Présidence de M. Bernard PLAISAIT, Vice-président

M. Bernard Plaisait, président - Nous allons entendre M. Philippe Jeammet, professeur de pédopsychiatrie et chef du service de psychiatrie de l’adolescent et du jeune adulte à l’Institut mutualiste Montsouris. Il est également responsable du deuxième intersecteur infanto-juvénile de Paris.

(Le président lit la note sur le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment.)

M. Jeammet, vous avez la parole.

M. Philippe Jeammet - La délinquance des jeunes me préoccupe depuis longtemps. Je dirige ce qui a été le premier service de psychiatrie d’adolescents. Il a été créé par mon prédécesseur et maître, le professeur Flavigny qui s’est beaucoup impliqué dans le milieu ouvert.

Le thème n’est pas nouveau puisque la terminologie utilisée dans les années soixante était pratiquement la même que la nôtre.

Par rapport à la délinquance juvénile, mon point de vue est individuel : c’est celui d’un psychiatre qui s’efforce de comprendre le fonctionnement psychique de ces jeunes et ce qui en découle sur le plan de la réponse thérapeutique ou éducative.

Comportement antisocial, la délinquance est une notion assez relative dont la perception varie selon les sociétés. Cet aspect relève plutôt de la sociologie.

C’est vrai que la délinquance n’a pas de définition en psychiatrie. Ces jeunes qui souffrent de troubles du comportement vont plus ou moins rentrer dans certaines catégories psychiatriques dont la plus classique est celle de psychopathe. Fondée au début du siècle par Kurt Schneider, elle traduit le fait que ces jeunes gens particulièrement impulsifs ont des difficultés à se contrôler. Non seulement ils ont la capacité de s’attaquer aux biens et aux personnes, mais ils ont également la capacité de retourner leur agressivité contre eux-mêmes. La fréquence des automutilations et des comportements suicidaires, notamment quand on limite leur agressivité à l’égard des autres, avait déjà été notée.

Cette notion - qui demeure - ne nous est pas tellement utile à l’heure actuelle. En effet, la délinquance telle que nous la voyons de nos jours recouvre une gamme de comportements extrêmement divers reposant sur des personnalités elles-mêmes extrêmement diverses avec un continuum entre le normal et le pathologique. Cela pose évidemment beaucoup de problèmes : on préfèrerait une frontière nette mais ce n’est pas possible dans ce domaine.

Il y a une continuité avec des extrêmes. Nous sommes en présence de sujets dont le côté pathologique apparaît clairement. Que signifie pour nous le côté pathologique ? Il s’agit de personnes enfermées dans un comportement dont elles ont plus ou moins conscience - même si elles ne se l’avouent pas - qu’il n’est pas normal, en tout cas qu’il les met en difficulté. Ce comportement, elles sont contraintes de le répéter avec une possibilité de choix assez limitée. Moins le choix est important, plus la contrainte à répéter le comportement est lourde et plus on est dans l’ordre de la pathologie.

Parmi ces contraintes interviennent des facteurs d’ordre biologique avec des spécificités génétiques qui provoquent chez certains sujets des tendances impulsives ou agressives naturellement plus marquées que chez d’autres. Quel que soit le poids de ces gènes, leur expressivité - il faut le savoir - sera naturellement conditionnée par la réponse de l’environnement. Ce qui définit la pathologie, c’est donc la contrainte à la répétition.

Nous sommes en présence de toute une gamme de comportements. La notion de psychopathe est presque un diagnostic a posteriori. On dit de quelqu’un qu’il est psychopathe quand il est enfermé depuis déjà un certain nombre d’années dans les attitudes délictueuses et impulsives.

A côté de ces comportements, un certain nombre de sujets sont capables de répondre par la violence à toute contrariété, à toute frustration, ce qui pose un problème de limite avec la psychose, ces troubles assez graves de relation avec la réalité souvent conditionnés par les spécificités biologiques de la dimension génétique.

