec M. le Rapporteur sur l’intervention de l’Etat et l’engagement de crédits publics ...

M. Jean-Claude GAYSSOT : ... gagés sur cette dette privée.

M. le Président : Comment se fait-il que dans le cadre de la mise en œuvre du dossier de prêt - je n’ai pas d’expérience ministérielle - une décision aussi grave soit prise alors que le ministre compétent, après avoir pris connaissance des oppositions du ministre des finances, ne dispose même pas des informations sur la structure juridique ? Un mois et demi avant de vous demander ce prêt, M. Corbet se sert un " golden hello " de 850 000 euros. Vos services ne vous disent-ils pas comment l’entreprise est gérée ni comment elle fonctionne ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Pas du tout !

M. le Président : Mais comment faire pour instruire un dossier, monsieur le ministre ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Comment faire ? Je ne vais pas vous dire qu’il convient de nationaliser toutes les entreprises ! J’ai été informé, d’une part, que des conditions étaient posées à l’octroi du prêt ; d’autre part, que des audits étaient réalisés.

M. le Rapporteur : Après la première tranche, vous décidez, vous versez et ensuite vous vous dites qu’il faudrait regarder ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Le tribunal de commerce a arrêté son choix au préalable.

M. le Rapporteur : Nous parlons du prêt, monsieur le ministre. Au fond, vous êtes un étrange banquier : vous versez l’argent avant de vous dire qu’il conviendrait peut-être de vérifier si vous l’avez accordé à bon escient ! Que découvre-t-on ? Ce que nous avons découvert et le fait que vous avez été léger d’une certaine façon.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je vous ai livré les raisons pour lesquelles j’avais soutenu l’idée du prêt.

M. le Président : Les raisons sont claires, monsieur le ministre.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Surtout ne pensez pas qu’il y a autre chose, y compris dans la connaissance des choses. Il y a des audits...

M. le Président : L’audit est intervenu après le versement du prêt de 16 millions.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Oui, mais l’octroi du prêt doit répondre à des conditions.

M. le Président : On tend la main à l’Etat en lui demandant 30,5 millions. L’Etat répond favorablement, mais sous conditions. Parmi les conditions, l’Etat a demandé le versement de 5 millions d’euros.

M. Fabius l’écrit, le gouvernement était donc informé que M. Corbet, lorsqu’il avance 5 millions d’euros, ne mobilise que 20 % de ses disponibilités qui viennent de Swissair, et qui ont été réparties au Luxembourg ou en Hollande et, bien sûr, en France. Aviez-vous connaissance de ces faits ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Mais non !

M. le Président : M. Fabius l’écrit dans sa lettre !

M. Jean-Claude GAYSSOT : Parce que c’est son secteur qui est chargé de traiter les questions liées aux finances.

M. le Président : Merci de votre réponse !

M. Lionnel LUCA : Vous êtes ministre des transports. Les avions sont immatriculés par un bureau qui dépend de votre ministère. Ne l’interrogez-vous pas pour savoir où sont les avions ? Il vous aurait répondu qu’ils étaient dans la filiale Coopérative Mermoz, située au Pays-Bas. Un minimum d’enquête vous aurait permis très rapidement d’entrevoir les premiers éléments.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Le directeur de la DGAC de l’époque est actuellement directeur de cabinet de mon successeur. Interrogez-le, parce que sur ces questions à la fois techniques, administratives, je considère que les choses se sont passées normalement.

M. le Rapporteur : Nous l’avons interrogé et d’autres également.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Et sur l’immatriculation ?

M. le Rapporteur : Il a fallu que ce soit la commission qui leur pose la question, car pas même le cabinet, semble-t-il, ne la leur a jamais posée.

Nous l’avons posée au DGAC de l’époque et à l’une de ses principales collaboratrices. Pendant cette période très courte qui va du 26 décembre au 7 ou 8 janvier, n’avez-vous pas demandé une enquête pour, en quelques dix-quinze jours, au moins éclaircir les choses, ce qu’a fait M. Fabius a posteriori, c’est vrai, mais il l’a fait.

M. Jean-Claude GAYSSOT : J’étais convaincu que les services intéressés détenaient tous les éléments et réalisaient les enquêtes nécessaires.

M. le Rapporteur : Il n’y avait même pas de comptes !

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je n’avais pas les moyens en tant que ministre des transports - et tel n’était pas mon rôle - de vérifier les aspects financiers et techniques.

M. le Président : C’est le rôle du ministre des finances, vous avez raison, mais il l’a fait.

M. Jean-Claude GAYSSOT : C’est pourquoi j’ai approuvé totalement au cours de la réunion à Matignon les conditions posées par le ministre des finances et mises en avant par le Premier ministre. Je n’émets pas la moindre réserve sur les conditions de restructuration. Qu’ont fait ceux qui nous succèdent ? Ils prolongent, non une fois, mais deux fois !