Il y a indéniablement des jeunes qui n’ont pas suivi ce parcours classique du psychopathe et qui sont quand même contraints, en présence d’une émotion importante, d’y répondre par un passage à l’acte. Il semble qu’il leur soit impossible d’élaborer leur émotion autrement que par une décharge d’ordre moteur et souvent agressive, à tel point qu’il y a lieu de s’interroger - avec toute la prudence qui s’impose - sur l’utilisation de certains psychotropes, notamment des neuroleptiques chez des sujets mineurs de douze ou treize ans. Nous disposons maintenant de psychotropes beaucoup plus efficaces dont les effets secondaires sont moindres pour des jeunes qui sont en train de se fracasser contre le mur des adultes... qu’ils endommagent au passage tout en s’endommageant eux-mêmes grandement. On ne peut pas les contenir s’ils n’ont pas le moyen de remédier à cette force qui les dépasse et peut hypothéquer leur avenir en se traduisant par des comportements délictueux. Cela concerne seulement une minorité.

Il existe toute une gamme de comportements dont les formes les plus graves posent la question d’une sorte d’équivalent psychotique quasi-hallucinatoire : quand l’halluciné entend une voix et ne peut pas se contrôler, on sait que cela correspond à des troubles d’ordre psychotique.

Ces sujets, qui rentrent dans des comportements délinquants recouvrant tout un spectre de psychopathologies, de la psychopathie, voire la psychose jusqu’à la normalité, présentent un certain nombre de caractéristiques qu’il me paraît important de prendre en compte. Tous ont une incapacité d’attendre qui est fondamentale. En effet, sans attente, il est impossible d’avoir un minimum de liberté de choix et d’apporter une réponse adaptée à la situation.

Cette capacité d’attendre repose avant tout sur la confiance de l’enfant dans son environnement. Un enfant commence à attendre dès les deux premières années de sa vie. Or, ce qui lui permet d’attendre, c’est la fiabilité de son entourage. Quand l’enfant perçoit un signe avant-coureur répondant à sa demande d’être nourri, son esprit se calme. L’expérience ne fera que renforcer cette perception. Il se crée alors le sentiment très profond d’une adéquation entre ses besoins et la réponse de son environnement, adéquation qui lui procure une sorte de tranquillité et de confiance.

D’autres au contraire, soit pour des raisons de tempérament plus réactif, soit pour des raisons d’interaction, ont le sentiment que leur environnement est imprévisible, donc générateur d’insécurité. Sentant son impuissance à provoquer une réponse adéquate de son environnement, l’enfant va devenir particulièrement attentif à ce dernier. Cette dépendance - à des degrés divers, certes - à l’égard de l’environnement va notamment se refléter dans des réactions face aux situations de séparation. Or, les délinquants, on le sait, tolèrent très mal les séparations.

Le moment du coucher illustre la façon dont l’enfant réagit à la séparation. Certains trouvent en eux les ressources intérieures pour remplacer l’entourage, par exemple en rêvant ou en suçant leur pouce. Cette potentialité est nourrie par la qualité de la relation avec l’environnement qui a sécurisé l’enfant. L’éducateur ou le parent qui a réussi est celui dont on n’a plus besoin : il n’est pas nécessaire de s’agripper à lui.

A l’inverse, plus on est dépendant de cet environnement, plus on va avoir besoin de le contrôler en miroir. Malheureusement, les êtres humains ne contrôlent pas les autres par le plaisir partagé, lequel conduit au bout d’un moment à la séparation. Le contrôle s’effectue par l’insatisfaction dont les grandes modalités sont les plaintes corporelles et les caprices, qui deviendront progressivement des conduites d’opposition. Apeuré par le départ de sa mère, l’enfant va se plaindre ou faire des caprices pour l’obliger à s’occuper de lui. En même temps, il échappe aux autres puisque, quoi qu’on fasse, cela ne va jamais.

Les délinquants sont, toutes proportions gardées, dans des situations comparables à celles de ces enfants : relative insécurité intérieure et extrême dépendance à leur environnement. Ils n’ont confiance ni en eux, ni dans les autres. Cela se voit à la façon dont ils accusent les autres de leur propre comportement : si je réagis ainsi, c’est la faute d’un tel ! Ils apparaissent comme des marionnettes auxquelles il suffit de ne pas dire bonjour pour déclencher tel ou tel comportement. Cette extrême dépendance à l’environnement est le signe paradoxal d’une grande vulnérabilité intérieure. Contenus, ces caïds se montrent volontiers apeurés, phobiques et commettent de fréquentes tentatives de suicide.

Toute cette problématique est importante, sauf à se tromper sur la force de ces sujets. Ils font peur pour ne pas avoir peur. Craignant d’être jugés par les autres, ils font en sorte de provoquer leur réaction.

Prenons l’exemple très révélateur de ces jeunes qui ont un rat sur l’épaule. Ce rat, ils l’ont apprivoisé, ils l’ont nourri depuis toujours. Si le malheureux animal se retrouvait face à ses congénères, il n’aurait pas la moindre chance de survie ! Eh bien, la vulnérabilité de ce rat qui fait pourtant peur aux passants est un bon reflet de la vulnérabilité de ces jeunes.

C’est cette vulnérabilité qui les rend particulièrement dangereux par rapport à toute mesure d’approche. Ils sont pris dans un dilemme : si on ne les regarde pas, ils se sentent méprisés et abandonnés. Et si on commence à s’occuper d’eux, ils se sentent épiés, colonisés, envahis sans se rendre compte que c’est parce qu’ils sont très en attente des autres qu’on leur « prend la tête ». Ils ne vont pas supporter la moindre infidélité de la part de ceux dont ils se sentent affectivement dépendants. Le seul fait d’avoir besoin d’eux est ressenti comme un signe d’aliénation. Cette problématique de l’aliénation, fondamentale chez ces sujets, va se traduire par des manifestations diverses selon les cas.

La conséquence, c’est que ces sujets, qui n’ont pas d’image très nette d’eux-mêmes, vont être hypersensibles à l’image qu’on va leur renvoyer d’eux. C’est la raison pour laquelle il faut bien différencier la répression, la punition, la sanction et l’humiliation. Ces jeunes sont des exemples particulièrement pertinents pour mesurer les effets du faux débat entre la compréhension - sous-entendu le laisser-faire - et l’autorité. Il importe de se souvenir que ces jeunes ne pourront se construire eux-mêmes que si on leur pose des limites. Il y a toute une éducation à la limite.

Poser des limites en présence d’un comportement inadéquat, c’est très différent de l’attitude qui consiste à profiter de l’occasion pour porter un jugement de valeur sur une personne. Il est important de faire comprendre à celle-ci qu’elle ne se réduit pas à ce comportement et qu’elle peut en adopter un autre. Si la limite fixée peut être frustrante sur le moment, elle ne laisse pas de trace. En revanche, le jugement porté sur la personne crée une haine et une blessure qui sont difficiles à surmonter.

Cette vulnérabilité à l’environnement, cette épaisseur intérieure n’ont rien à voir avec l’intelligence. L’insécurité intérieure de ces personnes ne leur laisse pas le temps d’utiliser leurs facultés intellectuelles pour réfléchir à la situation. Dans ces conditions, la mesure éducative va privilégier la compréhension par l’environnement de la personnalité de ces sujets.

Il appartiendra aux éducateurs de pratiquer toute une stratégie de la limite qui est préférable à celle de la punition mais qui passe néanmoins par la punition. Il va leur falloir s’intéresser à la personnalité sous-jacente, c’est-à-dire trouver les moyens de valoriser les compétences et les atouts pour redonner à chacun la possibilité de se développer dans un rôle actif.

Pour poser ces limites, il importe d’être toujours complémentaires, d’être plusieurs à s’occuper de ces sujets pour éviter une relation duelle. Quand une mère est enferrée face à la série de caprices de son enfant, ce qui peut la sauver, c’est l’arrivée d’un tiers qui calme la situation, car il n’est pas dans la même situation de dépendance affective.

Les êtres humains qui se sentent très dépendants d’une personne ont du mal à apporter la démonstration de ce qu’ils ont reçu d’elle. C’est l’exemple bien connu des enfants qui font preuve à l’extérieur du savoir-vivre qu’ils feignent d’ignorer au sein de leur propre famille. Il nous faut repenser à cette question des tiers car ces jeunes, qui ont certes besoin d’un entourage familial, ont aussi besoin d’une distance par rapport à une trop grande dépendance affective.

C’est la raison pour laquelle je pense qu’il serait bon de revaloriser la séparation. Bien préparée, elle serait ressentie non comme une sanction mais comme un moyen permettant au sujet de s’approprier son apprentissage, sa réussite, alors qu’exposé au regard parental, il se sent tenu de répondre à son exigence.