On ne parle pas d’Air Littoral. Vous devriez également vous interroger. J’ai appris que l’on venait d’octroyer un prêt, je crois, du FDES, ce que je comprends d’ailleurs.

M. le Président : Personne ne vous a alerté à l’époque du fait que M. Corbet ne mobilisait que 20 % de ses avoirs au moment où il demandait 30,5 millions à l’Etat.

M. Lionnel LUCA : J’ai bien compris, monsieur le ministre, que vous aviez défendu votre ministère et votre volonté de faire exister un deuxième pôle. Vous y avez travaillé pour recueillir tous les arguments possibles. Nous avons eu le même sentiment avec le ministre des finances, M. Fabius, que nous avons reçu et qui nous a expliqué comment, dans son rôle, il avait parfaitement défendu son ministère, c’est-à-dire la volonté de préserver l’argent public.

En bout de chaîne, une décision est prise au cabinet du Premier ministre et par le Premier ministre. C’est lui qui a, un moment donné, tranché. Vous avez indiqué qu’il ne pouvait en aucun cas y avoir de raison politique. Peut-être le Premier ministre était-il plus concerné que d’autres encore par les événements qui allaient suivre. Qu’il ait retenu ce choix tient-il au fait que vous ayez été plus persuasif que votre collègue des finances sur un sujet dont les conséquences peuvent se révéler très importantes sur le plan des responsabilités, à la fois politiques et personnelles ? Avez-vous le sentiment d’avoir su convaincre par des arguments techniques ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Oui, si ce n’est que j’ignore si ce fut par des arguments techniques. En tous cas, mes arguments et ceux du ministre chargé de l’outre-mer ont pu convaincre le Premier ministre davantage que les réserves - je dis bien " réserves " et non " l’opposition " - du ministre des finances.

Je ne gagnais pas tous les arbitrages. Si l’on se souvient de la liaison Lyon-Turin, le ministre des finances considérait qu’il ne fallait pas s’engager dans la réalisation de ce ferroutage pour des raisons financières.

M. le Président : Il s’agit en l’occurrence d’entreprises privées, monsieur le ministre.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Il s’agit aussi de dépenses publiques.

M. le Président : Air Lib était une entreprise privée.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Oui, mais ces oppositions sont traditionnelles, parce que les différents ministres ne portent pas, sur ces affaires, le même point de vue.

Je vous le répète, j’avais toujours en tête le souci de l’emploi. Je craignais que des milliers de personnes restent sur le carreau. Je suppose que le Premier Ministre a dû arbitrer lorsqu’il s’est agi de prolonger le prêt. Ce ne peut être en fonction des élections.

M. le Président : Cette fois-ci, ce n’est pas en fonction des élections, c’est certain !

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Il était perdu.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Comment cela il était perdu ! Je ne sacrifierais jamais l’argent public ainsi !

M. le Président : M. Bussereau vous succédera ici ; nous lui poserons la question. Restons-en à l’époque qui nous occupe. J’ai bien compris vos réponses, elles sont claires. Chacun appréciera par la suite.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Lors du renouvellement, Air Lib ne pouvait plus rembourser, le crédit était perdu.

Je voudrais revenir à vos relations avec M. Corbet. Vous avez une longue expérience des syndicalistes dans de grandes entreprises. Vous avez su apprécier les capacités managériales d’un certain nombre de patrons. Moi-même je viens de l’entreprise et j’ai connu cette relation dans l’autre sens. J’imagine que vous avez dû vous poser la question de la qualité managériale de M. Corbet, lui-même ancien syndicaliste. En votre âme et conscience, aviez-vous confiance en M. Corbet et finalement n’était-ce pas là le point faible du système ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non. Nous nous sommes connus en 1998 lors d’un affrontement qui s’est soldé par un accord où il a gagné pour les jeunes pilotes. Nous avons réussi à faire cet échange salaire-action. Il s’agissait de sommes considérables, mais ne croyez pas qu’il soit aisé d’expliquer aux gens qu’on échange un revenu assuré sous forme de salaires par une hypothétique valeur de l’action - qui d’ailleurs a baissé depuis, même si la compagnie a continué de se développer. Sur l’aspect social, il avait pu convaincre les pilotes de cet échange. Dans la mesure où nous étions dans la perspective de son plan, je jugeais cela plutôt bien. Sur le management, je n’avais ni confiance ni pas confiance, j’ignorais tout de ses capacités.

C’est le tribunal de commerce qui a choisi Holco.