Pour sortir de cette trop grande imbrication entre parents et adolescents, je me suis prononcé depuis quelques années en faveur de la réouverture des internats. Bien conçus, ils peuvent être un garde-fou contre certains dérapages. J’en ai vraiment l’exemple.

Je souligne donc à la fois l’importance du facteur de la vulnérabilité et la nécessité de savoir utiliser avant qu’il ne soit trop tard un milieu différencié dans lequel plusieurs acteurs interviennent.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur - Vous avez bien démontré la rapidité du passage de l’émotion à l’acte chez ces jeunes. Vous avez souligné le rôle du facteur génétique et la grande vulnérabilité par rapport à l’environnement.

Ces jeunes ne sont-ils pas aussi dépendants d’autres éléments tels que la drogue ou l’alcool ? Considérez-vous qu’il s’agit d’éléments aggravants ?

M. Philippe Jeammet - Bien sûr qu’ils vont l’être ! Ce sont souvent ces sujets dépendants de leur environnement qui vont être des candidats privilégiés pour passer d’une dépendance - en l’occurrence une dépendance affective - à une autre.

Tous ces sujets ont fréquemment la phobie des émotions. Aux émotions, ils vont substituer des recherches de sensation. Alors que l’émotion vous submerge de l’intérieur, la sensation donne l’impression d’exister, de communiquer avec l’extérieur tout en se contrôlant. Or ceux qui sont dans l’insécurité ont une peur panique de l’émotion qu’ils vivent comme une sorte de reddition aux autres.

Cette sensation, ils vont la rechercher de façon privilégiée dans les conduites à risques avec la recherche des effets psychotropes que provoquent les drogues. Bien sûr, les réactions vont être extrêmement différentes selon les individus qui n’ont pas les mêmes facultés de dégradation. Il y a un lien très direct entre la dépendance à l’environnement, l’insécurité intérieure et le recours à ce qu’on pense maîtriser - la drogue - alors qu’on va tomber sous son emprise.

M. le rapporteur - D’après votre expérience, y a-t-il plus de jeunes souffrant de troubles psychologiques ou psychiatriques que par le passé ?

M. Philippe Jeammet - Rien ne permet de le dire et cela me paraît très peu vraisemblable. J’aurais même plutôt une vision contraire. Cette génération est beaucoup plus épanouie que les précédentes. Le poids de l’inhibition à tous les niveaux, ajouté à une sorte d’écrasement des capacités à communiquer du fait du travail précoce - sans parler des guerres - a laminé les générations antérieures.

Je ne crois pas que les jeunes souffrent plus - on voit moins d’inhibition - mais leur moyen d’exprimer leur mal-être a changé avec l’évolution de la société. Ils sont en quelque sorte le miroir grossissant de notre comportement. C’est non la réalité du malaise, mais sa forme d’expression qui a changé.

La sécurité intérieure donne une sorte de filtre qui permet de supporter les autres. Face à un regard dérangeant, par exemple, on en imagine un autre qui, lui, sera bienveillant.

Le manque de sécurité intérieure des sujets les plus fragiles va les rendre beaucoup plus sensibles à ce que leur renvoie l’environnement. Ils seront des révélateurs extrêmement sensibles de l’évolution de la société. C’est ainsi que l’irrespect est devenu un mode d’expression des jeunes, qui est amplifié par le poids de l’image.

Ces jeunes, fragiles, tolèrent très mal le flottement ou la dépression des adultes, qui les renvoie à leur propre vulnérabilité. Cette angoisse provoque en général une flambée plutôt qu’un apitoiement.

M. le rapporteur - On nous a beaucoup dit que la France manquait de structures d’accueil pour ces jeunes au point de devoir parfois les envoyer en Belgique. Qu’en pensez-vous ?

M. Philippe Jeammet - Les structures d’accueil belges auxquelles vous faites allusion concernent des troubles psychologiques bien particuliers, des psychoses infantiles pour lesquelles nous manquons en effet de structures.

Pour les jeunes difficiles, nous avons la chance d’avoir en France un tissu social et associatif très fort par rapport à d’autres pays. La gamme de structures est extrêmement étoffée et diversifiée. Ce qui est difficile, c’est l’organisation.

On m’a confié en Ile-de-France la responsabilité d’une structure expérimentale qui est mixte, santé-justice. Il s’agit surtout de travailler avec l’encadrement de ces jeunes pour les aider à sortir d’une situation d’impasse.

L’une des tâches de ces cinq dernières années a été de rassembler l’ensemble des structures consacrées à ces jeunes en Ile-de-France. Pas un ministère n’en a la responsabilité !

Nous avons recensé sur un CD-rom la totalité des structures qui existent en Ile-de-France. Elles sont au nombre de vingt-neuf, qui vont du sport à la santé en passant par la justice. Eh bien, il n’y a pas moyen de regrouper l’ensemble ! Il arrive - nous l’avons appris - qu’une commune cherche une structure à l’autre bout du département faute de savoir qu’il en existe une semblable à côté.

Nous avons la chance de disposer en France d’une multitude de structures. Cette chance, n’allons pas la gâcher par une conception étroite de la régionalisation. Des jeunes de la région parisienne ont besoin d’être accueillis dans des structures avec des équipes compétentes à une distance raisonnable de leur domicile, ce qui ne signifie pas l’exil ! Pour changer de région, il nous a fallu rompre des agréments. On a dû fermer certaines structures qui n’avaient pas un taux de remplissage correct à l’échelon local.

Or il faut faire attention. Il y a un savoir-faire. On ne s’improvise pas du jour au lendemain éducateur en milieu fermé, sauf à s’exposer à de lourdes déceptions. Pour éviter l’affrontement direct, l’internat exige des personnalités charismatiques.

Les structures existent. Encore faut-il les mettre en liaison et insister sur la nécessité de coopération pour préserver ce capital. Après, on verra où sont les lacunes.

J’incite à jouer énormément la carte de cette prévention secondaire. Je ne mésestime pas les difficultés. Les structures ne sont pas organisées de façon très adaptée. Ces sujets vulnérables et dépendants de leur image sont exposés à la tentation d’être grands dans l’échec à défaut de l’être dans la réussite. Quand ils sentent qu’ils ont déçu, ils s’emballent dans un processus destructeur. Si on n’est pas sûr de réussir, on peut toujours être sûr d’échouer. L’exemple du bac est à cet égard révélateur. Au moment de l’adolescence, le fait de pouvoir dire non procure un soulagement immédiat.

Il y a donc toute une action préventive à conduire avant que l’image soit trop détériorée, avant que le jeune soit trop marginalisé, notamment dans sa scolarité. Il faut un autre regard. Il faut que quelqu’un se sente responsable de ces jeunes qu’on expulse vite de l’école et dont les parents sont débordés.

M. Laurent Béteille - Ces jeunes sont-ils accessibles à une sanction ? Ont-ils le même rapport à la sanction que les adultes ?

M. Philippe Jeammet - Je ne connais personne qui ne soit pas sensible à la sanction. Ils sont hypersensibles à la sanction parce que, très vite, elle prend un caractère vexatoire. Ils la ressentent quasiment comme une atteinte à leur intégrité, à leur territoire. Ce décalage entre l’intentionnalité de l’adulte et le vécu de l’adolescent peut être dramatique. Pour être compréhensible, la sanction doit intervenir en référence à une loi qui s’applique à tout le monde, tout en étant explicitée et mise en oeuvre de façon personnalisée.

La plupart de ces jeunes n’ont pas confiance en eux car ils ont vécu dans des milieux non fiables qui les ont laissés tomber après les avoir adorés. L’illusion de contact, suivie d’une déception, est désastreuse pour l’enfant. Il vivra la sanction comme une nouvelle illustration des caprices des adultes. Il aura beaucoup de mal à comprendre que la sanction ne le vise pas, lui.

Il y a toute une pédagogie de la sanction. En réponse à votre question, pour être sensibles à la sanction, ils sont hypersensibles ! On peut sanctionner fermement sans humilier. Comme dans les films de cow-boys, les jeunes ont besoin d’une relation personnalisée. La sanction peut être prononcée par un juge mais il faut qu’à un moment donné, l’éducateur fasse un travail pédagogique.

M. le président - Nous vous remercions d’avoir répondu à nos questions.


Source : Sénat français