M. le Président : À partir de la décision du tribunal de commerce ...

M. Jean-Claude GAYSSOT : Si les tribunaux de commerce choisissent des formules non viables ...

M. le Président : J’en reviens à l’attribution du prêt. L’analyse de la décision prenait en compte plusieurs éléments : le plan d’affaires, surdimensionné de l’avis de chacun et qui n’a pas été respecté ; le plan de restructuration qui n’a pas été mis en œuvre. Au moment où vous accordez le prêt, l’engagement de juillet n’a pas été respecté, si ce n’est une toute petite partie pour le personnel au sol. Il y avait surtout les investisseurs qui devaient apporter 22,8 millions d’euros au capital et les 12 millions d’euros de la lettre que M. Corbet, d’évidence, n’avait pas l’intention d’utiliser.

En décembre, saviez-vous que le plan de restructuration n’avait pas été mis en œuvre ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Au mois de décembre 2001, nous sommes après le mois de septembre.

M. le Président : En septembre, il n’avait pas été mis en œuvre.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Entre le 27 juillet et le 11 septembre, il y a le mois d’août.

M. le Président : Raison de plus pour restructurer.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Vous avez tout à fait raison ; c’est pourquoi, dans les conditions du prêt figurent des éléments précis de restructuration.

M. le Président : Ils n’ont pas été respectés.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je suis à ce point conscient de la nécessité de restructurer que je demande à Air France, à EADS, à la SNCF, et à d’autres encore d’étudier la possibilité d’embaucher les salariés qui ne resteront pas à Air Lib. Évidemment, j’ai le souci de l’emploi. Je fais en sorte que personne ne soit mis à la rue et que les entreprises qui embauchent profitent de la qualification des personnels.

Au moment de porter un jugement, voyez qu’Air Lib Express était engagé ...

M. le Président : Engagé après le prêt.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Cela prouve bien que les conditions posées...

M. le Président : Oui, mais Air Lib Express fut une catastrophe financière.

M. Jean-Claude GAYSSOT : La catastrophe, je vous le rappelle, est liée à l’attentat du 11 septembre et au non-paiement de la dette de 60 millions d’euros par Wendel-Swissair.

M. le Président : On peut spéculer, ce je ne souhaite pas que nous fassions ici, mais si tous les engagements pris au niveau du tribunal de commerce avaient été respectés, la situation n’aurait certainement pas été celle qui aurait dû vous être présentée le 3 janvier et ensuite le 7 janvier.

Chaque ministre assume, dans son secteur, ses décisions. Etes-vous au courant des conséquences pour le budget de votre ministère de l’obtention du prêt ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Non, pas précisément. Mais je me doute qu’il en est ainsi. Pour moi, le prêt est remboursable, je ne suis pas dans l’idée qu’il ne sera pas remboursé.

M. le Président : Le deuxième versement du FDES a fait l’objet d’un gage exigé par le ministre des finances par un décret d’annulation du même jour. Ce document officiel du Gouvernement prévoit l’annulation de 7,6 millions d’euros de crédits de paiement au chapitre 65-48 sur l’ANAH, " Construction amélioration de l’Habitat ", ce qui n’a rien à voir avec le trafic aérien, 4,7 millions d’euros de crédit de paiement chapitre 53-47 " Développement des infrastructures, expérimentation et études générales " - il s’agit de la sécurité routière - et 1,5 million d’euros au chapitre 66-03 " Développement territorial du tourisme ". Voilà les conséquences pour le ministère dont vous aviez la charge à l’époque de ce gage fondé sur un dossier dont on ne vous avait pas communiqué toutes les informations. Je tenais à vous le dire afin que nul ici ne l’ignore.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Je me doutais d’un tel gage. Mais j’étais dans l’état d’esprit que le prêt n’était pas à fonds perdus. Pour moi, le gage devait être restitué sur le budget de l’équipement.

M. le Président : A quelle période ?

M. Jean-Claude GAYSSOT : Six mois après.

M. le Président : C’est un décret d’annulation de crédits, monsieur le ministre.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Vous pouvez prendre des décrets d’annulation et aussi des décrets de rétablissement. Sur tous les chapitres que vous venez de citer, le gel des dépenses depuis mai 2002 est d’une bien plus grande gravité, y compris sur la sécurité routière, que ces gages provisoires.

M. le Président : Restons-en à nos relations de cause à effet entre un dossier étudié ou non, une décision prise ou non et un gage qui a eu des conséquences. Je ne veux pas nourrir de polémique politicienne et je suis sûr que telle n’est pas non plus votre intention.

M. Jean-Claude GAYSSOT : Vous avez totalement raison.

M. le Président : Monsieur le ministre, merci pour le détail et la franchise de vos réponses.


Source : Assemblée nationale (France)